La notice de cet arrêt peut être rédigée de la façon suivante :
« La circonstance que l’arrêté préfectoral, autorisant une commune à acquérir diverses parcelles de terrain pour le transfert d’un cimetière, n’aurait pas été publié, ne saurait constituer un vice propre de cet arrêté, de nature à en entraîner l’annulation; » et la proposition générale qui est impliquée dans ce cas particulier peut être formulée ainsi : « La circonstance qu’une décision administrative, laquelle, normalement, doit être publiée, ne l’a pas été, ne saurait constituer un vice propre de cette décision, de nature à en entraîner l’annulation. » (Cfr. Cons. d’Etat, 11 avril 1913, Cornus.)
C’est cette proposition générale que nous voudrions examiner. Au point de vue du droit positif actuel, elle est exacte; mais elle n’est satisfaisante, ni au point de vue de la justice, ni à celui de la bonne administration, et il y a lieu de se demander si elle ne pourrait pas être modifiée.
I. – Il n’est pas douteux que, jusqu’ici, le fait qu’une décision exécutoire n’a pas reçu de publicité après avoir été prise n’est pas considéré comme constituant un vice propre de l’acte (V. Cons. d’Etat, 27 juin 1913, Cornus, précité; et la note de M. Hauriou sous Cons. d’Etat, 18 juill. 1913, Synd. national des chem. de fer, S. 1914. 3.1. V. encore ce dernier arrêt). Ce ne pourrait être qu’un vice de forme. Or, la publicité que doit recevoir une décision, après qu’elle est devenue exécutoire, n’est pas considérée comme un élément de forme de l’acte.
Les mesures de publicité antérieures à la conclusion de l’acte, comme, par exemple, les enquêtes, sont des éléments de forme de la décision; ainsi, l’enquête de commodo et incommodo, qui précède la déclaration d’utilité publique d’une expropriation, est un élément de forme indispensable, et son absence entraînerait l’annulation de la décision (V. sur ce principe, Berthélemy, Tr. élém. de dr. admin., 7e éd., p. 576; Hauriou, Précis de dr. admin., 11e éd., p. 732; Crépon, Code ann. de l’expropr., 2e éd., sur l’art. 3 de la loi du 3 mai 1841, n. 1 et 6).
Les mesures de publicité concomitantes à la passation d’un acte sont également des éléments de forme de cet acte; ainsi, une élection doit être faite publiquement, une délibération de conseil municipal ou de conseil général doit être prise publiquement, à moins que le huis clos n’ait été régulièrement prononcé; si la condition de la publicité n’a pas été observée, il y a vice de forme et possibilité d’annulation (V. en particulier, pour les délibérations des conseils municipaux, Cons. d’Etat, 1er mai 1903, Bergeon, Dalle et autres, S. et P. 1905.3.1, et la note de M. Hauriou).
Mais il n’en est pas de même des mesures de publicité postérieures à la conclusion de l’acte. Il y a un moment où l’acte est considéré comme conclu, c’est celui où il réunit tous les éléments de la force exécutoire. Une fois conclu, l’acte est, pour ainsi dire, fermé; rien n’y entre plus. Tout ce qui s’est passé avant et tout ce qui s’est passé pendant peut bien être considéré comme centralisé et absorbé dans l’acte, mais non pas ce qui s’est passé après la conclusion de l’acte. Il y a là, semble-t-il, une sorte de fatalité, provenant de la conception même de l’acte juridique, qui est une manifestation de volonté actuelle, se produisant à une date déterminée.
Les mesures de publicité postérieures à la conclusion de l’acte ne se rattachent plus a l’idée de la force exécutoire de l’acte, mais celle de l’opposabilité. On fait une différence entre ces deux ordres d’idées (V. la note de M. Hauriou, sous Cons. d’Etat, 18 juill. 1913, Synd. nat. des chem. de fer. précité), et cela rappelle la distinction que l’on fait en droit civil, entre la validité inter partes et l’opposabilité aux tiers. La force exécutoire d’une décision administrative est envisagée par rapport aux agents d’exécution qui doivent exécuter, et c’est un effet inter partes, parce que les autorités qui prennent la décision et les agents qui l’exécutent sont, avec des rôles différents, des participants de la décision; au contraire, les administrés, à l’encontre desquels la décision va s’exécuter, sont des tiers par rapport à cette décision; ils n’y ont en rien participé, elle va simplement leur devenir opposable par la notification ou la publication (V. Cons. d’Etat, 22 mars 1907 [sol. implic.], Dame Desplanches, S. at P. 1910.3.33; Pand. Pér., 1910.3.33, et la note de M. Hauriou; 18 juill. 1913, Synd. nat. des chem. de fer, précité, la note de M. Hauriou et les renvois).
Ces principes ont été consacrés nombre de fois. Ainsi, il est entendu que les irrégularités dont sont entachées les formalités de publicité n’entrainent point la nullité de la décision elle-même ( V. Cons. d’Etat, 5 déc. 1908, Dame Mas, S. et P. 1911.3.29; Pand. pér., 1911.3.29, et les renvois; 7 mai 1909, Assoc. de bienfaisance, S. et P. 1911.3.148; Pand, pér., 1911.3.148; 7 janv. 1910, Schiltz, S. et P. 1912. 3.84; Pand. pér., 1912.3.84, et les renvois). Il est entendu aussi que des actes administratifs accomplis en exécution d’un décret non encore publié sont valables et réguliers, alors même que le décret qui est leur base légale n’a pas encore, faute de publication, de caractère opposable aux tiers, parce que cela ne l’empêche pas d’être, dès maintenant, exécutoire, et de pouvoir servir de base, à des actes d’exécution (V. Cons. d’Etat, 27 juin 1913, Cornus, précité; 18 juill, 1913, Synd. nat. des chem. de fer, précité, et la note de M. Hauriou).
II. — Tout cela est très exact, au point de vue de la logique des actes juridiques, mais n’est pas satisfaisant pour la vie. Il faut se défier des solutions que les juristes sont seuls à approuver. La conscience moderne exige que l’Administration agisse au grand jour. On lui a, pendant très longtemps, toléré des décisions secrètes. Maintenant on veut que toutes ses décisions et toutes ses actions soient publiques, et l’on a le sentiment que ce qui n’a pas été fait publiquement n’est pas régulier.
Le fait que, dans l’affaire de la militarisation du personnel des chemins de fer, le décret du 16 juillet 1910, relatif à la création et à l’organisation des subdivisions complémentaires des sections, avait été tenu secret jusqu’en octobre, et que le personnel n’en avait appris l’existence que par l’ordre de mobilisation, ce fait-là a provoqué, dans tout le monde ouvrier, les plus violentes colères.
Il y a là un symptôme dont il faut tenir compte. Le public veut être prévenu de ce qui se passe; il accepte les obligations, mais il veut être averti, et qu’il y ait un délai avant l’exécution. L’activité administrative subit ici le contre-coup de l’activité législative. Ce qui est décidé, par une loi a été publiquement délibéré; ce qui est décidé par l’Administration doit aussi être publiquement décidé. Si la publicité ne peut pas être concomitante à l’acte, qu’elle soit postérieure, mais que la décision ne soit valable que si elle a été publiée.
Le public sait aussi très bien qu’aujourd’hui, quand des opérations administratives sont tenues secrètes, c’est souvent par suite de combinaisons électorales; il sait qu’il y a quelque chose là-dessous; il entend ne pas être dupe.
La vie n’entend pas s’embarrasser des distinctions juridiques subtiles; il faut que le droit trouve un moyen de subordonner la validité des actes juridiques à l’accomplissement des formalités de publicité. On l’a bien fait pour la fondation des sociétés de commerce; l’omission des formalités de publicité est bien une cause de nullité de la société (L. 24 juill. 1867, art. 56). Pourquoi l’omission des formalités de publicité ne pourrait-elle devenir une cause de nullité de l’arrêté d’un préfet ?
Peut-être faudrait-il un texte pour opérer cette réforme; peut-être la jurisprudence du Conseil d’Etat ne saurait-elle prendre sur elle d’incorporer à une décision les éléments de publicité qui sont postérieurs à la décision; d’autant qu’il faudrait fixer un délai; dire, par exemple : une décision qui n’aura pas été publiée dans un délai de quatre mois, à compter du jour de sa date, sera entachée d’un vice de forme qui lui sera propre, et pourra être annulée sur recours pour excès de pouvoir. Mais d’où le Conseil d’Etat tirerait-il ce délai de quatre mois, ou de deux mois, ou de quinze jours ? Il faudrait évidemment un texte, une petite loi, comme celle du 17 juillet 1900, qui a tant renouvelé le contentieux administratif. De temps à autre, il faut bien recourir au législateur. Nous proposerions, quant à nous, cet article unique : « Toutes les décisions administratives susceptibles d’être publiées doivent l’être, à peine de nullité, dans un délai de quinzaine. »