La Section du contentieux statue sur un recours intenté par l’assureur subrogé dans les droits du département de l’Essonne pour la réparation des dommages occasionnés aux locaux d’un institut appartenant à cette collectivité territoriale. Ces dommages avaient été occasionnés par un mineur qui avait été confié, par le juge des enfants, en vertu d’une mesure d’assistance éducative, à un service dépendant de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la Justice, l’institution spéciale d’éducation surveillée de Savigny-sur-Orge.
Cet arrêt marque l’aboutissement d’une évolution des règles de responsabilité appliquées aux victimes de dommages occasionnés à des tiers par des mineurs placés au titre de l’assistance éducative. A l’origine, la responsabilité de l’Etat ne pouvait être engagée que si la victime démontrait l’existence d’une faute (TC 20 janvier 1945, Du Verne c/ Département de la Nièvre : Rec. p. 274 ; JCP G 1945, II, 2868, note J.M. ; S. 1945, III, p. 42. – CE 14 juin 1978, requête numéro 05678, requête numéro 05707, requête numéro 06557, Garde des Sceaux, Ministre de la justice et Ministre de la santé c/ Société construction et fabrication pour bâtiment, industrie et agriculture : Rec. p. 259 ; AJDA 1978, p. 556, chron. Dutheillet de Lamotte et Robineau ; RDSS 1978, p. 562, concl. Labetoulle ; D. 1978, jurispr. p. 686, note Moderne). Cette solution se justifiait par le fait que les mesures d’assistance éducative ne créent pas un risque spécial de dommage, puisqu’elles ont justement pour objet de soustraire le mineur visé aux dangers présentés par son environnement social et familial.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a par la suite tenté d’assouplir les règles en vigueur en proposant la mise en place d’un régime de présomption de faute pour les dommages causés par les enfants confiés à une assistante maternelle ou à un établissement au titre de l’assistance éducative (CAA Bordeaux, plén., 2 février 1998, requête numéro 95BX01716, Consorts Fraticola c/ Département de l’Aude : AJDA 1998, p. 232, chron. Vivens ; RDP 1998, p. 579, concl. Peano ; JCP G 1998, II, 10041, note Peano.- V. également CAA Nantes, 18 novembre 1999, requête numéro 96NT00505, Thomas). Dans cette affaire, le département est condamné dans la mesure où il n’apporte pas la preuve qui lui incombe que les personnes qui exerçaient pour son compte la garde d’un mineur, auraient été dans l’impossibilité d’empêcher les faits qui sont à l’origine des dommages occasionnés par lui. Cette solution était manifestement inspirée par la jurisprudence Ingremeau qui met une présomption de faute à la charge de l’Etat en cas de dommage occasionné par un pupille de l’assistance publique placé chez une assistante maternelle (CE Sect. 19 octobre 1990, requête numéro 76160, Ingremeau : Rec. p. 284 ; Dr. adm. 1990, comm. 614 ; AJDA 1990, p. 869, chron. Honorat et Schwartz ; RDP 1990, p. 1866, concl. de la Verpillière ; Quot. jur. 31 janv. 1991, note Rouault ; RFD adm. 1991, p. 991, note Bon).
Une solution alternative a été proposée par la Cour administrative d’appel de Douai qui a mis en œuvre une responsabilité sans faute, non plus en raison d’un risque spécial, mais sur le fondement de la garde, pour un dommage occasionné par un mineur placé par les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance dans un établissement spécialisé, à l’occasion de mesures d’assistance éducative (CAA Douai, 8 juillet 2003, requête numéro 01DA00529, Département de la Seine-Maritime : Rec. p. 559 ; AJDA 2003, p. 1887, concl. Michel ; RFDA 2004, p. 164, note Albert).
C’est cette solution qui est retenue en l’espèce. Les juges estiment en effet que la décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d’un mineur, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie du mineur. En raison des pouvoirs dont l’Etat se trouve ainsi investi lorsque le mineur a été confié à un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur. Elle n’est susceptible d’être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime (V. dans le même sens CAA Lyon, 29 décembre 2005, requête numéro 02LY01170, Chevalier).
Cette solution s’applique y compris dans les cas où le transfert de la garde d’un mineur intervient sans décision de justice et résulte d’une simple décision administrative a la suite de la carence des membres de la famille du mineur ou à la demande de ceux-ci (CAA Nantes, 14 octobre 2005, requête numéro 04NT00949, Département des Côtes d’Armor c/ Société SA Corre et Generali dommages ; CAA Douai, 17 mars 2005, requête numéro 03DA00087, Département du Nord c/ Société mutuelle d’assurances des collectivités publiques et associations).
Il est remarquable de constater que l’arrêt GIE Axa courtage, qui ne se réfère plus à la notion administrativiste de « méthode dangereuse », emprunte au droit privé la notion de garde d’autrui (Cass., ass. plén., 29 mars 1991, pourvoi numéro 89-15231, Blieck : JCP G 1991, II, 21673, concl. Doutenwille, note Ghestin ; D. 1991, p. 324, note Larroumet ; D. 1991, p. 157, note Viney ; Gaz. Pal. 1992, II, p. 513, note Chabas ; Defrénois 1991, p. 729, obs. Aubert ; RTD civ. 1991, p. 312, obs. Hauser et p. 541, obs. Jourdain). Cette solution est toutefois logique dans la mesure où les mineurs qui font l’objet des mesures de placement au titre de l’assistance éducative ne sont pas censés être « dangereux ».
De même, revenant sur la jurisprudence Ingremeau, le Conseil d’Etat a implicitement transposé la notion de garde d’autrui en cas de dommages causés par un pupille de l’État placé dans une famille d’accueil (CE 5 juillet 2006, requête numéro 264750, CRAM de la Somme : JCP A 2006, 1225, note Cormier).
L’avancée jurisprudentielle que représente l’arrêt GIE AXA courtage a également influencé les règles applicables à la responsabilité de l’Etat du fait des mineurs délinquants. Toutefois il ne s’agit pas ici d’un alignement sur les nouveaux principes dégagés à l’occasion de l’arrêt GIE Axa courtage. En effet, si le Conseil d’Etat a bien intégré la notion de garde d’autrui, il a conservé la possibilité d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat pour le risque spécial occasionné par lui (CE Sect. 1er février 2006, requête numéro 268147, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c/ MAIF). Une solution identique a été retenue dans une affaire où, au cours d’une phase d’instruction d’une infraction mettant en cause un mineur, une juridiction des mineurs avait décidé, à défaut de mettre en oeuvre les mesures de contraintes prévues à l’article 11 de l’ordonnance de 1945, de confier, par une mesure de placement, la garde du mineur à une personne digne de confiance (CE 26 juillet 2007, requête numéro 292391, Ministre de la Justice c/ Jaffuer). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat admet que les requérants peuvent mettre en cause l’Etat, en raison du risque spécial créé par cette mesure, mais également les grands-parents du mineur en raison de la garde qu’ils exercent sur lui.
Enfin, la notion de garde s’est également étendue dans un domaine qui n’a rien à voir avec la responsabilité des enfants mineurs : le Conseil d’Etat a en effet récemment admis que la responsabilité d’un maître d’ouvrage pouvait être engagée sans faute, du fait des dommages causés par les ouvrages dont il a la garde (CE 3 mai 2006, requête numéro 262046, Ministre de l’écologie et du développement durable, Commune de Bollène et a. et Syndicat intercommunal d’aménagement et d’entretien du réseau hydraulique Nord Vaucluse : AJDA 2007, p. 204, note Deguergue).