Section II – Conditions de recevabilité des recours contentieux
764.- Examen préalable à l’examen du fond du litige.- Les conditions de recevabilité sont systématiquement examinées par le juge préalablement à l’analyse du fond du recours. Ces conditions portent sur quatre points : la nature de l’acte attaqué, le requérant, les délais et l’absence de recours parallèle.
§I – Conditions relatives à l’acte attaqué
765.- Décisions attaquables.- En principe, les recours juridictionnels ne peuvent être dirigés que contre des décisions, à condition toutefois que ces décisions soient attaquables.
I – Règle de la décision préalable
766. Une règle pratiquement généralisée.- Le juge administratif ne peut en principe être saisi d’un recours que contre une décision, expresse ou implicite, ce qui aura pour effet de lier le contentieux. Cette règle est énoncée par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative qui précise que « la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».
La règle de la décision préalable a vocation à s’appliquer dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, ce qui ne pose guère de difficultés, mais également, ce qui est moins évident, en matière de contentieux de pleine juridiction.
Exemple :
– Une personne est victime d’un dommage alors qu’elle fait l’objet d’une hospitalisation dans un établissement de santé public. Avant de saisir le juge, elle devra obligatoirement demander réparation à l’administration. Ce n’est donc pas directement que le juge connaîtra d’une action en dommages-intérêts, mais à travers un recours contre une décision de l’administration refusant l’octroi d’une réparation à la victime.
Par exception, les victimes de dommages de travaux publics se sont longtemps vu reconnaître la possibilité de saisir directement le juge, ce qui avait pour effet de les soustraire au délai de recours de deux mois contre les décisions administratives. Cette solution est toutefois abandonnée depuis l’entrée en vigueur du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 dit « justice administrative de demain » (JADE) portant modification du Code de justice administrative. Cette règle de la décision préalable ne s’applique toutefois pas lorsque la personne mise en cause est une personne de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public, ce qui peut concerner par exemple une entreprise de travaux publics, un architecte ou encore un bureau d’études (CE, avis, 27 avril 2021, requête numéro 448467, Communauté de communes du Centre Corse : Dr. adm. 2021, comm. 37, note Eveillard ; JCP A 2021, act. 310, obs. Erstein ; Procédures 2021, comm. 214, note Deygas).
767.- Régularisation du recours non précédé d’une décision préalable.- Il faut aussi relever que le même décret du 2 novembre 2016 semblait indiquer que dans les litiges indemnitaires le juge ne pouvait désormais être saisi que si une décision de rejet par l’administration était préalablement intervenue. Dans l’état du droit antérieur, le Conseil d’Etat admettait la régularisation du recours non précédé d’une demande préalable lorsque cette demande était formée en cours d’instance et que le silence de l’administration avait fait naître une décision de rejet avant la décision de première instance (CE, 11 avril 2008, requête numéro 281374, Etablissement français du sang : Rec., p. 168.- CE, 4 décembre 2013, requête numéro 354386, Meliane : Rec. tables, p. 787). Suite à l’entrée en vigueur du décret JADE il n’y avait donc a priori plus de possibilité de régulariser a posteriori l’absence de liaison du contentieux.
Par une décision contestée par une partie de la doctrine, le Conseil d’Etat a pourtant atténué la portée de ces nouvelles dispositions en exploitant une lacune dans la nouvelle rédaction de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative. Il considère en effet que la nouvelle condition posée ne s’apprécie pas à la date de l’introduction de la requête mais « à la date à laquelle le juge statue ». Dès lors, « l’intervention d’une (…) décision en cours d’instance régularise la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir » (CE Sect., avis, 27 mars 2019, requête numéro 426472 Mme Rollet : AJDA 2019, p. 1455, note Poulet ; Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 215, obs. Muller ; JCP A 2019, act. 234, obs. Friedrich ; JCP A 2019, comm. 2179, note Kernéis-Cardinet.- V. par ex. CAA Marseille, 22 novembre 2019, requête numéro 17MA02160 : Contrats-Marchés publ. 2020, comm. 95, notre Zimmer). Ainsi, le défaut de décision préalable au moment de l’exercice du recours est toujours un vice régularisable.
Exemple :
– CE, 21 juin 2021, requête numéro 437744, Commune de Montigny-lès-Metz (Resp. civ. et assur. 2021, étude 11, Castaing ; Procédures 2021, comm. 287, note Chifflot) : lorsque le juge de première instance est saisi de conclusions indemnitaires à hauteur d’un certain montant pour divers chefs de préjudice, alors qu’aucune demande indemnitaire n’a été soumise à l’administration, et qu’une réclamation est par la suite adressée à celle-ci au cours de la première instance afin de régulariser la demande contentieuse, le silence gardé par l’administration sur cette demande fait naître une décision implicite qui lie le contentieux indemnitaire à l’égard du demandeur. Cette régularisation de la demande vaut pour l’ensemble des dommages causés par le fait générateur invoqué dans la réclamation, dans la limite du montant de la demande contentieuse.
768.- Exceptions à la règle de la décision préalable.- Il existe enfin une exception logique à l’exigence d’une décision préalable dans le cadre de certains référés administratifs (c’est ce qui est expressément visé par les textes pour le référé mesures utiles, le référé constat, le référé instruction et le référé provision.- V. respectivement Code de justice administrative, art. L.521-3, art. R. 531-1, R. 532-1 et R. 541-1).
II – Actes inattaquables
769.- Actes insusceptibles de recours.- Certains actes sont jugés insusceptibles de lier le contentieux, et par voie de conséquence sont insusceptibles de recours.
En effet, en principe, seuls les actes unilatéraux de l’administration peuvent faire l’objet d’un tel recours, ce qui exclut – sauf exceptions- les contrats. De même, tous les actes pris par les autorités administratives ne sont pas des actes administratifs, ce qui est le cas par exemple des actes de gouvernement. Enfin, certains actes, qui se rattachent à l’activité administrative, ne font pas grief et ne peuvent donc en principe faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir : il s’agit des actes préparatoires, des circulaires et des mesures d’ordre intérieur (sur ces questions V. infra Quatrième partie, Chapitre un, Section une).
§II – Conditions relatives au requérant
770.- Capacité et intérêt pour agir.- Le requérant doit disposer de la capacité pour agir et avoir un intérêt pour agir.
I – Capacité pour agir
771.- Personnes physiques.- Le requérant doit remplir les conditions générales pour ester en justice fixées par le droit civil. Il doit donc être majeur et capable juridiquement, ce qui signifie qu’il doit jouir de ses droits civiques. Cependant, la seconde condition est appréciée de façon assez souple en fonction de la nature de la décision contestée.
Exemple :
– CE, 10 juin 1959, requête numéro 42760, Dame Poujol (Rec., p. 355) : certaines personnes, incapables selon le droit civil, peuvent exercer un recours pour excès de pouvoir contre les décisions affectant « le principe fondamental de la liberté individuelle ». C’est le cas, en l’espèce, d’une personne placée d’office dans un hôpital psychiatrique.
772.- Personnes morales.- De même, si le requérant doit avoir la personnalité juridique – ce qui n’est pas le cas par exemple d’une régie municipale (CE, 20 juin 1958, Régie municipale du gaz et de l’électricité de Bordeaux (Rec., p. 371) – le juge administratif estime recevables les recours exercés par des institutions en voie de formation.
Exemple :
– CE, 10 février 1997, requête numéro 168238, Société coopérative ouvrière de service de lamanage (Rec. tables, p. 992) : en l’espèce, le Conseil d’Etat connaît du recours d’une société dont les statuts n’ont pas encore été signés par les associés, dirigé contre la décision rejetant sa demande d’agrément. La juridiction administrative suprême décide qu’eu égard à l’objet et aux modalités d’octroi de l’agrément sollicité, la société doit être regardée comme ayant la capacité d’agir en justice pour demander l’annulation du refus d’agrément qui lui a été opposé.
773.- Cas des associations.- De même, les associations dissoutes ont capacité pour demander l’annulation de la décision qui prononce leur dissolution (CE, 22 avril 1955, Association franco-russe dite Rousky-Dom : Rec., p. 205 ; AJDA 1955, II, p. 9, note Long ; Rev. Adm. 1955, p. 404, concl. Heumann). Cette solution s’applique également, par exemple, aux établissements publics de coopération intercommunale dissous (CE, 28 décembre 2005, requête numéro 283249, Syndicat intercommunal de Lens-Avion : Dr. adm. 2006, comm. 67, obs. Glaser).
Dans le même ordre d’idées, une particularité doit être relevée concernant les associations non déclarées qui, du fait de cette absence de déclaration, en application des dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 1er juillet 1901, ne peuvent faire valoir en justice leurs droits patrimoniaux. Malgré tout, le Conseil d’Etat a reconnu, dans son arrêt d’Assemblée du 31 octobre 1969, Syndicat de défense des eaux de la Durance (requête numéro 61310: Rec., p. 462 ; RDSS 1970, p. 62, obs. Lavagne.- V. également CE, 21 avril 1997, requête numéro 156370, Karrich : D. 1997, inf. rap. p. 126 ; RTD com. 1997, 3, p. 478) que ces associations peuvent exercer un recours pour excès de pouvoir contre les décisions portant atteinte aux intérêts collectifs qu’elles défendent. Cette solution ne s’applique pas, en revanche, aux associations d’Alsace-Moselle, qui ne relèvent pas de la loi du 1er juillet 1901, et dont l’existence est conditionnée par une inscription sur le registre du tribunal d’instance compétent (CAA Nancy, 2 juin 2008, requête numéro 07NC00154, Société OFPI : Environnement 2017, comm. 113, note Gillig).
II- Intérêt pour agir
774.- Une condition dictée par des motifs d’opportunité.- Cette condition a été posée pour de simples motifs d’opportunité. Il s’agit en effet d’éviter une contestation systématique de l’action administrative, mais également un encombrement des tribunaux alors même que l’on pourrait estimer – au moins pour le recours pour excès de pouvoir et le plein contentieux objectif – que tout administré devrait être considéré comme ayant intérêt au respect de la légalité par l’administration.
Par conséquent, seules certaines personnes dont le cercle est déterminé par la nature de l’acte attaqué pourront invoquer un intérêt à agir contre cet acte.
Il n’y a pas lieu, sur ces questions, de dissocier le recours pour excès de pouvoir du plein contentieux. Comme l’expose en effet René Chapus « il ne faut pas croire que la recevabilité d’un recours tendant à la reconnaissance d’un droit serait subordonnée, comme on l’affirme généralement, à la justification d’un droit lésé ; cette justification se rapporte à l’examen du bien-fondé du recours » (Droit du contentieux administratif, ouv. précité, p. 457).
775.- Une jurisprudence casuistique.- Sur ce point, la jurisprudence est à la fois très complexe et nuancée, ce qui s’explique par le fait que le juge doit concilier deux impératifs contradictoires : la protection de l’intérêt général et des intérêts particuliers pouvant être atteints par un acte administratif, d’une part, et le rejet de « l’action populaire » qui permettrait à n’importe quelle personne de contester n’importe quel acte, d’autre part.
Un texte peut également intervenir, en général pour limiter l’accès au prétoire. Tel est notamment l’objet de l’ordonnance n°2003-638 du 18 juillet 2003 relative au contentieux de l’urbanisme, qui limite à certaines catégories de requérants le recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager (V. Code de l’urbanisme, art. L. 600-1-2.- V. également CE, 10 juin 2015, requête numéro 386121, Brodelle et Gino : Constr.-urb. 2015, 119, note Santoni ; RD. imm. 2015, p. 434, obs. Soler-Couteaux ; RFDA 2015, p. 993, concl. Lallet).
Si l’on s’en tient à la jurisprudence, deux conditions cumulatives doivent être réunies pour qu’un requérant se voit reconnaître un intérêt à agir : la première tient à la nature de l’intérêt invoqué, la seconde est relative à la qualité du requérant.
A – Condition relative à la nature de l’intérêt invoqué
776.- Des formes multiples.- L’intérêt invoqué par le requérant peut revêtir des formes très variées : il peut être matériel ou moral, individuel ou collectif.
1° Intérêt matériel ou moral
777.- Difficultés à appréhender l’intérêt moral.- La reconnaissance d’un intérêt à agir est beaucoup plus évidente, car plus tangible, lorsque le requérant invoque un intérêt matériel, d’ordre patrimonial, plutôt qu’un simple intérêt moral. Sur cette dernière question la jurisprudence est particulièrement nuancée.
Exemples :
– CE, 4 avril 1997, requête numéro 177987, Marchal (Rec., p. 131 ; AJDA 1997, p. 508, concl. Stahl) : l’habitant d’une commune a intérêt à agir pour demander l’annulation du décret portant changement de nom de cette commune.
– CE, 27 octobre 2006, requête numéro 286569, Mme Marie-Dominique C. et a. : un architecte n’a pas intérêt à agir contre un permis de construire qui aurait pour effet d’entraîner la destruction de l’aménagement de la place de la gare de Strasbourg réalisée quelques années auparavant selon ses plans.
– CE, 17 mai 2002, requête numéro 231290, Hofmann (Rec. tables, p. 845 ; Dr. adm. 2002, comm. 150, note Moniolle) : les requérants, qui se prévalent de leur qualité de résidents alsaciens ayant des convictions laïques, n’ont pas d’intérêt à agir contre un décret relatif au régime des cultes catholique, protestant et israélite dans les départements du Bas-Rhin du Haut-Rhin et de la Moselle.
2° Intérêt individuel ou collectif
778.- Intérêt personnel.- Le plus souvent, le recours émane d’un individu et porte sur un acte lésant ses intérêts personnels. C’est le cas, par exemple, d’un fonctionnaire qui demande l’annulation de la nomination d’autres fonctionnaires en invoquant la méconnaissance des conditions de possession de diplômes exigés par la réglementation en vigueur (CE, 11 décembre 1903, requête numéro 10211, Lot : Rec., p. 780 ; S. 1904, III, p. 113, note Hauriou).
779.- Intérêt collectif.- Mais dans certains cas, c’est une personne morale – généralement une association ou un syndicat – qui intente un recours pour excès de pouvoir contre une décision portant atteinte aux intérêts collectifs qu’elle a vocation à défendre.
Cette jurisprudence a été inaugurée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli (requête numéro 19167: Rec., p. 962, concl. Romieu ; D. 1907, III, p. 41, concl. Romieu ; S. 1907, III, p. 33, note Hauriou). En l’espèce, la juridiction administrative suprême a considéré qu’était recevable un recours intenté par cette association représentant les intérêts collectifs des usagers des transports publics, contre une décision concernant le fonctionnement de ce service.
Pour que l’intérêt à agir des personnes morales soit reconnu, encore faut-il que l’intérêt allégué ait une relation directe avec leur vocation initiale.
Exemples :
– CE, 28 décembre 2005, requête numéro 274527, Union syndicale des magistrats administratifs (AJDA 2006, p. 940, note Pontier) : des dispositions règlementaires qui donnent compétence, pour connaître des appels formés contre certaines décisions, aux cours administratives d’appel en dérogeant aux règles relatives à la compétence territoriale des cours ainsi qu’au délai d’appel, ont des conséquences sur les conditions d’emploi et de travail des membres des juridictions administratives. Par suite, un syndicat de magistrats administratifs justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour contester ces dispositions. En revanche, en tant qu’il organise la procédure d’arbitrage, le décret ne porte atteinte ni aux droits et prérogatives des magistrats administratifs, ni à leurs conditions d’emploi et de travail. L’Union syndicale des magistrats administratifs est donc dépourvue d’intérêt à demander l’annulation de ces dispositions.
– CE Sect., 18 avril 1986, requête numéro 53934, Compagnie des mines de potasse d’Alsace (AJDA 1986, p. 292) : une collectivité locale étrangère est recevable à agir contre une décision d’une autorité administrative française susceptible de porter atteinte à l’intérêt collectif de ses habitants.
B – Condition relative à la qualité invoquée
780- Le requérant doit appartenir à un « cercle d’intéressés ».- Seuls certains requérants, en raison de leur titre ou de leur qualité, ont vocation à recourir contre l’acte qu’ils estiment illégal. Il doit exister un lien suffisamment étroit entre l’acte attaqué, l’intérêt allégué par le requérant et le requérant lui-même. Il s’agit d’éviter que des personnes non directement concernées ne se posent en défenseurs de la légalité, le cas échéant contre le gré des principaux intéressés.
Le requérant doit ainsi faire partie d’un « cercle d’intéressés » admis à critiquer l’acte, lequel est déterminé en fonction de son contenu (V. B. Chenot, conclusions sur CE, 10 février 1950, requête numéro 1743, Gicquel : Rec., p. 100).
L’arrêt Casanova du 20 mars 1901 (requête numéro 94580 : Rec., p. 333 ; S. 1901, III, p. 76) constitue un excellent exemple de cette notion. En l’espèce, les juges reconnaissent que la qualité de contribuable d’une commune confère intérêt à agir contre les décisions des autorités de ces communes ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses publiques. On voit bien dans cette affaire la distinction entre les deux éléments conférant intérêt pour agir : le requérant peut invoquer un intérêt de nature matérielle, et en tant que contribuable il se voit reconnaître la qualité pour défendre cet intérêt.
Bien évidemment, l’existence d’un intérêt direct et personnel sera plus largement admise lorsque l’acte attaqué est un acte règlementaire. A l’opposé, si l’acte est individuel, les personnes ayant intérêt pour agir ne seront en général que celles nommées par l’acte.
Sur la question de la qualité du requérant, également, la jurisprudence présente un caractère casuistique marqué.
Exemples :
– CE, 23 novembre 1988, requête numéro 94282, Dumont (Rec., p. 418) : contrairement à ce qui a été reconnu par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Casanova, pour le contribuable d’une commune, le Conseil d’Etat estime que le recours d’un contribuable de l’Etat contre une décision susceptible d’accroître les dépenses de la nation est irrecevable.
– CE, 21 octobre 2020, requête numéro 441126, SARL Froid Assistance Routier : un contribuable justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour contester les commentaires administratifs de textes fiscaux qui lui ont été appliqués, dès lors que ces commentaires exposent l’interprétation que l’administration retenait de ces textes lorsqu’elle en a fait application au contribuable et qu’elle ne lui a pas substitué une interprétation différente depuis lors.
– CE Sect., 28 mai 1971, requête numéro 78951, Damasio (Rec., p. 391, concl. Théry) : un hôtelier a un intérêt direct et personnel à agir contre un arrêté ministériel fixant la date des vacances scolaires, celles-ci perturbant l’activité d’une station thermale en ne permettant de n’organiser que trois périodes de cure au lieu de quatre.
– CE, 4 décembre 2006, requête numéro 293965, Le Pen : la qualité de conseiller régional d’Ile-de-France ne confère pas à elle seule qualité à agir contre un décret admettant un ancien ministre au bénéfice de l’amnistie.
– CE, 13 mars 2002, requête numéro 177509, requête numéro 180544, Union fédérale des consommateurs : la qualité d’usager d’un service public donne un intérêt pour agir à l’encontre d’une décision administrative affectant les conditions d’utilisation de ce service. Un usager des transports parisiens a donc intérêt à demander l’annulation d’une décision tarifaire concernant les transports de la région Ile-de-France. En revanche, cette qualité d’usager ne lui confère pas un intérêt pour agir à l’encontre des dispositions tarifaires relatives aux militaires contenues dans cette même décision. Cependant, dans la mesure où ces dispositions ne forment pas un tout indivisible avec celles à l’encontre desquelles le requérant a intérêt pour agir, la requête de ce dernier est recevable.
– CE, 17 mai 2006, requête numéro 268938, Bellanger c. Ministre de l’Emploi (AJDA 2006, p. 1513, concl. Keller ; Droit adm. 2006, comm. 154, note Taillefait ; JCPA 2006, comm. 1212, note Jean-Pierre ; Collectivités territoriales – intercommunalité, comm. 114, note Bentilola) : un agent en état d’ébriété tue une personne dans un accident de la circulation, prend la fuite et livre de fausses déclarations sur les circonstances de l’accident. Le fils de la victime exerce un recours contre la sanction prononcée par l’administration à l’encontre de l’agent, considérant que celle-ci n’est pas assez sévère. Sa requête est jugée irrecevable, faute d’intérêt pour agir. En effet, comme le précise le Conseil d’Etat, les sanctions infligées par l’administration à ses agents ont « pour seul objet de tirer, en vue du bon fonctionnement du service, les conséquences que le comportement (des agents) emporte sur (leur) situation vis-à-vis de l’administration ».
– CE Sect., 21 novembre 2016, requête numéro 392560, Thalineau (Rec. tables, p. 860 ; AJDA 2017, p. 999, note Costa) : les qualités de membre de la communauté chrétienne appartenant au diocèse de Tours, de résident du ressort de ce diocèse et d’usager du service public des monuments historiques dont se prévaut le requérant ne suffisent pas à lui donner intérêt pour agir contre la décision par laquelle le ministre de l’intérieur a autorisé l’inhumation d’un ancien archevêque et cardinal dans la cathédrale de Tours.
– CE, 31 décembre 2020, requête numéro 440923, Potier : un parlementaire ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour former un recours pour excès de pouvoir contre les dispositions d’une ordonnance de l’article 38, alors même qu’il fait valoir qu’elles portent atteinte aux droits du Parlement en méconnaissant le champ de l’habilitation conférée au gouvernement et que les dispositions qu’elles abrogent étaient issues d’une loi dont il a été le rapporteur à l’Assemblée nationale.
781.- Qualité à agir des personnes morales.- D’autres difficultés se posent concernant les recours intentés par les personnes morales, et plus particulièrement – une fois encore – par les associations et les syndicats.
En toute logique, la qualité à agir s’apprécie au regard des statuts de la personne morale. Ainsi, une association dont l’objet statutaire est trop général et dont le champ d’action est national, ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité à agir pour demander l’annulation d’une décision qui n’a d’effet que dans une aire géographique limitée (CE, 29 avril 2002, requête numéro 227742, Association en toute franchise.- V. également CAA Douai, 27 novembre 2013, requête numéro 12DA00884, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen : JCP A 2014, comm. 2032, concl. Eliot).
Exemple :
– CE, 24 août 2011, requête numéro 336268, SAS Distribution Casino France : eu égard au caractère national de son champ d’intervention, à la généralité de son objet social et aux missions qui lui sont conférées, l’assemblée permanente des chambres de métiers ne justifie pas d’un intérêt pour intervenir contre une autorisation d’équipement commercial. Il en va autrement, en revanche, s’agissant d’une société exploitant un hypermarché dans la zone de chalandise concernée.
La jurisprudence s’est toutefois récemment assouplie dans ce domaine. Certes, le Conseil d’Etat maintient le principe selon lequel le fait qu’une décision administrative « ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation ». Toutefois « il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales » (CE, 4 novembre 2015, requête numéro 375178, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen : Rec., p. 375 ; AJDA 2016, p. 316, note Doubovetsky JCP A 2015, comm. 2370, note Pauliat.- V. également CE, 7 février 2017, requête numéro 392758, Association Aides.- V. aussi CE Sect., 3 décembre 2018, requête numéro 409667, Ligue des droits de l’homme : Rec., p. 434 ; AJDA 2019, p. 706, note Janicot ; JCP A 2019, comm. 2106, note Molinero ; Dr. adm. 2019, comm. 11, note Eveillard).
Exemple :
– Dans l’affaire Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen du 4 novembre 2015 étaient contestés deux arrêtés municipaux : l’un interdisant la fouille des poubelles, conteneurs et autres lieux de regroupement de déchets, l’autre interdisant la mendicité, dans un contexte marqué par l’installation dans la commune d’un nombre significatif de personnes d’origine « rom ». L’association requérante était recevable à contester ces arrêtés dès lors que « la mesure de police édictée par l’arrêté attaqué était de nature à affecter de façon spécifique des personnes d’origine étrangère présentes sur le territoire de la commune et présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d’être rencontrée dans d’autres communes, une portée excédant son seul objet local.
– CE, 18 mai 2021, requête numéro 434438 (JCP A 2021, act. 359, obs. Friedrich) : le décret attaqué, qui procéde au regroupement de concessions hydrauliques, s’il concerne principalement les départements traversés par la Dordogne, prolonge également de manière substantielle la durée de l’une des deux concessions hydroélectriques qu’il regroupe. Il est ainsi de nature à affecter le libre jeu de la concurrence et soulève, dès lors, compte tenu des spécificités de ce secteur des concessions hydroélectriques, des questions qui par leur nature et leur objet excèdent les seules circonstances locales. Par suite, l’association requérante qui, aux termes de ses statuts, s’est notamment donnée pour objet la promotion du développement en France d’un marché concurrentiel dans les secteurs de l’électricité et du gaz naturel, justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir à l’encontre de ce décret.
782.- Cas des associations de défense de l’environnement.- Dans certains cas, le législateur est intervenu en vue de faciliter les actions de certaines associations en vue de la défense de certains intérêts collectifs, ce qui est le cas principalement des associations de protection de l’environnement. L’article L. 142-1 du Code de l’environnement précise ainsi que « (les) associations ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci ». Surtout le même article prévoit que « toute association de protection de l’environnement agréée (…) justifient d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément ».
Il semble que le juge administratif soit plus enclin à reconnaître l’intérêt à agir des requérants, en dehors des associations de défense de l’environnement, dans des hypothèses où la décision contestée a des conséquences sur l’environnement. Ce mouvement est notamment observable dans le récent arrêt du Conseil d’Etat du 19 novembre 2020 commune de Grand-Synthe (requête numéro 427301 : Rec., p. 406 ; AJDA 2021, p. 217, note Delzangles ; JCP G 2020, act. 1334, Libres propos Parance et Rochfeld).
– En l’espèce étaient contestés les refus implicites du président de la République, du Premier ministre et du ministre chargé de l’environnement de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter les obligations consenties par la France voire à aller au-delà. Si ces conséquences concrètes du changement climatique ne sont susceptibles de déployer tous leurs effets sur le territoire de la commune qu’à l’horizon 2030 ou 2040, leur caractère inéluctable, en l’absence de mesures efficaces prises rapidement pour en prévenir les causes et eu égard à l’horizon d’action des politiques publiques en la matière, est de nature à justifier la nécessité d’agir sans délai à cette fin. Par suite, la commune de Grande-Synthe, eu égard à son niveau d’exposition aux risques découlant du phénomène de changement climatique et à leur incidence directe et certaine sur sa situation et les intérêts propres dont elle a la charge, justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des décisions implicites attaquées. En revanche, le requérant qui se borne, d’une part, à soutenir que sa résidence actuelle se trouve dans une zone susceptible d’être soumise à des inondations à l’horizon de 2040, d’autre part, à se prévaloir de sa qualité de citoyen, ne justifie pas d’un tel intérêt.
783.- Autres associations et syndicats.- S’agissant plus précisément des associations (en général) et des syndicats, dans l’arrêt du 28 décembre 1906, Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges (requête numéro 25521 : Rec., p. 977, concl. Romieu ; S. 1907, III, p. 23 ; RDP 1907, p. 25, note Jèze), le Conseil d’Etat a précisé qu’ils ne sont recevables à agir que pour la défense d’intérêts collectifs, et non pas pour le seul intérêt de l’un de leurs membres.
En application d’une approche restrictive de l’intérêt pour agir, le Conseil d’Etat a récemment précisé sur ce point, que lorsque l’objet d’un syndicat est défini par la loi, il convient de se référer à celle-ci, à l’exclusion des dispositions des statuts par lesquelles il s’attribuerait des missions supplémentaires. Ainsi, le syndicat de la magistrature, dont l’objet est limité à la défense des intérêts collectifs de ses membres, ne saurait être autorisé à agir en justice au nom de la défense des libertés et des principes démocratiques, ni même au nom de l’indépendance de la justice (CE, 27 mai 2015, requête numéro 388705, Syndicat de la magistrature : AJDA 2015, p. 1543, concl. Bretonneau ; Procédures 2015, comm. 281, note Deygas ; JCP G 2015, act. 660, obs. Langelier).
Il faut ici relever que la mise en œuvre des principes issus de la jurisprudence Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges est très délicate, dans la mesure où la ligne de démarcation entre intérêt individuel et intérêt collectif est extrêmement floue. En principe, l’intérêt des personnes morales sera toutefois assez largement admis dans le cadre de recours dirigés contre un acte règlementaire alors que, normalement, le juge estimera que le recours pour excès de pouvoir contre un acte individuel relève de l’initiative de son destinataire. Il en va autrement, cependant, lorsque le juge considère qu’une mesure individuelle a des conséquences sur tout un groupe de personnes, comme c’est le cas pour des actes qui profitent à leurs destinataires, mais qui excluent par là même d’autres personnes.
Exemple :
– CE, 2 juin 2010, requête numéro 309445, Centre communal d’action sociale de Loos (JCPA 2010, comm. 2345, note Jean-Pierre) : une union syndicale de fonctionnaires est recevable à contester un arrêté de promotion.
Cette solution a vocation à s’appliquer y compris si le fonctionnaire concerné par la décision négative est le représentant élu de ce syndicat (CE, 23 juillet 2014, requête numéro 362559, Fédération des fonctionnaires).
En outre, restreignant la portée de la jurisprudence Croix-de-Seguey-Tivoli, le Conseil d’Etat a fait évoluer récemment sa jurisprudence concernant les recours contre les actes détachables des contrats. Désormais « si des tiers peuvent poursuivre l’annulation des actes détachables d’un contrat, la recevabilité d’un tel recours est subordonnée à la condition que les stipulations du contrat en cause soient de nature à les léser dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine » (CE, 11 mai 2011, requête numéro 331153, Société lyonnaise des eaux France : Rec. tables, p. 1065 ; AJDA 2011, p. 989, obs. Biget ; JCPA 2011, comm. 2213, note Busson). En l’espèce, « la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en reconnaissant l’intérêt à agir de l’association au regard de son objet social sans rechercher si la transaction avait eu pour effet de léser les usagers dans leurs intérêts en affectant l’organisation ou le fonctionnement du service public de l’eau dont le syndicat a la responsabilité, ou en augmentant les tarifs payés par les usagers du service public de l’eau ». En d’autres termes, l’examen de l’objet social de l’association ne suffit pas à lui conférer intérêt à agir. Encore faut-il, en effet, que cet intérêt soit effectivement lésé, ce qui veut dire que l’association n’a plus nécessairement qualité pour le défendre. Il faut relever, toutefois, que l’intérêt de cette solution doit être relativisé, dès lors que le recours contre les actes détachables préalables à la conclusion du contrat est en principe désormais fermé aux tiers (V. infra).
784.- Action de groupe et action en reconnaissance de droits.- Enfin, des règles particulières s’appliquent en matière d’action de groupe et d’action en reconnaissance de droits, notions introduites dans le Code de justice administrative par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Il s’agit, dans ces deux cas, de mécanismes d’accès collectif au juge dont les règles – complexes – sont définies par les articles L. 77-10-1 et suivants du Code de justice administrative.
L’action de groupe permet d’obtenir la cessation du manquement à l’origine d’un dommage et/ou d’engager la responsabilité de la personne ayant causé ce dommage et d’obtenir la réparation des préjudices subis (Code de justice administrative, art. L. 77-10-3). Seules les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins et dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte peuvent exercer cette action (Code de justice administrative, art. L. 77-10-4) qui est soumise à la règle de la décision préalable (Code de justice administrative, art. L. 77-10-5).
La seconde action collective est une action en reconnaissance de droits. Elle permet à une association régulièrement déclarée ou à un syndicat professionnel régulièrement constitué de déposer une requête tendant à la reconnaissance de droits individuels résultant de l’application de la loi ou du règlement en faveur d’un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt, à la condition que leur objet statutaire comporte la défense dudit intérêt. Il s’agit donc d’une exception notable à la jurisprudence Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges (préc.).
Cette action peut poursuivre trois finalités différentes visées par l’article L. 77-12-1 du Code de justice administrative. Elle permet, tout d’abord de « déposer une requête tendant à la reconnaissance de droits individuels résultant de l’application de la loi ou du règlement en faveur d’un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt, à la condition que leur objet statutaire comporte la défense dudit intérêt ».
Exemple :
– CAA Bordeaux, 12 mai 2020, requête numéro 19BX00794, Syndicat CGT des hospitaliers saintais : L’article 15 du décret n°2002-9 prévoit que : « (…) Les heures supplémentaires font l’objet soit d’une compensation horaire donnant lieu à une récupération au moins d’égale durée, soit d’une indemnisation (…) Les modalités générales de recours à la compensation ou à l’indemnisation sont fixées par le chef d’établissement après avis du comité technique d’établissement ou du comité technique ». La cour juge que ces dispositions n’interdisent pas au chef d’établissement de privilégier l’un des deux modes de compensation qu’elles envisagent, et que le choix fait par un chef d’établissement de prévoir, à l’occasion d’un changement de logiciel de gestion du temps de travail, une compensation des heures à récupérer accumulées dans le passé sous la seule forme de repos, à l’exclusion d’indemnités financières, ne méconnaît ni le principe de limitation dans le temps de la prise des congés annuels, dès lors que ce type de congés n’était pas inclus dans les heures créditées aux agents, ni la directive n°2003-88 portant sur les droits à congés annuels, ni le droit au repos et aux loisirs rappelé par le préambule de la constitution de 1946 invoqués par le syndicat. Par suite, la cour rejette l’action en reconnaissance de droits présentée par le syndicat requérant.
En revanche, cette action ne peut tendre à la reconnaissance d’un préjudice, ce qui est le terrain d’élection de l’action de groupe. Toutefois, l’action en reconnaissance de droits peut aussi « tendre au bénéfice d’une somme d’argent légalement due », ainsi qu’à « la décharge d’une somme d’argent illégalement réclamée ».
La recevabilité de cette action est soumise à une réclamation préalable devant l’autorité compétente. Dans le cas où l’administré à saisi une autorité compétente, les dispositions de l’article L. 110-1 du Code des relations entre le public et l’administration, qui obligent l’autorité incompétente à transmettre le dossier à l’autorité compétente ont vocation à s’appliquer (V. sur les conditions de la liaison du contentieux en cas de saisine d’une autorité incompétente et sur les délais de prescription et de forclusion opposables, pour faire valoir les droits dont la reconnaissance est demandée, CE, avis, 15 novembre 2021, requête numéro 454125, UFC Que Choisir Nancy et sa région : JCP A 2021, act. 711, obs. Erstein ; Procédures 2022, comm. 25, note Deygas).
§III- Condition relative aux délais
785.- Déclenchement du délai.- Normalement, le recours n’est recevable que dans un délai de deux mois suivant l’accomplissement des formalités de publicité exigées : publication, affichage ou notification (Code de justice administrative, art. R. 421-1).
786.- Délai franc.- Le délai est franc, ce qui veut dire que ne sont pas pris en compte ni le jour où commence à courir le délai, ni celui auquel le délai cesse de courir. Le calcul se fait de quantième à quantième.
Exemple :
– Un décret paraît au Journal officiel le 1er janvier 2014. Le délai court à compter du 2 janvier à 0 heures. Les deux mois sont achevés le 1er mars, mais le recours est recevable jusqu’au 2 mars à minuit. Dans le cas où ce jour est un dimanche ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’au premier jour ouvrable suivant à 24 heures.
787.- Décisions implicites de rejet.- Cependant, pour le cas des décisions implicites de rejet, le délai court à compter du lendemain du jour où est intervenue la décision.
Exemple :
– L’administration est saisie le 1er janvier 2014. La décision implicite de rejet intervient le 1er mars à minuit, même s’il s’agit d’un dimanche ou d’un jour férié. Le délai de recours court à compter du 2 mars à 0 heure pour expirer le 2 mai à minuit.
Il faut noter, cependant, que lorsqu’une décision explicite de rejet intervient avant l’expiration du délai de deux mois à compter de la date de la décision implicite de rejet, elle fait à nouveau courir le délai de recours (Code de justice administrative, art. R. 421-2).
788.- Forclusion.- L’article R. 421-3 du Code de justice administrative prévoit toutefois que « l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet » dans deux hypothèses : dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux (V. CE, 1er juillet 1970, requête numéro 78905, Teboul : Rec., p. 452) ; dans le cas où la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction administrative.
La portée de ces dispositions a été sérieusement restreinte depuis l’entrée en vigueur du décret « JADE » n°2016-1480 du 2 novembre 2016, puisque la règle visée par l’article R. 421-3 ne s’applique plus aux recours de plein contentieux. Cette ancienne règle impliquait que dans les hypothèses où la demande préalable a fait naître une décision implicite de rejet, le requérant ne soit enfermé dans aucun délai. L’action contentieuse n’était plus alors limitée que par le délai de prescription quadriennale. Désormais, il n’est donc plus indispensable pour l’administration de notifier le rejet d’une demande relevant du plein contentieux pour que les délais et voies de recours soient opposables. En d’autres termes, avant l’entrée en vigueur du décret JADE, seule une décision expresse pouvait faire naître le délai de deux mois. Désormais, le délai court pour les décisions implicites relevant du plein contentieux à compter de la date à laquelle est née la décision implicite (sur l’application dans le temps de ces nouvelles dispositions V. CE, avis, 30 janvier 2019, requête numéro 420797, Fernandez. – CE, 3 juin 2020, requête numéro 428222, Echarroudi: JCP A 2020, comm. 2319, note Le Bot).
Par exception, cependant, le Conseil d’Etat a considéré que ces dispositions n’étaient pas applicables en matière de plein contentieux fiscal. En effet, « en cas de silence gardé par l’administration fiscale sur la réclamation pendant six mois, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif, le délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre tant qu’une décision expresse de rejet de sa réclamation, laquelle doit être motivée et, conformément aux prévisions de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, comporter la mention des voies et délais de recours, ne lui a pas été régulièrement notifiée (CE, 7 décembre 2016, requête numéro 384309, EURL Cortansa).
789.- Sanction de l’absence de publicité et de l’absence d’indication des voies et délais de recours.- Dans le cas de non accomplissement des formalités de publicité, le délai de recours contentieux demeure perpétuellement ouvert. Il en va de même, pour les actes individuels uniquement, lorsque la notification de la décision ne mentionne pas les délais et les voies de recours ouverts aux requérants (Code de justice administrative, art. R. 421-5).
790.- Jurisprudence Czabaj.- La portée de l’article R. 421-3 du Code de justice administrative a été atténuée suite à l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat Czabaj du 13 juillet 2016 (requête numéro 387763, préc.- V. également CE Sect., 31 mars 2017, requête numéro 389842, Ministre des Finances et des Comptes publics c/ Amar.- CE, 9 mars 2018, requête numéro 401386, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, préc.- CE, 9 mars 2018, requête numéro 405355, Communauté de communes du pays roussillonnais).
Dans cet arrêt, conformément à l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et au principe de sécurité juridique, lequel ne bénéficie pas exclusivement aux administrés (CE Sect., 13 décembre 2006, requête numéro 287845, Lacroix, préc.), les juges posent le principe d’un délai raisonnable au-delà duquel les requérants seront forclos à introduire un recours pour excès de pourvoir, alors même que les voies et délais de recours ne seraient pas indiqués par la décision contestée. En l’espèce, le requérant avait mis vingt-deux ans à contester une décision qui ne portait pas l’indication de la juridiction compétente pour connaître d’un éventuel recours et il ne niait pas avoir reçu notification. Le Conseil d’Etat décide d’encadrer le recours par un délai raisonnable qu’il fixe, sauf circonstances particulières, à un an à compter de la notification de la décision ou, en l’absence de notification ou s’il est impossible de rapporter la preuve de son existence, de la prise de connaissance effective de la décision par l’administré. Cette solution s’applique également aux décisions implicites, dans les cas où il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision (CE, 18 mars 2019, requête 417270, Jounda Nguegoh : JCP A 2019, act. 213, obs. Friedrich).
Dans le prolongement de cette jurisprudence, le Conseil d’Etat a jugé qu’un requérant ne saurait se prévaloir du moyen tiré de l’exception d’illégalité d’une décision individuelle ne comportant pas les mentions relatives aux voies et délais de recours au-delà d’un délai raisonnable qui, sauf circonstances particulières, ne saurait excéder un an (CE, 27 février 2019, requête numéro 418950, Law-Tong : Rec., p. 42 ; AJDA 2019, p. 486 ; AJFP 2019, p. 179 ; AJCT 2019, p. 300, obs. Bouchenot et Didriche).
La règle définie par l’arrêt Czabaj est d’ordre public. Conformément à l’article R. 611-7 du Code de justice administrative, il appartient donc au juge qui envisage de soulever d’office ce moyen, de le désigner clairement puis d’inviter les parties, avant de statuer, à faire part de leurs observations sur celui-ci (CE, 28 mars 2018, requête numéro 410552, Depreux).
791.- Prorogation du délai du recours contentieux par un recours gracieux ou hiérarchique.- Il faut également relever que le délai du recours contentieux peut être prorogé du fait d’un recours gracieux ou hiérarchique exercé dans le même délai que le recours contentieux. La prorogation ne peut cependant jouer qu’une seule fois.
792.- Possibilités de sanctionner l’illégalité d’un acte administratif après l’expiration des délais du recours pour excès de pouvoir.- Enfin, en cas d’expiration des délais, le recours est irrecevable. Cependant, les administrés ne seront pas totalement démunis, puisqu’il leur restera deux possibilités pour contester un acte illégal, alors même que les délais seraient expirés.
Tout d’abord, l’administration est obligée d’abroger les règlements illégaux dès l’origine, ou devenus illégaux en raison d’un changement des circonstances de droit ou de fait (CE Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia, requête numéro 74052, préc.– dispositions codifiées à l’article 243-1 CRPA). Si l’administration refuse d’abroger le règlement, sa décision, qu’elle soit expresse ou non, pourra faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dans un délai de deux mois. Ce recours pourra être assorti d’une demande d’injonction tendant à ce que l’autorité compétente procède à l’aborgation demandée.
Ensuite, lorsqu’un acte règlementaire fait l’objet de mesures individuelles d’application, le requérant peut se prévaloir à l’encontre d’un recours contre l’une de ces mesures, de l’illégalité de l’acte règlementaire. L’illégalité de cet acte contaminera la décision individuelle qui sera annulée. Cependant, cette annulation ne remettra pas en cause l’acte règlementaire lui-même qui subsistera. On n’omettra pas de rappeler que dans ses arrêts d’Assemblée du 18 mai 2018, Syndicat CGT de l’administration centrale et des services des ministères économiques et financiers et du Premier ministre (requête numéro 411045, préc.) et Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT (requête numéro 414583, préc.), selon la même approche du principe de sécurité juridique favorable à l’administration de celle retenue par l’arrêt Czabaj (requête numéro 387763, préc.), le Conseil d’Etat a exclu la possibilité pour le requérant de se prévaloir, dans le cadre de son recours, de vices de forme ou de procédure entachant l’acte réglementaire.
Le Conseil d’Etat a ensuite apporté des précisions dans le cas où des changements surviennent entre la date à laquelle l’administration rejette la demande d’abrogation et la date à laquelle le juge statue. Il a rappelé, tout d’abord, que « l’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus d’abroger un acte réglementaire illégal réside dans l’obligation (…) pour l’autorité compétente, de procéder à l’abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l’ordre juridique ». Il a surtout précisé que « le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l’acte réglementaire dont l’abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision ». En conséquence, si un acte réglementaire n’est pas illégal à la date du refus de l’abroger, mais qu’il le devient en cours d’instance, le juge pourra annuler le refus de l’administration et lui enjoindre de l’abroger (CE Ass., 19 juillet 2019, requête numéro 424216, requête numéro 424217, Association des américains accidentels, préc.).
§IV- Condition tenant à l’absence de recours parallèle
793.- Notion d’exception de recours parallèle.– En principe, le recours pour excès de pouvoir est irrecevable lorsque le requérant peut obtenir le résultat qu’il recherche par une autre action, plus efficace, dans le cadre d’un recours de plein contentieux.
Exemples :
– CE, 13 mars 2006, requête numéro 265582, Réseau ferré de France, Société nationale des chemins de fer : les contributions au fonds du service public de la production d’électricité déterminées par la Commission de régulation de l’énergie ne peuvent être contestées par la voie du recours pour excès de pouvoir. Ces contributions constituent, en effet, un impôt, contestable seulement devant le juge de l’impôt qui pourra non seulement annuler la décision contestée, mais surtout la réformer.
– CE Ass., 4 avril 2014, requête numéro 358994, Département du Tarn-et-Garonne (préc.): le recours de plein contentieux ouvert à certaines catégories de tiers contre un contrat administratif exclut pour eux la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes détachables intervenus avant la conclusion du contrat.
Dans certains cas, l’exception va concerner deux recours de plein contentieux, l’existence de l’un excluant l’autre.
Exemple :
– CAA Paris, 23 décembre 2022, requête numéro 21PA00542, SA Bouygues (Dr. fisc. 2023, comm. 130, concl. Sibilli) : concernant l’applicabilité en matière fiscale du régime jurisprudentiel de responsabilité de l’Etat du fait des lois sur le fondement de l’égalité devant les charges publiques, la cour admet la recevabilité de l’action du contribuable en dépit de l’existence d’un recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt.
Une hypothèse proche, relevant de la même logique de subsidiarité, a été dégagée par le Conseil d’Etat à l’occasion d’un arrêt Cassinari du 28 avril 2006 (requête numéro 280878 : Rec., p. 210 ; AJDA 2007, p. 266, note Claeys ; BJCL 2006, p. 599, concl. Devys ; JCP A 2006, comm. 1198, note Moreau.- V. également CE, 24 septembre 2010, requête numéro 330886, Barthélémy). Dans cette affaire, les juges ont considéré qu’un contribuable ne peut être autorisé à exercer une action appartenant à la commune dès lors qu’il dispose d’un intérêt le rendant recevable à agir par la voie du recours pour excès de pouvoir.
794.- Recul de la notion d’exception de recours parallèle.- Par le passé, l’exception de recours parallèle était très développée, mais l’évolution du recours pour excès de pouvoir, qui a progressivement pénétré des domaines jusqu’alors réservés au plein contentieux, l’a fait reculer. Dans certains cas, la remise en cause de l’exception de recours parallèle présente un caractère indirect et elle est liée à la progression de la théorie de la détachabilité. Dans d’autres cas, en revanche, la remise en cause est plus directe et permet de substituer à l’exercice du recours pour excès de pouvoir un recours de pleine juridiction.
I – Remise en cause indirecte de l’exception de recours parallèle liée à la progression de la théorie de la détachabilité
795.- Notion de détachabilité.- Le recours pour excès de pouvoir a pénétré des domaines qui étaient autrefois le terrain d’élection du plein contentieux. Les juges vont ainsi identifier des actes administratifs unilatéraux détachables pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette théorie a notamment vocation à s’appliquer en matière de contentieux électoral, contractuel et fiscal.
A – Contentieux électoral
796.- Actes détachables relatifs à une élection.- Le juge administratif est compétent à l’égard des actes détachables relatifs à une élection (CE, 7 août 1903, requête numéro 7836, Chabot : D. 1904, III, p. 1, note Hauriou), comme peuvent l’illustrer un certain nombre d’exemples :
– CE, 28 janvier 1994, requête numéro 148596, requête numéro 150024, requête numéro 150286, requête numéro 150650, Elections municipales de Saint-Tropez (Rec., p. 38 ; AJDA 1994, p. 193, chron. Maugüé et Touvet ; RDP 1994, p. 830, concl. le Chatelier) : décisions portant convocation des électeurs.
– CE Ass., 12 mars 1993, requête numéro 145858, requête numéro 145859, Union nationale écologiste et Parti pour la défense des animaux (Rec., p. 67 ; AJDA 1993, p. 336, chron. Maugüé et Touvet, p. 375 ; RFDC 1993, p. 410, concl. Kessler) : mesures concourant à l’organisation des élections législatives.
797.- Cas particulier des actes intervenus dans le cadre d’une procédure référendaire.- En revanche, revenant sur sa position initiale, le Conseil d’Etat a déclaré irrecevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre des décrets décidant de soumettre un projet de loi à référendum et organisant le référendum et la campagne en vue du scrutin (CE Ass., 1er septembre 2000, requête numéro 223890, requête numéro 223949, requête numéro 224054, requête numéro 224066, requête numéro 224502, Larrouturou et a. : Rec., p. 365, concl. Savoie ; AJDA 2000, p. 858 et 803, chron. Guyomar et Collin ; D. 2001, p. 1844, obs. Ghevontian ; JCP G 2000, IV, comm. 1091, note Rouault ; RFDA 2000, p. 889, concl. Savoie, note Ghevontian). Le Conseil d’Etat a pris acte de l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui s’était lui-même reconnu compétent à l’égard de ce type d’actes (CC, 25 juillet 2000, décision numéro 2000-21 REF, Hauchemaille : Rec. CC, p. 117 ; RFDA 2000, p. 1004, note Ghevontian).
B – Contentieux contractuel
798.- Recul de la théorie de la détachabilité.- Les juges estiment que différents actes unilatéraux se détachent du contrat, lorsque leur existence ne repose pas sur un accord de volonté entre les parties, mais sur l’intervention unilatérale de l’administration. Cette solution s’est longtemps appliquée aux actes détachables préalables à la conclusion du contrat, c’est-à-dire à ceux qui autorisent ou refusent d’autoriser la conclusion d’un contrat, ou encore qui portent approbation d’un contrat (CE, 4 août 1905, requête numéro 14220, Martin : Rec., p. 749, concl. Romieu ; D. 1907, jurispr. p. 49, concl. Romieu ; S. 1906, III, p. 49, concl. Hauriou ; RDP 1906, p. 249, note Jèze). Elle n’est toutefois plus d’actualité, lorsqu’est en cause un contrat administratif, le Conseil d’Etat ayant finalement décidé que tous les tiers lésés dans leurs intérêts de manière « suffisamment directe et certaine » peuvent directement recourir contre le contrat (CE, 4 avril 2014, requête numéro 358994, Département du Tarn-et-Garonne, préc.). Le recours pour excès de pouvoir contre les actes préalables à la conclusion des contrats administratifs leur est désormais fermé, excepté pour le préfet dans le cadre de son contrôle de légalité, tant que le contrat n’a pas été signé.
En revanche, demeurent des actes détachables du contrat, certains actes unilatéraux survenus durant l’exécution du contrat, comme une décision de modification unilatérale ou de résiliation unilatérale du contrat. Toutefois, le recours pour excès de pouvoir contre ces actes n’est ouvert qu’au bénéfice des tiers au contrat (sur ces questions V. infra).
C – Contentieux fiscal
799.- Admission du recours pour excès de pouvoir.- Depuis l’arrêt Breil et a. du 28 février 1913 (requête numéro 44293 : Rec., p. 289 ; S. 1918-1919, III, p. 37), les juges considèrent qu’il existe, en matière fiscale, des actes détachables de la procédure d’imposition.
800.- Actes réglementaires.- Cette jurisprudence s’applique d’abord à l’ensemble des actes règlementaires qui ont un lien avec la procédure d’imposition.
Exemples :
– CE, 1er juin 1990, requête numéro 91413, Commune de Levallois-Perret (Dr. fisc. 1991, comm. 367, concl. Fouquet) : est recevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre un décret fixant la délimitation des zones et les taux de la redevance en région Ile-de-France sur les bureaux et locaux de recherches.
– CE Sect., 4 mai 1990, requête numéro 55124, requête numéro 55137, Association freudienne : est recevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre une instruction administrative qui, au sein de la catégorie des psychanalystes non docteurs en médecine, distingue une sous-catégorie, celle des titulaires d’un diplôme de psychologie, auxquels elle étend le bénéfice de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée, alors que les requérants n’appartiennent pas à cette sous-catégorie.
801.- Actes non réglementaires.– S’agissant maintenant des actes non règlementaires relatifs à l’accomplissement d’une opération concernant l’assiette ou le recouvrement de l’impôt, la jurisprudence est plus nuancée. A l’égard des tiers, ces actes sont détachables de la procédure d’imposition et peuvent donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette solution se justifie par le fait que ces tiers, à la différence du contribuable, ne disposent pas d’une voie de recours spécifique devant le juge de l’impôt.
Exemple :
– CE, 11 juin 1980, requête numéro 11673, Ministre de l’Economie et des Finances c. Commune de Mauzé-Thouarsais, (Rec., p. 265 ; Dr. fisc. 1981, comm. 912 et comm. 1434, concl. Fabre) : la décision de classement d’une propriété non bâtie dans l’une des catégories servant de base à la taxe foncière sur les propriétés non bâties est détachable de la procédure d’imposition et peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir de la part d’une commune.
En revanche, à l’égard de leurs destinataires, ces actes ne sont normalement pas considérés comme détachables des opérations d’établissement et de recouvrement de l’impôt.
Exemples :
– CE Sect., 30 juin 1995, requête numéro 119848, Dame Coutaud (Quot. Jur. 31 octobre 1995, p. 3 ; Dr. fisc. 1996, p. 121, 37) : la notification de pénalités n’est, pas davantage que la notification de redressements qui l’a précédée, détachable de la procédure d’imposition dont la requérante a fait l’objet. Elle ne peut, dès lors, être contestée que dans le cadre du litige contentieux concernant l’imposition elle-même, après son établissement.
– CE 26 mars 2008, requête numéro 278858, Association pro-musica (BDCF 2008, n°80, concl. Séners ; JCP A 2008, comm. 2175, note Dieu) : une lettre par laquelle l’administration fiscale avait indiqué à une association qu’elle était redevable d’impôts pouvait être regardée comme une décision faisant grief, mais elle ne constituait pas pour autant un acte détachable de la procédure d’imposition susceptible d’être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir.
Ce dernier principe connaît toutefois un certain nombre d’exceptions, notamment concernant des décisions prises sur des demandes d’agréments qui, si elles sont accordées, permettent aux contribuables de bénéficier de réductions d’impôts ou d’exonérations (CE Sect., 23 mai 1969, requête numéro 71782, Société distillerie Brabant et Cie. : Rec., p. 264, concl. Questiaux ; AJDA 1969, p. 640, note Tournier ; D. 1970, jurispr. p. 762, note Fromont).
802.- Extension de la théorie de la détachabilité aux actes produisant des « effets notables ».- Dans une affaire où le requérant contestait une décison de refus de révision du classement de parcelles cadastrables, le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’appliquer la théorie de la détachabilité aux actes administratifs produisant des effets extra-juridiques, au sens de la jurisprudence Gisti (requête numéro 418142.- V. sur ce point infra), et plus précisément des effets extra-fiscaux au regard des conséquences d’une tel refus sur les droits à retraite et les aides européennes susceptibles d’être accordées au requérant. Le Conseil d’Etat estime ici que « eu égard aux effets notables autres que fiscaux susceptibles de résulter de la décision de refus (…) ce refus constitue un acte détachable de la procédure d’imposition à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, qui peut être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir » (CE, 6 décembre 2021, requête numéro 438209 : Dr. fiscal 2022, comm. 183, concl. Guibé).
II – Remise en cause directe de l’exception de recours parallèle
803.- Jurisprudence Lafage.- A partir de l’arrêt Lafage du 8 mars 1912 (requête numéro 42612, préc.), la jurisprudence a développé des hypothèses dans lesquelles le requérant dispose d’un choix entre l’exercice d’un recours de plein contentieux et un recours pour excès de pouvoir.
Cet arrêt pose le principe selon lequel le recours pour excès de pouvoir peut être exercé en lieu et place d’un recours de plein contentieux contre une décision à objet pécuniaire, lorsque la question à juger est exclusivement celle de la légalité de cette décision, et que le requérant ne demande rien de plus que son annulation. Dans l’arrêt Lafage, par exemple, le requérant se plaignait d’une décision le privant de frais de représentation d’un montant minime.
Cette solution était justifiée de deux points de vue. Tout d’abord, si des réclamations sur des sommes minimes ne pouvaient être portées devant le juge administratif que par l’intermédiaire d’un avocat, comme cela est obligatoire dans le plein contentieux, les frais de procédure excéderaient le montant de la condamnation. Ensuite, déclarer irrecevable le recours pour excès de pouvoir dans de telles hypothèses, laisserait subsister dans l’ordre juridique des décisions illégales.
Par conséquent, dès lors qu’une décision, même si elle a une portée pécuniaire, viole la légalité, le recours pour excès de pouvoir est recevable. Evidemment, dans un tel cas, le juge ne peut pas aller plus loin qu’annuler la décision illégale prise par l’administration. Il ne peut pas, par exemple, condamner l’administration à verser des dommages intérêts au requérant. Toutefois il est possible d’assortir le recours en annulation d’une demande d’injonction, ce qui permettra de garantir le paiement des sommes en litige. Par ailleurs, s’agissant d’un contentieux de type objectif, le juge ne pourra connaître que de moyens mettant en cause la légalité de l’acte contesté.
Exemples :
– CE, 19 juin 1991, requête numéro 82265, Meyet (Rec., p. 250) : un usager d’un service public administratif peut contester par la voie du recours pour excès de pouvoir la décision par laquelle un chef de service a refusé de lui rembourser une somme qu’il estimait avoir été trop perçue.
– CE, 8 décembre 1999, requête numéro 200941, Chassey : peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir la décision par laquelle le ministre de la Défense a refusé la prise en charge par l’Etat de l’intégralité des frais de déménagement d’un militaire à l’occasion d’un changement de résidence.
804.- Assouplissement.- Le Conseil d’Etat a longtemps défendu une application assez extensive de la jurisprudence Lafage, en considérant que la présence dans un recours en annulation de conclusions de plein contentieux faisait basculer l’ensemble du recours dans le plein contentieux, y compris pour une simple demande d’intérêts moratoires. Cette position a été doublement assouplie depuis l’arrêt de Section Marcou du 9 décembre 2011 (requête numéro 337255 : préc.). D’une part, lorsque dans une même requête le requérant présente des conclusions en annulation et en réparation du préjudice causé par l’illégalité de la décision attaquée, cela n’a plus pour effet de donner à l’ensemble des conclusions le caractère d’une demande de plein contentieux. D’autre part, concernant les litiges portant sur le versement d’une somme d’argent, les conclusions ayant trait au principal et celles ayant trait aux intérêts sont désormais « de même nature » En conséquence, lorsqu’un requérant est recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’annulation de la décision administrative qui l’a privé de cette somme, il est également recevable à demander, par la même voie, l’annulation de la décision qui l’a privé des intérêts qui y sont attachés.
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