Le Conseil d’Etat; — Vu la loi du 28 pluviôse an VIII, art. 4; — Considérant que, si les communes ne peuvent constituer au profit d’un tiers le monopole de l’éclairage privé, il leur appartient, pour assurer sur leur territoire le service de l’éclairage tant public que particulier, de s’interdire d’autoriser ou de favoriser sur le domaine municipal tout établissement pouvant faire concurrence à leur concessionnaire; — Considérant que, des dispositions combinées des traités intervenus en 1851 et 1857 entre la ville de Saint-Etienne et la Compagnie du gaz, il résulte que ladite Compagnie a été seule et exclusivement chargée du service de l’éclairage dans la ville de Saint-Etienne, pendant toute la durée du bail, sans distinction aucune entre l’éclairage public et l’éclairage particulier; que si ces traités réglementent uniquement l’éclairage par le gaz, seul procédé alors en usage, l’art. 14 du traité de 1857 confère à la ville la faculté d’imposer à la Compagnie, sous certaines conditions déterminées, l’adoption de tout nouveau mode d’éclairage qui viendrait, par suite des découvertes de la science, à être généralement substitué, à Paris et à Lyon, au mode usité; qu’en imposant ainsi à sa Compagnie concessionnaire l’obligation de la faire profiter de l’application des découvertes futures, la ville a, par cela même, précisé le sens et la portée des engagements qu’elle contractait envers ladite Compagnie, et du droit exclusif qu’elle entendait lui concéder; qu’à cet égard, la commune intention des parties est d’ailleurs affirmée expressément par les termes mêmes des délibérations du conseil municipal qui ont précédé et préparé les deux traités; qu’il suit de là qu’en passant avec la Société Edison un contrat autorisant ladite société à placer dans les voies urbaines des fils pour la distribution de la lumière électrique aux particuliers et en stipulant même au profit de la commune une redevance proportionnelle au nombre de lampes établies, la ville de Saint-Etienne a méconnu ses obligations vis-à-vis de la Compagnie du gaz; qu’ainsi ladite Compagnie est fondée à demander l’annulation de l’arrêté par lequel le conseil de préfecture de la Loire a rejeté sa demande en dommages-intérêts; — Considérant qu’en l’état de l’instruction, il y a lieu d’ordonner une expertise à l’effet de déterminer le dommage déjà éprouvé par la Compagnie du gaz et d’évaluer l’indemnité définitive à lui allouer dans le cas où la ville maintiendrait les autorisations données à la société d’électricité…; — Art. 1er. L’arrêté du conseil de préfecture est annulé. — Art. 2. Il sera procédé à une expertise contradictoire. Les experts auront à déterminer : 1° le préjudice causé à la Compagnie du gaz jusqu’au jour de l’expertise par les autorisations données à la Société Edison, sur les dépendances de la petite voirie; 2° l’indemnité définitive à allouer à ladite Compagnie, dans le cas où la ville de Saint-Etienne ne ferait pas cesser la cause du dommage. Dans leur évaluation de l’indemnité due, les experts ne tiendront pas compte de la distribution de la force motrice par l’électricité, ni des autorisations pour l’éclairage données par l’administration supérieure sur les dépendances de la grande voirie. — Art. 3. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Du 26 décembre 1891. — Cons. d’Etat. — MM. Léon Grévy, rapp.; Valabrègue, comm. du gouv.; Sabatier et Morillot, av.