Les choses ont des aspects inattendus. Qui se serait avisé de penser que l’arrêté de classement d’un chemin vicinal, prononcé par une commission départementale, pouvait être considéré comme un acte réglementaire, et qu’en cas d’anticipation prétendue sur le chemin, le juge de la contravention devenait compétent pour apprécier la légalité de l’arrêté ? Voilà, à ce point de vue, l’arrêté de classement d’un chemin assimilé à un règlement de police, dont la légalité peut être appréciée par le juge de la contravention (V..déjà à ce point de vue, Cons. d’Etat, 19 juin 1891, Consorts Tardieu, S. 1893.3.71; P. chr.; 20 mai 1904, Depaux [sol. implic.], Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 414. V. aussi, Cass. 6 janv. 1906 [sol. implic.], S. et P. 1906.1.108). Et, sans doute, une fois que les faits ont amené le rapprochement, on le trouve justifié; un arrêté de classement d’un chemin n’est-il pas un acte réglementaire, puisqu’il est opposable à toute une population ? N’est-il pas un règlement de police, puisque la conservation des voies publiques est conçue comme une police, la police de la voirie ? Enfin, n’est-il pas sanctionné par des contraventions ? Assurément; seulement, encore une fois, sans le cas de jurisprudence, on n’y eût point songé. Il n’y a notamment rien sur ce point dans le Traité de la juridiction administrative de Laferrière, ni dans le Règlement administratif de Félix Moreau.
Dans notre espèce, c’est le conseil de préfecture qui est le juge de la contravention, parce qu’il s’agit d’anticipation sur le sol d’un chemin vicinal (L. 9 vent. an XIII) (sur la répartition des compétences en cette matière entre les juridictions administrative et judiciaire depuis la décision du Tribunal des conflits du 21 mars 1850, Morel-Wasse, S. 1850.2.423; P. chr., V. Cons. d’Etat, 27 déc. 1901, Jouhendon, S. et P. 1904.3.129, et le renvoi; Laferrière, op. cit., 2° éd., t. I, p. 704 et s.; et notre Rép. gén. du dr. fr., v° Chemin vicinal, n. 2438 et s.); mais la solution serait la même s’il s’agissait d’une affaire de la compétence du juge de paix, telle par exemple qu’une anticipation sur un chemin rural ou sur une voie urbaine. Les arrêtés de reconnaissance rendus par la commission départementale pour les chemins ruraux, les délibérations de classement prises par le conseil municipal en ce qui concerne les voies urbaines, sont aussi des règlements, dont la violation rentre évidemment, soit sous l’application de l’art. 471, n. 15, C. pén., qui punit « ceux qui auraient contrevenu aux règlements légalement faits par l’autorité administrative », soit sous l’application de l’art. 471, n. 5, qui punit « ceux qui auraient négligé ou refusé d’exécuter les règlements ou arêtés concernant la petite voirie ». — Par conséquent, la légalité de ces arrêtés ou de ces délibérations peut être contestée devant le juge de la contravention; et peu importe que ce soit un juge civil, puisque, pour les règlements de police municipale ordinaire, c’est le même juge civil que l’art. 471, n. 15, C. pén., rend compétent pour apprécier la légalité (V. sur la compétence du juge de police pour apprécier la légalité d’un règlement de police, Cass. 29 juill. 1893, S. et P. 1893.1.491; Trib. de simple police de Bordeaux, 11 févr. 1905, S. et P. 1905.2.249, et les renvois).
Au reste, dit avec raison M. Laferrière (op. cit., t. I, p. 481), « il y a une telle connexité entre l’exercice de la juridiction répressive et la vérification des prescriptions ou des défenses dont elle doit assurer la sanction que le même droit (de vérification) devrait être reconnu à l’autorité judiciaire, même en l’absence d’un texte qui le lui réserverait. La doctrine et la jurisprudence se sont de tout temps prononcées en ce sens ». Et il nous rappelle alors que, bien avant la rédaction actuelle de l’art. 471, C. pén., qui date de la révision du 28 avril 1832, la Cour de cassation n’hésitait pas à reconnaître aux tribunaux le droit et le devoir de vérifier la légalité des règlements, avant de punir ceux à qui l’on reprochait d’y avoir contrevenu, et que jamais, pendant cette période, le conflit n’a été élevé pour revendiquer la question préjudicielle d’interprétation ou la légalité des actes réglementaires (V. not., Cass. 3 août 1810; 10 avril 1819; 21 mars 1828, et, les notes et renvois sous ces arrêts. Adde, Faustin-Hélie, Tr. de l’instr. crim., 2° éd., t. VI, p. 185 et s.; Henrion de Pansey, Du pouvoir municipal, 4° éd., par Foucart, liv. 2, chap. 6, p. 238 et s.).
Ainsi, les mots « légalement faits », introduits, en 1832, dans la rédaction de l’art. 471, n. 15, C. pén., ne firent que consacrer une jurisprudence établie, et ils ne constituent pas la seule base de la compétence du juge de la contravention pour apprécier la légalité du règlement; cette base serait un peu étroite, se trouvant dans le n. 15 d’une énumération. Il y a une base plus large, qui est la nature même du pouvoir répressif, et la règle fondamentale de notre régime d’Etat qu’il ne doit point y avoir de peine sans un texte légal.
Finalement, nous aboutissons à ces deux constatations, qui ne laissent pas d’être instructives :
1° Tout acte de l’autorité administrative, sanctionné par une contravention, est un règlement, bien que, dans la pratique, il puisse être dénommé autrement, par exemple, bien qu’il soit dénommé arrêté de classement d’un chemin.
2° Tout juge chargé d’appliquer la contravention, lors de la violation d’un acte administrant réglementaire, est compétent pour apprécier la légalité de cet acte, que ce juge soit un juge administratif ou un magistrat de l’ordre judiciaire.