Sur le rapport de la 7e chambre de la section du contentieux,
Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1800081 du 7 janvier 2021, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Bastia, après avoir, d’une part, rejeté les conclusions principales de la communauté de communes du Centre Corse tendant à la condamnation de la Société mutuelle d’assurance des collectivités locales (SMACL) à lui verser les sommes de 261 218 euros au titre de son assurance « dommage aux biens », en raison des désordres affectant sa station de traitement des eaux pluviales, de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant du retard apporté dans la réfection du bassin d’orage et de 16 252,06 euros au titre des frais et honoraires de l’expert et, d’autre part, rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions dirigées contre les assureurs des trois constructeurs, les sociétés 3C construction, Apave Sudeurope et BET Pozzo di Borgo, et avant de statuer sur les conclusions subsidiaires de la communauté de communes tendant à la condamnation des trois constructeurs à réparer le préjudice qu’elle estime avoir subi, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° Les dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative sont-elles applicables aux conclusions dirigées contre une personne morale de droit privé n’entrant pas dans le champ de l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration ?
2° Si la précédente question appelle une réponse négative, faut-il considérer qu’un délai commence néanmoins à courir au plus tard à compter de la date d’enregistrement de la requête, au-delà duquel le requérant n’aurait pas la possibilité de régulariser sa requête au regard de l’article R. 411-1 du code de justice administrative ou bien de présenter des conclusions nouvelles car reposant sur une cause juridique distincte de celle qu’il a invoquée dans la requête ?
Des observations, enregistrées le 1er avril 2021, ont été présentées par la société Apave Sudeurope et la Compagnie d’assurance des souscripteurs du Lloyd’s de Londres.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;
– le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1, et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes ;
– les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique,
Rend l’avis suivant :
1. D’une part, aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction résultant du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative (partie réglementaire) : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle. / (…) ».
2. D’autre part, l’article L. 100-3 du code des relations entre le public et l’administration dispose que : « Au sens du présent code et sauf disposition contraire de celui-ci, on entend par : / 1° Administration : les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ; / (…) ». Aux termes de l’article L. 231-1 du même code : « Le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation ». L’article L. 231-4 du même code prévoit que : « Par dérogation à l’article L. 231-1, le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (…) / 2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ; / 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ; / (…) ».
Sur le champ d’application de l’article R. 421-1 du code de justice administrative :
3. Il résulte de la modification apportée à l’article R. 421-1 du code de justice administrative par le décret du 2 novembre 2016 que, depuis l’entrée en vigueur de ce décret le 1er janvier 2017, l’exigence résultant de cet article, tenant à la nécessité, pour saisir le juge administratif, de former recours dans les deux mois contre une décision préalable, est en principe applicable aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics.
4. Toutefois, si les dispositions de l’article R. 421-1 n’excluent pas qu’elles s’appliquent à des décisions prises par des personnes privées, dès lors que ces décisions revêtent un caractère administratif, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande par une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif. Dans ces conditions, en l’absence de disposition déterminant les effets du silence gardé par une telle personne privée sur une demande qui lui a été adressée, les conclusions, relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une telle personne privée ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l’article R. 421-1 du code de justice administrative.
Sur le régime applicable aux conclusions dirigées contre une personne morale de droit privé n’étant pas chargée d’une mission de service public administratif :
5. Aux termes de l’article R. 411-1 du code de justice administrative : « La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge. / L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours ».
6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le délai de recours prévu à l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’est pas applicable à un recours, relatif à une créance née de travaux publics, dirigé contre une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif. Par suite, il ne peut être opposé à l’auteur d’un tel recours aucun délai au-delà duquel il ne pourrait, devant la juridiction de première instance, régulariser sa requête au regard de l’article R. 411-1 du code de justice administrative ou formuler des conclusions présentant le caractère d’une demande nouvelle car reposant sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa requête.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Bastia, à la communauté de communes du Centre Corse, à la société Apave Sudeurope, à la société 3C construction, à la société BET Pozzo di Borgo, à la Société mutuelle d’assurance des collectivités locales, à la société Axa France Iard, à la société Lloyds France et à la Compagnie d’assurance des souscripteurs du Lloyd’s de Londres.