RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le préfet du Nord a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, d’autoriser l’exploitation des données contenues dans les matériels informatiques saisis lors de la perquisition administrative menée au domicile de M. B…A…à Roubaix le 17 août 2016. Par une ordonnance n° 1606178 du 19 août 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Par un recours enregistré le 21 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’intérieur demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à la demande de première instance.
Il soutient que :
– la saisie a été régulière ;
– l’exploitation des données est justifiée au vu de la perquisition et des éléments relatifs à la menace qu’est susceptible de constituer M. A…pour la sécurité et l’ordre publics ;
– il ne peut être reproché à l’autorité administrative de ne pas être en mesure de détailler le contenu des fichiers présents dans l’ordinateur alors que l’objet de la saisine du juge des référés dans les conditions prévues par l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 a pour objet d’obtenir l’autorisation d’exploiter les données copiées ou saisies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2016, M. A…conclut au rejet du recours. Il soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée ;
– la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;
– les décrets n° 2015-1475 et n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le ministre de l’intérieur, d’autre part, M. A…;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 23 août 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– la représentante du ministère de l’intérieur ;
– Me Pinatel, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A… ;
et à l’issue de laquelle l’instruction a été close ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016 : » Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. / Lorsqu’une perquisition révèle qu’un autre lieu répond aux conditions fixées au premier alinéa du présent I, l’autorité administrative peut en autoriser par tout moyen la perquisition. Cette autorisation est régularisée en la forme dans les meilleurs délais. Le procureur de la République en est informé sans délai. / Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. / Si la perquisition révèle l’existence d’éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, les données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition peuvent être saisies soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition. / La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l’officier de police judiciaire. L’agent sous la responsabilité duquel est conduite la perquisition rédige un procès-verbal de saisie qui en indique les motifs et dresse l’inventaire des matériels saisis. Une copie de ce procès-verbal est remise aux personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent I. Les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition. A compter de la saisie, nul n’y a accès avant l’autorisation du juge. / L’autorité administrative demande, dès la fin de la perquisition, au juge des référés du tribunal administratif d’autoriser leur exploitation. Au vu des éléments révélés par la perquisition, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et sur la demande de l’autorité administrative. Sont exclus de l’autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée. En cas de refus du juge des référés, et sous réserve de l’appel mentionné au dixième alinéa du présent I, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués à leur propriétaire. / Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée par le juge des référés, les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après qu’il a été procédé à la copie des données qu’ils contiennent, à l’issue d’un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, a autorisé l’exploitation des données qu’ils contiennent. A l’exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, les données copiées sont détruites à l’expiration d’un délai maximal de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, en a autorisé l’exploitation. / (…) Pour l’application du présent article, le juge des référés est celui du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu de la perquisition. Il statue dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative, sous réserve du présent article. Ses décisions sont susceptibles d’appel devant le juge des référés du Conseil d’Etat dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification. Le juge des référés du Conseil d’Etat statue dans le délai de quarante-huit heures. En cas d’appel, les données et les supports saisis demeurent.conservés dans les conditions mentionnées au huitième alinéa du présent I. / La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République, auquel est jointe, le cas échéant, copie du procès-verbal de saisie Une copie de l’ordre de perquisition est remise à la personne faisant l’objet d’une perquisition. (…) » ;
2. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’il est saisi par l’autorité administrative d’une demande tendant à autoriser l’exploitation de données ou de matériels saisis lors d’une perquisition administrative, il appartient au juge des référés, statuant en urgence dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine, pour accorder ou non l’autorisation sollicitée, de se prononcer en vérifiant, au vu des éléments révélés par la perquisition, d’une part, la régularité de la procédure de saisie et d’autre part, si les éléments en cause sont relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée ;
3. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à la suite de l’ordre de perquisition pris, sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, par le préfet du Nord le 12 août 2016, dont le procureur de la République a été avisé et qui était motivé par la menace que constitue l’intéressé pour la sécurité et l’ordre publics, une perquisition administrative a été menée au domicile de M. A… à Roubaix ; que la perquisition s’est déroulée le 17 août 2016 entre 6 heures 15 et 7 heures 55 en présence d’un officier de police judiciaire et de M. A…, qui a reçu au préalable copie de l’ordre de perquisition ; que le procès-verbal mentionne la saisie d’un ordinateur de marque ACER et de son chargeur, d’un téléphone portable de marque Apple et de son chargeur, d’une clef USB rouge de marque Emtec d’une capacité de 16 Gb, d’une clé USB noire de marque Verbatim d’une capacité de 16 Gb, d’une carte SD de marque Viking d’une capacité de 512 Mb et d’une carte SD de marque Sandisk d’une capacité de 8 Gb ; qu’une copie du procès-verbal de saisie a été remise à l’intéressé ; que les matériels saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service de police ayant procédé à la perquisition ;
4. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction, en particulier des éléments qui précèdent, et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté, que la procédure de saisie des matériels informatiques s’est déroulée conformément aux règles de procédure définie par les dispositions de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 ;
5. Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction que la perquisition du domicile de M. A…a été ordonnée par le préfet du Nord à raison des liens de l’intéressé avec un groupe de jeunes de Roubaix partis en Syrie pour intégrer les rangs des combattants djihadistes et de propos tenus par l’intéressé sur Internet ; qu’il résulte du procès-verbal établi à la fin de la perquisition, signé par M. A…, que l’intéressé a déclaré au cours de la perquisition être resté en contact avec quatre amis de Roubaix, qu’il a nommément désignés, partis en Syrie et en Irak pour y mener le djihad ; qu’il a indiqué communiquer avec eux au moyen de son téléphone portable, en usant notamment de messageries instantanées ou cryptées ; que ces déclarations faites pendant la perquisition, en rapport avec la menace potentielle pour la sécurité et l’ordre publics ayant motivé la perquisition, justifient que soit accordée l’autorisation d’exploiter les données contenues dans les supports informatiques saisis, alors même qu’aucun objet permettant l’ouverture d’une procédure judiciaire n’a été découvert au cours de la perquisition et qu’une première consultation des données informatiques, auxquelles il a pu être accédé au cours de la perquisition avec l’accord de l’intéressé, n’a pas fait ressortir d’éléments en rapport avec la menace pour la sécurité et l’ordre publics ayant motivé la perquisition ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’intérieur est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté la demande du préfet du Nord tendant à ce que soit autorisée l’exploitation des données contenues dans les matériels informatiques saisis lors de la perquisition du domicile de M. A…le 17 août 2016 ; qu’il y a lieu d’accorder l’autorisation sollicitée, à laquelle d’ailleurs M. A… ne s’oppose nullement, ainsi qu’il a été déclaré à l’audience ;
7. Considérant que, conformément aux dispositions de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016, l’autorisation délivrée est limitée aux données relatives à la menace qu’est susceptible de constituer M. A…pour la sécurité et l’ordre publics, les éléments dépourvus de tout lien avec cette menace étant exclus de cette autorisation ;
O R D O N N E :
——————
Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 19 août 2016 est annulée.
Article 2 : L’autorité administrative est autorisée à exploiter les données contenues dans les matériels informatiques de M. A…saisis lors de la perquisition réalisée le 17 août 2016. Cette autorisation est accordée dans les limites rappelées au point 7.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l’intérieur et à M. B… A.conservés dans les conditions mentionnées au huitième alinéa du présent I. / La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République, auquel est jointe, le cas échéant, copie du procès-verbal de saisie