L’association requérante vous soumet de multiples conclu- sions dont la principale tend à l’annulation du décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020 relatif à l’Autorité environne- mentale et à l’autorité chargée de l’examen au cas par cas. C’est à nouveau, vous l’aurez compris, les conditions d’au- tonomie de l’autorité chargée de rendre un avis en tant qu’autorité environnementale sur les projets concernés par la directive du 13 décembre 2011 qui est en cause.
1. Il faut vous dire un mot des moyens de légalité externe. Il est soutenu que le public n’a pas disposé d’une informa- tion sincère et pertinente permettant d’assurer sa partici- pation effective à la consultation organisée en application de l’article L. 120-1. Mais les éléments fournis au public lui permettaient d’accéder à ces informations, la circonstance qu’une partie importante des réactions se soient concen- trées sur la question spécifique des éoliennes ne suffit pas à infirmer ce constat.
Par ailleurs, aucun texte n’impose que l’avis rendu par l’au- torité environnementale du Conseil général de l’environne- ment et du développement durable (CGEDD) sur le projet soit inséré dans la synthèse des observations du public (synthèse dont la publication n’est pas une condition de la légalité de l’acte réglementaire), ni que ses recommanda- tions soient retenues par les auteurs du projet.
La nécessité d’une séparation fonctionnelle au sein de l’autorité chargée à la fois d’autoriser un projet et de réaliser son évaluation environnementale
2. Au titre de la légalité interne, c’est l’article 2 du décret qui est attaqué, qui créé un nouvel article R. 122-3 et détermine l’autorité chargée de l’examen au cas par cas. On sait que la directive prévoit que certains projets sont systématiquement soumis à évaluation environnementale, et que les projets de moindre ampleur font l’objet d’un examen au cas par cas pour déterminer s’ils doivent y être soumis en raison de leurs effets potentiels.
En réalité, le système mis en place par le décret attaqué cherche à corriger un effet de bord potentiel de votre décision FNE((CE 6 décembre 2017, n° 400559 : Rec., T., p. 499.)) par lequel vous aviez transposé à la directive Projet le raisonnement de la jurisprudence de la CJUE Seaport, rendue s’agissant de la direction « Programmes ».
Vous aviez relevé que ces deux directives ont pour finalité commune de garantir qu’une autorité compétente et objective en matière d’environnement soit en mesure de rendre un avis sur l’évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l’étude d’impact des projets, publics ou privés, susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences.
Vous aviez relevé qu’il était possible que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, mais qu’il fallait dans une telle situation, qu’une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné.
Vous aviez alors censuré comme méconnaissant les objectifs de la directive le texte attaqué, qui ne prévoyait pas de dispositif de séparation fonctionnelle lorsque le préfet était désigné comme autorité environnementale alors qu’il était compétent pour autoriser le projet.
Dans sa version antérieure au décret attaqué aujourd’hui, c’était l’autorité environnementale qui était chargée de l’examen au cas par cas, celle-ci exerçait donc à la fois la compétence d’avis sur l’évaluation environnementale lorsqu’elle était nécessaire et de décision sur la nécessité d’en réaliser une lorsqu’elle n’est pas obligatoire. La redéfinition de l’autorité environnementale pour tenir compte de votre jurisprudence s’est d’abord traduite par une modification de l’article L. 122-1 par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, pour distinguer les deux compétences et prévoir qu’elles n’étaient pas nécessairement exercées par la même autorité.
À la suite de cela, le décret attaqué a prévu trois séries de cas de figure, avec des autorités chargées de décider au cas par cas si un projet non soumis à évaluation systématique devrait néanmoins être soumis à évaluation environnementale. Selon le cas, cet examen au cas par cas est confié au ministre, à la formation d’autorité environnementale du CGEDD ou au préfet.
Comme le relève un article de doctrine récent : « Bien qu’il tire les conséquences de la décision FNE du Conseil d’État en date du 6 décembre 2017, en confiant la compétence consultative d’évaluation des études d’impact de projet ne relevant pas des formations nationales de l’autorité environnementale aux Missions régionales, au détriment du préfet de région, et renforce sur ce point l’indépendance de l’autorité consultative, il conserve à l’autorité préfectorale le pouvoir de soumission à étude d’impact après examen au cas par cas des projets ne relevant pas d’une compétence ministérielle, et assume ce faisant la possibilité d’une fusion entre l’autorité décisionnaire quant au sort du projet et l’autorité chargée de cet examen. »
La question de l’autonomie suffisante de l’autorité environnementale
Les requérants considèrent que cet examen au cas par cas devrait systématiquement être réalisé par une autorité environnementale bénéficiant d’une autonomie suffisante.
Ils considèrent d’abord que le nouveau système est plus complexe, ce qui est vrai, notamment parce qu’il cherche aussi à traiter l’hypothèse où l’autorité saisie pour cet examen s’estimerait en situation de conflit d’intérêts et où il s’agit alors de désigner une autre autorité. Mais la sophistication à laquelle on arrive en confiant à des autorités différentes les deux missions d’examiner si une évaluation environnementale est nécessaire et de donner un avis sur sa qualité, ne va pas jusqu’à une atteinte par le pouvoir réglementaire de l’objectif d’intelligibilité de la norme, ce premier moyen sera écarté.
Le cœur de la critique est que le droit communautaire commanderait que cet examen au cas par cas soit fait par une autorité disposant d’une autonomie par rapport à l’autorité compétente pour autoriser le projet.
Il est vrai que l’assemblée générale du Conseil d’État, dans un avis du 25 avril 2019 relatif à la loi pour l’énergie et le climat semble avoir transposé le raisonnement que vous faisiez dans votre arrêt de 2017 sur l’autonomie de l’autorité qui rend un avis sur l’évaluation environnementale à cet examen au cas par cas de la nécessité même d’une telle évaluation.
Mais vous avez par la suite, au contentieux, écarté cette nécessité d’une séparation en jugeant par une décision((CE 25 septembre 2019, FNE, n° 427145.)) qu’aucune disposition de la directive ne fait obstacle à ce que l’autorité chargée de procéder à cet examen au cas par cas soit celle compétente pour statuer sur l’autorisation administrative requise.
Le texte en litige était alors un décret modifiant la nomenclature des ICPE, mais c’était la même question que celle qui vous est posée aujourd’hui qui était posée dans un cadre plus circonscrit: la combinaison de l’article L. 512- 7-2 et du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement conduisait le préfet statuant sur une demande d’enregistrement ICPE à effectuer l’examen au cas par cas propre à ce type de projets.
Vous vous étiez attaché au fait que l’autorité en charge de rendre un avis sur l’évaluation environnementale n’était pas ce même préfet, et vous aviez estimé qu’aucune disposition de la directive « Projets » ne fait obstacle à ce que l’autorité chargée de procéder à l’examen au cas par cas soit celle compétente pour statuer sur l’autorisation administrative requise pour le projet sous réserve qu’elle ne soit pas chargée de l’élaboration du projet ou en assure la maîtrise d’ouvrage.
Ce raisonnement s’appuie sur le texte de la directive et sur la réserve de l’article 9 bis, qui vise à prévenir les conflits d’intérêts qui pourraient exister. Nous ne voyons pas d’éléments nouveaux par rapport à ce que vous avez jugé en 2019 qui devraient vous conduire à revenir sur la solution dégagée.
Deux points paraissent en réalité déterminants dans l’économie de la directive : tout d’abord, qu’il existe bien un mécanisme pour s’assurer qu’un projet ne nécessiterait pas une évaluation environnementale lorsqu’elle n’est pas automatique requise. C’est cette exigence qui vous a conduit par votre décision((CE 15 avril 2021, FNE, n° 425424 : au Recueil.)) à censurer l’absence de « clause filet », permettant d’assurer cette vérification pour des projets qui sont en dessous des seuils réglementaires d’examen au cas par cas, car ces seuils ne suffisent pas toujours pour garantir dans l’absolu que ces projets ne sont jamais susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine.
Deuxième point: ce mécanisme, lorsqu’il n’y a pas évaluation environnementale automatique, doit pouvoir être contrôlé par le juge : le choix de ne pas soumettre un projet à une évaluation au cas par cas doit pouvoir être contesté directement ou à l’appui d’un contentieux dirigé contre le projet adopté. C’est ce qu’a jugé la CJUE s’agissant de la version antérieure de la directive Projets dans un arrêt Mellor((C 75/08 du 30 avril 2009, pt 58.)). Une autre affaire inscrite au rôle de cette séance((ASFALTE, n° 437202.)) donne une illustration de la réalité de ce contrôle par le juge administratif français dans le cadre de la directive plans et programmes.
Des éléments particuliers de contexte
Il faut encore mentionner plusieurs éléments de contexte, d’inégale importance qui sont mis en avant par FNE.
Nous notons ainsi que la Commission a annoncé le 18 février 2021 avoir adressé une lettre de mise en demeure complémentaire demandant à la France de mettre sa législation nationale en conformité avec la directive « Projets ». Une partie des critiques portait d’après ce que nous comprenons sur la question tranchée par votre arrêt sur les clauses filets, une autre critique est formulée de façon cursive en ces termes : « La transposition de l’obligation pour les États membres de veiller à ce que les autorités compétentes accomplissent leurs missions de manière objective et ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts pose également problème. » Nous n’avons aucun élément plus précis, s’agissant d’une prise de position de la Commission qui intervient à un stade précoce. Pas plus cet élément que ce que nous vous disions précédemment ne nous convainquent que vous seriez tenu de transmettre la question préjudicielle en interprétation à la CJUE comme vous le demande FNE.
Dans ces dernières écritures, FNE produit un rapport de l’OCDE de novembre 2021 intitulé « études économiques de l’OCDE-France », qui dans un paragraphe intitulé « concilier les objectifs de protection de la biodiversité et de développement local », semble déplorer que dans 80 % des cas, la décision pour déterminer si une évaluation environnementale est ou non nécessaire est prise par les préfets, qui selon ce document « représentent aussi le maître d’ouvrage ou assistent ce dernier dans le développement du projet ». Cette dernière assertion est très discutable, en tout cas les situations où un tel conflit d’intérêts existerait sont traitées par le décret. De façon plus générale, même si le système de seuils connaît les limites que nous avons rappelées, il ne nous semble pas aberrant que l’examen au cas par cas ne conduisent pas massivement à imposer une évaluation environnementale aux projets de plus faible ampleur.
Dans ces conditions, vous rejetterez les conclusions à fin d’annulation ainsi que les conclusions accessoires qui sont présentées.
Tel test le sens de nos conclusions. ■
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