Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 avril 2012 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 581 du 12 avril 2012), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Mouloud A., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 3 de l’ordonnance du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d’Algérie.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l’ordonnance du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d’Algérie ;
Vu l’ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962 ;
Vu le code civil ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 4 et 21 mai 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 4 mai 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Spinosi, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 19 juin 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d’Algérie : « Sont déclarés citoyens français, à titre personnel, et inscrits sur les mêmes listes électorales que les citoyens non musulmans et participent aux mêmes scrutins les Français musulmans du sexe masculin âgés de vingt-et-un ans et appartenant aux catégories ci-après :
« – anciens officiers ;
« – titulaires d’un des diplômes suivants : diplôme de l’enseignement supérieur, baccalauréat de l’enseignement secondaire, brevet supérieur, brevet élémentaire, brevet d’études primaires supérieures, diplôme de fin d’études secondaires, diplômes des Médersas, diplôme de sortie d’une grande école nationale ou d’une école nationale de l’enseignement professionnel industriel, agricole ou commercial, brevet de langue arabe et berbère ;
« – fonctionnaires ou agents de l’État, des départements, des communes, des services publics ou concédés, en activité ou en retraite, titulaires d’un emploi permanent soumis à un statut réglementaire, dans des conditions qui seront fixées par décret ;
« – membres actuels et anciens des chambres de commerce et d’agriculture ;
« – bachaghas, aghas et caïds ayant exercé leurs fonctions pendant au moins trois ans et n’ayant pas fait postérieurement l’objet d’une mesure de révocation ;
« – personnalités exerçant ou ayant exercé des mandats de délégué financier, conseiller général, conseiller municipal de commune de plein exercice, ou président d’une djemââ ;
« – membres de l’ordre national de la Légion d’honneur ;
« – compagnons de l’ordre de la Libération ;
« – titulaires de la médaille de la résistance ;
« – titulaires de la médaille militaire ;
« – titulaires de la médaille du travail et membres actuels ou anciens des conseils syndicaux des syndicats ouvriers régulièrement constitués, après trois ans d’exercice de leurs fonctions ;
« – conseillers prud’hommes actuels ou anciens ;
« – oukils judiciaires ;
« – membres actuels et anciens des conseils d’administrations des S.I.P. artisanales et agricoles ;
« – membres actuels et anciens des conseils de section des S.I.P. artisanales et agricoles » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en interprétant cette disposition comme ne reconnaissant pas à certains musulmans d’Algérie s’étant vu accorder la « citoyenneté française » l’ensemble des droits attachés à cette citoyenneté, la Cour de cassation a conféré à cette disposition une portée contraire au principe d’égalité devant la loi ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi . . . Doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
4. Considérant que, d’une part, par la disposition contestée, le législateur a entendu conférer, en raison de leurs mérites, à certains Français musulmans d’Algérie relevant du statut personnel des droits politiques identiques à ceux qui étaient exercés par les Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie ; que, d’autre part, lors de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, l’article 1er de l’ordonnance du 21 juillet 1962 susvisée, ensuite codifié à l’article 32-1 du code civil, a prévu : « Les Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie à la date de l’annonce officielle des résultats du scrutin d’autodétermination conservent la nationalité française quelle que soit leur situation au regard de la nationalité algérienne » ; que l’accession à la citoyenneté française à titre personnel en application de la disposition contestée ne permet pas, pour conserver la nationalité française, de bénéficier de l’application de l’article 32-1 du code civil qui ne s’applique qu’aux Français relevant du statut civil de droit commun domiciliés en Algérie le 3 juillet 1962 ;
5. Considérant que le principe d’égalité n’imposait ni que des personnes bénéficiant de droits politiques identiques soient soumises au même statut civil ni qu’elles soient soumises aux mêmes règles concernant la conservation de la nationalité française ; que les dispositions contestées n’ont pas pour effet de soumettre à un traitement différent des personnes placées dans une situation identique ; qu’il résulte de ce qui précède que le législateur n’a pas porté atteinte au principe d’égalité devant la loi ;
6. Considérant que l’article 3 de l’ordonnance du 7 mars 1944 susvisée n’est contraire à aucun autre droit ou liberté garanti par la Constitution ; qu’il doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L’article 3 de l’ordonnance du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d’Algérie est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 juin 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL, Nicolas SARKOZY et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 29 juin 2012.