Le titre de la présente note pourrait générer quelque désintérêt tant son énoncé semble évident. Lorsque le maître d’ouvrage met en cause la responsabilité d’un de ses cocontractants participant à un marché public de travaux et que ce dernier appelle en garantie d’autres intervenants, le juge administratif est compétent pour connaître de ces appels en garantie. L’affaire sera réglée devant le juge administratif initialement saisie.
Même en dehors du cas d’un appel en garantie, la compétence de la juridiction administrative est acquise; celle-ci n’est donc pas accessoire à une compétence principale mais découle de la nature de l’opération de travaux. La juridiction administrative est donc compétente pour connaître des actions engagées entre les participants à l’opération de travaux publics sauf lorsque ceux-ci sont liés par un contrat de droit privé (TC, 24 juillet 1997, Société De Castro c/ Bourcy et Sole, n° 03060, p. 540) :
Considérant que le litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé ;
C’est sur ce dernier point que porte l’évolution apportée par le jugement du 9 février 2015 Société ACE European Group Limited. La décision sera publiée au recueil et est publiée sur le site Internet du Tribunal accompagné des conclusions Desportes, ce qui justifie que nous soyons bref.
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Les intervenants à un marché de travaux peuvent avoir à engager leurs responsabilités respectives, sur un fondement quasi-délictuel, lorsque les fautes de l’un (retard de chantier par exemple) a créé un préjudice au détriment d’un autre. Celà est d’autant plus vrai depuis que le Conseil d’Etat a restreint drastiquement les possilibilités d’engager la responsabilité du maître de l’ouvrage en raison des fautes commises par les intervenants à l’opération de travaux dans le cadre d’un marché conclu au forfait (Conseil d’Etat, SSR., 5 juin 2013, Région de Haute-Normandie, requête numéro 352917, mentionné aux tables).
Les intervenants peuvent par ailleurs agir entre eux sur un fondement contractuel lorsqu’ils sont insérés dans un groupement conjoint ou solidaire. C’est le cas des groupements de maîtrise d’oeuvre; ce peut être le cas de groupements d’entreprises de travaux.
Le commissaire du gouvernement Desportes rappelle que certaines juridictions du fond ont déduit de la jurisprudence De Castro qu’en l’absence de dispositions du contrat administratif sur la répartition des missions entre les membres d’un groupement, c’est-à-dire en principe dans le cas d’un groupement solidaire, ces membres sont nécessairement liés par un contrat de droit privé. Il en découlerait alors systématiquement la compétence de la juridiction judiciaire.
Outre les critiques d’opportunité émises par le commissaire du gouvernemet, cette appréciation revient à commettre une double erreur, factuelle et juridique. En premier lieu factuellement la conclusion d’une convention de groupement (et d’une convention de mandat au profit du mandataire du groupement solidaire ou conjoint) est loin d’être systémtique. D’autre part, les juridictions administratives déduisent de l’absence de dispositions dans le contrat administratif l’existence nécessaires d’une relation contracuelle de droit privé venant en quelques sortes suppléer les lacunes du dispositif contractuel de droit public. C’est là faire une erreur sur la nature du rapport entre les membres du groupement : ces rapports sont indépendants de la relation contractuelle de droit public. Il peut exister une divergence entre les engagements contractuels sur le fondement du contrat administratif à l’égard du maître de l’ouvrage et les engagements contractuels réciproques de membres d’un groupement. Dans le cadre d’un groupement conjoint par exemple, le mandataire peut être déclaré solidaire de chacun des membres du groupement pris individuellement à l’égard du maître de l’ouvrage, ce qui n’empêchera pas une action récursoire à l’encontre du ou des membres du groupement de la part du mandataire.
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Le commissaire du gouvernement proposait en l’espèce, afin de consolider le bloc de compétence du juge administratif, de considérer que l’absence de dispositions détaillant les engagements de deux co-maîtres d’oeuvre dans le marché public n’impliquait pas nécessairement l’existence d’une relation contractuelle de droit privé entre ces deux intervenants. Il y avait là comme une remise en ordre suite au flottement noté dans la jurisprudence des juridictions du fond et même dans certaines décisions du Conseil d’Etat.
Le Tribunal des conflits va plus loin et pose pour principe que :
lorsque le juge administratif est saisi d’un litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics opposant le maître d’ouvrage à des constructeurs qui ont constitué un groupement pour exécuter le marché, il est compétent pour connaître des actions en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres si le marché indique la répartition des prestations entre les membres du groupement ; si tel n’est pas le cas, le juge administratif est également compétent pour connaître des actions en garantie entre les constructeurs, quand bien même la répartition des prestations résulterait d’un contrat de droit privé conclu entre eux, hormis le cas où la validité ou l’interprétation de ce contrat soulèverait une difficulté sérieuse ;
Ainsi, l’existence d’un contrat de droit privé entre les « constructeurs » (entreprises de travaux ou membres d’un groupement de maîtrise d’oeuvre) ne fait pas obstacle à la compétence administrative.
Il y a là un renversement partiel de la jurisprudence De Castro.
Partiel, car le Tribunal prend bien soin de noter que la compétence administrative est acquise quoi qu’il arrive dans le cadre d’un litige opposant le maître d’ouvrage à des constructeurs, lorsque ceux-ci procèdent à un appel en garantie y compris à l’égard des entreprises qui leur sont liées par un contrat de droit privé.
Le jugement De Castro visait les litiges nés « de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux » sans évoquer le cas des appels en garantie.
Restent donc de la compétence des juridictions judiciaires les actions indemnitaires entre les intervenants à l’opération de travaux qui sont liés par un contrat de droit privé, lorsque cette action ne prend pas la forme d’un appel en garantie dans le cadre d’un litige principal impliquant le maître de l’ouvrage.
Ce pourra être le cas lorsqu’une entreprise de travaux ou un maître d’oeuvre exercera une action récursoire à l’encontre d’un membre d’un groupement, conjoint ou solidaire. Ce sera encore le cas d’une entreprise exerçant directement une action indemnitaire à l’encontre de ses cocontractants en raison des préjudices subis du fait de leurs fautes. Mais ceci relève presque d’une hypothèse d’école tant il est vrai que l’action ainsi entreprise aurait peu de chances d’aboutir si l’entreprise demanderesse n’avait pas préalablement été condamnée par une décision juridictionnelle dans un litige principal.