Par une décision du 6 novembre 2013, commune de Cayenne (Conseil d’Etat, SSR., 6 novembre 2013, Commune de Cayenne, requête numéro 349245, publié au recueil) le Conseil d’Etat vient compléter la jurisprudence commune de Badinières (Conseil d’Etat, SSR., 10 octobre 2005, Commune de Badinières, requête numéro 259205, publié au recueil) et préciser les conditions de mise en oeuvre des pouvoirs de police du maire en matière d’immeubles menaçant ruine.
Les faits de l’espèce commune de Cayenne sont classiques : le maire de Cayenne avait prescrit, en utilisant la procédure de péril imminent, l’évacuation et la démolition d’un immeuble menaçant ruine. Le juge administratif était saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté (dont on ne sait s’il avait déjà été exécuté).
Dans sa décision commune de Badinières, le Conseil d’Etat était également saisi d’un recours contre un arrêté de péril imminent (et d’une demande indemnitaire en raison du préjudice subi du fait de cette démolition). A l’occasion de cette décision le Conseil d’Etat avait indiqué que, malgré l’existence des pouvoirs de police spéciale résultant des dispositions des articles L. 511-1 du code de la construction et de l’habitation (péril dit « ordinaire ») et L. 511-3 cch (péril imminent), le maire ne perdait pas la disposition des pouvoirs de police administrative générale résultant des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 CGCT lorsqu’une situation d’extrême urgence se présentait, nécessitant la démolition d’un immeuble.
Il semblait ainsi découler de la décision commune de Badinières une situation de concours des polices spéciale et générale :
Considérant que les pouvoirs de police générale reconnus au maire par les dispositions précitées des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, qui s’exercent dans l’hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d’une cause qui lui est extérieure, sont distincts des pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre des procédures de péril ou de péril imminent régies par les articles L. 511-1 à L. 511-4 du code de la construction et de l’habitation, auxquels renvoie l’article L. 2213-24 du code général des collectivités territoriales, qui doivent être mis en oeuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres ; que toutefois, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l’exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées ;
Par sa décision commune de Cayenne, le Conseil d’Etat apporte à la décision Badinières une utile précision.
La Haute juridiction indique qu’un arrêté prescrivant la démolition urgente d’un immeuble ne peut être adopté qu’en application des pouvoirs de police administrative générale du maire. Il n’y a donc pas cumul des pouvoirs de police administrative générale et spéciale en cette matière.
C’est l’un des paradoxes du régime des immeubles menaçant ruine.
En application des articles L. 511-1 et L. 511-2 cch, de péril ordinaire, le maire peut mettre en demeure un propriétaire d’avoir à réaliser des travaux de confortement ou de démolition d’un immeuble menaçant ruine. Cette procédure n’est pas une procédure d’extrême urgence. Elle suppose la réalisation d’une expertise, et le maire ne peut réaliser les travaux d’office qu’en cas de défaillance du propriétaire, après un délai qui ne peut être inférieur à un mois.
La procédure de « péril imminent », organisée par les articles L. 511-3 et 4 cch permet de faire face aux situations urgentes. Mais la loi prévoit qu’en ce cas, après établissement d’un rapport d’expertise, « le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, notamment, l’évacuation de l’immeuble » (article L. 511-3 al. 2 cch).
Le code de la construction et de l’habitation ne prévoit donc pas explicitement qu’un immeuble puisse être détruit dans une situation d’urgence. L’on pouvait cependant déduire de la décision Commune de Badinières, que lorsque le péril était non seulement grave et imminent, mais qu’il présentait en outre un caractère d’extrême urgence, le maire pouvait soit appliquer la procédure de péril imminent, soit faire usage de ses pouvoirs de police administrative générale.
Il n’en est rien.
La procédure de péril imminent, si elle permet de prendre dans un délai très court, les mesures provisoires nécessaires à garantir la sécurité des biens et des personnes, ne peut pas aboutir à la démolition de l’immeuble. Si les mesures confortatives urgentes n’ont pas mis fin « durablement au péril » (art. L. 511-3 al. 5 cch), le maire peut éventuellement faire démolir l’immeuble, mais en recourant à la procédure de péril ordinaire de l’article L. 511-2 cch.
Si une situation d’extrême urgence se présente, et que la seule solution pour assurer la sécurité publique est la démolition de l’immeuble (après un incendie par exemple), le maire ne peut faire usage que de ses pouvoirs de police administrative générale :
2. […] si le maire peut ordonner la démolition d’un immeuble en application des dispositions de l’article L. 511-2 du code de la construction et de l’habitation, après accomplissement des formalités qu’il prévoit, il doit, lorsqu’il agit sur le fondement de l’article L. 511-3 afin de faire cesser un péril imminent, se borner à prescrire les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité ; qu’en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en oeuvre immédiate d’une mesure de démolition, le maire ne peut l’ordonner que sur le fondement des pouvoirs de police générale […]
La décision commune de Cayenne, bien qu’elle entraîne l’annulation d’un arrêté municipal, marque paradoxalement l’élargissement des pouvoirs d’intervention des maires, dans des situations heureusement exceptionnelles. Si le code de la construction et de l’habitation organise les procédures de péril ordinaire et imminent, et suppose l’intervention préalable d’un expert judiciaire, les pouvoirs de police administrative générale ne sont soumis qu’aux règles habituelles des actes administratifs individuels défavorables.
Encore le formalisme de l’obligation de motivation et du respect des droits de la défense sera-t-il, dans les situations concernées, extrêmement allégé voir inexistant car, comme le disait Romieu dans ses conclusions classiques : « quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers » (conclusions sur Tribunal des conflits, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. Préfet du Rhône, requête numéro 00543, publié au recueil).