Le Conseil d’État était amené à se prononcer sur l’intérêt à agir d’une commune contre la décision du préfet d’octroyer, malgré l’avis défavorable de cette dernière, l’agrément pour la protection de l’environnement à l’association « ValdeSeine Vert ». Faisant une application traditionnelle des critères d’appréciation de l’intérêt à agir, le Conseil d’État a répondu par la négative.
L’octroi de l’agrément prévu par les dispositions de l’article L. 252-1 du code rural, reprises à l’article L. 141-1 du code de l’environnement, confère à l’association bénéficiaire la qualité d’« association de protection de l’environnement » et lui procure un certain nombre de droits. Une illustration peut en être donnée sur le terrain contentieux (cf., par exemple, code de l’environnement, article L. 142-2 ; code de l’urbanisme, article L. 160-1). L’association peut se prévaloir dudit agrément pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour contester toute décision administrative, quel que soit son auteur, produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel il a été délivré (code de l’environnement, article L. 142-1).
La question était de savoir si une commune située dans le ressort géographique délimité par l’agrément peut avoir, pour cette seule raison, intérêt à agir contre la décision l’octroyant. La reconnaissance d’un tel intérêt serait sous-tendue par le fait que l’agrément accordé aux associations a pour effet de leur faire bénéficier d’une présomption d’intérêt à agir. Cette situation aurait alors appelé en contrepartie la reconnaissance de l’intérêt de la commune.
Le juge administratif aurait pu transposer la jurisprudence relative aux autorisations de plaider (CE, 3 mars 1976, Garrigues, requête numéro 94362, rec. tables p. 976), qui reconnaît l’intérêt à agir de la collectivité contre l’autorisation accordée par le tribunal administratif, pour un litige déterminé, à un citoyen qui entend se substituer à elle. Toutefois, le caractère éventuel de l’introduction par l’association agréée d’un recours contentieux interdisait que soit transposé ici un tel raisonnement. De même, l’intérêt à agir de la commune aurait pu être déduit du fait que cette dernière est consultée par le préfet lors de la procédure de délivrance de l’agrément, en application de la jurisprudence qui reconnaît un intérêt à agir au membre d’un organe consultatif contre la décision prise après avis de ce dernier (CE Sect., 3 novembre 1995, Mme Velluet, requête numéro 82096, requête numéro 90883, requête numéro 135073, rec. p. 389). L’absence de caractère obligatoire de la consultation écartait cette possibilité (CE, 4 mars 1988, Syndicat national autonome des policiers en civil (SNAPC), requête numéro 61083, rec. p. 108).
Les dispositions l’article L. 141-1 du code de l’environnement ont, en réalité, uniquement pour effet d’assouplir les critères d’appréciation de l’intérêt à agir de l’association qui en bénéficie. En effet, le juge exerce un double contrôle sur cet intérêt. D’une part, la décision attaquée doit avoir un rapport direct avec l’objet et les activités statutaires de l’association agréée (CE, 26 juillet 1985, Union régionale pour la défense de l’environnement en Franche-Comté (URDEN), requête numéro 35024, rec. p. 251 ; CE, 29 janvier 2003, Union des propriétaires défense des Arcs, requête numéro 199692, rec. tables p. 900 ; CE, 5 novembre 2004, Association Bretagne Littoral Environnement Urbanisme « Bleu », requête numéro 264819 ; CE, 15 avril 2005, Association des citoyens et contribuables communauté de communes Saane-et-Vienne et autres, requête numéro 273398, rec. tables p. 901). D’autre part, les effets de la décision doivent intervenir à l’intérieur du ressort territorial pour lequel l’agrément été délivré (CE, 8 février 1999, Fédération des associations de protection de l’environnement de la nature des Côtes d’Armor, requête numéro 176779, rec. p. 20 ; CE, 27 juillet 2005, Commune de Narbonne, requête numéro 273815).
C’est donc au regard des critères traditionnels d’appréciation de l’intérêt à agir que le juge s’est prononcé sur celui de la commune requérante. La jurisprudence n’admet généralement un tel intérêt que lorsque la décision attaquée affecte la situation personnelle du requérant ou les intérêts qu’il entend défendre, dans des conditions suffisamment spéciales, certaines et directes (concl. de J.-F. Théry sur CE Sect., 28 mai 1971, Sieur Damasio, rec. p. 391). Il faut à la fois que l’atteinte alléguée résulte directement de la décision attaquée et que les conséquences de cette décision soient suffisamment précises, suffisamment graves, et suffisamment probables (concl. de M. Long sur CE Sect., 14 février 1958, Abisset, rec. p. 98). Or, en l’espèce, la simple délivrance de l’agrément à l’association n’emportait pas, par elle-même, un accroissement des recours contentieux contre les décisions de la commune et ne pouvait, dès lors, porter atteinte, de manière suffisamment directe et certaine, au fonctionnement de ses institutions. Les conséquences de l’agrément sur les intérêts défendus par la commune étaient donc trop indirectes et incertaines pour que son intérêt à agir contre la décision accordant l’agrément puisse être reconnu.
Une telle solution, si elle témoigne d’une certaine orthodoxie, ne conduit pas à rendre impossible tout recours contentieux contre la décision d’agrément. Ainsi, la collectivité publique aurait eu intérêt à agir si l’association avait annoncé son intention de contester un de ses projets, ou si elle avait intenté un recours, et que l’agrément lui avait été accordé en cours d’instance pour régulariser l’intérêt à agir (CE, 25 juin 2003, Commune de Saillagousse, requête numéro 233119, rec. tables, p. 950).
La décision rendue témoigne du dilemme que doit résoudre le juge, en matière d’intérêt à agir, entre la tentation d’ouvrir trop grand la porte du prétoire ou la volonté de seulement l’entrebâiller. Les considérations pratiques tenant à l’encadrement strict par les textes du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de délivrance de l’agrément, ainsi qu’aux conditions libérales d’obtention de celui-ci, l’ont emporté sur l’intérêt théorique de permettre à la commune d’avoir un mot à dire sur le choix de l’interlocuteur que lui impose l’État.