Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 10 et 25 janvier 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA NATURE DES COTES D’ARMOR, dont le siège est … ; la fédération demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 23 novembre 1995 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement du 24 mai 1995 par lequel le tribunal administratif de Rennes a ordonné qu’il soit sursis à l’exécution de l’arrêté du 16 décembre 1997 par lequel le maire de Binic a délivré un permis de construire à la S.C.I. du Corps de Garde, rejeté la demande de la fédération requérante et condamné celle-ci à verser à la S.C.I. du Corps de Garde et à ladite commune la somme de 2 000 F chacune sur le fondement de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
2°) de prononcer le sursis à exécution de l’arrêté du 16 décembre 1997 ;
3°) de condamner la S.C.I. du Corps de Garde et la commune de Binic à lui verser chacune la somme de 5 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural modifié notamment par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Errera, Conseiller d’Etat,
– les observations de Me Brouchot, avocat de la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA NATURE DES COTES D’ARMOR (F.A.P.E.N.), de Me Parmentier, avocat de la S.C.I. du Corps de Garde et de Me Capron, avocat de la commune de Binic,
– les conclusions de M. Hubert, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 252-1 du code rural dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 1995 : « Lorsqu’elles exercent leurs activités depuis au mois trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature, de l’amélioration du cadre de vie, de la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et des paysages, de l’urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d’une manière générale, oeuvrant principalement pour la protection de l’environnement, peuvent faire l’objet d’un agrément motivé de l’autorité administrative. (…) Ces associations sont dites « associations agréées de protection de l’environnement. » (…) Les associations exerçant leurs activités dans les domaines mentionnés au premier alinéa ci-dessus et agréées antérieurement à la publication de la présente loi sont réputées agréées en application du présent article. » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 252-4 du même code : « Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci » ; qu’aux termes du deuxième alinéa du même article « Toute association agréée au titre de l’article L. 252-1 justifie d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément » ; qu’enfin aux termes de l’article 2 de ses statuts, la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA NATURE DES COTES D’ARMOR, agréée par le préfet en 1981 dans le cadre départemental au titre de l’article L. 160-1 du code de l’urbanisme « a pour but de susciter ou de participer à toutes actions ou interventions visant à préserver ou à améliorer la qualité du milieu naturel et de l’environnement en général, terrestre, maritime ou aérien. Sont donc concernés notamment : l’eau, la faune, la flore, l’occupation du sol, les sites et monuments historiques et préhistoriques, les bois et forêts, le littoral y compris le domaine public maritime, l’intérieur, les problèmes routiers, les mines, l’aménagement rural, l’urbanisme, le bruit, l’usage de produits chimiques et antiparasitaires, les installations à nuisance les déchets, etc … tout ce qui concourt au maintien des équilibres biologiques à tous les niveaux et tout ce qui est susceptible d’y porter atteinte » ;
Considérant que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 mai 1995 ordonnant, à la demande de cette fédération, le sursis à exécution de l’arrêté du maire de la commune de Binic en date du 16 décembre 1994 accordant un permis de construire à la S.C.I. du Corps de Garde ; que ladite cour s’est fondée, d’une part, sur ce que l’agrément précité était par lui-même sans incidence sur la recevabilité de la demande de la fédération requérante tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté précité et, d’autre part, sur la circonstance que ladite fédération était, eu égard à son objet statutaire, sans intérêt et par conséquent sans qualité pour contester la légalité de l’arrêté susmentionné ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision contestée tendait à autoriser la restauration de deux bâtiments abandonnés pour y réaliser neuf logements dans une zone non urbanisée du littoral, et que la fédération requérante était agréée notamment au titre de la protection du littoral, mentionnée à l’article 2 de ses statuts ; qu’en se fondant sur ce que l’agrément prévu par les articles L. 252-1 et suivants du code rural était par lui-même, sans incidence sur la recevabilité de la demande de la fédération requérante, sans tenir compte de la portée des dispositions susrappelées introduites par la loi du 2 février 1995 au deuxième alinéa de l’article L. 252-4 du même code et, notamment de celles selon lesquelles l’intérêt conféré à une association par ces dispositions vaut pour « tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément », la cour administrative d’appel de Nantes n’a pas justifié légalement sa décision, et a fait une inexacte application des règles régissant la recevabilité des actions en justice des associations agréées ; que la fédération requérante est, dès lors, fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de cet arrêt ;
Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 11 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif : « S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’Etat peut … régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; qu’il y a lieu, en l’espèce, de faire application de ces dispositions ;
Considérant que si les dispositions précitées du deuxième alinéa de l’article L. 252-4 du code rural subordonnent la recevabilité de l’action en justice des associations agréées à l’existence d’un rapport direct entre, d’une part, les décisions administratives attaquées et, d’autre part, l’objet et les activités statutaires de ces associations, la décision accordant un permis de construire à la S.C.I. du Corps de Garde pour la rénovation et la reconstruction d’un bâtiment comprenant 9 logements et situé à proximité immédiate du littoral, présentait un rapport direct avec l’objet statutaire de la fédération requérante, lequel inclut la préservation du littoral ; que par ailleurs, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le deuxième alinéa de l’article L. 252-4 du code rural dispose que l’intérêt conféré par ces dispositions à une association agréée vaut pour « tout ou partie » de territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément ; qu’ainsi la requérante justifiait d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation du permis de construire litigieux ;
Considérant, par ailleurs, que la fédération requérante a notifié sa requête à la S.C.I. du Corps de Garde et à la commune de Binic, conformément aux dispositions de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme ; que si la S.C.I. du Corps de Garde a apposé sur le terrain d’assiette des constructions projetées un panneau mentionnant le permis de construire litigieux, ce panneau était situé à 170 mètres environ de l’entrée d’un chemin signalé comme « privé » et n’était, dès lors, pas visible de la voie publique, contrairement aux prescriptions des articlesR. 421-3° et A. 421-7 du code de l’urbanisme ; qu’ainsi le délai de recours contentieux n’a pas couru à l’encontre de la fédération requérante ; que celle-ci ne saurait être regardée comme ayant eu connaissance de l’arrêté attaqué à la date de l’introduction par une autre association d’un recours contre le même arrêté ; qu’enfin, le président de ladite fédération était habilité à ester en justice en son nom en vertu de l’article 10 de ses statuts ;
Considérant que le préjudice dont se prévaut la fédération requérante et qui résulterait pour elle de l’exécution de l’arrêté attaqué présente un caractère de nature à justifier le sursis à exécution de cet arrêté ; que l’un au moins des moyens invoqués par la fédération requérante à l’appui de son recours pour excès de pouvoir dirigé contre ledit arrêté et tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article ND1-II du règlement du plan d’occupation des sols de la commune de Binic en tant qu’il fixe la surface maximale d’extension des habitations existantes paraît de nature, en l’état du dossier, à justifier son annulation ; qu’il résulte de ce qui précède que la S.C.I. du Corps de Garde et la commune de Binic ne sont pas fondées à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 mai 1995 ordonnant le sursis à l’exécution de l’arrêté précité ;
Sur les conclusions de la fédération requérante tendant à ce que la S.C.I. du Corps de Garde et la commune de Binic soient condamnées à lui verser chacune 5 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à ces conclusions ;
Sur les conclusions de la S.C.I. du Corps de Garde et de la commune de Binic tendant à ce que la fédération requérante soit condamnée à verser à chacune d’elles 15 000 F au titre des mêmes dispositions :
Considérant que lesdites dispositions font obstacle à ce que la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA NATURE DES COTES D’ARMOR, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à la S.C.I. du Corps de Garde et à la commune de Binic les sommes qu’elles demandent ;
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 23 novembre 1995 est annulé.
Article 2 : Les requêtes présentées devant la cour administrative d’appel de Nantes par la S.C.I. du Corps de Garde et la commune de Binic sont rejetées.
Article 3 : La S.C.I. du Corps de Garde et la commune de Binic verseront 5 000 F à la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA NATURE DES COTES D’ARMOR au titre des frais irrépétibles.
Article 4 : Les conclusions de la S.C.I. du Corps de Garde et de la commune de Binic tendant au versement d’une somme par la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA NATURE DES COTES D’ARMOR au titre des frais irrépétibles sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION DES ASSOCIATIONS DEPROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA NATURE DES COTES D’ARMOR, à la S.C.I. du Corps de Garde, à la commune de Binic et au ministre de l’équipement, des transports et du logement.