AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Arrêt n° 591 P+B+R+I
Pourvoi n° F 10-30.313
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, parquet général, place du Parlement de Bretagne, CS 66423, 35064 Rennes cedex,
contre l’ordonnance rendue le 25 janvier 2010 par le premier président de la cour d’appel de Rennes, dans le litige l’opposant à Mme X se disant Y…
défenderesse à la cassation ;
La première chambre civile de la Cour de cassation a, par arrêt du 18 janvier 2011, décidé le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière ;
Le demandeur invoque, devant l’assemblée plénière, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par le procureur général près la cour d’appel de Rennes ;
Le rapport écrit de Mme Bardy, conseiller, et l’avis écrit de Mme Petit, premier avocat général, ont été mis à la disposition du procureur général près la cour d’appel de Rennes ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l’audience publique du 1er avril 2011, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, Mmes Favre, Collomp, MM. Lacabarats, Louvel, Charruault, Loriferne, présidents, Mme Bardy, conseiller rapporteur, Mme Mazars, MM. Pluyette, Cachelot, Dulin, Mmes Pinot, Foulon, MM. Falcone, Guérin, Mme Bregeon, MM. Frouin, Nivôse, conseillers, Mme Petit, premier avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de Mme Bardy, conseiller, assistée de M. Regis et de Mme Georget, auditeurs au service de documentation, des études et du rapport, l’avis, tendant à la cassation, de Mme Petit, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’ordonnance attaquée (Rennes, 25 janvier 2010), rendue par le premier président d’une cour d’appel, et les pièces de la procédure, que Mme Y…, de nationalité kenyane, en situation irrégulière en France, a été placée en garde à vue le 22 janvier 2010 à compter de 8 heures 15 ; qu’elle a demandé à s’entretenir avec un avocat commis d’office ; que l’avocat de permanence en a été informé à 8 heures 35 ; que Mme Y… a été entendue par les militaires de la gendarmerie de 9 heures 45 à 10 heures 10, puis de 10 heures 25 à 10 heures 55 ; qu’elle s’est entretenue avec un avocat à une heure non précisée ; que le préfet des Deux-Sèvres lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention administrative le 22 janvier 2010 ; qu’il a saisi un juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention ; que Mme Y… a soutenu qu’elle n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de sa garde à vue et pendant son interrogatoire ; que le procureur général près la cour d’appel a interjeté appel de la décision ayant déclaré la procédure de garde à vue irrégulière ;
Attendu que le procureur général près la cour d’appel de Rennes fait grief à l’ordonnance de refuser la prolongation de la rétention et d’ordonner la mise en liberté de Mme Y…, alors, selon le moyen :
1°/ que par application de l’article 46 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un Etat n’est tenu que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est directement partie ;
2°/ que, de l’article 63-4 du code de procédure pénale, il résulte qu’en droit français, les personnes gardées à vue pour une infraction de droit commun ont toutes accès à un avocat qui peut intervenir avant même le premier interrogatoire réalisé par les enquêteurs puisque, aux termes de cet article, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat, au besoin commis d’office par le bâtonnier ; que s’il ne peut assister aux interrogatoires du mis en cause, l’avocat qui est informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, peut toutefois s’entretenir avec le gardé à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et qu’à l’issue de cet entretien, d’une durée maximale de trente minutes, il peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure ;
3°/ qu’aucune disposition de procédure pénale, d’une part, n’impose à l’officier de police judiciaire d’indiquer l’heure à laquelle l’entretien avec l’avocat se déroulait, d’autre part, ne l’oblige à différer l’audition d’une personne gardée à vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat assurant l’entretien prévu, et enfin n’exige de l’avocat désigné pour assister le gardé à vue qu’il informe l’officier de police judiciaire et le gardé à vue de sa décision d’intervenir ou non et de l’éventuel moment de son intervention ;
Mais attendu que les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ;
Et attendu qu’après avoir retenu qu’aux termes de ses arrêts Salduz c/ Turquie et Dayanan c/ Turquie rendus les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, pour que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde, soit effectif et concret, il fallait, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires, le premier président qui a relevé, qu’en l’absence d’indication de l’heure à laquelle Mme Y… avait pu s’entretenir avec un avocat, il était impossible de savoir si elle avait bénéficié des garanties prévues à l’article 6 § 3, a pu en déduire que la procédure n’était pas régulière, et décider qu’il n’y avait pas lieu de prolonger la rétention ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du quinze avril deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyens produits par le procureur général près la cour d’appel de Rennes.
Premier moyen de cassation pris de la violation des articles 63-4, 64, 591 et 593 du code de procédure pénale, article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, violation de la loi et défaut de base légale :
EN CE QUE le conseiller à la Cour d’appel de Rennes après avoir indiqué que Y… avait demandé à voir un avocat et qu’elle avait eu un entretien avec l’avocat de permanence, constatait que l’heure à laquelle cet entretien avait eu lieu ne figurait pas à la procédure de sorte qu’il était impossible de savoir si l’entretien avait été préalable à son audition par les enquêteurs, a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes rendue le 23 janvier 2010 ;
AUX MOTIFS que pour que le droit, à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales demeure suffisamment concret et effectif, il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit, et que l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil ; qu’à cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ;
ALORS QUE par application de l’article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un État n’est tenu que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est directement partie ;
ALORS QUE de l’article 63-4 du code de procédure pénale, il résulte qu’en droit français, les personnes gardées à vue pour une infraction de droit commun ont toutes accès à un avocat qui peut intervenir avant même le premier interrogatoire réalisé par les enquêteurs puisque aux termes de cet article, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat, au besoin commis d’office par le bâtonnier ; que s’il ne peut assister aux interrogatoires du mis en cause, l’avocat, qui est informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, peut toutefois s’entretenir avec le gardé à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et qu’à l’issue de cet entretien, d’une durée maximale de trente minutes, il peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure ;
ET ALORS QU’aucune disposition de procédure pénale, d’une part n’impose à l’officier de police judiciaire d’indiquer l’heure auquel l’entretien avec l’avocat se déroulait, d’autre part ne l’oblige à différer l’audition d’une personne gardée-à-vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat assurant l’entretien prévu, et enfin n’exige de l’avocat désigné pour assister le gardé-à-vue qu’il informe l’officier de police judiciaire et le gardé-à-vue de sa décision d’intervenir ou non et de l’éventuel moment de son intervention ;
Qu’en décidant ainsi qu’exposé ci-dessus, le conseiller à la Cour d’appel de Rennes qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;
Second moyen de cassation pris de la violation des articles 63-4 et 802 du code de procédure pénale, 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 :
EN CE QUE le conseiller à la Cour d’appel de Rennes après avoir indiqué que Y… avait demandé à voir un avocat et qu’elle avait eu un entretien avec l’avocat de permanence, constatait que l’heure à laquelle cet entretien avait eu lieu ne figurait pas à la procédure de sorte qu’il était impossible de savoir si l’entretien avait été préalable à l’audition de la gardée-à-vue, a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes rendue le 23 janvier 2010 ;
AUX MOTIFS que pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales demeure suffisamment concret et effectif, il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit, et que l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil ; qu’à cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ;
ALORS QUE l’annulation d’un procès-verbal ne peut entraîner que l’annulation des actes ultérieurs subséquents et à condition que l’acte irrégulier en soit le support nécessaire, et qu’en décidant néanmoins que la nullité du procès-verbal d’audition de Y…, à laquelle il était procédé le 22 janvier 2010 de 9 heures 45 à 10 heures 10 puis de 10 heures 25 à 10 heures 55, devait entraîner l’annulation de toute la procédure précédant le placement en rétention, et donc des actes antérieurs au procès-verbal jugé irrégulier et des actes dont il n’était pas le support nécessaire, le conseiller à la Cour d’appel de Rennes a méconnu le sens et la portée de l’article 802 du code de procédure pénale aux termes duquel « en cas (…) d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui (…) relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne » et de l’article 66 de la Constitution aux termes duquel « nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;
Qu’en décidant ainsi qu’exposé ci-dessus, le conseiller à la Cour d’appel de Rennes qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;