Alors que le titre d’un décret constitue son premier point de contact avec le lecteur du journal officiel, il est paradoxalement hors du droit. C’est ce qui résulte de l’arrêt commenté, qui confirme que le titre d’un acte règlementaire est sans incidence sur sa légalité.
En l’espèce, les requérants contestaient un décret « relatif à l’organisation d’instances pédagogiques dans les écoles et les collèges » (D. n°2014-1231). Ils lui reprochaient notamment de comprendre, outre des dispositions relatives aux écoles et aux collèges, comme l’indique son titre, des dispositions relatives aux lycées. Sans succès, donc, puisque le Conseil d’Etat juge le moyen inopérant.
Le Conseil d’Etat avait déjà jugé que le titre d’un décret pouvait, sans illégalité, ne rendre qu’incomplètement compte de son contenu (CE 23 octobre 1985, Cne d’Allos, n°65948). Dans le même ordre d’idée, il avait jugé que le pouvoir règlementaire pouvait intégrer dans le « décret pris pour l’application de l’ordonnance n°2011-1539 » des mesures ne visant pas à l’application de cette ordonnance (CE 20 déc. 2013, Féd. française des artisans coopérateurs du bâtiment, n°357198, §7). Mais dans un cas comme dans l’autre, la question du titre du texte avait été posée sous l’angle de la légalité externe, et non de la légalité interne.
Or en l’espèce les requérants se plaçaient sur le terrain du fond du droit, puisqu’ils se prévalaient du principe de clarté et d’intelligibilité de la norme. On sait que le principe d’intelligibilité de la loi est un objectif de valeur constitutionnelle (CC, 16 déc. 1999, n°99-421 DC, cons. 13), et qu’il a progressivement absorbé le principe de clarté de la loi (CC, 27 juill. 2006, n°2006-540 DC, cons. 9), qui en était initialement distinct (CC, 7 déc. 2000, n°2000-435 DC, cons. 53). Le Conseil d’Etat l’applique, lui, à toute « norme juridique » (CE 18 fév. 2004, Cne Savigny-le-temple, n°251016 ; CE 8 juill. 2005, SGEN-CFDT, n°266900), et donc aux décrets.
Mais l’argument n’en restait pas moins hasardeux. En effet, le titre d’un texte est en lui-même sans incidence sur la clarté et l’intelligibilité de son contenu. Un décret qui s’applique explicitement à des lycées peut être clair et intelligible quand bien même son titre ne vise que des écoles et des collèges. Et le titre en tant que tel peut également être clair et intelligible quand bien même il ne reflèterait pas totalement le contenu du texte. Il est certes imprécis, mais le Conseil constitutionnel considère que l’on ne peut pas reprocher son imprécision à une disposition dénuée de portée normative (CC, 7 juill. 2005, n°2005-516 DC, cons. 7). Le Conseil d’Etat écarte donc l’argument en jugeant que le titre d’un décret est dépourvu de valeur normative.
Si la solution n’est pas surprenante, l’articulation du raisonnement suivi pour y parvenir l’est un peu plus. En effet, le Conseil d’Etat ne s’est pas borné à poser pour principe que l’intitulé d’un décret ne peut pas affecter la clarté et l’intelligibilité de ses dispositions. Il juge de manière beaucoup plus générale que cet intitulé ne peut pas affecter la légalité d’un décret au motif qu’il est dépourvu de portée normative.
Cette idée que les titres sont sans portée normative n’est pas nouvelle : on la trouve par exemple dans le guide de légistique publié sur Legifrance. Mais fallait-il nécessairement en déduire que le choix du titre d’un décret est toujours dépourvu d’incidence sur sa légalité ? Cela semble plus discutable. En effet, la solution retenue par le Conseil d’Etat laisse l’administration entièrement libre du choix du titre d’un décret. Poussée jusqu’à l’absurde, elle permettrait de règlementer le droit des marchés publics dans un décret intitulé « décret relatif à la loterie nationale », ou de modifier le délai de recours contre les décisions administratives dans l’un des innombrables décrets « autorisant la cession à l’euro symbolique d’un ensemble immobilier ».
N’y aurait-il pas là une atteinte à l’accessibilité du droit ou au principe de sécurité juridique ? La question mérite d’être posée. Dès la consécration du principe d’accessibilité de la loi, le Conseil constitutionnel a jugé que les citoyens doivent pouvoir avoir une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables, tant pour assurer l’égalité devant la loi que la garantie des droits et l’exercice des droits et libertés garantis par la Constitution (CC, 16 déc. 1999, n°99-421 DC, cons. 13). Et le Conseil d’Etat n’est lui-même pas très loin de cette idée lorsqu’il évoque, dans son étude consacrée aux rescrits, un « besoin de sécurité juridique, entendue comme la possibilité pour l’opérateur économique de savoir, sans difficultés excessives, si son projet respecte les réglementations » (CE, Le rescrit: sécuriser les initiatives et les projets, Doc. française 2014, p. 7).
Comment s’assurer du respect de ces exigences si l’administration est libre de publier les décrets sous des titres insusceptibles d’éveiller l’attention des intéressés, voire sous des titres délibérément trompeurs ? Il semble que l’on devra se contenter, pour l’heure, du « droit souple » : le guide de légistique mentionne que l’intitulé « doit indiquer, de manière aussi claire, précise et concise que possible, l’objet essentiel du texte». Un rempart bien maigre contre d’éventuels abus à l’heure où l’idée de loyauté de l’action administrative fait lentement mais sûrement son chemin.