378 • On a vu que les textes législatifs récents avaient quelque peu marginalisé la compétence du juge judiciaire en matière de défense des droits et libertés en inscrivant les mesures attentatoires dans une logique de police administrative ayant comme conséquence la compétence du juge administratif dans leur contrôle. C’est d’abord le Conseil constitutionnel qui, en restreignant le champ d’application de l’article 66 C°, a permis cette évolution des choses (1). A cela, il faut ajouter des remises en causes postérieures de la compétence du juge judiciaire. La prolifération du phénomène des autorités administratives indépendantes (AAI) ou autorités de régulation a amené le législateur à modifier grandement les équilibres en présence et accentué la marginalisation du juge judiciaire (2). Le juge a aussi agi en ce sens en bouleversant la répartition des compétences précédemment définis en matière de voie de fait et de rétention administrative des étrangers (3). Enfin, le mouvement d’extension du domaine de la police administrative décrit plus haut a mis en avant de nouveaux pouvoirs chez les autorités administratives pour prévenir des infractions pénales dans le cadre de l’état d’urgence. Ces nouveaux pouvoirs, contrôlés par le juge administratif, confirment définitivement le nouveau rééquilibrage opéré en la matière dans le domaine de la protection des droits et libertés (4).
1 – L’interprétation restrictive, par le Conseil constitutionnel, du champ d’application de l’article 66 C°
a) Une interprétation initiale large de la notion de liberté individuelle confirmée par la Cour de cassation
i) Un choix conforme à la loi du 3 juin 1958 mais contraire à la lettre de l’article 66 C°
379 • Le Conseil constitutionnel est longtemps resté fidèle à une interprétation large de la compétence du juge judiciaire. C’est contraire au choix rédactionnel précis effectué par le constituant de l’article 66 C° mais conforme à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 précitée et à sa conception plurielle des libertés selon laquelle « l’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles […]. D’abord délaissé, l’article 66 C° fit l’objet d’une 1ère réactivation par le biais d’une décision du 12 janvier 1977 dite « fouille des véhicules » (CC, n°76-75 DC, 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales dite « Fouille des véhicules », Rec. CC, p. 33, JO, 13 janvier 1976, p. 344). Le juge constitutionnel rattachant, de façon surprenante, la liberté individuelle aux PFRLR. Par la suite et, abandonnant son fondement initial, le Conseil s’est efforcé, toujours à travers une conception large de la notion, d’isoler les composantes de la liberté individuelle pour justifier la compétence du juge judiciaire. Il a procédé de la sorte pour la liberté d’aller et venir (CC, n°79-109 DC, 9 janvier 1980, Loi relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l’office national d’immigration, Rec. CC, p. 29, JO,11 janvier 1980, p. 84) tout comme pour la question de l’inviolabilité du domicile (CC, n°83-164 DC, 29 décembre 1983, Loi de finances pour 1984, Rec. CC, p. 67, JO, 30 décembre 1983, p. 3871).
ii) Un Tribunal des conflits et un Conseil d’Etat qui ne suivent pas le juge constitutionnel
380 • Dès la fin des années 1980, le Tribunal des conflits et le Conseil d’Etat vont prendre leurs distances par rapport à la conception extensive du juge constitutionnel tant de l’application de l’article 66 C° que de la notion même de « liberté individuelle » qui s’éloignait de la lettre même du texte constitutionnel. C’est en 1986 que le Tribunal des conflits va détacher la liberté d’aller et venir de l’article 66 C° pour la rapporter à la DDHC (TC, 9 juin 1986, Commissaire de la République de la région Alsace et autres contre Eucat précité). Il sera suivi en cela par le Conseil d’Etat, en 1987, qui jugera, à son tour, que « la liberté fondamentale d’aller et venir » constitue un droit reconnu par la DDHC et non par l’article 66 C° (CE, Ass., 8 avril 1987, Ministre de l’intérieur et de la décentralisation contre Peltier, req. n° 55985, précité). Les deux juridictions renouaient ainsi avec une interprétation de l’article 66 C° comme un Habeas Corpus portant non sur l’ensemble des libertés individuelles mais sur la seule liberté de ne pas être détenu arbitrairement.
iii) Une Cour de cassation qui s’inscrit dans le sillage du Conseil constitutionnel
381 • Cela n’a pas empêché les magistrats de la Cour de cassation, dans le sillage du Conseil constitutionnel, de continuer à considérer que le secret des correspondances relevait lui aussi de la liberté individuelle. Ainsi, en matière d’écoutes téléphoniques (judiciaires en l’espèce), un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation de 1989 établissait, pour la 1èrefois, un lien entre l’article 66 C°, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances (Cass., ass. plén., 24 novembre 1989, req. n°89-84439, Bull. Crim. 1989, n°440, p. 1073). Le juge constitutionnel maintiendra lui aussi sa jurisprudence en confirmant le rattachement à la liberté individuelle de la liberté d’aller et venir, de la liberté de mariage et de la sûreté personnelle (CC, n°93-325 DC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, Rec. CC, p. 224, JO, 18 août 1993, p. 11722) cons. n°7 pour la liberté de mariage et cons. n°113 pour la sûreté personnelle), du respect de la vie privée (CC, n°95-352 DC, 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, Rec. CC, p. 170, JO, 21 janvier 1995, p. 1154, cons. n°3) et, enfin, de l’inviolabilité du domicile (CC, n°97-389 DC, 22 avril 1997, Loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration, Rec. CC, p. 45, JO, 25 avril 1997, p. 6271).
b) Une interprétation postérieure plus stricte de la notion de liberté individuelle confirmée par le Conseil d’Etat
i) Un Conseil constitutionnel qui renoue avec l’esprit de 1958 : la consécration de la notion de « liberté personnelle »
382 • C’est seulement à partir de 1998 que le Conseil constitutionnel va de nouveau se rapprocher de l’esprit du constituant de 1958 en rattachant explicitement le droit au respect de la vie privée à la « liberté personnelle » garantie à l’article 2 de la DDHC (CC, n°98-405 DC, 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999, Rec. CC, p. 326, JO, 31 décembre 1998, p. 20138, cons. n°60 à 62 et CC, n°99-416 DC, 23 juillet 1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle, Rec. CC, p. 100, JO, 28 juillet 1999, p. 11250, cons. n°45 ; CC, n° 99-419 DC, 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, Rec. CC, p. 116, JO, 6 novembre 1999, p. 16962, cons. n°73 ; CC, 21 décembre 1999, n° 99-422 DC, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, Rec. CC, p. 143, JO, 30 décembre 1999, p. 19730, cons. n°52), combiné ensuite avec l’article 4 DDHC (CC, n°2003-467 DC, 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, Rec. CC, p. 211, JO, 19 mars 2003, p. 4789, cons. n°8). Il fit ensuite de même pour la liberté d’aller et venir (Ibid.), l’inviolabilité du domicile privé et le secret des correspondances (CC, n°2004-492 DC, 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, Rec. CC, p. 66, JO, 10 mars 2004, p. 4637, cons. n°4) et la liberté du mariage (CC, n° 2010-92 QPC, 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autres [Interdiction du mariage entre personnes de même sexe], Rec. CC, p. 87, JO, 29 janvier 2011, p. 1894, cons. n°6). Le juge constitutionnel indiquant même, dans le commentaire de l’une de ses décisions, avoir ainsi « stabilisé sa jurisprudence autour d’une définition plus étroite de la liberté individuelle, en ne se référant à l’article 66 de la Constitution que dans le domaine des privations de liberté (garde à vue, détention, rétention, hospitalisation sans consentement) » (Commentaire du Conseil constitutionnel de sa décision CC, n°2013-357 DC, 29 novembre 2013, Société Wesgate Charters Ltd [Visite des navires par les agents des douanes], Rec. CC, p. 1053, p. 7 du commentaire).
ii) Une consécration qui permet de clarifier la répartition des compétences dans le cadre du contrôle des mesures de police pour lutter contre le terrorisme (1)
383 • La consécration de la notion de « liberté personnelle » afin de définir toutes les libertés qui ne relèvent pas de l’article 66 C° se retrouve également dans la jurisprudence du Conseil d’Etat (par ex., CE, 29 mai 2013, Mme B. contre Agence française de lutte contre le dopage, req. n°364839). Si la notion fut d’abord malaisée à appréhender, elle a eu le mérite de clarifier la compétence respective des deux juges dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et de l’Etat d’urgence, notamment à propos du contrôle de la mise en œuvre des mesures de police administrative, un contrôle systématique du juge judiciaire apparaissant excessif en la matière. Dans ces décisions les plus récentes, notamment celles relatives aux lois « renseignement » (CC, n°2015-713 DC, 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement, JO, 26 juillet 2015, p.12751) et « état d’urgence » (CC, n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 26 décembre 2015, p. 24084), le juge constitutionnel a confirmé cette évolution plaçant le juge administratif au centre du système. En ce sens, la compétence de juge judiciaire ne cesse ainsi de s’effriter, y compris pour des mesures aussi graves que des perquisitions ou des assignations à résidence. Le Conseil allant même jusqu’à préciser, dans la décision « état d’urgence », que la privation de liberté ne constitue une atteinte à la liberté individuelle qu’à partir de la 13ème heure, ce qui a pour effet de ne pas soumettre au contrôle de l’autorité judiciaire l’astreinte à domicile ne dépassant pas douze heures dans le cadre d’une assignation à résidence (cons. n°6). En plaçant le juge administratif au centre du système de contrôle de mesures de police prises dans le cadre de l’état d’urgence, le législateur n’a, cependant, rien révolutionné, il s’inscrit bien dans la distinction classique entre police administrative et police judiciaire, entre prévention et répression, tout en se conformant à la théorie du privilège du préalable interdisant le contrôle a priori de l’administration.
Une consécration qui permet de clarifier la répartition des compétences dans le cadre du contrôle des mesures de police pour lutter contre le terrorisme (2)
384 • C’est la finalité d’une opération de police, selon qu’elle soit préventive ou répressive, qui permet de déterminer l’ordre de juridiction compétent et, en cas d’opération mixte, administrative et judiciaire, c’est l’objet principal et le but essentiel de l’opération qui est pris en compte. Le juge administratif ne saurait ainsi connaître des mesures qui ont pour objet de constater une infraction pénale déterminée, d’en rassembler les preuves ou d’en rechercher les auteurs (CC, n°2011-625 DC, 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, Rec. CC, p. 122, JO, 15 mars 2011, p. 4630, cons. n°59). C’est dans ses limites que, selon le Conseil constitutionnel, le juge administratif a pu contrôler des mesures de réquisition (CC, n°2005-532 DC, 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, Rec. CC, p. 31, JO, 24 janvier 2006, p.1138, cons. n°5) ou de recueil de renseignement (CC, n° 2015-713 DC, 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement précité, cons. n°9). Il en a été de même à l’occasion de trois QPC transmises par le Conseil d’Etat concernant des mesures de police prises au titre de l’état d’urgence à savoir des mesures d’assignations à résidence (CC, n°2015-524 QPC, 2 mars 2016, Abdel Manane M. K. [Gel administratif des avoirs], JO, 4 mars 2016, n° 121, cons. n°9), de fermetures de lieu de réunion (CC, n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015, Cédric D. précité, cons. n°5) ou de perquisition (CC, n°2016-535 QPC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 21 février 2016, n°26, cons. n°8).
iii) Une consécration qui permet de clarifier la répartition des compétences dans le cadre du contrôle des mesures de police pour lutter contre le terrorisme : l’exemple des assignations à résidence (1)
384-1 • L’état d’urgence a ouvert la possibilité, pour le Ministre de l’intérieur, d’assigner des personnes à résidence même si elles ne font pas l’objet d’une procédure judiciaire. Cette assignation pouvant s’effectuer à l’égard de personnes pour lesquelles il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics pour une durée maximale de de 12 mois. Elle peut s’accompagner d’une « assignation à domicile » dans la limite de 12 heures par 24 heures. Le Conseil constitutionnel a, une première fois, jugé la procédure conforme à la constitution (CC, n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric D. précité, voir, par ex., S. Degirmenci, « Une validation sinueuse de l’assignation à résidence en état d’urgence doublée d’un appel renforcé au contrôle du juge administratif », Revdh 2015, décembre, https://journals.openedition.org). L’état d’urgence s’inscrivant dans la durée, la question du renouvellement des assignations s’est posée. Les modalités définies par le législateur ont fait l’objet de plusieurs QPC par lesquelles le juge constitutionnel a rappelé que la seule prolongation dans le temps n’a pas pour effet de modifier la nature de la mesure (CC, n° 2017-624 QPC, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. (Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II), § 7, JO, 17 mars 2017, texte n°67) ni de la rendre assimilable à une mesure privative de liberté au sens de l’article 66 C° même lorsqu’elle se prolonge dans le temps et qu’elle n’est pas limitée dans sa durée totale (CC, n°2017-674 QPC, 30 nov. 2017, M. Kamel D. (Assignation à résidence de l’étranger faisant l’objet d’une interdiction du territoire ou d’un arrêté d’expulsion), JO, 2 décembre 2017, texte n°75). Mais il rappelle que l’astreinte à domicile définie plus haut pourrait, à l’inverse, être privative de liberté et pourrait porter atteinte à la liberté individuelle faute de contrôle possible du juge judiciaire si elle dépassait 12 heures par jour (§ 15).
Une consécration qui permet de clarifier la répartition des compétences dans le cadre du contrôle des mesures de police pour lutter contre le terrorisme : l’exemple des assignations à résidence (2)
384-2 • Il est très difficile pour le Conseil constitutionnel de trouver le bon équilibre entre les systèmes judiciaires et administratifs ou entre l’objectif de prévention des infractions et celui de respect des droits fondamentaux. Ce dernier a été amené à se prononcer, pour la première fois, sur les assignations à résidence de droit commun désormais inscrites dans le code de la sécurité intérieure. Il a validé le cadre général du dispositif mais a sanctionné certaines modalités des recours prévus devant le juge administratif (CC, n°2017-691 QPC, 16 février 2018, M. Farouk B. [Mesure administrative d’assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme], JO, 18 février 2018, texte n°27 ; la limite à un mois pour le recours devant le juge administratif doublé du délai de deux mois pour statuer tout comme la possibilité d’effectuer un référé liberté ont été jugé pas suffisamment protecteur). L’ensemble du raisonnement du juge constitutionnel et la censure partielle à la laquelle il a abouti étant plus que discuté (Voir, par ex., P. Rrapi, « La mise en scène de l’Etat de droit », 20 mars 2018, https://blog.juspoliticum.com ; S. Pellé, « Censure partielle de la nouvelle mesure administrative d’assignation à résidence : à la recherche de l’impossible équilibre en matière de lutte contre le terrorisme ? », D. 2018, p. 830 et suiv.) même si le juge a apporté plus de garanties en confirmant les 12 mois de durée de la mesure comme un seuil à ne pas dépasser ou en censurant l’insuffisance du contrôle juridictionnel alors opéré.
iv) Une consécration qui permet de clarifier la répartition des compétences dans le cadre du contrôle des mesures de police prises pour lutter contre la Covid-19
384-3 • Le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions a mis en place deux régimes de confinement forcé : la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affecté par la Covid 19 et l’isolement des personnes affectées pour une durée initiale maximale de 14 jours renouvelable dans la limite d’un mois. Ces deux régimes ont été contesté principalement au titre de l’article 66 C° devant le Conseil constitutionnel. Pour répondre, ce dernier a transposé le raisonnement suivi pour les assignations à résidence lors de l’état d’urgence sécuritaire (CC n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., cons. 6 précité) et jugé que ces mesures ne sont pas nécessairement privatives de libertés au sens de l’article 66 C° et ne rentrent pas dans le champ de la liberté individuelle sauf lorsqu’elles se traduisent par l’isolement complet de la personne en application d’une interdiction de toute sortie ou « lorsqu’elles imposent à l’intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d’hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour » (CC, n°2020-800 DC, 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, JO, 12 mai 2020, texte n°2, §33 ; voir, par ex., V. Sizaire, « Consolidation du domaine de la liberté », Revdh 2020, mai, https://doi.org/10.4000/revdh.9437 ou M. Verpeaux, « Le Conseil constitutionnel sauve l’essentiel », AJDA 2020, p. 1242 et suiv.). Pour autant, le contrôle de toutes ces mesures a été confié au juge judiciaire. Ce dernier voyant même son contrôle étendu à l’ensemble des mesures de surveillance sanitaire, même lorsqu’elles n’imposent qu’un isolement partiel faisant naitre un nouveau bloc de compétence mais cette fois au détriment du juge administratif (voir, en ce sens, A. Pena, « La liberté individuelle face au Covid-19 : l’adaptation des garanties de l’article 66 de la Constitution aux circonstances d’urgence sanitaire », (1ère partie) LPA 2020, 1erdécembre, n°155, p.8 et suiv. et (2nde partie, suite et fin) LPA 2020, 2 décembre, n°158, p. 9 et suiv.).
v) Une consécration qui n’enlève pas tous les doutes quant à la répartition des compétences : l’exemple du contrôle des mesures de sureté
384-4 • Le législateur a, récemment, fait le constat que certaines personnes condamnées pour terrorisme, tout en arrivant au bout de leur détention dans les années à venir, continuaient de présenter un sérieux risque de récidive. Pour pallier à ce risque, il a été proposé une nouvelle section dans le Code de procédure pénale portant sur les « mesures de sûreté applicables aux auteurs d’infractions terroristes ». Les personnes concernées devant, une fois libérées, respecter un certain nombre d’obligations (répondre à des convocations, le suivi d’une formation professionnelle, la nécessité de l’obtention d’une autorisation d’un juge pour tout déplacement à l’étranger ou encore le fait de ne pas entrer en relation avec certaines personnes ou se rendre en certains lieux, etc…). Ce sont ces mesures qui ont été censurées par le juge constitutionnel (CC, n°2020-805 DC, 7 août 2020, Loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, JO, 11 août 2020, texte n°4) au visa de l’article 9 DDHC pour atteinte disproportionnée à la liberté personnelle, faisant dire à certains qu’ « une fois n’est pas coutume – on en avait en tout cas perdu l’habitude ! -, la sécurité n’a pas brisé la liberté » (G. Beaussonie, « Une goutte de sûreté dans un océan de sécurité », D. 2020, p. 1869 et suiv. ; voir aussi J. Pradel, « Le législateur foudroyé par les juges constitutionnels », D. 2020, p. 1853 et suiv.). Le Conseil y a appliqué la distinction, désormais classique entre « liberté individuelle » et « liberté personnelle » mais en y excluant, dans le cas d’espèce, le droit au respect de la vie privée et en la limitant, a priori, à la liberté d’aller et venir amenant à « résumer la liberté personnelle à celle d’aller et de venir » et, ainsi, à « confondre contenant et contenu » ( A. Botton, « La liberté « personnelle » appliquée aux mesures de sûreté » RSC 2020, p. 986 et suiv. ; voir aussi, V. Goesel-Le Bihan, « La liberté personnelle dans la décision n° 2020-805 DC : entre continuité et innovation », AJDA 2020, p. 1817 et suiv.). Si le Conseil précise aussi, toujours de manière classique, que la mesure envisagée n’est « ni une peine ni une sanction ayant le caractère d’une punition » (cons. n°9) pour éviter l’application du principe de nécessité, la question se pose de savoir comment le juge constitutionnel va gérer, dans le futur, la distinction entre peine et mesures de sureté (Voir, par ex., C. Duvert, « Qu’est-ce qu’une peine ? », D. 2020, p. 2407 et suiv. ; G. Beaussonie, « L’essor des lois pénales inconstitutionnelles », RSC 2021, p. 975 et suiv.).
2 – La remise en cause législative et le phénomène des autorités de régulation
385 • Il y a aujourd’hui, chez le législateur, une tendance générale à faire protéger certains secteurs sensibles de l’économie, où les droits et libertés sont particulièrement menacés, par des organismes quasi-juridictionnels censés incarner une forme spécifique d’autorité administrative plus indépendante et autonome vis-à-vis du pouvoir exécutif. Leur apparition sur la scène juridique, il y a une trentaine d’années (instauration de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (JO, 7 janvier 1978, p. 227) relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés), a opéré une rupture dans la tradition administrative française, fondée sur le principe hiérarchique et la dépendance de l’administration vis-à-vis de l’autorité politique. Parmi les justifications essentielles qui ont pu être avancées pour leur création, figure le souci « d’offrir à l’opinion une garantie d’impartialité renforcée des interventions de l’Etat » (Conseil d’Etat, Étude sur les Autorités administratives indépendantes, EDCE 2001, n° 52, p. 275). Autrement dit, la mise en place de ces autorités a souvent répondu au besoin de protéger les libertés dans une perspective où l’intervention de l’Etat est à la fois redoutée et recherchée par des méthodes non-conventionnelles.
a) Une mise en place souvent justifiée par la protection des droits et libertés
i) Des créations aléatoires et dans l’urgence pour résoudre des crises politiques : la CNCCFP et la CNCIS
386 • Au fil des ans, ces AAI ont proliféré sans ligne directrice ni plan d’ensemble et, alors qu’elles étaient plutôt considérées comme une solution à part ou ponctuelle dans le dispositif institutionnel, elles sont devenues « le » remède universel contre tous les maux, capable de résoudre tous les problèmes et ralliant (presque) tous les suffrages. Certaines de ses autorités sont nées au hasard de l’actualité et des intentions du Gouvernement. A un problème donné, jugé généralement sensible, on répond par une AAI chargée de gérer la situation. Plusieurs d’entre elles sont nées suite à un problème politique auquel il a fallu apporter, dans l’urgence souvent, une réponse adéquate et proportionnée. On peut citer, à titre d’exemple, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) créée en 1990 (loi n°90-55 du 15 janvier 1990 (JO, 16 janvier 1990, p. 300) relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques) dans le contexte des procès sur le financement illégal des partis politiques (Cf. l’affaire Urba du nom d’un bureau d’étude qui percevait des fausses factures liées à l’attribution de marchés publics à hauteur de 2 à 4 % du montant des marchés concernés, le montant lié à ces fausses factures servait à financer de manière occulte le parti socialiste). On peut aussi citer la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) créé en 1991 (loi n°91-646 du 10 juillet 1991(JO, 13 juillet 1991, p. 9167) relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques) pour compenser la dangerosité du dispositif d’interception mis en place vis-à-vis des libertés et sur fond de scandale des écoutes de l’Elysée (écoutes menées et enregistrées de façon illégale entre 1983 et 1986 par la cellule antiterroriste de l’Elysée de 1983 à 1986 sur 3000 conversations concernant 150 personnes).
ii) Des créations aléatoires et dans l’urgence pour résoudre des crises politiques : un secteur de la surveillance des personnes particulièrement propice (1)
387 • Le législateur a modifié en 2015 (loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015(JO, 26 juillet 2015, p. 12735) relative au renseignement) le cadre de la surveillance des personnes. Elle a étendu les pouvoirs des services de renseignement mais a créé, en compensation, un contrôle plus large de leur activité. Ce contrôle passe par la création d’une nouvelle AAI, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) en organisant, pour la toute première fois, un contrôle juridictionnel de la mise en œuvre des techniques de renseignement et des fichiers intéressant la sûreté de l’Etat (art. L. 841-1 et L. 841-2 CSI et art. L. 773-1 et suiv. CJA). Le texte légalise des pratiques permettant à l’autorité publique de déroger aux principes du secret des correspondances et de protection des données personnelles « dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi, dans les limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité » (art. L. 801-1 CSI). La mise en œuvre des pratiques de renseignement est soumise à autorisation préalable du 1erministre (art. L. 821-1 CSI) après avis de la CNCTR (sauf dans les cas d’urgence absolue). L’innovation majeure du point de vue des garanties dont peut faire preuve la CNCTR est la possibilité qui lui est donnée de saisir le Conseil d’Etat notamment « lorsque le Premier ministre ne donne pas suite aux avis ou aux recommandations de la Commission ou que les suites qui y sont données sont estimées insuffisantes » (art. L. 833-8 CSI) le Conseil d’Etat jugeant par le biais d’une formation de jugement spécialisée au sein du Conseil d’Etat, dont les membres sont habilités ès qualités au secret de la défense nationale (art. 773-3 CJA, voir, par ex., A. Meynaud-Zeroual, « Le contentieux du renseignement : un contre-exemple ? », AJDA 2020, p. 226 et suiv.). Si elle estime qu’une illégalité serait en mesure de constituer une infraction, la CNCTR peut également saisir le procureur de la République après avoir demandé l’avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) sur la possibilité de déclassifier les éléments de l’affaire (art. L. 861-3 al. 2 CSI). Cette CCSDN est une autre AAI qui a été créé en 1998 pour contrôler les demandes de déclassification des actes couverts par le secret national pour que le juge puisse, le cas échéant, les contrôler.
Des créations aléatoires et dans l’urgence pour résoudre des crises politiques : un secteur de la surveillance des personnes particulièrement propice (2)
387-1 • Il n’est pas rare que les prérogatives existant pour prévenir les attaques terroristes soient couvertes par la notion de « secret de la défense nationale » (par décisions de classement du 1er ministre ou d’un ministre). Le juge s’interdit traditionnellement d’exiger la communication d’un acte couvert par un tel secret (CE, Ass., 11 juin 1955, Secrétaire d’Etat à la guerre contre Coulon, req. n°34036, Rec. CE, p. 149). Il peut toutefois, exceptionnellement, demander la déclassification des documents et il l’obtient parfois (CE, Sect., 11 mai 1962, Sieur Foucher-Créteau, Rec. CE, p. 319, concl. G. Braibant). Depuis 1998 (loi n°98-567 du 8 juillet 1998 (JO, 9 juillet 1998, p. 10488) instituant une Commission consultative du secret de la défense nationale), la CCSDN peut être saisie des demandes de déclassification même si son avis ne lie pas le ministre. Il faut relever, dernièrement, une future réforme applicable au « secret de la défense nationale » qui entrera en vigueur le 21 juillet 2021 (Décret n°2019-1271 du 2 décembre 2019 (JO, 3 décembre 2019, texte n°10) relatif aux modalités de classification et de protection du secret de la défense nationale et Arrêté du 13 novembre 2020 (JO, 15 novembre 2020, texte n°4) portant approbation de l’instruction générale interministérielle no 1300 sur la protection du secret de la défense nationale) qui va dans un sens contraire à la dynamique jusque-là existante dans le cadre de la procédure de déclassification des documents classifiés depuis plus de 50 ans. Les documents « communicables de plein droit » après les 50 ans seraient désormais toujours communicables « de plein droit » mais seulement après une décision préalable de déclassification par l’autorité compétente transformant, pour certains, par une « fascinante alchimie administrative » un document « « communicable de plein droit » en « librement incommunicable » » (F. Rolin et N. Wagener, « Archives classées secret défense : « communicables de plein droit » ou « librement incommunicables » ? », AJDA 2021, p. 297 et suiv. ; voir, dans le même sens, T. Desmoulins, « Vers une politisation du secret défense ? Illustrations récentes depuis le Conseil de défense jusqu’aux Archives », 2 avril 2021 https://blog.leclubdesjuristes.com). Le Conseil d’Etat continue lui, pourtant, à libéraliser le régime en la matière (Cf. L’ouverture dérogatoire, avant le délai de cinquante ans, des archives sur le génocide des Tutsi au Rwanda : CE, Ass., 12 juin 2020, François Graner, req. n° 422327, AJDA 2020, p. 1416, chron. C. Malverti et C. Beaufils, Dalloz actualité 2020, 17 juin, obs. J.-M. Pastor).
iii) Des créations aléatoires et dans l’urgence pour résoudre des crises politiques : la CNDS et la HATVP
388 • Parmi les créations urgentes et aléatoires pour résoudre une crise politique, il faut citer la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) créée en l’an 2000 (loi n°2000-494 du 6 juin 2000 (JO, 7 janvier2000, p. 8562) portant création d’une Commission nationale de déontologie de la sécurité). Elle est apparue à point nommé comme un préalable au renforcement des pouvoirs des forces de sécurité en France (tel que réalisé, par exemple, par la loin°2001-1062 du 15 novembre 2001 (JO, 16 novembre 2001, p. 18215) relative à la sécurité quotidienne, Cf. S. Gouhier, La déontologie de la sécurité sous surveillance d’une autorité administrative indépendante [Une loi pour rassurer les citoyens ?], RFDA 2002, p. 384). Cette commission a, aujourd’hui, disparu sachant que, depuis le 1er mai 2011, c’est le Défenseur des droits qui exerce ces missions. Enfin, de façon plus récente, il est manifestement connu que les débats parlementaires autour de la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en 2013 (Loi organique n° 2013-906 du 11octobre 2013 (JO, 12 octobre 2013, p. 16824) relative à la transparence de la vie publique et loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 (JO, 12 octobre 2013, p. 16829) relative à la transparence de la vie publique) ont eu lieu sous l’influence de l’affaire « Cahuzac » (mis en avant par Médiapart en 2012 suite à la révélation de l’existence d’un compte en Suisse non déclaré que possédait le Ministre). La HATVP ayant précisément pour mission principale le contrôle des déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale des responsables publics. Une instance de contrôle existait pourtant déjà : la Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTFVP) créée en 1988 (loi n° 88-227 du 11 mars 1988 (JO, 12 mars 1988, p. 3290)relative à la transparence financière de la vie politique). Celle-ci avait également été fondée à la suite d’une affaire juridico-politique (une vente illégale d’armes à l’Iran qui aurait été couverte par le ministre de la Défense d’alors). Cette commission, sans moyens juridiques et matériels pour agir, ne pouvait néanmoins compter que « sur la bonne foi des déclarants ».
b) Une importance renouvelée par le contexte sécuritaire et la nécessité de réguler Internet
i) Les créations initiales d’HADOPI et de l’ARCEP
389 • L’un des derniers secteurs symptomatiques de la recrudescence des AAI est celui de la régulation d’Internet. Le législateur a écarté à ce jour la création d’une autorité globale de régulation de l’Internet. Tout au plus, les pouvoirs publics ont suscité une forme d’autorégulation qui s’est traduite par l’élaboration de chartes de bonne conduite et, en 2000, d’un Forum des droits sur l’Internet. Si elle ne constitue pas à proprement parler une autorité de régulation globale, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI)(créée par l’article 5 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 (JO, 13 juin 2009, p. 9666) favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ; art. L. 331-12 à L. 331-45 CPI) doit être mentionnée dès lors qu’elle a été instituée pour encadrer des pratiques constatées sur Internet. Les fournisseurs de contenus audiovisuels utilisant un réseau doivent obtenir une autorisation qui est délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). A noter la discussion au mois de mai 2021 du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique destiné à fusionner le CSA et HADOPI pour former l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM). Le nouveau régulateur étant davantage centré sur le numérique, avec des pouvoirs plus étendus notamment sur le piratage avec la possibilité de créer des listes noires de sites facilitant le piratage et la mise en place de sanctions automatiques. Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) dont l’activité implique un service de téléphonie doivent, pour leur part, se déclarer auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) (créée par la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 (JO, 27 juillet 1996, p. 11384) de réglementation des télécommunications sous le nom d’Autorité de régulation des télécommunications (ART), ses compétences ont été étendues au secteur postal avec la loi n°2005-516 du 20 mai 2005 (JO, 21 mai 2005, p. 8825) de régulation des activités postales pour prendre le nom d’ARCEP, une dernière loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 (JO, 19 octobre 2019, texte n°1) relative à la modernisation de la distribution de la presse étendant la compétence de l’autorité à la distribution de la presse). Mais si le principe de liberté est la règle et si aucune contrainte juridique préalable n’est donc opposable aux utilisateurs et aux fournisseurs de contenu, c’est depuis les évènements liés aux derniers attentats terroristes et depuis la mise en place du contexte sécuritaire que se pose réellement la régulation d’Internet.
ii) Une régulation d’Internet qui se pose davantage depuis la mise en place du contexte sécuritaire : la création de la CNCTR (1)
390 • Les FAI doivent, pour les besoins d’une enquête pénale, conserver pendant un an des informations permettant d’identifier un utilisateur, les données relatives aux équipements de communication, aux destinataires et caractéristiques techniques de la communication ainsi qu’aux services complémentaires demandés ou utilisés (art. R. 10-13 CPCE). Pour des raisons identiques, le législateur impose une réquisition des données relatives à des utilisateurs d’Internet (loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 (JO 24 janv. 2006, p. 1129) relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers). La CNCTR (anciennement CNCIS) est ici saisie pour avis. De même, il y avait, dans la loi antiterroriste de 2014 (art. 12 de la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 (JO, 14 novembre 2014, p. 19162) renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme et décret n° 2015-125 du 5 février 2015 (JO, 6 février 2015, p. 1811) relatif au blocage des sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et des sites diffusant des images et représentations de mineurs à caractère pornographique), une disposition qui était particulièrement décriée, en particulier par le Conseil national du numérique. Pour ce dernier, elle est inadaptée et n’offre pas de garanties suffisantes en matière de libertés. La disposition concernée est celle du « blocage administratif », donc sans passage devant le juge judiciaire, des sites web qui n’auraient pas, dans un délai de 24 heures, retiré des contenus « provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie » (loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 (JO, 14 novembre 2014, p. 19162) renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme et insérant un art. 6-1 dans la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (JO, 22 juin 2004, p. 11168) pour la confiance dans l’économie numérique ; Voir, par ex., J.-Y. Monfort « Le blocage administratif des sites prévu dans la loi du 13 novembre 2014 de lutte contre le terrorisme », Legicom 2016, n°57, p. 69 et suiv. ou E. Dreyer, « Le blocage de l’accès aux sites terroristes ou pédopornographiques », JCP 2015, G, n° 423).
Une régulation d’Internet qui se pose davantage depuis la mise en place du contexte sécuritaire : le blocage administratif des sites internet (2)
391 • Pour empêcher l’accès aux sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, le ministère de l’Intérieur transmet la liste de leurs adresses électroniques aux FAI afin qu’ils procèdent, dans les 24 heures, à leur blocage. Sur demande du ministère de l’Intérieur, il est également prévu une procédure de déréférencement des moteurs de recherche ou d’annuaires des sites concernés dans les 48 heures. La loi de 2014 de lutte contre le terrorisme a fait l’objet d’un consensus parlementaire et à échapper à la saisine du Conseil constitutionnel. Le « blocage administratif » de sites internet continue, néanmoins, à soulever des interrogations au regard du principe de liberté de communication (C. Godeberge et E. Daoud, « La loi du 13 novembre 2014 constitue-t-elle une atteinte à la liberté d’expression ? De la nouvelle définition de la provocation aux actes de terrorisme et apologie de ces actes », AJ Pénal 2014, p. 563 et suiv. ; X. Latour, « La lutte contre les sites djihadistes et la liberté de communication », JCP 2018, A, n°2056). A noter que le juge administratif de première instance a, pour la 1ère fois, dans le contexte du procès de l’affaire dites du « Quai de Valmy » (voiture de police brûlée en mai 2016 en plein mouvement social contre la loi Travail), levé le blocage d’un site internet (annulation du retrait et du déréférencement de plusieurs contenus figurant sur le site « Indymedia » pour condamner les propos revendiquant de nombreux incendies volontaires de véhicules appartenant à la police municipale ou à la gendarmerie) (Cf. TA Cergy-pontoise, 4 février 2019, M. N., req. n°1801344, DA 2019, n°4, alerte n°61).
iii) Une régulation d’Internet qui se pose davantage depuis la mise en place du contexte sécuritaire : le contrôle d’une personnalité qualifiée de la CNIL
392 • La mission de lister les demandes de retrait des contenus et les sites à bloquer, via les FAI, ou à déréférencer, a été confiée à l’Office central de lutte contre les criminalités liées aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), déjà en charge de Pharos, la plateforme de signalement de contenus suspects ou illicites du Ministère de l’Intérieur (https://www.internet-signalement.gouv.fr). En aval et afin d’éviter toute mesure qui serait disproportionnée ou abusive, le contrôle a été confié non pas, comme le prévoyait le projet de loi initial, à «un magistrat de l’ordre judiciaire désigné par le ministre de la Justice», mais à une « personnalité qualifiée » de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) (le 29 janvier 2015, les membres de la CNIL ont désigné M. Alexandre Linden, conseiller honoraire à la Cour de cassation et membre de la CNIL depuis février 2014, pour remplir cette mission, il a présenté son 5ème rapport d’activité (2 février – 31 décembre 2019) le 28 mai 2020). La personnalité qualifiée doit vérifier le bien-fondé des demandes de retrait de contenus et de blocage formulées par l’OCLCTIC, s’assurer, aussi, des conditions d’établissement, de mise à jour, de communication et d’utilisation de la liste des sites bloqués ou déréférencés et établir des rapports d’activité dont le premier a été publié en février 2016. Par ailleurs, la législation relative à l’état d’urgence (art. 11 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 (JO, 7 avril 1955, p. 3479) instituant un état d’urgence et en déclarant l’application en Algérie dans sa rédaction tirée de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 (JO, 22 juillet 2016, texte n° 2) prorogeant l’application de la loi et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste), autorise le Ministre de l’intérieurà prendre toutes les mesures afin d’assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Et ceci, en passant outre la procédure mise place par la loi de 2015.
iv) Une régulation d’Internet qui se pose davantage depuis la mise en place du contexte sécuritaire : l’exemple de la lutte contre les discours de haine en ligne
392-1 • Avec les attentats terroristes, le côté exacerbé, totalement extrême ou sans limites des discours tenus sur Internet ou encore la nouvelle montée de l’antisémitisme, le gouvernement français a fait de la lutte contre les discours de haine en ligne une préoccupation politique majeure. L’objectif est la mise en place d’une plus grande responsabilité des plateformes et le développement de la lutte contre l’impunité des responsables des discours haineux, la proposition de loi Avia devait être une étape marquante des nouveaux équilibres mis en place mais le Conseil constitutionnel a censuré une grande partie de ses dispositions (CC, n°2020-801 DC, 18 juin 2020, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, précité). Si la création d’un parquet spécialisé ou d’un observatoire de la haine en ligne n’ont pas été remis en cause, l’obligation pour les plateformes de retirer, sous une heure, les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique notifiés par l’autorité administrative et l’obligation de retirer sous 24 heures les contenus haineux manifestement illicites signalés par un internaute, ont été censurées (ainsi que d’autres dispositions directement en lien). Suite à cette décision, le chemin à suivre s’avère « étroit et escarpé » entre « un statu quo qui entérinerait une forme d’impuissance publique et une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression » et les « outils juridiques obsolètes » pour « combattre efficacement l’hydre de la haine » (F. Potier, « Le chemin escarpé de la lutte contre la cyberhaine », Dalloz IP/IT 2020, p. 542 et suiv.) mais comme le mentionne un avis sur la lutte contre les discours de haine sur internet de la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), il est donc « nécessaire de disposer d’une instance susceptible d’agir préventivement et d’apporter une réponse rapide et adaptée […] de confier à une autorité administrative indépendante (AAI), existante ou à créer, une mission générale de protection des droits et libertés du numérique » (JO, 10 juillet 2015, texte n°125) (voir aussi : K. Favro et C. Zolynski, « Penser la régulation à l’ère des conversations », Mélanges Vivant, Paris, Dalloz, 2020, p. 121 et suiv. ; K. Favro, Droit de la régulation des communications numériques, Paris, LGDJ, coll. Systèmes, 2018). Deux textes sont en préparation au niveau européen : le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) (Voir, B. Ader, « Confinée, l’Europe se réveille dans la lutte contre les contenus digitaux illicites », Légipresse 2020, p. 641 et suiv.). Ils prennent en compte la proposition de loi Avia revue et corrigée par le Conseil constitutionnel et rappellent l’importance de la mise en place d’un régulateur, élément sur lequel la France a déjà œuvré à travers la fusion future du CSA et d’HADOPI, celle-ci devant faire naitre prochainement la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM).
c) Un champ d’intervention qui ne cesse de s’étendre et un rôle de substitut au juge
i) Un champ d’intervention qui s’étend jusqu’à l’économie de marché
393 • Le champ d’intervention des AAI ou autorités publiques indépendantes (API) n’a cessé de s’étendre provoquant de multiples désordres et si, à plusieurs reprises dans leur brève histoire, des mises en garde ont été formulées à ce sujet (Rapport n°126 Jacques Mézard sur Le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes déposé le 28 octobre 2015, la loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017 (JO, 21 janvier 2017, texte n° 1) relative aux AAI et autorités publiques indépendantes (API) et la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 (JO, 21 janvier 2017, texte n°2) portant statut général des AAI et des API reprennent les onze propositions formulées par la commission d’enquête sénatoriale et visent à fixer, enfin, un statut général des 26 AAI et API), on peut dire, aujourd’hui, que tous les secteurs de l’action publique sont concernés, y compris ceux qui correspondent à des prérogatives régaliennes de l’Etat classique. Les droits des administrés font ainsi l’objet d’une attention particulière, qu’il s’agisse de leur domaine traditionnel d’élection (respect de la vie privée, transparence administrative) ou de nouveaux secteurs où une protection s’impose (comme la sûreté et la sécurité). Les AAI ont même gagné de nouveaux territoires que l’on pouvait penser inaccessibles comme le champ de la régulation de l’économie de marché qui représente sans doute la manifestation la plus spectaculaire de cette nouvelle manière d’être de la puissance publique, la régulation traduit le souci d’organiser la liberté économique sur des segments d’activité récemment ouverts à la concurrence, tout en s’assurant que les exigences du service public ou d’autres impératifs d’intérêt général ne sont pas négligés : Autorité des marchés financiers(AMF), Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Autorité de la concurrence (AC), Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’ARCEP ou, plus récemment, l’Autorité de régulation des transports (ART) en sont les archétypes.
ii) Des autorités reconnues comme étant des juridictions
394 • Au-delà de la perturbation des équilibres institutionnels, les AAI ont aussi et surtout été envisagées comme des substituts au juge. Dans un 1er temps, le Conseil constitutionnel s’est refusé à voir ces autorités comme des juridictions (CC, n° 89-271 DC, 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, JO, 13 janvier 1990, p. 573, Rec. CC, p. 21), fidèle en cela au rattachement qu’il faisait de ces autorités à l’exercice du pouvoir exécutif. Par la suite et dans un 2nd temps, il s’est rallié aux exigences de la jurisprudence européenne. Prenant acte de la coloration juridictionnelle qui entoure une partie de leurs décisions, le juge constitutionnel s’est résolu à imposer une stricte séparation entre l’autorité de poursuite et la formation de jugement au sein des AAI ou autorités de régulation lorsqu’elles infligent une sanction administrative (à propos de l’ARCEP : CC, n° 2013-331 QPC, 5 juillet 2013, Société Numéricâble SAS et autres, JO, 7 juillet 2013, p. 11356, Rec. CC, p. 876). Jugé plus efficace et rapide que la répression pénale devant l’autorité judiciaire, le recours aux sanctions administratives confiées à des autorités indépendantes du Gouvernement a prospéré. Ce mouvement devrait encore aller plus loin dans la mesure où, jusqu’à présent, il faisait coexister action pénale et sanction administrative, ce qui n’est plus le cas grâce à une décision récente du juge constitutionnel interdisant de réprimer par une sanction pénale et une sanction administrative distincte le même comportement (à propos de l’AMF : CC, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, 18 mars 2015, M. John L. et autres, JO, 20 mars 2015, p. 5183). La répression administrative devrait, de la sorte, être privilégiée. Cette substitution de sanctions administratives à des sanctions pénales a pour effet de transférer des pans du contentieux de l’autorité judiciaire vers la juridiction administrative, juge naturel de l’excès de pouvoir dans l’exercice des prérogatives de puissance publique.
3 – La remise en cause juridictionnelle en matière de voie de fait et de rétention administrative des étrangers
a) Le nouvel équilibre réduisant les cas de voie de fait et la compétence du juge judiciaire
i) La décision du Conseil d’Etat « Commune de Chirongui »
395 • La tendance visant à rééquilibrer la fonction de protecteur des libertés vers le juge administratif se retrouve aussi à travers l’activité juridictionnelle classique notamment en ce qui concerne la mise en application, par le juge, du nouvel équilibre dans la théorie de la voie de fait. C’est d’abord le Conseil d’Etat qui, en se servant de règles plus souples en matière de référé dans le cadre de la répartition des compétences entre les deux ordres, a commencé à agir sur des situations relevant normalement de la voie de fait et de la compétence du juge judiciaire. La loi du 30 juin 2000 (loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 (JO, 1er juillet 2000, p. 9948) relative au référé devant les juridictions administratives) avait, dès son entrée en vigueur, combinée la compétence légale du juge du référé liberté avec celle du juge judiciaire en matière de voie de fait en limitant la compétence du 1er nommé aux atteintes commises par l’Administration « dans l’exercice de l’un de ses pouvoirs » (art. L. 521-2 CJA). Cette limitation implicite avait été actée par le Tribunal des conflits qui a souscrit à la lettre de la loi en rappelant que la nouvelle loi ne conduit pas à l’abandon de la voie de fait et qu’il n’y a voie de fait que dans les cas « où l’administration, soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets à la condition toutefois que cette décision soit manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative » (TC, 23 octobre 2000, Préfet de police contre Boussadar, req. n°3227, Rec. CE, p. 775, D. 2001, p. 2332, concl. J. Sainte-Rose). Dans une espèce où l’engagement de travaux semblait manifestement insusceptible de se rattacher au pouvoir appartenant à l’autorité administrative et était donc susceptible de voie de fait, le juge administratif s’est néanmoins déclaré officiellement compétent à faire cesser la situation de voie de fait à travers la procédure du référé liberté (CE, ord., 23 janvier 2013, Commune de Chirongui, req. n°365262, Rec. CE, p. 6, AJDA, 2013, p. 788, chron. A. Bretonneau et X. Domino, DA 2013, n°24, note S. Gilbert, JCP 2013, A, n° 2047, note H. Pauliat, n°2048, note O. Le Bot, RFDA, 2013, p. 299, note P. Delvolvé). Il avait fait de même, quelques temps auparavant, par la voie du référé conservatoire (CE, 12 mai 2010, M. Alberigo, req. n° 333565, Rec. CE, tables, p. 904).
ii) La confirmation du Tribunal des conflits : la décision « Bergoend »
396 • Le Conseil d’Etat a élargi le champ d’application du référé liberté à la voie de fait de manière à rompre avec le régime strict qui était jusque-là assigné à cette dernière. Le Tribunal des conflits a confirmé l’orientation ainsi choisie. Ce fut le cas six mois plus tard par la décision « Bergoend » (TC, 17 juin 2013, Bergoend contre Société ERDF Annecy Leman, req. n°3911, Rec. CE, p. 370, AJDA, 2013, p. 1568, chron. X. Domino et A. Bretonneau, JCP 2013, A, n°1057, obs. S. Biagini-Girard et n°2301, obs. C.-A. Dubreuil, RJEP 2013, oct., p. 38, note B. Seiller. obs. C.-A. Dubreuil, DA 2013, comm. n°86, obs. S. Gilbert). La décision a confirmé la redéfinition plus stricte des contours de la voie de fait en limitant l’application de la théorie à l’atteinte à la liberté individuelle. L’atteinte au droit de propriété devant être tellement grave qu’elle entraine ipso facto l’extinction de la théorie dans ce cadre. La Cour de cassation a rapidement tiré toutes les conséquences du changement de perspective et de la compétence conséquente limitée du juge judiciaire en la matière (Cass., 1ère civ., 13 mai 2014, req. n°12-28.248, JCP 2014, G, n°1129, chron. H. Pétrinet-Marquet ; Cass., 1ère civ., 15 octobre 2014, req. n° 13-27.484 ; Cass., 1ère civ., 11 mars 2015, req. n°13-24.133, D. 2015, note N. Reboul-Maupin). Peu après l’arrêt Bergoend, le Tribunal des conflits a aussi été amené à reconsidérer la distinction classique en matière d’emprise irrégulière, puisque, désormais, que ce soit en cas d’emprise régulière ou irrégulière le juge administratif sera compétent pour faire cesser et réparer l’atteinte (TC, 9 décembre 2013, Époux Panizzon contre Commune de Saint-Palais-sur-Mer, req. n° 3931, AJDA 2013, p. 2519, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, RFDA 2014, p. 61, note P. Delvolvé, RDI 2014, p. 171, note N. Foulquier). Le juge judiciaire ne sera compétent que dans les cas où l’atteinte entrainera l’extinction du droit de propriété, seuls cas relevant alors de la voie de fait.
iii) La persistance d’une certaine confusion après le nouvel état du droit
396-1 • La Cour de cassation a, suite au nouvel état de la jurisprudence, écarté, de manière systématique, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire dans les cas où, malgré une atteinte à la propriété privée par l’Administration, il n’en ressortait pas pour autant l’extinction de celle-ci (Cass., 1ère civ., 13 mai 2014, n° de pourvoi : 12-28248, Bull. civ. I, n° 87 ; Cass., 3èmeciv., 11 mars 2015, n° de pourvoi : 13-24133, Bull. civ. III, n° 32 ; Cass., 1ère civ., 9 décembre 2015, n° de pourvoi : 14-24880, Bull. civ. I, n°313 ; Cass. 1ère civ., 15 juin 2016, n° de pourvoi : 15-21628, Bull. civ. I, n° 134 ; Cass., 3e civ., 18 janvier 2018, n° de pourvoi : 16-21993, Bull. civ. III, n°6). A noter, néanmoins, dans certains cas, une certaine discordance dans l’interprétation entre les juges de la Cour de cassation de la question de l’extinction définitive du droit de propriété. C’est le cas, par exemple, pour l’abattage, même sans titre, d’une haie implantée sur le terrain d’une personne privée qui en demande la remise en état qui pour la 1ère chambre civile (Cass. 1ère civ., 5 février 2020, n° de pourvoi : 19-11864) entraine une extinction du droit de propriété et la compétence du juge judiciaire alors que la 3ème chambre civile avait jugé en sens contraire (Cass. 3ème civ., 24 octobre 2019, n° de pourvoi : 17-13550) (Voir pour un rappel à une certaine unité de la part du juge judiciaire : J.-F. Barbièri, « Propriété privée et voie de fait : approches discordantes au sein de la Cour de cassation », LPA 2020, 11 mai, n°152 p. 15 et suiv. ; J.-P. Feldman, « La propriété privée : une garantie de la liberté qui doit être strictement défendue », D. 2020, p. 157 et suiv.).
b) Le nouvel équilibre en matière de rétention administrative des étrangers
i) Une intervention du juge judiciaire strictement définie
397 • La compétence du juge judiciaire a été limitée en matière de contentieux des étrangers en situation irrégulière et plus particulièrement en matière de rétention administrative. On a vu que l’intervention du juge judiciaire n’était requise qu’à une double condition : il faut une mesure qui prive d’abord véritablement un individu de toute liberté d’aller et venir (il ne faut pas une simple entrave) et il faut, ensuite, que la privation de liberté soit d’une durée suffisamment importante (CC, n°2011-631 DC, 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, JO, 17 juin 2011, p. 10306, Rec. CC, p. 252, cons. n°63 ; CC, n°92-307 DC, 25 février 1992, Loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, JO, 12 mars 1992, p. 3003, Rec. CC, p. 48, cons. n°13 à 16). Si les conditions ne sont pas réunies, c’est le juge administratif qui est compétent. Le juge judiciaire est notamment compétent, en vertu de cette doctrine, pour la prolongation du placement en zone d’attente (art. L. 222-2 CESEDA) ou pour la prolongation du placement en rétention administrative (art. L. 551-2 CESEDA) à laquelle il faut rajouter, on l’a vu, dans l’optique d’une bonne administration de la justice, la question la légalité du placement en rétention depuis la loi du 7 mars 2016 précitée.
ii) Une compétence exclusive du juge judiciaire pour mettre fin à la rétention administrative
398 • En matière de rétention administrative, on a pu voir que le législateur avait mis en place une procédure spéciale, s’appliquant en lieu et place des voies procédurales communes (dont le référé liberté), fondée sur une compétence complémentaire et successive entre les deux ordres de juridiction. Le juge administratif (« juge des 72 heures ») intervenant en 1er, le cas échéant, pour épuiser le contentieux de la légalité avant que n’intervienne, en 2nd, le JLD sur les questions de prolongation de la mesure. Le Tribunal des conflits a validé cet état de fait en affirmant la compétence exclusive du juge judiciaire pour mettre fin à la rétention administrative dans le cadre d’un conflit négatif de compétence (TC, 9 février 2015, M. Mohammed H. contre Préfet de Seine et Marne, req. n°3986, Rec. CE, p. 309). Le requérant avait sollicité auprès du juge judiciaire, à l’origine de la prolongation de sa rétention, une mise en liberté au moyen de la disparition d’une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dont il faisait l’objet dans le délai restant à courir de la rétention. Le juge judiciaire se déclara alors incompétent pour « pour apprécier la condition de délai de mise en œuvre de la mesure d’éloignement ». Le juge administratif des référés déclina aussi sa compétence au motif que « que le maintien en rétention résultait d’une décision du juge judiciaire et que le CESEDA attribuait compétence à ce dernier pour y mettre fin ». Le Tribunal a estimé « […] qu’il appartient au juge judiciaire de mettre fin, à tout moment, à la rétention administrative, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient […] et qu’il « est seul compétent pour mettre fin à la rétention lorsqu’ elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit » (décision précitée).
iii) La possibilité néanmoins de faire un référé liberté pour contester la décision de placement en rétention
399 • Le Conseil d’Etat a remis en cause cette vision complémentaire et successive de l’intervention des deux juges en dépit de la motivation claire adoptée quelques mois auparavant par le Tribunal des conflits tout comme le juge des référés à la même période (CE, ord., 19 janvier 2015, Kulasingam, req. n°387189). La jurisprudence paraissait pourtant claire et sans aucune dérogation. Les procédures de droit commun du CJA en matière de référé ne sont pas accessibles aux étrangers dès lors que le CESEDA a mis en place des procédures spéciales. Le juge administratif suprême a même, clairement, affirmé le caractère exclusif de la procédure en 2014 en prononçant l’irrecevabilité d’un référé suspension et fermant, par la même occasion, pour l’avenir, toute possibilité de former un quelconque référé à l’encontre d’une mesure d’éloignement, de placement en rétention ou d’assignation à résidence (CE, 6 octobre 2014, Ministre de l’intérieur, req. n°381573, AJDA 2014, p. 2399). Cela ne l’a pas empêché, au final, d’admettre une dérogation, certes exceptionnelle, mais dérogation quand même, qui offre la possibilité à un étranger placé en rétention administrative, de former un référé liberté afin de contester la décision de placement en rétention ainsi que l’obligation de quitter le territoire (OQTF) qui en constitue le fondement (CE, 11 juin 2015, Ministre de l’intérieur contre Khizaneishvili, req. n°390704, JCP 2016, A, n°2076, note G. Marti, AJDA 2015, p. 1186, note D. Poupeau et p. 2042, note L. Fermaud). Cet assouplissement a été néanmoins encadré puisqu’il faut, pour admettre la recevabilité du référé liberté, que l’exécution de la mesure d’éloignement ait des effets qui « excèdent ceux qui s’attachent normalement à sa mise en exécution » et que soit constaté une atteinte grave et manifestement illégale que l’exécution de l’arrêté porterait à la liberté personnelle de l’intéressé. Il faut, en ce sens, que le requérant puisse démontrer un ou plusieurs « changements dans les circonstances de droit ou de fait » après que le juge ait statué ou que le délai prévu pour le saisir ait expiré soit, par hypothèse, après l’expiration du délai de compétence exclusive du « juge des 72 heures » et donc à l’intérieur de la période de compétence réputée exclusive du juge judiciaire. En l’espèce le requérant souffrait d’une hépatite C qui ne constituait pas en tant que telle un changement dans les circonstances de droit ou de fait contrairement à l’avis rendu par le médecin de l’ARS mettant en lumière un état de santé particulièrement dégradé ainsi que les conséquences dramatiques que pourrait avoir l’exécution de la mesure d’éloignement dans de telles circonstances.
iv) Une compétence parallèle supprimée au profit du juge judiciaire par la loi du 7 mars 2016 obligeant le juge administratif à s’incliner
400 • La compétence des deux juges est devenue parallèle dans le contentieux mentionné comme l’a confirmé le Conseil d’Etat en considérant que « l’intervention de la décision du juge des libertés et de la détention qui en a autorisé la prolongation ne prive pas d’objet les conclusions, présentées devant le juge administratif, tendant à l’annulation de la décision initiale de placement en rétention » (CE, 7 mars 2016, Mohamud, req. n°379971). La loi du 7 mars 2016 a mis fin néanmoins à cette évolution jurisprudentielle depuis le 1er novembre 2016, date de l’entrée en vigueur de la loi. Le contentieux lié à la décision de rétention des étrangers est transmis au juge des libertés et de la détention (JLD), seul juge devant lequel cette décision peut, désormais, être contestée (art. L 512-1 CESEDA). Le juge judiciaire maîtrise désormais tous les aspects de la rétention administrative des étrangers. L’objectif du législateur étant de créer un bloc de compétence judiciaire contrôlant les circonstances dans lesquelles l’étranger a été privé de liberté (de son interpellation jusqu’à son placement en rétention, ce qui inclue le contrôle de la légalité). Le droit au recours effectif est, de la sorte, préservé par le législateur (cf. CourEDH, 12 juillet 2016, A. M. contre France, req. n°56324/13, §42). Le Conseil d’Etat s’est incliné en reconnaissant que « la juridiction administrative cesse d’être compétente pour connaître de conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à cette rétention dès lors que la prolongation de cette rétention a été autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention […] », « […] le juge des libertés et de la détention est alors le seul compétent pour y mettre fin, soit à la demande de l’étranger, […], soit de sa propre initiative, […] » (CE, ord., 15 avril 2016, M. A. B. contre Préfet de la Manche, req. n° 398550). Si l’absence de pouvoirs conséquents du juge administratif peut parfois, comme on vient de le voir, justifier une compétence plus accrue du juge judiciaire ce n’est plus le cas aujourd’hui lorsqu’on procède à une approche plus générale de la protection. Tout est question d’une bonne administration de la justice pour éviter une sorte de déni de justice pour le justiciable.
v) La loi du 10 septembre 2018 et la confirmation du maintien de la compétence du juge administratif (1)
401 • Si le juge constitutionnel a validé le dispositif mis en place par la loi du 10 septembre 2018, c’est sous réserve que le juge judiciaire conserve la possibilité d’interrompre, à tout moment, le fait de prolonger le maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’intéressé, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient (CC, n°2018-770 DC, 6 septembre 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, JO, 11 septembre 2018, texte n°2, cons. n°75 et n°76). Au final, le juge administratif est toujours seul compétent pour statuer sur la légalité de la décision de maintien en rétention dans le cas où l’autorité administrative a estimé, sur le fondement de critères objectifs, que la demande d’asile est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement (art. L 556-1 du CESEDA) (il est également compétent pour statuer sur la légalité de la décision d’éloignement (OQTF), celle refusant un délai de départ volontaire, celle mentionnant le pays de destination ou encore celle visant l’interdiction de retour sur le territoire français ou l’interdiction de circulation sur le territoire français (art. 552-1 CESEDA). Par contre, le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur le recours contre la décision de placement en rétention (art. L 512-1 CESEDA), ainsi que sur la demande de prolongation de celle-ci (art. L. 552-1 CESEDA) avec, comme avantage, de se prononcer en principe avant le juge administratif (le juge judiciaire dispose désormais d’un délai de 48 heures, dans les deux cas mentionnés, pour statuer alors que le juge administratif doit prendre sa décision dans un délai de 96 heures à compter de l’expiration du délai de recours, au lieu des 72 heures auparavant).
La loi du 10 septembre 2018 et la confirmation du maintien de la compétence du juge administratif (2)
402 • Les réformes de 2016 et de 2018 n’ont pas totalement amené à l’unification du contentieux de la rétention. L’exception de l’article L. 556-1 CESEDA, qui amène à la compétence du juge administratif (lorsque l’étranger a déposé une demande d’asile en rétention, la décision du maintien en rétention peut être prise par le préfet et cette décision peut alors être contestée, dans un délai de 48 heures, devant le président du TA), persiste. La Cour de cassation a décidé que la décision du maintien en rétention prise par le préfet ne pouvait faire l’objet d’un contrôle par voie d’exception dans le cadre des compétences du JLD (contrôle du placement ou de la prolongation de la mesure) (Cass., 1ère civ., 6 mars 2019, n° de pourvoi : 18-13908, voir, par ex., S. Slama, « Rétention administrative : la Cour de cassation ne franchit pas le rubicond du contrôle de la légalité de la mesure d’éloignement par voie d’exception », Lexbase, Hebdo, éd. pub. 2019, n°477 ; Cass., 1èreciv., 27 septembre 2017, n° de pourvoi : 17-10207 et 17-10206). Cette interprétation du juge judiciaire a fait l’objet d’une QPC pour savoir si elle était conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment en ce qu’elle pouvait exclure la compétence du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle au titre de l’article 66 C° ou priver le requérant un droit au recours juridictionnel effectif eu égard à la complexité de la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif. Le juge constitutionnel a répondu par la négative (CC, n° 2019-807 QPC, 4 octobre 2019, M. Lamin J. [Compétence du juge administratif en cas de contestation de l’arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d’asile formulée en rétention], JO, 5 octobre 2019, texte n°59) faisant alors, pour certains, « primer la situation d’irrégularité sur celle de privation de liberté et sur celle de demandeur d’asile » (J. Schmitz, « Toujours à la recherche du gardien de l’article 66 de la Constitution », AJDA 2020, p. 412 et suiv.). La compétence du juge administratif n’est donc pas contraire à l’article 66 C° compte tenu des liens particulièrement étroits qui unissent la mesure en question avec la mesure d’éloignement du territoire dont le contentieux relève de la juridiction administrative. Il n’y a pas, en ce sens, d’obligation d’instituer, en la matière, un « bloc de compétence » en faveur du juge judiciaire (voir, sur cette question, P.-Y. Sagnier, « Le maintien en rétention du demandeur d’asile : le dualisme juridictionnel à l’épreuve des décisions administratives privatives de liberté », LPA 2020, 20 janvier, n°150, p. 7 et suiv.).
4 – Le mouvement d’extension du domaine de la police administrative suite aux mesures liées à l’état d’urgence « sécuritaire » et à la prévention des actes de terrorisme
403 • C’est normalement la police judiciaire, puis la justice pénale, qui est chargée d’assurer la poursuite des infractions pénales, par opposition à la police administrative, sous le contrôle du juge administratif, qui vise, pour sa part, à préserver l’ordre public (CE, sect., 11 mai 1951, Consorts Baud, req. n°2542, Rec. CE, p. 265, S. 1952, 3, p. 13, concl. J. Delvolvé, note R. Drago ; TC, 7 juin 1951, Dame Noualek, req. n°1316, Rec. CE, p. 636, concl. J. Delvolvé, S. 1952, 3, p. 13, concl. J. Delvolvé, note R. Drago). Les qualifications juridiques, d’infraction d’une part, de trouble à l’ordre public d’autre part, sont indépendantes. Si elles peuvent concerner les mêmes faits, ce n’est pas sous la même perspective. L’existence d’une infraction s’apprécie toujours par rapport au caractère intrinsèque d’un acte déterminé (CE, sect., 11 mai 1951, Consort Baud précité ; TC, 7 juin 1951, Dame Noualek précité), alors que l’atteinte à l’ordre public s’apprécie au regard des conséquences d’un acte, qui n’a pas une vocation particulière à être un acte déterminé même s’il peut l’être effectivement (TC, 19 octobre 1998, Bolle veuve Laroche, req. n° 3088, Rec. CE, p. 547) et indépendamment de son caractère infractionnel. Il incombe donc au juge de ne pas utiliser ces qualifications de manière indifférente.
a) La mise en place d’une répression administrative préventive pour lutter contre le terrorisme
i) Des autorités administratives qui peuvent prendre des mesures de nature à éviter des infractions pénales
404 • Malgré le cadre général précédemment défini, le juge administratif reconnait, depuis récemment, à l’autorité administrative, le pouvoir de prendre des mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commisesdéveloppant ainsi ce qu’on peut appeler un système de « prévention punitive ». (Sur le développement des mesures préventives liberticides et l’apparition d’une « prévention punitive », voir B. E. Harcourt, « Preventing Injustice », Mélanges Lazerges, Paris, Dalloz, 2014, p. 633 ; C. Lazerges, « Dédoublement de la procédure pénale et garantie des droits fondamentaux », Mélanges Bouloc, Paris, Dalloz, 2007, p. 573 ; F. Ragazzi, « Vers un multiculturalisme policier ? La lutte contre la radicalisation en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni », Les études du CERI n° 206, Sciences Po/CERI (CNRS) 2014). Dans un contentieux provisoire touchant à la liberté d’expression et concernant l’humoriste Dieudonné, il a ainsi opté pour une acception particulièrement large de la notion d’ordre public et pour le caractère préventif de l’intervention (CE, ord., 9 janvier 2014, Ministre de l’intérieur contre Société Les Productions de la plume, req. n°374508, Rec. CE, p. 1, AJDA 2014, p. 129, tribune B. Seiller et p. 473, tribune C. Broyelle, note J. Petit, D. 2014, p. 86, obs. J. M. Pastor, RFDA 2014, p. 87, note O. Gohin). La solution a été confirmée au fond par le Conseil d’Etat, ce dernier rappelant que « dans cette hypothèse, la nécessité de prendre des mesures de police administrative et la teneur de ces mesures s’apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de l’imminence de la commission de ces infractions ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l’ordre public qui pourraient en résulter » (CE, 9 novembre 2015, Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française chrétienne (AGRIF), req. n°376107, Rec. CE, p. 377, AJDA 2015, p. 2508, concl. A. Bretonneau, note X. Bioy).
ii) Une nouvelle compétence rattachée à l’article 2 du protocole n°4 additionnel à la ConvEDH
405 • Cette nouvelle compétence du juge administratif a été rattachée à l’article 2 du protocole n°4 additionnel à la ConvEDH dans la décision du 11 décembre 2015, M. Cédric Domenjoud (CE 11 déc. 2015, M. Cédric Domenjoud, req. n° 395009, Rec. CE, p. 438, concl. X. Domino, AJDA 2016, p. 247, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, RFDA 2016, p. 105, concl. X. Domino, note A. Roblot Rozier) dans laquelle la section du contentieux du Conseil d’Etat a défini le cadre du contrôle du juge administratif sur les assignations à résidence prononcées par le Ministre de l’intérieur dans le cadre de l’état d’urgence. Les dispositions de cet article 2 admettent des restrictions à la liberté de circulation lorsque celles-ci « constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Par sa décision QPC du 22 décembre 2015 (CC, n°2015-527 DC, 22 décembre 2015, Cédric D., JO, 26 décembre 2015, p. 24084), le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, eu égard notamment à l’absence d’atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir garantie par les articles 2 et 4 DDHC. Le Conseil relevant, de même, que la possibilité de prendre une mesure d’assignation à résidence n’était, en tout état de cause, pas incompatible, compte tenu des motifs ayant justifié la déclaration de l’état d’urgence, avec les stipulations européennes. Au stade de la simple intention et avant le moindre commencement d’exécution, l’autorité administrative se voit ainsi reconnaitre le pouvoir d’empêcher la commission d’une infraction éventuelle.
iii) Une nouvelle répression pénale initiée par la loi du 22 juillet 1996
406 • Dénommée « droit répressif de la sécurité nationale » (…), « droit administratif de l’ennemi » (…) ou encore, plus prosaïquement, « droit administratif de l’antiterrorisme » (…), la nouvelle répression administrative mise en place pour lutter contre le terrorisme date des premiers attentats commis en France en 1995. Avec la loi du 22 juillet 1996 (loi n°96-647 du 22 juillet 1996 (JO, 23 juillet 1996, p. 11104) tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire), on étend, pour la première fois, la qualification « d’actes terroristes ». Le dispositif répressif est enrichi aux actes d’aide aux terroristes, soit avant l’action (constitution de groupes armés, fourniture d’armes, de faux papiers, association de malfaiteurs, …), soit après l’action (recel de choses, recel de malfaiteurs, …). L’action terroriste en elle-même n’est plus la seule à être réprimée. L’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme est aussi créé et devient un acte de terrorisme autonome puni plus sévèrement que l’association de malfaiteurs « ordinaire » (art. 421-2-1 Code pénal). Tous les actes périphériques aux actions terroristes sont aussi progressivement réprimés. Par exemple, le financement du terrorisme (art. 421-2-2 Code pénal et loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 (JO, 16 novembre 2001, p. 18215) relative à la sécurité quotidienne ; Cf. J. Lasserre Capdeville, « La répression pénale du financement du terrorisme : analyse contemporaine », LPA 2018, 7 novembre, n°223, p. 10 et suiv.), le blanchiment d’argent ou délit d’initiés (art. 421-2-2 Code pénal et loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 précité ; L’efficacité de la poursuite du blanchiment a été considérablement renforcée ces dernières années, notamment sous l’influence du droit européen : voir, en ce sens, la loi n° 2015-1197 du 30 septembre 2015 (JO, 1er octobre 2015, p. 17569) qui a autorisé la ratification de la convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme, du 16 mai 2005 (signée par la France à Strasbourg le 23 mars 2011) et l’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 (JO, 2 décembre 2016, texte n°14) renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme), la non justification des ressources (loi n°2003-239 du 18 mars 2003 (JO, 19 mars 2003, p. 4761) pour la sécurité intérieure et art. 421-2-3 CP) ou encore l’apologie ou la provocation au terrorisme (Article 421-2-5 et loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 (JO, 14 novembre 2014, p. 19162) renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ; Cf. supra n°365)
iv) La loi du 23 janvier 2006 et la réaffirmation de la police administrative pour lutter contre le terrorisme
407 • L’augmentation des pouvoirs de la police administrative s’est intensifiée depuis 2001 sur fond de maintien de la sécurité et de lutte contre le terrorisme. La loi du 18 mars 2003 précitée a d’abord étendu le système de fichage et de traitements automatisé de données nominatives par la police et la gendarmerie (art. 21 et 25). Mais c’est surtout, la loi du 23 janvier 2006(loi n°2006-64 du 23 janvier 2006 (JO, 24 janvier 2006, p. 1129) relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers) qui marque un véritable tournant en la matière. Sont, ainsi, mis en place, pêle-mêle, l’amélioration des procédures de réquisition de données techniques de connexion, la mise en place de dispositif de lecture systématique des plaques d’immatriculation (art. 6 et 8) ou encore l’extension des contrôles d’identité aux frontières dans les trains internationaux (art. 3). Mais la procédure la plus significative est la procédure administrative de gel des avoirs des individus suspectés d’entretenir des relations avec le terrorisme ou de le financer (art. L. 562 -1 Code monétaire et financier ; Cf. D. Burriez, « Le dispositif national de gel des avoirs : discrète mais contestable mesure de police administrative en matière de lutte contre le terrorisme », RDFA 2017, p. 139 et suiv.). Modifiée à trois reprises depuis lors (la dernière en date : ordonnance n°2016-1575 du 24 novembre 2016, JO, 25 novembre 2016, texte n°7) portant réforme du dispositif de gel des avoirs qui a notamment étendu le champ des avoirs susceptibles d’être gelés), la mesure, qui consiste à bloquer toutes sortes d’avoir, a été qualifiée expressément de mesure de police administrative (CC, n°2015-524 QPC, 2 mars 2016, M. Abdel Manane M. K. [Gel administratif des avoirs], JO, 4 mars 2016, texte n°121) malgré ces liens étroits avec l’existence d’une infraction pénale (Cf. J.-F. Giacuzzo, « Le gel des avoirs : une limitation de la propriété du « terroriste-ennemi » », Constitutions 2016, p. 269 et suiv. ou C. Mauro, « Le gel des avoirs n’est pas une sanction…mais un peu quand même », JCP 2016, G, n°589)
v) La loi du 13 novembre 2014 et les dispositifs d’entrée et de sortie du territoire : l’interdiction de sortie du territoire (IST) pour les français suspectés de lien avec des activités terroristes
408 • Le législateur a, en 2014 (loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 précitée) poursuivi le mouvement de prévention pénale ou d’anticipation répressive en mettant en place le blocage et le déréférencement administratif des sites internet faisant l’apologie ou provoquant au terrorisme (Cf. Supra n°390 et suiv.). Mais il a aussi surtout institué des dispositifs spéciaux d’entrée et de sortie du territoire. La première des nouvelles mesures est une interdiction de sortie du territoire (IST) pouvant être établie, à l’égard de tout Français, lorsqu’il existe de sérieuses raisons de penser qu’il projette des déplacements à l’étranger qui ont pour objet la participation à des activités terroristes ou qui se déroulent sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes (l’article L. 224-1 CSI en contient le principe et le régime ; Voir, A. Capello, « L’interdiction de sortie du territoire dans la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » : AJ pénal 2014, p. 562 et suiv.). Au-delà de la mesure touchant les nationaux, le législateur a créé, réciproquement, une seconde mesure qui est celle de l’interdiction administrative d’entrer sur le territoire (IAT) pour les ressortissants étrangers. Celle-ci concerne tout étranger ne résidant pas habituellement en France et dont la présence sur le territoire national constitue une menace grave pour l’ordre ou la sécurité publics (articles L. 214-1 à L. 214-7 CESEDA). Liées à des mouvances radicales, voire à des organisations terroristes, ces personnes pouvaient se rendre en France pour des séjours de très courte durée, afin de rencontrer des ressortissants français ou étrangers également impliqués dans ces structures. Auparavant, seuls les résidents pouvaient faire l’objet d’une expulsion d’où la mise en place de cette nouvelle disposition de police administrative afin d’entraver de tels déplacements, et de prévenir la présence sur le territoire français de ces personnes. Le dispositif ne figurait pas dans le projet initial, et c’est sur amendement tardif du gouvernement déposé au Sénat qu’il a été adopté, dans un contexte de procédure accélérée (Cf. E. Dreyer, « Les restrictions administratives à la liberté d’aller et de venir des personnes suspectées de terrorisme », GP 2015, 4 février, n°55, p. 22 et suiv.)
vi) La loi du 24 juillet 2015 et les nouvelles méthodes de surveillance des autorités administratives jusque-là réservées à la police judiciaire
409 • La loi de renseignement du 24 juillet 2015 (loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 (JO, 26 juillet 2015, p. 12735) relative au renseignement) s’inscrit dans le mouvement précédemment décrit en développant, de façon considérable, les pouvoirs dont disposent les services de renseignement pour protéger l’ordre public. Sous le prétexte de « prévention du terrorisme », de « prévention de la criminalité et de la délinquance organisée », de lutte contre « les violences collectives », de protection « du territoire et de la défense nationale » ou bien encore de protection des « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France » (Cf. L’énumération totale de l’art. L. 811-3 CSI), les services de renseignements se voient dotés, nommément, du droit d’utiliser de nouvelles méthodes de surveillance jusque-là non autorisées. Ils pourront ainsi se servir de tout un ensemble de techniques, allant de la simple écoute téléphonique jusqu’à l’interception de courriels ou de SMS, en passant par la mise en place de caméras, micros et balises GPS ou encore le piratage d’ordinateurs de suspects, l’installation de logiciels-espions ou l’accès aux données Internet. La seule limite, fixée par le juge constitutionnel, étant que le choix des techniques soit proportionné à la finalité poursuivie et aux motifs invoqués (CC, n°2015-713 DC, 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement, JO, 26 juillet 2015, p. 12751). Toutes ces techniques sont légalisées par la loi mais aussi nouvellement attribuées aux autorités administratives. Elles relevaient auparavant des autorités judiciaires et étaient exercées, la plupart du temps, dans le cadre d’une procédure pénale à un stade plus avancée de l’enquête. Parmi les nouvelles techniques de surveillance utilisées par les services de renseignement figure les « interceptions de sécurité » qui pourront viser la personne ciblée comme son entourage proche. Des nouvelles dispositions du Code de sécurité intérieure sont également destinées à légaliser le recours à la technologie dite de « l’IMSI-catching » (article L. 851-6 I CSI qui prévoit la possibilité, pour les services de renseignement, de collecter des données de connexion à partir d’un « appareil » ou d’un « dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal ») permettant de capter toutes les communications d’un individu situé dans un périmètre donné, en imitant à son insu le fonctionnement d’un relais de téléphonie mobile. La mise en œuvre d’un tel procédé technique comporte un risque majeur d’atteinte au droit à la vie privée (article 8 ConvEDH) à partir du moment où les données de connexion de personnes non suspectées d’actes de terrorisme qui se trouvent dans le périmètre d’action de « l’IMSI-catcher » (riverains, avocats, magistrats et autres personnels de justice, agents de l’administration pénitentiaire, etc.…) seront inévitablement interceptées à leur insu. L’Etat pourra aussi inviter les opérateurs de communication ainsi que les FAI à mettre en place un algorithme automatisé capable de déceler des connexions susceptibles de révéler « une menace terroriste », et lui demander de lever l’anonymat de ces métadonnées en cas de menace avérée (art. L. 851-4 CSI).
vii) La loi du 3 juin 2016 et le contrôle administratif des retours en France
410 • La loi du 3 juin 2016 (Loi n°2016-731 du 3 juin 2016 (JO, 4 juin 2016, texte n°1) renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale) est une loi essentiellement répressive qui s’inscrit dans un ensemble de règles sécuritaires plus larges. Il faut, par ex., y ajouter la loi du 21 juillet 2016 (Loi n°2016-987 du 21 juillet 2016 (JO, 22 juillet 2016, texte n° 2) prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste) qui proroge l’état d’urgence suite à l’attentat de Nice du 14 juillet 2016. La loi du 3 juin 2016 ne transpose pas, en ce sens, dans le droit commun les procédures spécifiques de l’état d’urgence mais elle va doter les magistrats et forces de l’ordre de nouveaux moyens (perquisitions de nuit à domicile facilitées, prescription d’actions spécifiques de prise en charge de la radicalisation, création du délit d’entrave au blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme ou du délit de consultation habituelle de tels sites, élargissement du périmètre du fichier national automatisé des empreintes génétiques ou encore saisie de correspondances électroniques hors perquisition). Au niveau administratif, le législateur légalise les unités de déradicalisation (regroupant les détenus radicalisés ou en voie de radicalisation (art. 726-2 Code pénal)) avec contrôle du juge administratif). Mais le dispositif phare de la loi, révélateur du renforcement des pouvoirs de la police administrative est le contrôle administratif des retours sur le territoire national des personnes soupçonnées de revenir d’un théâtre d’opérations terroristes. Ce contrôle brouille encore davantage les frontières entre la police administrative et la police judiciaire dans la mesure où il permet au ministère de l’intérieur d’imposer des mesures de sûreté (obligation de résider dans un périmètre géographique déterminé, obligation de déclaration de domicile, obligation de présentation périodique aux services de polices ou de gendarmerie, interdiction de mise en relation avec certaines personnes, assignation à résidence, …). Toujours au titre des nouvelles mesures de police administrative, la loi du 3 juin 2016 permet, outre les contrôles d’identité et les visites des véhicules, l’inspection visuelle et la fouille administrative des bagages aux fins de recherche et de poursuites de certaines infractions (art. 78-2-2 III du Code de procédure pénale). Jusqu’alors, la fouille des bagages ne pouvait être réalisée que dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire et elle devient désormais possible dans le cadre d’un contrôle administratif. Enfin la loi permet une retenue pour vérification d’identité durant quatre heures (au maximum) d’une personne soupçonnée d’être liée à des activités présentant un caractère terroriste (art. 78-3-1 du CPP). La personne retenue y bénéficie de bien peu de droits par rapport à l’audition libre ou à la garde à vue (elle ne bénéficie notamment pas du droit à un avocat).
viii) La loi du 21 juillet 2016 et la nouvelle procédure de saisie des données informatiques : un juge administratif qui autorise a priori une mesure qui est susceptible de donner lieu à des poursuites pénales
411 • La loi du 21 juillet 2016 institue une nouvelle procédure de saisie des données informatiques découvertes à l’occasion des perquisitions administratives. Ce pouvoir avait déjà été prévu par la loi du 20 novembre 2015 (loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 (JO, 21 novembre2015, p. 21665) prorogeant l’Etat d’urgence (article 11-1 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 modifié) mais, le Conseil, saisi d’une QPC, avait censuré de telles dispositions au préalable (CC, n°2016-536 QPC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, JO, 21 février 2016, texte n° 27). La loi nouvelle prévoit donc des nouvelles garanties. Les données informatiques ne pourront être saisies que si la perquisition « révèle l’existence d’éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre public le comportement de la personne concernée » (al.5 art. 11-1 précité). De même, l’administration ne pourra, surtout, exploiter ces données que si elle est autorisée par le juge des référés du tribunal administratif statuant dans un délai de 48 heures (al.7 art. 11-1 précité). La Constitution n’impose pas l’intervention d’un juge pour accéder aux données pendant la perquisition. Par contre, son contrôle est nécessaire pour poursuivre l’exploitation des données après la perquisition. La compétence revient au juge administratif eu égard à la nature de police administrative de l’opération et parce qu’elle n’emporte pas privation de liberté. Le dispositif est inédit puisqu’il conduit le juge administratif non pas à statuer a posteriori sur la légalité d’une mesure de police administrative mais à autoriser a priori une mesure qui est susceptible de donner lieu à des poursuites pénales.
ix) La loi du 21 juillet 2016 et la nouvelle procédure de saisie des données informatiques : un juge administratif qui valide la procédure tout en en rappelant ses dangers au regard des droits et libertés
412 • Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2016, les tribunaux administratifs se sont prononcés à plusieurs reprises sur de telles demandes d’autorisation. Suite à des refus d’autoriser l’administration à exploiter les données contenues sur des supports numériques durant les perquisitions administratives prononcées par les tribunaux administratifs en août 2016, le Ministre de l’Intérieur a fait appel devant le Conseil d’Etat. Le juge des référés du Conseil d’Etat, après avoir relevé que les procédures étaient régulières au vu des éléments révélés par la perquisition, a annulé les ordonnances litigieuses et a estimé que les supports numériques saisis étaient susceptibles de contenir des données relatives à une menace pour la sécurité et l’ordre publics (CE, ord., 5 août 2016, Ministre de l’Intérieur contre M. Dems, req. n°402139 ; CE, ord., 12 août 2016, Ministre de l’Intérieur contre M. Jahrling, req. n°402348 ; CE, ord., 23 août 2016, Ministre de l’Intérieur contre M. Khelfaoui, req. n°402571 ; CE, ord., 23 septembre 2016, M. Benadji, req. n°403675) mais il a aussi pu remettre en cause la procédure et rappelé « que la seule circonstance, invoquée par le ministre de l’intérieur, que ces fichiers comportent des éléments en langue arabe qui n’ont pas pu être exploités immédiatement ne suffit pas à les faire regarder comme relatifs à la menace que constituerait pour la sécurité et l’ordre publics le comportement des personnes concernées »(CE, ord., 5 septembre 2016, Ministre de l’Intérieur contre Mme Doppler et M. Simmou, req. n° 403026).
x) La loi SILT du 30 octobre 2017 et la légalisation de la « prévention pénale » hors d’état d’urgence (1)
413 • Etablie dans, ce qu’on peut appeler, « le silence des pantoufles » (E. Plenel, « Quand la liberté s’éteint en silence », Médiapart, 3 octobre 2017, www.mediapart.fr), la loi dites « SILT » du 30 octobre 2017 (Loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 (JO, 31 octobre 2017, texte n°1) renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme) a pu être définie comme étant la loi « la plus attentatoire aux libertés individuelles de l’histoire de la Vème République » (P. Cassia, « Sortie de l’état d’urgence temporaire, entrée dans l’état d’urgence permanent », 31 octobre 2017, Médiapart, www.mediapart.fr). Dans la logique de la loi, la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme se retrouverait, ainsi, « entre cadence et décadence » (E. Raschel, « La sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme entre cadence et décadence : commentaire de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 », Droit pénal 2017, n°12, étude n°23). Mireille Delmas-Marty évoque, à cet égard et successivement, un risque de « despotisme doux » (M. Delmas-Marty, « De l’état d’urgence au despotisme doux », 16 juillet 2017, www.liberation.fr), une « contamination permanente du système pénal » (Ibid.) ou encore le passage « d’une société de responsabilité à celle de la suspicion » (Ibid.). Au final, les mots et les commentaires sont durs et ne transigent pas pour qualifier la loi du 30 octobre 2017 (Dans un appel lancé dans Libération et Mediapart, près de 500 universitaires et chercheurs s’alarment de la volonté du gouvernement d’inscrire dans le droit ordinaire les principales mesures de l’état d’urgence : Collectif d’universitaires et d’artistes, « Banalisation de l’état d’urgence : une menace pour l’Etat de droit », 12 juillet 2017, Libération et Médiapart, www.liberation.fr et www.mediapart.fr). L’exception devient pérenne et se banalise tout comme l’augmentation, normalement opportune et ponctuelle, des pouvoirs des autorités de police administrative aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme ou d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un évènement exposé. Le législateur intègre dans le droit commun et le Code de la sécurité intérieure des mesures jusque-là établies dans le cadre de l’état d’urgence. On trouve désormais dans le CSI, les zones de protection et de sécurité de l’état d’urgence (qui deviennent les « périmètres de protection » art. L. 226-1 CSI), la fermeture des lieux de culte (art. L. 227-1 CSI), les assignations à résidence (désormais appelées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », art. L. 228-1 CSI) et un nouveau régime de perquisitions administratives dénommées « visite » et « saisie » (art. L. 229-1 CSI).
La loi SILT du 30 octobre 2017 et la légalisation de la « prévention pénale » hors d’état d’urgence (2)
414 • Le législateur confère, tout d’abord, un fondement législatif aux périmètres dits « de protection » Ils sont créés par arrêté préfectoral pour assurer la sécurité d’un lieu ou d’un évènement. Les forces de police pouvant, à l’intérieur de ces périmètres, exercer des contrôles d’identité, des palpations, des fouilles des bagages et des véhicules. Il y a obligation de se soumettre à ces contrôles sous peine d’interdiction d’entrée. L’autorité administrative peut aussi décider la fermeture d’un lieu de culte, « dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes » (art. L. 227-1 CSI). Les motifs de fermeture étant étendus aux « propos tenus », aux « idées ou théories » qui y seraient diffusées ou aux « activités » à l’intérieur du lieu de culte. La loi évoque aussi « la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance » (MICAS) (art. L. 228-1 CSI) qui remplace la notion d’« assignation à résidence ». Le législateur autorise aussi « la visite d’un lieu ainsi que la saisie des documents, objets ou données qui s’y trouvent » (art. L. 229-1 CSI) en prenant bien soin de ne pas mentionner le terme de « perquisitions » (certainement en raison de sa connotation trop pénale). Les anciennes « assignations à résidence » ou « perquisitions » au domicile privé des individus pouvant être effectuées dès lors qu’il existe « des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes » (art. L. 228-1 et L. 229-1 CSI).
xi) Les dernières lois anti-terroristes et la poursuite de la logique de « prévention pénale »
414-1 • Parmi les dernières lois entrées en vigueur récemment, il faut d’abord mentionner la loi du 24 décembre 2020 qui prolonge d’un an les différentes mesures de lutte contre le terrorisme (Loi n° 2020-1671 du 24 décembre 2020 (JO, 26 décembre 2020, texte n°3) relative à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 CSI). Ces mesures, mises en place par la loi SILT, avaient été autorisé seulement jusqu’au 31 décembre 2020, leur prolongement marquant d’autant plus la logique de pérennisation de ces mesures dans le droit commun. A noter que la technique de renseignement dite « algorithme » (art. L. 851-3 CSI et qui avait été mise en place à titre expérimental par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement) est prolongée d’un an (jusqu’au 31 décembre 2021). Il faut aussi évoquer la loi du 10 août 2020, votée quelque temps auparavant, qui instaure des mesures de sûreté spécifiques pour les sortants de prison (Loi n° 2020-1023 du 10 août 2020 (JO, 11 août 2020, texte n°2) instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine). Ces mesures, qu’elles soient prononcées par les autorités administratives comme judiciaires, existaient déjà dans ce cadre (par exemple, les MICAS précitées qui obligent notamment à trois pointages hebdomadaires, les notes de signalement en fin d’incarcération avant la libération des détenus TIS ou RAD transmises à la DGSI, l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) avec obligation de déclarer tout changement d’adresse ou déplacement à l’étranger). Mais le législateur va plus loin en créant une mesure de sûreté se rapprochant de plus en plus de la peine, mesure destinée à combler les zones d’inapplication des dispositifs préexistants et en rendant le suivi socio-judiciaire obligatoire (article 706-25-15 CPP ouvre la possibilité à la juridiction parisienne de la rétention de sûreté d’ordonner, à l’égard des individus ayant été condamnés à une peine supérieure ou égale à 5 ans d’emprisonnement pour une infraction terroriste et présentant « une particulière dangerosité », une ou plusieurs obligations ou interdictions pendant une durée maximale d’un an). Si « institutionnaliser un suivi non seulement post-carcéral, mais post-pénal des « fins de peine » terroristes, c’est faire le choix de la surveillance contre celui de l’accompagnement, de la défiance sur la confiance » (J. Alix et O. Cahn, « Au tournant de la punitivité en matière terroriste » Lexbase 2020, La lettre juridique n° 841 du 29 octobre) il y a immanquablement un rapprochement entre les mesures de sûreté et les peines
xii) Les dernières lois anti-terroristes et la poursuite de la logique de « prévention pénale » hors d’Etat d’urgence
441-2 • La récente loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (loi n°2021-998 du 30 juillet 2021 (JO, 3 juillet 2021, texte n°1) relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement) vise principalement à conférer un caractère permanent aux mesures figurant dans la loi SILT finalement autorisés jusqu’au 31 juillet 2021. Le droit né à la suite des attentats de 2015 entrera ainsi, définitivement, dans le droit commun en cas de vote définitif de la loi. C’est la « menace grave, réelle, actuelle et prévisible » du terrorisme islamiste qui justifie la pérennisation des mesures (Cf. Pour la qualification de la menace : CE, Ass, 21 avril 2021, French Data Network, req. n°393099). Les mesures de la loi SILT sont complétées par diverses mesures comme la possibilité de fermer des lieux « dépendant » d’un lieu de culte ou encore l’interdiction, pour une personne sous surveillance et assignée dans un périmètre de résidence, d’être présente lors d’un évènement exposé à un risque terroriste particulier. Les MICAS pourraient durer deux ans (contre un an auparavant) pour les personnes sortant de prison après une condamnation à une peine d’au moins cinq ans ferme pour terrorisme et pourraient se cumuler avec une mesure judiciaire de réinsertion sociale sous le contrôle du tribunal de l’application des peines (pour tenir compte de la censure opérée par le juge constitutionnel lors de la création de mesures de sûreté par la loi du 10 août 2020 : CC, n° 2020-805 DC, 7 août 2020, Loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, JO, 11 août 2020, texte n°4). Le législateur donne aussi une base légale aux transferts d’information entre les différents services tout en pérennisant les nouveaux moyens donnés aux services de renseignement (comme l’autorisation de recourir à la technique de l’algorithme qui est élargie aux URL ou l’interception de correspondances émises ou reçues par la voie satellitaire) qui n’ont cessé de se développer depuis la loi du 24 juillet 2015. Le tout toujours justifié par la nécessité pour le gouvernement de constater la persistance d’une menace grave, réelle et actuelle ou prévisible, pour la sécurité nationale (CE, Ass., 21 avril 2021, French Data Network précité).
xiii) Les dernières lois anti-terroristes et la poursuite de l’extension des pouvoirs de « prévention pénale » pour les autorités administratives
441-3 • La nouvelle loi pour une sécurité globale préservant les libertés (Loi n°2021-646 du 25 mai 2021 (JO, 26 mai 2021, texte n°1) pour une sécurité globale préservant les libertés) met toujours plus en avant l’usage d’instruments de prévention pénale ou de contrôle. On pense à l’usage des drones ou « caméras aéroportées » par la puissance publique, usage dont le manque d’encadrement légal avait été souligné par le Conseil d’Etat (CE, Avis, 20 septembre 2020, Avis relatif à l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques, n°401 214 à rapprocher d’une délibération de la CNIL, 12 janvier 2021, délib. n°SAN-2021 et d’un arrêt du juge de l’Union : CJUE, 11 décembre 2014, František Ryneš contre Úrad pro ochranu osobních údaju Aff. n°C-212/13, § n°22) et dont la pratique, en dehors d’autorisation spécifique, avait pu être remise en cause à la suite de deux décisions contentieuses (CE, ord., 18 mai 2020, La Quadrature du net, Ligue des droits de l’homme, req. n°440442, AJDA 2020, p. 1552, note X. Bioy, D. 2020, p. 1336, obs. P. Dupont, note P. E. Audit et p. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski et CE 22 déc. 2020, La Quadrature du Net, req. n°446155). Dénoncée par la doctrine (O. Cahn, « Construction d’un maintien de l’ordre (il)légaliste », RSC 2020, p. 1069 et suiv. et « Police et Caméras : « Observer sans temps mort, jouir sans entrave » », AJ pénal 2021, p. 128 et suiv. ; P. Cassia, « Demain les drones », www.mediapart.fr, 20 mai 2020 ; V. Audubert, « Face aux menaces sur les libertés publiques, les juristes doivent prendre parti », Dalloz actualités 2020, 23 octobre), la future loi, si elle encadre la pratique (interdiction de la reconnaissance faciale et des interconnexions avec d’autres fichiers ; prohibition de la visualisation de l’intérieur des domiciles ou de leurs entrées ; limitation de durée de conservation des images…) va quand même, l’élargir puisqu’elle se verrait autorisée grâce à un nombre très important de « finalités précises » (la prévention d’actes de terrorisme ; le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte des preuves ; la sauvegarde des bâtiments et installations publics et leurs abords ; la sécurité des rassemblements de personnes ou dans les lieux ouverts au public si les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public, etc…).
b) La nouvelle répartition des compétences entre les deux ordres juridictionnels
i) La loi « SILT » du 30 octobre 2017 et la confirmation du nouveau rôle joué par le juge administratif (1)
415 • Trois mesures fortes empruntées à l’état d’urgence (la fermeture des lieux de culte, les périmètres de protection et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance) continuent, depuis la loi « SILT », d’être soustraites à un quelconque contrôle du juge judiciaire et relèvent de la compétence du juge administratif alors qu’elles sont susceptibles de mettre en cause des droits et libertés. Malgré cette volonté d’aller dans le sens de l’efficacité administrative, la dernière mesure forte (visites et saisies) relève du juge judiciaire et fait l’objet d’un contrôle du juge de la liberté et de la détention du TGI(futur Tribunal judiciaire) de Paris. Si le législateur semble ainsi « ménager » le juge judiciaire sur cet élément, ce dernier reste écarté, avec l’aval du Conseil constitutionnel, dans l’ensemble du contrôle de la mise en œuvre de l’état d’urgence et de sa nouvelle version installée dans le droit commun. On a vu que la répartition classique des compétences était fondée sur deux éléments. Le 1er élément tenait à l’interprétation restrictive, par le Conseil constitutionnel, de la notion de « liberté individuelle » telle que mentionnée dans l’article 66 C°. La notion est définie comme étant seulement l’équivalent de la notion de « sûreté » soit l’interdiction de l’arrestation et de la détention arbitraire (Cf. Supra n° 382 et suiv.). Le contrôle du juge judiciaire n’est exigé que pour le contrôle des mesures privatives et non restrictives de liberté. La différence n’est pas facile à fixer car, comme a pu le relever le juge européen, il n’y a « qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence » entre privation et restriction de liberté (CourEDH, 17 janvier 2012, Stanev contre Bulgarie, req. n°36760/06, § 115). Le Conseil constitutionnel, dans le cadre de l’état d’urgence et de l’appréciation de la notion « d’assignation à résidence », a précisé, très rapidement, cette distinction en fixant une amplitude horaire maximum à l’astreinte à domicile dans ce cadre. Celle-ci « fixée à douze heures par jour, ne saurait être allongée sans que l’assignation à résidence soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, dès lors soumise aux exigences de l’article 66 de la Constitution » (CC, n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 26 décembre 2015, p. 24084, cons. n°6). Il importe peu que l’astreinte à domicile de 12 heures par jour soit effectuée au-delà d’un an (CC, n°2017-624 QPC, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II], cons. n°7).
La loi « SILT » du 30 octobre 2017 et la confirmation du nouveau rôle joué par le juge administratif (2)
416 • Le 2nd élément de la répartition classique des compétences était fondé sur la distinction entre les notions de police administrative à vocation préventive (préservation de l’ordre public et prévention des infractions) et de police judiciaire à vocation répressive (pour les infractions et atteintes à l’ordre public). Cette distinction est aujourd’hui dépassée dans la mesure où, d’une part, les mêmes autorités agissent dans le cadre des deux polices et, d’autre part, des actes matériels peuvent relever de ces mêmes polices (Cf. R. Parizot, « La distinction entre police administrative et police judiciaire est-elle dépassée ? », in Marc Touillier (dir.), Le Code de la Sécurité Intérieure, artisan d’un nouvel ordre ou semeur de désordre ?, Paris, Dalloz, 2017, p. 133 et suiv.). C’est le cas typique des mesures prises par les services de renseignement dans la lutte anti-terroriste à forte connotation pénale (réquisitions administratives, assignations à résidences, etc…). On retrouve cette même logique de confusion quand on essaye aujourd’hui de distinguer les mesures visant à assurer la sauvegarde de l’ordre public des mesures visant à rechercher les auteurs d’infractions pénales (par ex., les assignations à résidence inférieures à 12 mois accompagnées de multiples conditions qui peuvent tout à la fois être des mesures préventives comme répressives). La confusion est de plus en plus prégnante entre prévention et répression ou entre surveillance et recherche d’une infraction ce qui peut amener à rendre les deux juges autant légitimes l’un que l’autre, le choix procédant plus d’une logique politique que d’une logique juridique (Voir en ce sens, I. Boucobza, « Quel juge pour l’état d’urgence ? », in S. HennetteVauchez (dir.), Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence, Paris, Institut Universitaire Varenne, tome n°69, 2018, p. 77 et suiv.). Certains auteurs parlent à cet égard d’un « usage stratégique qui est fait de la distinction pour déterminer la nature d’un acte, et par voie de conséquence, le régime auquel il doit être soumis et le juge compétent pour en connaître » (Ibid.) ou « bien la possibilité […] d’instrumentaliser la distinction des polices pour décider du niveau de garanties plus ou moins élevé à accorder à certaines mesures selon qu’elles seront ou non qualifiées d’administratives » (Ibid.)
ii) La loi « SILT » du 30 octobre 2017 et l’approbation de la compétence administrative par le Conseil constitutionnel
417 • Dans le cadre de l’état d’urgence, c’est l’extension des pouvoirs de police administrative qui entraine mécaniquement une extension de compétence du juge administratif et le juge constitutionnel a eu l’occasion d’apporter son soutien à la nouvelle compétence ainsi définie en rappelant sa jurisprudence validant l’absence de contrôle du juge judiciaire. Il a agi de la sorte à propos des anciennes perquisitions administratives (CC, n°2016-536 QPC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 21 février 2016, texte n°27, cons. n°4) comme des anciennes assignations à résidence (CC, n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence] précité, cons. n°4 et suiv.) en se gardant de rappeler que si le confinement ne dépasse pas 12 heures par jour, il y a juste « restriction » à la liberté de circulation et non « privation » de liberté au sens de l’article 66 C. Le Conseil constitutionnel a, aussi, précisé, pour ces mêmes mesures, le fait que la prolongation dans le temps au-delà de 12 mois de la mesure « n’a pas pour effet de modifier sa nature et de la rendre assimilable à une mesure privative de liberté » (CC, n°2017-624 QPC, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II], JO, 17 mars 2017, texte n°67). Lorsqu’on observe les décisions du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel à la fois, on voit apparaitre « clairement l’existence d’une alliance entre le juge constitutionnel et le juge administratif au détriment du juge judiciaire. Le match pour la protection des droits et libertés se jouant alors « à deux contre un » » (Voir I. Boucobza, « Quel juge pour l’état d’urgence ? » précité).
iii) La compétence par voie d’exception du juge pénal (1)
418 • Les mesures exceptionnelles prises dans le cadre de l’état d’urgence n’ont pas dessaisi totalement le juge judiciaire et plus précisément le juge pénal qui peut intervenir par voie d’exception dans le contentieux (Voir, en ce sens, J.-B. Perrier, « Le juge judiciaire et l’état d’urgence », RFDA 2017, p. 949 et suiv.). L’intervention du juge judiciaire est possible en cas de découverte d’une infraction ou quand les personnes concernées par les mesures ne respectent pas les obligations qui y sont attachées ce qui déclenche automatiquement une infraction pénale. La chambre criminelle de la Cour de cassation a pu ainsi contrôlé, sur le fondement de l’article 111-5 CP (selon lequel le juge pénal peut interpréter un acte administratif si nécessaire à la solution du procès), des perquisitions administratives (Cass., crim., 13 décembre 2016, n° de pourvoi : 16-84.794, 16-82.176, 16-84.162 rendu sur le fondement de l’article 111-5 CP mais aussi de l’article préliminaire du CPP selon lequel c’est à l’autorité judiciaire de prendre et de contrôler les mesures ; Cass., crim., 28 mars 2017, n° de pourvoi : 16-85.072 et n°16-85.073 rendu seulement sur le fondement de l’article 111-5 CP) ou des assignations à résidence (Cass., crim., 3 mai 2017, n° de pourvoi : 16-86.155) Pour cette dernière décision, le juge judiciaire fonde son contrôle essentiellement sur l’article 2 DDHC concernant le droit à la sureté, les assignations à résidence n’étant pas susceptible de déclencher un processus répressif. Pour le juge pénal, ce droit à la sureté justifie sa compétence au-delà de la procédure pénale au sens strict. On rappelle que, pour le Conseil constitutionnel, c’est la liberté d’aller et venir qui est en cause avec les assignations à résidence et non le droit à la sureté au sens strict (Cf. Par ex., G. Beaussonie, « Poursuite de la reconquête du contrôle de l’état d’urgence par la chambre criminelle », D. 2017, p. 1175 et suiv.). Pour terminer, il faut aussi parler de la nouvelle compétence attribuée au juge judiciaire, plus précisément le juge des libertés et de la détention (JLD), par la loi « SILT » pour autoriser l’exploitation des données saisies au cours d’une perquisition administrative (compétence du juge administratif auparavant) (Cf. articles L. 229-1 et suiv. CSI). La Cour de cassation ayant fait une application immédiate de la loi nouvelle y compris pour les perquisitions ordonnées avant la date d’effet de la loi (Cass., crim., 14 novembre 2018, n° de pourvoi : 18-80.507 et n° 18-80.510 ; Cf. H. Robert, « Sécurité intérieure – Transition du droit d’exception au droit commun », Droit pénal 2019, n° 1, comm. n°8).
La compétence par voie d’exception du juge pénal (2)
418-1 • Le développement de la prévention pénale en matière d’antiterrorisme depuis le début des années 1990 a, en renforçant les pouvoirs exorbitants du droit commun accordés à la police, aux services de renseignement et à l’administration, considérablement affaibli le juge judiciaire (voir, sur la question, Vanessa Codaccioni, « La place de l’autorité judiciaire dans l’antiterrorisme : des juridictions politiques à l’avènement d’une justice d’exception policière et administrative », Les Cahiers de la Justice 2016, n°3, p. 549 et suiv.). Mais si la justice mise en place dans ce cadre n’est plus judiciaire mais administrative et policière, on note, tout récemment, un retour en force du juge judiciaire et, plus particulièrement, du juge pénal. On note, en effet, une priorisation marquée de l’exercice de l’action publique au profit de juridictions spécialisées, le législateur ne se contentant pas de spécialiser les autorités de poursuite et la procédure pénale mais aussi les autorités juridictionnelles. Cela se manifeste tout d’abord par la mise en place prochaine du parquet européen, première instance européenne indépendante avec des compétences judiciaires propres qui devrait entrer en fonction le 1er juin 2021 (Voir la loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020 (JO, 26 décembre 2020, texte n°4) relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée qui introduit le Parquet européen dans la législation nationale en spécifiant les compétences et attributions de ses membres au niveau national : les procureurs européens délégués). Outre le parquet national financier et la spécialisation de la justice pénale environnementale, c’est la mise en place d’un parquet national antiterroriste (PNAT) qui se trouve être au cœur des réformes (mesure phare de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 (JO, 24 mars 2019, texte n°2) de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, il a officiellement vu le jour le 1er juillet 2019, voir, par ex., D. Bauer, « Ouverture du parquet national antiterroriste : pour une force de frappe judiciaire renforcée », LPA 2019, 22 juillet, n° 146, p. 3 et suiv.) et intervient à toutes les étapes de la procédure : enquêtes, suivi des informations judiciaires, jugement, exécution et application des peines). Parallèlement à la spécialisation des autorités de poursuite qui ne cesse de croître, on note une recrudescence des pouvoirs du juge pénal dans le cadre des mécanismes de prévention de la récidive terroriste amenant à une confusion de plus en plus marquée entre les mesures qui relèvent d’une peine et les mesures de sureté. Le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (n°4104) donne ainsi compétence au tribunal de l’application des peines de Paris pour ordonner une « mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion » à l’encontre des anciens condamnés pour terrorisme ayant purgé au moins cinq ans de prison.
c) La nécessité d’un contrôle efficient du juge constitutionnel pour préserver les droits et libertés
i) Une loi « SILT » du 30 octobre 2017 réellement attentatoire à nos droits et libertés qu’en cas de déficience du contrôle du juge
419 • La loi du 30 octobre 2017 bouleverse, au minimum, notre perception classique du système de garantie des droits et libertés tout comme notre système d’organisation des pouvoirs. Elle s’éloigne en cela de notre conception classique de l’Etat de droit développée depuis la seconde moitié du 20e siècle. C’est une autorité administrative et non un juge qui peut, désormais, restreindre les droits et libertés ou décider d’arrêter un individu sur la base de simples soupçons ou avant même que ces actions ne créent de dommages à la société ou à l’organisation constitutionnelle de l’Etat. Le tout n’étant plus exceptionnel mais inscrit dans le Code de la sécurité intérieure de façon pérenne. Les dangers quant aux dérives pouvant exister quant à ces mesures sont forcément plus marqués et potentiellement attentatoires aux droits et libertés. Prises par l’exécutif, ces mesures amènent à une application fortement subjective et, au minimum, potentiellement discriminantes mais il nous semble, tout comme peut le relever Frédéric Rolin, que « l’enjeu essentiel est celui d’assurer un contrôle efficient du juge plutôt que de remettre en cause le principe même de ces mesures » (F. Rolin, « La future loi sur « la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » est-elle si menaçante pour nos libertés ? », https://actu.dalloz-etudiant.fr) . L’auteur souligne ainsi le caractère déjà existant de ces mesures qui ont toujours fait partie des pouvoirs de police (périmètre de sécurité, fermeture de lieu de culte, visites domiciliaires très proches, pour ces dernières, de celles existant dans le domaine douanier ou fiscal). La seule mesure réellement nouvelle dans le droit commun administratif étant « l’assignation à résidence ». Reste la question de l’effectivité de la qualité du contrôle juridictionnel, il est là le véritable enjeu, peu importe que le juge soit judiciaire ou administratif car « dans ce domaine comme dans bien d’autres, il faut arrêter de penser le droit par mots d’ordre et slogans pour se concentrer sur les enjeux réels et ne pas alimenter fantasmes et peurs de tous horizons » (Ibid.)
ii) Le contrôle initial timide du Conseil constitutionnel
420 • Comme il est d’usage en période de crise, les parlementaires se sont abstenus de toute saisine a priori du juge constitutionnel sur la mise en œuvre de l’état d’urgence ou sur toutes les lois qui l’ont prorogé. Ce dernier avait aussi affirmé la constitutionnalité de principe du régime de l’état d’urgence. Mais une constitutionnalité par défaut dans la mesure où, pour le Conseil, si le régime n’était pas prévu dans la Constitution, cette dernière n’empêchait pas le législateur de prévoir un tel régime sur la base de l’article 34 C° (CC, n°85-187 DC, 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances, JO, 26 janvier 1985, p. 1137, Rec. CC, p. 43). Si on peut discuter de l’argument sur le plan théorique, il sera repris dans toutes les décisions validant les différents dispositifs du dernier état d’urgence (Voir en ce sens CC, n° 2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence], précité, cons. n°8 pour la 1ère décision rendue et le rappel opéré dans la dernière décision adoptée en la matière : CC, n°2017-684 QPC, 11 janvier 2018, Associations La cabane juridique / Legal Shelter et autre [Zones de protection ou de sécurité dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 12 janvier 2018, texte n° 92, cons. 3). Il y a 6 décisions qui ont été rendues. La majorité d’entre elles a fait l’objet d’un contrôle restreint limité au contrôle de la disproportion manifeste et certains ont dénoncé l’insuffisance du contrôle alors opéré (Voir, par ex., A. Roblot-Troizier, « Etat d’urgence et protection des libertés », RFDA 2016, p. 433 et suiv., le Conseil faisant jouer une sorte de « présomption d’inconstitutionnalité » : V. Champeil-Desplats, « L’état d’urgence devant le Conseil constitutionnel ou quand l’Etat de droit s’accommode de normes inconstitutionnelles », in S. HennetteVauchez (dir.), L’état d’urgence au prisme contentieux : analyse transversale de corpus, CREDOF, Défenseur des Droits, 2018, p. 106 et suiv.). C’est le cas à propos de décisions rendues sur les perquisitions et saisies administratives. Les deux premières au regard de la violation du droit au respect de la vie privée (CC, n°2016-536 QPC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 21 février 2016, texte n°27 et CC, n°2016-567/568 QPC, 23 septembre 2016, M. Georges F. et autre [Perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence II],JO, 25 septembre 2016, texte n°28). La troisième au regard de la violation du droit de propriété (CC, n°2016-600 QPC, 2 décembre 2016, M. Raïme A. [Perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence III], JO, 4 décembre 2016, texte n°29). C’est aussi le cas à propos de la décision établie dans le cadre de la fermeture provisoire des lieux de réunion eu égard à la liberté de réunion et d’entreprendre (CC, n° 2016-535 QPC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 21 février 2016, texte n°26).
iii) Un contrôle plus conséquent par la suite amenant à une remise en cause partielle ou totale des mesures préconisées
421 • Le juge constitutionnel a aussi procédé à un contrôle normal à propos du contrôle des assignations à résidence (CC, n° 2015-527 QPC, 22 décembre 2015 précité et CC, n° 2017-624 QPC, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II], JO, 17 mars 2017, texte n°67) ou à propos du contrôle de la création des zones de protection et de sécurité (ZPS) (CC, n°2017-684 QPC, 11 janvier 2018 précité). Le contrôle opéré par le juge constitutionnel est, dans ce cas, plus exigeant pour les atteintes graves à la liberté d’aller et de venir et au droit de mener une vie familiale normale (En ce sens, V. Goesel-Le Bihan, « Conseil constitutionnel et état d’urgence : état des lieux », AJDA 2017, p. 2033). Si les premières décisions ont été timides dans le contrôle, les décisions suivantes ont toujours amené une remise en cause partielle ou totale des mesures préconisées dans le cadre de l’état d’urgence. Le Conseil a pu ainsi retoquer certaines conditions des perquisitions et saisies (CC, n° 2016-536 QPC, 19 février 2016 précité), les critères de l’interdiction de séjour (CC, n°2017-635 QPC, 9 juin 2017 précité), certains aspects du régime des assignations à résidence (CC, n°2017-624 QPC, 16 mars 2017 précité), les conditions des contrôles d’identité, de fouilles de bagages et de visites des véhicules (décision n° 2017-677 QPC, 1er décembre 2017 précité) ou encore la délimitation de zones de protection ou de sécurité (décision n°2017-684 QPC, 11 janvier 2018 précité). Le Conseil a aussi su utiliser des moyens soulevés d’office (on pense au moyen d’office tiré de l’atteinte au droit un recours juridictionnel effectif (art. 16 DDHC) pour le contrôle des assignations à résidence longue durée : CC, n°2017-624 QPC, 16 mars 2017 précité) ou des réserves d’interprétation (toujours pour le contrôle des assignations à résidence longue durée : CC, n°2017-624 QPC, 16 mars 2017 précité) pour renforcer l’encadrement de certaines mesures.
iv) Des décisions néanmoins dépourvues d’effet utile pour préserver le caractère politique de l’état d’urgence (1)
422 • Si le juge constitutionnel n’a pu exercer son rôle dans le cadre du contrôle a priori, il n’a pas hésité à utiliser tous les outils à sa disposition dans son office a posteriori pour matérialiser sa jurisprudence. Parmi ces outils, celui qui a été le plus relevé est sans conteste son pouvoir de modulation dans le temps (art. 62 al. 2 C) des effets de ses déclarations d’inconstitutionnalité faisant dire à certains que « si l’ensemble des décisions n’a atteint le régime d’état d’urgence qu’à la marge, elles ont surtout été dépourvues d’effet utile » et ont « conduit à faire perdurer dans le temps les inconstitutionnalités constatées » (en ce sens, V. Champeil-Desplats « L’état d’urgence devant le Conseil constitutionnel ou quand l’Etat de droit s’accommode de normes inconstitutionnelles » précité). L’abrogation immédiate des dispositions législatives censurées a toujours été jugée comme pouvant entrainer des « conséquences manifestement excessives » (par ex., CC, n° 2017-635 QPC précité, cons. n°9). La doctrine a alors pu souligner les conséquences de cette façon de raisonner sur le respect des droits et libertés eu égard aux requérants (qui malgré leur saisine victorieuse du Conseil, n’ont pu se prévaloir des décisions d’inconstitutionnalité dont ils ont bénéficié, Cf. V. Champeil-Desplats précité) ou au législateur (lui permettant de corriger les mesures inconstitutionnelles en mettant « à disposition du Parlement des quasi-feuilles de route » lui permettant d’adopter des mesures « non manifestement déséquilibrées ou disproportionnées », Cf. V. Champeil-Desplats précité).
Des décisions néanmoins dépourvues d’effet utile pour préserver le caractère politique de l’état d’urgence (2)
423 • Le recours à l’article 62 C° n’a pas été utilisé dans toutes les décisions du juge constitutionnel mais cela n’a pas empêché, pour certains, la privation de l’effet utile. Certains auteurs ont fait remarqué que le simple caractère tardif de la prise de certaines décisions suffisait à empêcher leur application effective (cas de la décision CC, n° 2017-624 QPC, 16 mars 2017 précité, V. Champeil-Desplats précité) ou que certaines décisions avaient néanmoins pour effet « de durcir les situations individuelles et l’état de la législation » (V. Champeil-Desplats, « Histoire de lumières françaises : l’état d’urgence ou comment l’exception se fond dans le droit commun sans révision constitutionnelle », RIEJ 2017, n°79), p. 205 et suiv. ; cas de la décision CC, n° 2017-624 QPC, 16 mars 2017 précité dans la mesure où la décision a eu « pour effet de permettre au ministre de l’Intérieur de « décider de prolonger une assignation à résidence au-delà de 12 mois sans avoir besoin de l’autorisation » préalable du juge qui était prévue par la disposition législative censurée »). A noter néanmoins que pour les décisions amenant à un recul pour la protection des droits, le Conseil n’a pas hésité à encadrer alors davantage le cadre d’action des autorités par des réserves d’interprétation importantes (cas de la décision CC, n° 2017-624 QPC, 16 mars 2017 précité où le Conseil a formulé une série de réserves d’interprétation afin de renforcer l’encadrement des mesures de prolongation au-delà de 12 mois : menace d’une particulière gravité, éléments nouveaux ou complémentaires, le fait de tenir compte de la durée totale de l’assignation à résidence et de ses modalités dans l’examen de la situation de l’intéressé).
v) La continuité du contrôle du Conseil constitutionnel avec la loi « SILT » du 30 octobre 2017 (1)
424 • C’est moins de 6 mois après l’adoption de la loi du 30 octobre 2017 précitée que les pouvoirs essentiels inspirés de l’état d’urgence et inscrit dans le droit commun (le pouvoir de fixer des périmètres de protection et de sécurité, le pouvoir d’ordonner la fermeture administrative des lieux de cultes, le pouvoir de surveiller des personnes constituant une menace pour la sécurité et l’ordre public notamment par le biais d’assignations à résidence et le pouvoir d’effectuer des visites domiciliaires et saisies anciennement perquisitions administratives) ont vu leur constitutionnalité examiné. La 1ère mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, celle qui autorise les assignations à résidence dans un périmètre géographique déterminé (art. L. 228-2 CSI) a été déclaré conforme à la Constitution (CC, n°2017-691 QPC, 16 février 2018, M. Farouk B. [Mesure administrative d’assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme], JO, 18 février 2018, texte n°27). Le Conseil a considéré que les garanties entourant ses mesures étaient suffisantes et que les conditions du prononcé de la mesure étaient suffisamment précises (il s’agissait des conditions de radicalisation idéologique et de la présence d’un comportement constituant une menace en lien avec le risque de commission d’un acte de terrorisme). Mais il a aussi jugé que, contrairement à ce qui existait sous l’état d’urgence, il n’est plus possible, dorénavant, même en cas de menace persistante, de proroger la mesure au-delà d’un an (§ 17 ; Cf. supra n° 417 pour les anciennes modalités) faisant en sorte que les exigences soient ainsi plus fortes (Cf. J.-C. Jobart, « Les assignations à résidence de droit commun validées par le Conseil constitutionnel », JCP 2018, A, n°2146).
La continuité du contrôle du Conseil constitutionnel avec la loi « SILT » du 30 octobre 2017 (2)
425 • Les autres mesures ont été déférées au Conseil constitutionnel par le renvoi de 4 QPC (CE, 28 décembre 2017, Ben Fredj, Ligue des droits de l’homme, req. n°415434 et req. n°415697). Le Conseil a rendu sa décision le 29 mars 2018 (CC, n° 2017-695-QPC, 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autre [Mesures administratives de lutte contre le terrorisme], JO, 30 mars 2018, texte n°111) en vérifiant, pour l’essentiel, si les dispositions contestées réalisaient une conciliation non manifestement déséquilibrée entre garantie des libertés et recherche de la sécurité. C’est d’abord l’ensemble des conditions des périmètres de protection et de sécurité (la motivation de l’arrêté quant à la nature de l’événement et l’ampleur de sa fréquentation, la durée maximale d’un mois, le consentement des intéressés pour les palpations, fouilles et inspections visuelles ou l’accord des conducteurs pour les visites de véhicule) qui ont été validés par le juge constitutionnel (§31). Cela n’avait pas été le cas, dans le cadre de l’état d’urgence (CC, n° 2017-684 QPC, 11 janvier 2018 précité). Le Conseil a néanmoins adopté 3 réserves d’interprétation (les vérifications doivent exclure « toute discrimination » pour éviter les contrôles au faciès, les agents privés doivent être placés sous le contrôle effectif d’officiers de police judiciaire et le préfet doit justifier le renouvellement des zones en établissant « la persistance du risque » d’acte de terrorisme). Malgré l’atteinte à la liberté de conscience et au libre exercice des cultes, la fermeture administrative provisoire des lieux de culte (art. L. 227-1 CSI) a aussi été admise dans le sillage de ce qui avait déjà été décidé auparavant (la fermeture des lieux de réunion avait, en effet, été admise dans le cadre de l’état d’urgence : CC, n°2016-535 QPC, 19 février 2016 précité). Concernant la surveillance des personnes constituant une menace pour la sécurité et l’ordre publics (art. L. 228-1 CSI), et en particulier l’interdiction faite aux individus susceptibles de constituer une menace en lien avec le terrorisme de fréquenter certaines personnes, le raisonnement est identique à la décision prise lors de l’état d’urgence ne retient guère l’attention (mêmes motifs décision CC, n°2017-691 QPC, 16 février 2018 précitée). Enfin, pour les visites domiciliaires et saisies, le Conseil considère à nouveau (§59) que la loi définit avec suffisamment de précision les conditions des visites domiciliaires (article L. 229-2, la perquisition s’effectue en présence de l’occupant des lieux et sous le contrôle du juge, entre 6h et 21h, l’OPJ peut retenir pendant 4 h la personne après information du JLD). Il apporte une seule réserve d’interprétation en cas de découverte d’autres lieux dont la visite doit être autorisée par un juge.
vi) La confirmation du contrôle restreint du Conseil constitutionnel avec la loi « SILT » du 30 octobre 2017
426 • Le contrôle opéré par le juge constitutionnel sur la loi n’est pas un contrôle normal ou un plein contrôle de proportionnalité comme il a pu le faire pour certaines décisions liées à l’état d’urgence (voir, en ce sens, V. Sizaire, « Une question d’équilibre ? À propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 », RDH 2018, 28 mai). Il ne regarde pas si l’atteinte à la liberté est strictement nécessaire à la finalité de la mesure prise et se contente d’examiner si l’équilibre global entre les deux objectifs poursuivis par le texte de loi est satisfaisant (en l’occurrence les droits et libertés en cause et l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public). Il fait le choix d’un contrôle restreint en limitant la censure à ce qui serait « manifestement déséquilibrée » (CC, n°2017-695 QPC, 29 mars 2018 précité, cons. n°35, n°43, n°53, n°54 et n°66). Pour le dire autrement, si la disproportion n’est pas suffisamment importante, même si elle existe, elle ne sera pas considérée comme manifeste et n’encourra pas la censure. Reste alors la question de l’interprétation des motifs pour apprécier la disproportion et plus précisément la justification qui amène à lancer le processus de mesures coercitives, en l’occurrence ce que certains peuvent qualifier « d’effet terroriste » (V. Sizaire, article précité). La définition de l’infraction liée au terrorisme est très large (art. 421-1 du Code pénal pour qui sont des actes terroristes des actes qui sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ») d’autant plus s’il s’agit simplement de la prévenir. La loi du 30 octobre 2017 autorise des mesures coercitives en l’absence de tout fait matériel lié au terrorisme puisque seule demeure l’intention de troubler gravement l’ordre public. Le contrôle normal du juge constitutionnel aurait été en ce sens une garantie supplémentaire contre le possible arbitraire des mesures ainsi prises.
vii) Des censures qui se font, néanmoins, aujourd’hui, plus fréquentes (1)
426-1 • On peut dire que, globalement, le juge constitutionnel, comme les autres juges, n’a censuré qu’à la marge les différentes mesures présentes dans les lois antiterroristes se limitant, notamment, à quelques réserves d’interprétation (Voir, par ex., O. Cahn, « Contrôles de l’élaboration et de la mise en œuvre de la législation antiterroriste », RDLF 2016, chron. n°08). Il faut pourtant noter une certaine évolution dans le contrôle de la nécessité de la coercition. Si l’infraction d’apologie au terrorisme avait été jugé conforme aux principes de proportionnalité et de nécessité (CC, n°2018-706 QPC, 18 mai 2018, M. Jean-Marc R. [Délit d’apologie d’actes de terrorisme], JO, 30 mai 2018, texte n°110), il a ainsi censuré, en 2017 et respectivement, la mise en place du délit de consultation habituelle d’un site internet « terroriste » (CC, n°2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes], JO, 12 février 2017, texte n°46 et CC, n°2017-682 QPC, 15 décembre 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle des sites internet terroristes II], JO 16 décembre 2017, texte n°90) et, pour partie, du délit d’entreprise terroriste individuelle (CC, n°2017-625 QPC du 7 avril 2017, M. Amadou S. [Entreprise individuelle terroriste], JO, 9 avril 2017, texte n°38) soulignant, dans les deux cas, une atteinte non nécessaire aux libertés. Si l’objet même de ces lois a conduit le Conseil à « développer une jurisprudence « élastique » » et « un contrôle de constitutionnalité « sur mesure » » (K. Koudier, « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude comparée des expériences espagnole, française et italienne », Nouveaux cahiers du CC 2012), il faut, aujourd’hui, réellement parler d’un affermissement de son contrôle eu égard à la nécessité des lois pénales (cf. En ce sens V. Sizaire, « Pas plus qu’il n’est nécessaire », Revdh 2020, n°10471).
Des censures qui se font, néanmoins, aujourd’hui, plus fréquentes (2)
426-2 • Ce renforcement s’est, par exemple, manifesté dans la censure du délit de recel d’apologie de terrorisme par lequel des personnes ont pu être poursuivies et condamnées pour la simple détention de fichiers vidéos jugés apologétiques (CC, n°2020-845 QPC, 19 juin 2020, M. Théo S. [Recel d’apologie du terrorisme], JO, 20 juin 2020, texte n°67). Le législateur ne pouvant réprimer la seule intention ou des « actes ne matérialisant pas, en eux-mêmes, la volonté de préparer une infraction » et l’infraction pouvant se justifier que si les pouvoirs des autorités publiques pour lutter contre l’acte incriminé sont insuffisants. Le renforcement peut se percevoir aussi à travers la censure de la loi imposant de nouvelles mesures de sûreté aux personnes condamnées du chef d’une infraction terroriste (CC, n°2020-805 DC, 7 août 2020, Loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, JO, 11 août 2020, texte n°4). Soumises au principe selon lequel « la liberté de la personne ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » (art. 9 DDHC) même si elles ne sont pas des sanctions à proprement parler (CC, n°2005-527 DC, 8 décembre 2005, Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, JO, 13 décembre 2005, p. 19162, Rec. p. 153), le Conseil juge, en conséquence, le surcroit de coercition proposé par le législateur comme étant non nécessaire (la personne ne pouvant bénéficier, au surplus, de mesures favorisant sa réinsertion) et non proportionné (les mesures pouvant être prononcées pour des peines avec sursis et sur une durée pouvant aller jusqu’à 10 ans) (Voir, de manière plus générale, par ex., V. Sizaire, Etre en sûreté, La dispute, Paris, 2020 ; P. Cassia, « La rétention de sûreté : une peine après la prison ? », Commentaire 2008, vol. n°122, p. 569 et suiv. ou encore G. Beaussonie, « L’essor des lois pénales inconstitutionnelles », RSC 2020, p. 975 et suiv.). Enfin, il faut citer aussi, par exemple, la censure de nombreuses dispositions de la loi Avia du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet (loi n°2020-766) pour préserver l’équilibre entre la sauvegarde de l’ordre public et la liberté d’expression et de communication (CC, n° 2020-801 DC, 18 juin 2020, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, JO, 25 juin 2020, texte n°2) ou celle de certains articles de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés (loi n°2021-646) dont le très controversé article 52 visant à protéger les forces de l’ordre en opération en pénalisant la diffusion malveillante de leur image (CC, n°2021-817 DC, 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, JO, 26 mai 2021, texte n°2).
d)La nécessité d’un contrôle efficient du juge administratif pour préserver les droits et libertés
i) Le contrôle « normal » du juge administratif
427 • Dans le cadre des régimes d’exception, le juge administratif a progressivement développé son contrôle. Il s’est d’abord limité au seul contrôle de l’exactitude matérielle des faits (CE, ass., 16 décembre 1955, Dame Bourokba, req. n°36478, Rec. CE, p. 590, D. 1956, p. 392, note R. Drago, AJDA 1956, II, p. 29, obs. M. Long) avant de stabiliser sa jurisprudence autour d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 25 juillet 1985, Mme Dagostini, req. n°68151, Rec. CE, p. 226, AJDA 1985, p. 558, concl. B. Lasserre, RA 1985, p. 581, note B. Pacteau). Ce contrôle de l’erreur manifeste ayant été maintenu aussi bien pour la décision du Président de la République de promulguer l’état d’urgence que pour celle de le suspendre ou à défaut d’y mettre un terme ou de réexaminer la nécessité de son maintien (CE, ord., 9 décembre 2005, Mme Allouache, req. n°287777, Rec. CE, p. 562 ; CE, 27 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme, req. n°396220). C’est en 2015 (CE, Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud et autres, req. n°394989 et autres précité) que le passage au contrôle normal ou entier se matérialise. Plus précisément celui qui amène le juge à exercer, conformément à ce qui se pratique au niveau européen (Cf. CJCE, 13 novembre 1990, The Queen contre Minister of Agriculture, Fisheries and Food et Secretary of State for Health, ex parte : Fedesa e.a., aff. C-331/88, AJDA 1991, p. 267, chron. T. Debard et C. Alibert), constitutionnel (CC, n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015 précité, cons. n°12) et depuis peu dans sa jurisprudence (CE, ass., 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image, req. n°317827, Rec. CE, p. 505, concl. J. Boucher, AJDA 2012, p. 35, chron. M. Guyomar et X. Domino, DA 2012, n° 1, p. 29, note V. Tchen), un « triple test de proportionnalité » fondée sur trois éléments : les mesures devant être nécessaires, adaptées et proportionnées (Cf. C. Roulhac, « La mutation du contrôle des mesures de police administrative. Retour sur l’appropriation du « triple test de proportionnalité » par le juge administratif », RFDA 2018, p. 343 et suiv). Perçu comme le plus approprié en matière d’examen de la légalité des mesures restrictives des droits et libertés, ce contrôle est aujourd’hui exercé aussi bien pour les assignations à résidence (CE, Sect., 11 décembre 2015, précité, cons. n°27 ; CE, ord., 6 janvier 2016, Mme Milana E, req. n°395622 ; CE, ord., 22 janvier 2016, Halim A., req. n°396116) que pour les perquisitions (CE, avis, 6 juillet 2016, Napol et autres, req. n°398234, cons. n°6) ou une fermeture administrative prescrite par le préfet (CE, ord., 25 février 2016, Mosquée de Lagny-sur-Marne, req. n°397153).
ii) La confirmation de l’efficacité du référé liberté (1)
428 • Le passage au contrôle normal du juge est d’autant plus marquant qu’il s’effectue dans le contexte des procédures d’urgence et plus particulièrement du référé-liberté. L’idée est de tout faire pour donner au juge, dans ce cadre, les pouvoirs de contrôle nécessaires qui vont lui permettre d’éviter l’arbitraire dans l’utilisation des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Comme le souligne Xavier Domino, il faut « que votre décision envoie le signal clair, tant à l’égard de l’administration, des citoyens que des juges, que le contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence n’aura rien d’un contrôle au rabais, et que l’Etat de droit ne cède pas face à l’état d’urgence » (X. Domino, conclusions sous CE, Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud et autres, RFDA 2016, p. 105). On sait d’abord que le recours au référé-liberté est, en pratique, un recours autonome qui peut s’assimiler à un recours au fond dans la mesure où il n’est pas une procédure accessoire, qu’il n’a pas à être suivi d’une procédure au fond (comme le référé suspension) et qu’il va permettre au juge de prendre toute mesure utile (suspension de la décision administrative, pouvoir d’injonction pour imposer une obligation de faire ou de ne pas faire). Dans le même esprit, le juge interprète largement l’atteinte à proprement parler à la liberté fondamentale. Il considère, par exemple, que la liberté de culte, qui est une liberté fondamentale, « a également pour composante la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice d’un culte » (CE, ord., 25 août 2005, n° 284307, Commune de Massat, Rec. CE, p. 386, AJDA 2006, p. 91, note P. Subra de Bieusses). Par conséquent, ce qui implique qu’ « un arrêté prescrivant la fermeture d’un lieu de culte, telle qu’une salle de prière, est susceptible de porter atteinte à cette liberté fondamentale » (CE, ord., 25 février 2016, Mosquée de Lagny-sur-Marne précité).
La confirmation de l’efficacité du référé liberté (2)
429 • Autre point très important, le juge a aussi ouvert largement l’accès au référé en posant une présomption d’urgence à propos des assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence (CE, Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud et autres précité). Il n’est pas nécessaire, dès lors, pour le juge, d’apprécier, au cas par cas, si la situation d’urgence est en l’espèce caractérisée. Si c’est à l’administration de prouver ou faire valoir les « circonstances particulières » pour rompre la présomption, cela permet surtout au juge de juger en temps utile. A noter pour terminer que si la jurisprudence exclut en principe les moyens tirés de la violation par la loi du droit international dans les procédures de référé (CE, 30 décembre 2002, Carminati, req. n°240430 précité même si le droit de l’Union européenne peut être invoqué dès lors qu’est en cause une « méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit de l’Union » CE, 16 juin 2010, Diakité, req. n°340250 précité), le juge administratif n’a pas hésité à accueillir des moyens fondés sur la violation prétendue d’instruments internationaux de protection des droits de l’homme. S’il a admis, pour la première fois, le caractère « manifestement illégal » d’une décision à partir d’un contrôle de sa conventionnalité dans une décision du 31 mai 2016 (CE, ass., 31 mai 2016, Mme Gomez, req. n°396848 précité), il a élargi ses normes de référence en prenant en compte l’article 8 ConvEDH (atteinte à la vie privée et familiale : CE, ord., 28 juill. 2016, Abdeslam, req. n°401800, AJDA 2016, p. 2052, note M. Sztulman, D. 2017, p. 1274, obs. J.-P. Céré et M. Herzog-Evans), l’article 2 du protocole n° 4 à la ConvEDH (liberté de circulation : CE, sect., 11 déc. 2015, M. Domenjoud et autres précité) ou encore la convention internationale sur les droits de l’enfant (les modalités de l’assignation à résidence peuvent porter atteinte à l’intérêt supérieur des enfants : CE, ord., 6 janvier 2016, n°395622 précité).
iii) Un juge administratif qui remplit, au final, son office de protecteur des droits et libertés (1)
430 • Pour certains, au regard de la gravité des atteintes possibles portées aux libertés fondamentales, le contrôle opéré par le juge administratif dans le cadre de l’état d’urgence et de la lutte contre le terrorisme a atteint ses objectifs : « l’administration est contrôlée, le justiciable est protégé, l’ordre public est respecté » (C. Fardet, « L’état d’urgence : point de vue du droit administratif », Civitas Europa 2016, n°36, p. 155 et suiv.). L’effectivité des garanties apportées aux libertés paraît, de même, conforme, pour l’essentiel, à ce que requiert la ConvEDH et « ne semble encourir que des critiques marginales » (P. Wachsmann, « Contrôle des mesures prises au titre de l’état d’urgence et convention européenne des droits de l’homme », AJDA 2016, p. 2425 et suiv.). Mais cette façon de voir les choses chez les « administrativistes » n’est pas la même chez les « constitutionnalistes » (Voir par ex., V. Champeil Desplats « L’état d’urgence devant le Conseil constitutionnel, ou quand l’Etat de droit s’accommode de normes inconstitutionnelles », in S. HennetteVauchez (dir.), Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence, Paris, Institut Universitaire Varenne, tome n°69, 2018, p. 106 et suiv. ; A. Roblot-Troizier, « Assignations à résidence en état d’urgence », RFDA 2016, p. 123 et suiv. ou « Etat d’urgence et protection des libertés », RFDA 2016, p. 424 et suiv. ; D. Baranger, « Quel « Etat de droit » ? Quels contrôles ? Le juge des référés et le maintien en vigueur de l’état d’urgence », note sous CE, ord., 27 janv. 2016, Ligue des droits de l’homme et autres, RFDA 2016, p. 355 et suiv. ou « L’état d’urgence dans la durée », RFDA 2016, p. 447 et suiv.) ou chez d’autres auteurs qui se posent certains questions (Voir X. Vandendriessche, « Le contrôle du Conseil d’Etat sur les mesures prises au titre de l’état d’urgence », AJDA 2018, p. 1322 et suiv.).
Un juge administratif qui remplit, au final, son office de protecteur des droits et libertés (2)
431 • Les questionnements de certains auteurs se matérialisent, notamment, autour la saisie répétée, par le biais de QPC, du Conseil constitutionnel par le juge des référés du Conseil d’Etat. Il a pu, ainsi, être souligné qu’ « il peut paraître, à première vue, paradoxal que, d’un côté, le Conseil d’Etat juge suffisamment sérieuse la question de la méconnaissance des droits et libertés constitutionnellement garantis, et notamment de la liberté d’aller et venir, et que, de l’autre, il considère, en référé, que les assignations à résidence prises ne portent pas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale » (A. Roblot-Troizier, « Assignations à résidence en état d’urgence » précité). C’est d’autant plus paradoxal que « la constitutionnalité est principalement fondée sur l’existence et la nature du contrôle exercé par le juge administratif » (X. Vandendriessche, « Le contrôle du Conseil d’Etat sur les mesures prises au titre de l’état d’urgence » précité). La question de l’appréciation du risque ou de la potentialité de la menace terroriste est également sujette à débat notamment à travers les éléments dont dispose le juge pour se prononcer (les notes blanches des services de renseignement qui constituent le seul moyen de preuve de la menace ont un caractère controversé et sont très critiqués dans leur utilisation comme moyen de preuve ; l’utilisation de certaines techniques pour caractériser la menace comme la menace par ricochet où l’appréciation du comportement d’un intéressé réside essentiellement dans la dangerosité de ses proches ou l’appréciation de la légalité de la mesure restrictive de liberté par le constat de l’existence d’autres actes administratifs pris dans le même cadre ; Cf. En ce sens X. Vandendriessche, « Le contrôle du Conseil d’Etat sur les mesures prises au titre de l’état d’urgence » précité).
5 – Le mouvement d’extension du domaine de la police administrative suite aux mesures liées à l’état d’urgence « sanitaire »
a) Le renforcement de la police sanitaire pour lutter contre la crise du Covid-19
i) L’état d’urgence sanitaire : la création par la loi du 23 mars 2020
431-1 • La santé publique étant une compétence centralisée (voir O. Renaudie « Eloge de la centralisation sanitaire », AJDA 2020, p. 1313 et suiv.), c’est tout naturellement que l’Etat s’est tournée vers la police sanitaire pour faire face à la crise d’importance et relativement inédite du Covid-19. Les premières mesures ont été édictées par le Ministre de la santé sur la base de l’article L. 3131-1 CSP qui institue une police administrative spéciale de l’urgence sanitaire (voir D. Truchet, « L’urgence sanitaire », RDSS 2007, p. 411 et suiv. et O. Renaudie, « La police sanitaire : un outil au service de la lutte contre le coronavirus », Revue Civitas Europa 2020, p. 43 et suiv.) puis par le 1er Ministre sur le fondement de son pouvoir de police administrative générale (Cf. Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 (JO, 17 mars 2020, texte n°2) portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 par lequel le 1er Ministre interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile jusqu’au 31 mars 2020). C’est seulement, après, que les autorités ont créé un nouveau régime dérogatoire, celui de l’état d’urgence « sanitaire » (Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 (JO, 24 mars 2020, texte n°2) d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 loi du 23 mars 2020 qui l’a mis en place pour une durée de 2 mois, il a ensuite été prolongé par la loi du 11 mai 2020 (JO, 12 mai 2020, texte n°1) prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions jusqu’au 10 juillet 2020 inclus puis a de nouveau été déclaré par le décret n°2020-1257 du 14 octobre 2020 (JO, 15 octobre 2020, texte n°30) déclarant l’état d’urgence sanitaire et prorogé jusqu’au 16 février 2021 par la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 (JO, 15 novembre 2020, texte n°1) autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et, enfin, encore prorogé par la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 (JO, 16 février 2021, texte n°1) prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin 2021).
ii) L’état d’urgence sanitaire : un régime général et temporaire à la fois
431-2 • La logique de l’état d’urgence « sanitaire » est très proche de celle de l’état d’urgence « sécuritaire » puisqu’elle vise, de même, à étendre les pouvoirs de police qui, en temps normal, auraient été illégaux. Le 1er Ministre s’est vu reconnaître, entre autres, la compétence pour restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, interdire aux personnes de sortir de leur domicile ou encore interdire les rassemblements sur la voie publique alors que le Ministre de la Santé s’est, lui, vu attribuer le pouvoir d’édicter toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures générales prescrites par le 1er Ministre (le préfet agissant localement en cas de mesure n’excédant pas le territoire d’un département). La plupart des dispositions mises en place par le législateur ont vocation à disparaitre en même temps que la crise (les dispositions des titre II et III de la loi du 23 mars 2020 précitée) mais il n’en est pas de même de celles relatives strictement à l’état d’urgence « sanitaire » (titre I de la loi du 23 mars 2020 précitée) qui ont été introduites dans le Code de la Santé publique et qui ont comme objectif d’instituer un nouveau régime d’exception pour chaque « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population » même si le régime antérieur de l’article L. 3131-1 CSP persiste. Au-delà de ce caractère général, c’est donc surtout le caractère permanent du régime qui ressort dans la mesure où il est censé être utilisable à chaque fois qu’une nouvelle catastrophe sanitaire du même type se reproduirait. Le danger étant la possibilité d’activer et de recourir abusivement au nouveau mécanisme pour n’importe quelle grippe saisonnière faute de cadre plus précis. Pour pallier ce risque, le Parlement a décidé de ne rendre l’état d’urgence sanitaire applicable que de façon temporaire, « jusqu’au 1er avril 2021 » (art. 7), c’est-à-dire d’en limiter la mise en œuvre à la gestion du covid-19. Il y a eu, à ce sujet, beaucoup de confusion dans les discussions parlementaires quant à la coexistence de ces deux caractères y compris dans les prorogations législatives qui ont suivi.
iii) L’état d’urgence sanitaire : une mise en place qui pose question
431-3 • Il y a eu quelques voix discordantes (Voir, dans le sens de l’état d’urgence sanitaire, X. Dupré de Boulois « L’état d’urgence sanitaire : une création opportune ? » et « Eloge d’un état d’urgence sanitaire en « co-construction » », https://blog.leclubdesjuristes.com, 26 mai 2020) mais la création de l’état d’urgence sanitaire a, surtout, surpris de nombreux commentateurs et à amener à de nombreuses discussions sur la nécessité et l’utilité de ce nouveau régime (Voir, par ex., F. Saint-Bonnet, « De la banalisation des états d’urgence », https://blog.juspoliticum.com, 9 janvier 2021 ; A. Gelblat et L. Marguet, « Etat d’urgence sanitaire : la doctrine dans tous ses états ? », RDH 2020, 19 avril [En ligne] ; D. Cristol, « La Covid-19 : à nouveau danger, régimes exceptionnels », RDSS 2020, p. 839 et suiv. ; P. Wachsmann, « Les libertés et les mesures prises pour lutter contre la propagation du Covid-19 : une accoutumance aux régimes d’exception », https://blog.leclubdesjuristes.com, 13 mai 2020 ; E. Morin, « La crise sanitaire du Covid 19 et le risque d’États néo-totalitaires », https://blog.leclubdesjuristes.com, 25 mai 2020) et le mouvement de banalisation de la restriction des libertés publiques (A. Jacquin et E. Daoud, « L’Etat d’urgence sanitaire ou l’Etat de droit mutilé », AJ pénal 2020, p. 191 et suiv. ; A. Hazan, « Les droits fondamentaux des personnes détenues à l’épreuve de la crise sanitaire », AJ pénal 2020, p. 200 et suiv. ; D. Roman « Liberté, égalité, fraternité » : la devise républicaine à l’épreuve du covid-19 », RDSS 2020, p. 926 et suiv. ; V. Champeil-Desplats, « Aspects théoriques : ce que l’état d’urgence fait à l’État de droit », Ce qui reste(ra) toujours de l’état d’urgence, Rapport du CREDOF, 2018, p. 19 et suiv. ; P. Wachsmann, « Les libertés et les mesures prises pour lutter contre la propagation du Covid-19 : sanctuariser le noyau dur des libertés » et « Les libertés et les mesures prises pour lutter contre la propagation du Covid-19 : l’individualisme subordonné à une logique de santé », https://blog.leclubdesjuristes.com, 13 mai 2020). Si la crise apparait inédite à plus d’un titre (le confinement mis en place sur l’ensemble du territoire national emporte suspend l’exercice de beaucoup de droits et libertés) et qu’elle a imposé une réaction en urgence, le législateur a quand même mis en place un nouveau régime d’exception amenant à multiplier ces derniers (au nombre de 4 désormais : l’état de siège de l’article 36 C° et les pouvoirs de crise de l’article 16 C° et, donc deux maintenant, sur fondement d’une loi ordinaire, l’état d’urgence sécuritaire et l’état d’urgence sanitaire). S’il disposait déjà de moyens extrêmement étendus pour la défense sanitaire de la collectivité (Cf. La police administrative spéciale de l’urgence sanitaire de l’art. L. 3131-1 CSP citée précédemment), ceux-ci ont été jugés insuffisants pour surmonter la crise. Il a été démontré, pourtant, que le législateur pouvait opter pour d’autres options envisageables en ne modifiant pas, par exemple, le cadre législatif existant et en continuant à s’appuyer sur les pouvoirs de police générale des autorités nationales ou locales ou en complétant les mesures de l’article L. 3131-1 CSP (Cf. Par ex., O. Beaud et C. Guérin-Bargues, « L’état d’urgence sanitaire : était-il judicieux de créer un nouveau régime d’exception », D. 2020, p. 891 et suiv. ; S. Renard, « L’état d’urgence sanitaire : droit d’exception et exceptions au droit », RDLF 2020, chron. n°13 [En ligne] ; P. Cassia, « L’état d’urgence sanitaire : remède, placebo ou venin juridique ? », https://blogs.mediapart.fr, 24 mars 2020 ; G. Bligh, « Quelle est la fonction de la loi sur l’état d’urgence sanitaire ? », https://blog.juspoliticum.com, 3 juin 2020).
iv) L’état d’urgence sanitaire : une sortie qui interpelle aussi, le cas du passe sanitaire (1)
431-4 • C’est par les lois des 31 mai (n°2021-689) et 5 août 2021 (n°2021-1040) relatives à la gestion sanitaire que le gouvernement a organisé la gestion de la sortie de crise sanitaire. Pour continuer à enrayer la propagation du virus et de ses variants, il a prévu des outils contraignants, comme le passe sanitaire, la vaccination obligatoire juridiquement possible (sur l’obligation vaccinale cf. X. Bioy, « Vers la vaccination obligatoire contre la Covid ? », Blog club des juristes, 8 juillet 2021 ; C. Lantero, D. Braunstein, « Sur la licéité d’une obligation vaccinale anti-Covid – 2 », RDLF 2021 chron. n°25). ou l’obligation de se placer à l’isolement en cas de contamination à la covid-19. Après avoir envisagé d’instaurer un « passeport vaccinal » en décembre 2020, le gouvernement a décidé de retenir un « passe sanitaire », moins restrictif dès lors que le vaccin n’est pas le seul moyen de justifier de sa bonne santé. Validé deux fois par le juge constitutionnel (CC, n°2021-819 DC, 31 mai 2021, Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, JO, 1er juin 2021, texte n°2 et CC, n°2021-824 DC, 5 août 2021, Loi relative à la gestion de la crise sanitaire, JO, 6 août 2021, texte n°3), il fait pourtant l’objet de nombreuses atteintes aux libertés individuelles. Malgré cette validation, des doutes juridiques subsistent (Voir F. Berrod, « Le passe sanitaire français et l’enjeu des droits fondamentaux », https://blog.leclubdesjuristes.com, 7 mai 2021). Si sa durée de vie est a priori limitée (il est sensé disparaitre au 1er octobre 2021), il peut dans tous les cas faire son retour si le contexte sanitaire change de nouveau. Il peut ne pas être conforme aux engagements internationaux de la France en matière d’essai clinique (article 5 et 16 de la convention d’Oviedo, signée par la France le 4 avril 1997 : en ce sens, M. Bornhauser, « Le passe sanitaire : un colosse aux pieds d’Argile ? », RPPI 2021, n°1, dossier n°4) ou au droit à la protection de la santé (alinéa 11 du préambule de la C° de 1946) même si ce dernier n’empêche pas une politique de vaccination obligatoire (CC, n° 2015-458 QPC, 20 mars 2015, Epoux L. [Obligation de vaccination], JO, 22 mars 2015, p. 5346 ; voir J.-P. Markus, « Du vaccin obligatoire à l’obligation vaccinale », Droit famille 2018, étude n°19 et le juge européen qui juge dans le même sens : CourEDH, GC, 8 avr. 2021, Vavřička et autres contre République tchèque, req. n°47621/13 où la vaccination obligatoire d’enfants a été jugé non contraire à l’article 8 ConvEDH).
L’état d’urgence sanitaire : une sortie qui interpelle aussi, le cas du passe sanitaire (2)
431-5 • Il peut aussi ne pas être conforme au principe d’égalité devant la loi (art. 6 DDHC selon lequel « la loi doit être la même pour tous ») qui interdit les discriminations, sauf lorsqu’elles sont justifiées pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (Par ex : CC, n° 2010-3 QPC, 28 mai 2010, Union des familles en Europe [Associations familiales], JO, 29 mai 2010, p. 9730, Rec. CC, p. 97) À ce titre, le code pénal sanctionne les distinctions fondées sur de nombreux critères, parmi lesquels figure l’état de santé, lorsque le motif d’intérêt général est disproportionné par rapport à la discrimination subie (Cf. Par ex., F. Melin-Soucramanien, « Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Quelles perspectives pour la question prioritaire de constitutionnalité ? » Cahiers du CC 2010, n° 29 [En ligne]). Ce principe d’égalité peut être combiné avec la liberté de conscience (art. 10 DDHC) et les dispositions européennes (Cf. art. 14 ConvEDH, art. 1er du 1er protocole additionnel à la ConvEDH et art. 60 CDFUE). Si l’introduction du passe sanitaire a porté à discussions, son extension a été encore plus remise en cause notamment eu égard à la proportionnalité du bilan bénéfice au niveau sanitaire et risque pour les libertés (Cf. S. Slama, « Les impasses juridiques du pass sanitaire », RDLF 2021, chron. n° 26 ; P. Gonzales, « Covid-19: les juristes sceptiques face à l’extension du pass sanitaire », Le Figaro, 12 juillet 2021 ; N. Hervieu, « Passe sanitaire : juridiquement, la situation n’est pas très confortable pour le gouvernement », La Croix, 13 juillet 2021 ; C. Dounot, « La démesure du « pass sanitaire » » D. 2021, p. 1386 et suiv. ; « Etat d’urgence sanitaire – La Défenseure des droits alerte à propos de l’extension du passe sanitaire », JCP 2021, G, n°829) même si la nécessité fait acte (C. Castets-Renard, « Le passe sanitaire : prix à payer d’une liberté de circuler post-pandémie ? » D. 2021, p. 1128 et suiv.) et qu’en aucun cas cela justifie les débordements qui ont pu exister vis-à-vis de ce dispositif (Voir P. Jestaz, « En voilà assez ! », D. 2021, p. 1537 et suiv.).
b) La confirmation du rôle protecteur du juge administratif
i) Une intervention nécessaire suite à la réserve du juge constitutionnel
431-6 • Si l’état d’urgence sanitaire n’a pas été sans évoquer l’état d’urgence sécuritaire tant dans sa mise en place que sa sortie progressive voire sa pérennisation dans le droit commun, c’est vers le juge administratif que se sont principalement tournés les justiciables. La loi organique du 30 mars 2020 (n°2020-365) a, en effet, suspendu pour près de trois mois les délais trimestriels d’examen des QPC pour éviter un risque d’engorgement du juge constitutionnel (la loi a été jugé conforme à la Constitution CC, n°2020-799 DC, 26 mars 2020, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, JO, 31 mars 2020, texte n°5, malgré une inconstitutionnalité manifeste : voir, par ex., pour une critique quasi unanime, S. Benzina, « La curieuse suspension des délais d’examen des questions prioritaires de constitutionnalité », (http://blog.juspoliticum.com, consulté le 3 avril 2020, J. Jeannneney, « La non-théorie des « circonstances particulières » », AJDA 2020, p. 843 et suiv., V. Champeil-Desplats, « Le Conseil constitutionnel face à lui-même », RDH 2020, avril, https://journals.openedition.org, J.-E. Gicquel, « La loi organique Covid-19 et l’irrespect non-sanctionné de la Constitution », GP 2020, n° 14, p. 27 et suiv. ; P. Cassia, « Le Conseil constitutionnel déchire la Constitution », (https://www.mediapart.fr, 27 mars 2020, K. Roudier, « Un nouveau repli du Conseil constitutionnel dans son rôle de contrepoids », Dalloz actualité, 6 avril 2020). Le Conseil d’Etat a été saisi d’un nombre considérable de recours par le biais de la procédure du référé liberté mais la plupart d’entre eux ont été rejeté. Ce dernier a alors été accusé de tous les maux et de toutes les faiblesses, étant qualifié, au mieux, de juge « pragmatique »(O. Le Bot, « Crise du coronavirus : le « pragmatisme » du juge du référé-liberté », JCP 2020, G, n°434), au pire, de juge « chien de garde du pouvoir » (P. Januel, « Libertés : le Conseil d’Etat agit le plus souvent en chien de garde du pouvoir », (https://www.mediapart.fr, 22 avril 2020). Parmi les reproches principaux faits au Conseil d’État, on trouve, pêle-mêle, la mise en place de décisions trop favorables à l’administration, le nombre important d’ordonnances de tri (sans audience), le refus d’imposer des injonctions à l’État ou encore le crédit trop important donné à la parole gouvernementale lors de l’examen des requêtes (pour une vision générale et un résumé, voir : A. Gelbat et L. Marguet, « Etat d’urgence sanitaire : la doctrine dans tous ses états ? », RDH 2020, avril, https://journals.openedition.org).
ii) Une intervention, a priori, stricte et classique dans le cadre du référé liberté (1)
431-7 • Le juge a, la plupart du temps, répondu, par la négative, aux demandes effectuées (Voir, pour une étude d’ensemble, J.-M. Pontier, « Le contentieux lié à la covid-19 devant le juge administratif », RDSS 2020, p. 866 et suiv. et C. De Bernardinis,« La crise sanitaire : la confirmation du rôle protecteur du juge administratif ? », Revue Civitas Europa 2020, p. 97 et suiv.) .C’est par une ordonnance du 22 mars 2020 que le juge des référés du Conseil d’Etat a débuté son office en refusant, notamment de prononcer un confinement total de la population (CE, ord., 22 mars 2020, Syndicat des Jeunes Médecins, req. n°439674. Cf. J. De Gliniasty, « La gestion de la pandémie par la puissance publique devant le Conseil d’État à l’aune de l’ordonnance de référé du 22 mars 2020 », RDH 2020, juin, https://journals.openedition.org, X. Dupré De Boulois, « On nous change notre référé-liberté », RDLF 2020, chron. n°12, C. Saunier, « La position délicate du juge des référés face à la crise sanitaire : entre interventionnisme ambigu et déférence nécessaire », http://blog.juspoliticum.com, 11 avril 2020). Sont également rejetés, par exemple, les demandes enjoignant au CHU de Guadeloupe et à l’ARS de commander des doses d’hydroxychloroquine et d’azythromycine, ainsi que des tests de dépistage en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel (CE, ord., 4 avril 2020, CHU de Guadeloupe et Ministre de la santé et des solidarités, req. n°439904 et 439905 et, concernant la région de Marseille, CE, ord., 7 avril 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région, req. n°439937et n°439938), la demande visant à enjoindre au Gouvernement de fermer temporairement les centres de rétention administrative où sont retenus des étrangers en situation irrégulière en attente de leur éloignement (CE, ord., 27 mars 2020, GISTI et autres, req. n°43972056) ou encore de la requête visant à enjoindre au gouvernement de prendre des mesures sanitaires supplémentaires pour les détenus et de procéder à la libération de certains d’entre eux afin de réduire la population carcérale (CE, ord., 8 avril 2020, Section française de l’observatoire international des prisons et autres, req. n°439827).
Une intervention, a priori, stricte et classique dans le cadre du référé liberté (2)
431-8 • Il faut aussi évoquer le rejet sans audience des requêtes visant à obtenir que les détentions provisoires ne soient pas automatiquement prolongées (CE, ord., 3 avril 2020, Syndicat des avocats de France, req. n°439894 et CE, ord., 3 avril 2020, UJA, ADAP et CNB, req. n° 439877, 439887, 439890 et 439898). Ces dernières avaient, pourtant, été très médiatisées (voir, par ex., : J.-B. Jacquin, « Coronavirus : le Conseil d’Etat valide la prolongation de la détention provisoire sans juge », Le monde, 4 avril 2020 ; P. Gonzalès, « Le Conseil d’Etat sur la ligne de crête des libertés publiques », Le Figaro, 7 avril 2020) et très contestées (Le Syndicat de la magistrature, la Ligue des droits de l’homme, l’Observatoire International des Prisons et divers syndicats d’avocats ont dénoncé ces mesures ; voir aussi J.-B. Perrier, « La prorogation de la détention provisoire, de plein droit et hors du droit », Dalloz actualité, 9 avril 2020 ; R. Madid et A. Couilliot, « COVID-19 : détention provisoire et reculs définitifs », https://www.lemondedudroit.fr, 6 avril 2020 ; R. Letteron, « Quand la détention provisoire devient un internement administratif », http://libertescheries.blogspot.com, 7 avril 2020). La Cour de cassation était pourtant revenue sur les dispositions (Cass., crim., 26 mai 2020, n° de pourvoi : 20-81.971 et Cass., crim., 26 mai 2020, n° de pourvoi : 20-81.910 où le juge indique que la prolongation méconnaît les exigences de l’article 5 ConvEDH) avant que le Parlement ne donne finalement le clap de fin à cette anomalie en adoptant, le 9 mai 2020, l’amendement, n° CL370 supprimant les dispositions litigieuses.
Une intervention, a priori, stricte et classique dans le cadre du référé liberté (3)
431-9 • Dans l’ensemble, on a assisté à la mise en place de réponses « standard », le juge faisant en sorte de reprendre les mêmes paragraphes relatant les circonstances de la période d’Etat d’urgence sanitaire et établissant la réglementation qui en a découlé. Il a tenu compte de chaque dossier mais il a adapté son office aux précédents pour faire en sorte, ce qui est louable, d’avoir une jurisprudence, dans l’ensemble, cohérente sur la durée. Il faut relever que, dans le cadre du référé-liberté, le juge a, principalement, dans son office appliqué une jurisprudence déjà bien ancrée. Ainsi, par exemple, il a apprécié strictement la condition relative à la liberté fondamentale censée être violée. Si la violation du principe d’égalité a été invoquée, pris en elle-même, elle ne suffit toujours pas à révéler une atteinte à une liberté fondamentale (CE, ord., 29 mars 2020, Debout la France, req. n°439798 ou CE, ord., 1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, req. n° 43976266). Le droit au logement (CE, ord., 2 avril 2020, Fédération nationale droit au logement et autres, req. n°439763) ou le droit à la santé (CE, 28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région et autres, req. n° 439726) ne sont toujours pas considérés comme invocable dans ce cadre. En revanche, si le juge a pris particulièrement en compte le contexte et les faits pour mieux justifier le rejet des requêtes, il n’a pas, comme il le fait de manière classique, raisonné in abstracto, il a, avant tout, raisonné in concreto en cherchant à déterminer si l’administration avait fait ce qu’elle devait eu égard à la préservation de telle liberté ou si l’équilibre entre les libertés était maintenu eu égard au contexte et aux conditions d’intervention. Pour ce faire, il a, ainsi et surtout, porté une appréciation tenant compte des mesures concrètes déjà prises par l’administration et des moyens dont elle disposait. Il n’a ordonné des mesures que si l’injonction prononcée était susceptible de produire un effet immédiat, ou en tout cas, à très brève échéance.
iii) Une intervention, a posteriori, encore accrue dans le cadre du référé liberté (1)
431-10 • Si le juge administratif a volontairement limité son office, il a, aussi, au-delà des apparences et à certains égards, dépassé le cadre traditionnel de son champ d’action, à travers l’exercice de son pouvoir d’injonction (Voir, par ex., M. Bartolucci, « Le pouvoir d’injonction du juge administratif revisité par les circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire du Covid-19 », LPA 2020, n°143, 17 juillet, p. 9 et suiv.). Comme à travers l’utilisation de nouveaux procédés moins contraignants mais tout aussi efficaces dans le contrôle des décisions. La reconnaissance d’une carence de l’administration face à un danger pour la vie n’avait conduit qu’à la prescription de mesures purement matérielles à l’exclusion, selon la formule classique, de toutes « mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique » (par ex., CE, ord., 26 juillet 2018, Mme C. et autres, req. n° 42223781). Le juge est allé outre cette exclusion pendant la crise sanitaire en enjoignant l’administration à prendre des mesures d’ordre normatif. L’exemple le plus explicite est celui de l’ordonnance relative aux conditions de confinement de la population (CE, ord., 22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, req. n° 439674, op. cit.). Comme le relève Xavier Dupré de Boulois, « l’étendue des mesures prescrites au sein de l’ordonnance est sans commune mesure avec ce qu’il en était jusque-là » (X. Dupré de Boulois, « On nous change notre …référé liberté », op. cit.) puisque le juge « interfère […] dans l’exercice d’une compétence normative au niveau national » (Ibid.) et que c’est toute la population qui est concernée par les mesures poussant encore plus loin l’interventionnisme du juge des référés. De même, en vérifiant que les dérogations à l’obligation de confinement à domicile n’avaient pas été définis de manière trop permissive, le juge « devient donc une sorte d’auxiliaire de la police administrative dont il s’efforce d’améliorer l’efficacité » (Ibid.).
Une intervention, a posteriori, encore accrue dans le cadre du référé liberté (2)
431-11 • Dans le même ordre d’idée, il faut citer l’ordonnance relative à l’arrêté du maire de Sceaux imposant le port d’un masque à tous ses citoyens de plus de 10 ans. En rappelant l’intervention préalable de la police administrative spéciale nationale en matière sanitaire, le juge a fortement limité les conditions d’intervention de l’autorité locale de police administrative générale en cas de concours de police tout en redéfinissant les compétences respectives (CE, ord., 17 avril 2020, Commune de Sceaux, req. n° 440057). D’autres ordonnances peuvent être citées également dans ce cadre. Par exemple, celle amenant à enjoindre au gouvernement de diffuser clairement, par un moyen de communication à large diffusion, l’information selon laquelle l’usage de la bicyclette est autorisé (CE, ord., 30 avril 2020, Fédération française des usagers de la bicyclette, req. n° 440179) ou celle contraignant le ministère de l’Intérieur à rétablir en Île-de-France, dans un délai de 5 jours, l’enregistrement des demandes d’asile (CE, ord., 30 avril 2020, Office français de l’immigration et de l’intégration, req. n° 440250). Le juge a aussi pu ordonner au gouvernement, de façon significative, de lever l’interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte (CE, ord., 18 mai 2020, Association Civitas, Parti Chrétien-Démocrate et autres, Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (AGRIF), Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, req. n° 440366, n° 440410, n° 440512 et n° 440519) ou d’arrêter, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone pour faire respecter, à Paris, les règles de sécurité sanitaire applicables à la période de de confinement (CE, ord., 18 mai 2020 Ligue des droits de l’homme et Association La Quadrature du Net, req. n° 440442 et n° 440445).
Une intervention, a posteriori, encore accrue dans le cadre du référé liberté (3)
431-12 • Au rayon des pouvoirs originaux utilisés par le juge, l’usage de techniques moins attentatoires à la légitimité d’action de l’administration mais tout aussi efficaces. Il en est ainsi de la technique des réserves d’interprétation qui alerte quant à une possible censure ou à de futures injonctions si des corrections ne sont pas apportées aux actes émis (le juge a agi de la sorte notamment pour avertir le gouvernement sur sa gestion de la pollution de l’air : CE, ord., 20 avril 2020, Association nationale pour la préservation et l’amélioration de la qualité de l’air, req. n° 440005). Il faut citer, de même, l’usage d’outils de droit souple comme la mise en place, dans certains cas, d’un dialogue avec l’administration pour préserver l’acte administratif mais inciter à le corriger pour l’avenir (voir CE, ord., 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière-personnes de surveillance, req. n° 439821 et les développements, sur ce point, de M.-O. Peyroux-Sissoko, « Quel rôle pour le Conseil d’État dans le confinement des libertés ? », https://blogdroitadministratif.net/, 4 mai 2020) ou la pratique de l’usage de recommandations pour éviter une annulation future (CE, ord., 20 avril 2020, Ordre des avocats au barreau de Marseille et Ordre des avocats au barreau de Paris, req. n°439983 et n°440008 où le juge recommande à l’Etat de mettre à disposition des équipements de protection lorsque les lieux ou la nature des missions conduisent inévitablement à des contacts étroits et prolongés).
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