Contexte : Par cet arrêt rendu le 13 juillet 2016, la Cour de cassation rappelle qu’il convient de se placer à la date de l’acte de soins dommageable pour apprécier sa conformité à l’état des connaissances scientifiques.
Litige : Le 24 mars 1989, une femme accouche, par voie basse, d’un enfant qui présente une dystocie des épaules et conservera d’importantes séquelles. A sa majorité, l’enfant assigne en référé le médecin gynécologue obstétricien ayant suivi la grossesse et procédé à l’accouchement, aux fins d’obtenir une provision à valoir sur la réparation de son préjudice, en invoquant l’existence de fautes liées au suivi de la grossesse, au choix d’un accouchement par voie basse, au lieu d’une césarienne, et à un défaut d’information. Sa demande en provision est accueillie par les juges du fond qui considèrent, sur le fondement d’un rapport d’expertise, qu’en raison de la grossesse à risque de la mère, le médecin aurait dû procéder à un accouchement par césarienne.
Solution : La première chambre civile casse l’arrêt de la cour d’appel de Versailles motifs que :
« Vu les articles 1147 du code civil et 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Attendu que, pour accueillir la demande de provision, l’arrêt retient, en se fondant sur les constatations des experts, que Mme Y… présentait une grossesse à risque, compte tenu de son diabète, qu’il existait, au vu de la seule échographie structurée à vingt-trois semaines d’aménorrhée, des mensurations et données en faveur d’une macrosomie foetale, qu’il n’a été noté sur le dossier de consultations, pauvre en renseignements, ni indication sur cette complication et sur la conduite à tenir lors de l’accouchement, ni aucune discussion avec la patiente sur cette macrosomie et sur les avantages et inconvénients des deux modes d’accouchement, et qu’une césarienne aurait dû être réalisée, soit en tout début de travail, soit lorsque la patiente était à dilatation complète en l’absence d’engagement ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, quelles étaient les données acquises de la science à la date de l’accouchement, alors que M. Z… faisait valoir que l’expert, gynécologue-obstétricien, s’était référé à des publications postérieures à 1989 et s’était fondé sur l’état des connaissances à la date de son rapport, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
Analyse : Même rendue en application des règles applicables avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, cette décision énonce une solution parfaitement conforme aux règles de droit actuelles.
En effet, la Cour de cassation a toujours jugé que « l’obligation pesant sur un médecin est de donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date de ces soins » (Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 98-19.295, Bull. I, n° 176).
La règle a été reprise, en des termes différents, par l’article L. 1110-5 du code de la santé publique qui dispose : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées« .
C’est donc au regard des connaissances scientifiques applicables à la date des soins, que l’expert judiciaire doit éclairer le juge sur la conformité de l’acte de soins litigieux aux règles de l’art. Il ne saurait, par exemple, être reproché à un médecin de ne pas avoir réalisé une mesure exploratoire (tomodensitométrie), qui aurait permis de diagnostiquer une méningite, dans la mesure où il s’agissait, à l’époque des soins (1979), d’un examen d’exception qui n’était pas encore d’usage reconnu chez le jeune enfant (Cass. 1re civ., 10 juillet 2001, n° 00-12.359).
En l’espèce, l’expert judiciaire s’est fondé, dans son rapport dont les conclusions ont été homologuées par les juges du fond, sur des publications postérieures à 1989 pour considérer que le gynécologue obstétricien aurait dû réaliser l’accouchement par voie de césarienne plutôt que par voie basse. C’est donc fort logiquement que la Cour de cassation censure l’arrêt attaqué dans la mesure où la décision médicale ne pouvait être appréciée qu’au regard des connaissances scientifiques à la date de l’accouchement.