Vu, la requête enregistrée le 5 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la société FRANCE ANTILLES dont le siège social est situé … ; la société FRANCE ANTILLES demande au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) de suspendre, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de la décision du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, en date du 17 mai 2006, autorisant l’acquisition par le groupe l’Est Républicain de la société Delaroche auprès de la société Socpresse ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient qu’elle est recevable à agir dès lors qu’elle a un intérêt à la fois en sa qualité de concurrent du nouvel ensemble autorisé par la décision ministérielle et en sa qualité d’actionnaire du groupe de l’Est Républicain, disposant de droits de préemption et de préférence ; que la décision attaquée n’a pas été entièrement exécutée ; qu’elle préjudicie, de manière grave et immédiate tant à l’intérêt public qui exige le maintien d’une concurrence effective sur les marchés concernés qu’à son propre intérêt, en sa double qualité de concurrent et d’actionnaire minoritaire du groupe l’Est Républicain ; que la décision attaquée autorise l’élimination de toute concurrence sur le marché de la PQR dans les cinq départements où est diffusée L’Alsace, porte gravement atteinte tant à la concurrence, en autorisant le regroupement de deux monopoles voisins, qu’à ses propres intérêts en tant qu’actionnaire minoritaire, et crée un risque grave et immédiat d’élimination de la concurrence au profit du titre L’Alsace, détenu par la Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM) ; que la décision attaquée est entachée d’une contradiction de motifs grave et manifeste ; qu’elle est également entachée d’erreurs de droit et d’erreurs de qualification juridique des faits en ce que le ministre considère que la BFCM n’est pas en mesure d’exercer un contrôle conjoint sur la nouvelle holding baptisée Est Bourgogne Rhône-Alpes (EBRA), en ce que la décision n’a pas pris en compte le rôle de la BFCM dans cette opération, et enfin en ce qu’elle ne procède pas à une analyse des risques de coordination concurrentielle entre la BFCM et EBRA, et qu’elle n’a pris en compte ni le projet de rapprochement avec L’Alsace, ni le risque d’atteinte à la concurrence par la disparition d’un concurrent potentiel ;
Vu la décision dont la suspension est demandée ;
Vu la copie de la requête aux fins d’annulation présentée par la société FRANCE ANTILLES à l’encontre de ces décisions ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2006, présenté pour la société anonyme Le Journal l’Est Républicain, la société anonyme Socpresse et la société anonyme Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM) qui concluent au rejet de la requête et à ce que la société FRANCE ANTILLES soit condamnée à leur verser la somme de 6000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent que la requête est irrecevable dès lors que, d’une part, la société FRANCE ANTILLES ne démontre pas en quoi l’autorisation de concentration emporte des effets concrets et néfastes sur sa situation de concurrent et, d’autre part, que la décision attaquée a été entièrement exécutée ; que la condition d’urgence n’est pas satisfaite dès lors que le préjudice allégué n’est qu’hypothétique, que le projet incertain d’une éventuelle prise de contrôle ultérieure de la SFEJIC par la société EBRA constitue une opération totalement distincte de celle qui fait l’objet de la décision attaquée et que l’opération n’a pas pour effet de permettre à la nouvelle entité d’éradiquer toute concurrence de la part des autres opérateurs de la presse quotidienne régionale ; qu’au contraire, la décision attaquée permet d’assurer le maintien d’une concurrence effective et sauvegarde de nombreux emplois dans un secteur en difficulté ; que, contrairement à ce que prétend la société requérante, la décision attaquée n’est pas entachée d’une contradiction de motifs dès lors que les membres du comité de direction de la société EBRA ne sont pas choisis par l’assemblée générale à la majorité des deux tiers, cette assemblée se bornant à ratifier des choix faits de manière autonome par chacun des actionnaires ; que les moyens d’erreurs de droit et d’erreurs de qualification juridique ne sont pas recevables, sauf à considérer qu’ils relèvent de la même technique de contrôle et peuvent être intervertis à volonté ; qu’à titre subsidiaire, le seul droit de veto sur la nomination des membres du comité de direction ne suffit pas à caractériser un contrôle conjoint ; que la société BFCM n’exerce aucun contrôle de fait sur la société EBRA ; que le fait que la société SFEJIC, détentrice de L’Alsace, soit une filiale du Crédit Mutuel Centre Est Europe, qui contrôle la BFCM, est sans incidence sur la qualification juridique du contrôle ; que le groupe l’Est Républicain n’est pas en état de dépendance économique à l’égard de la BFCM ; qu’il n’existe pas de risque de collusion entre la société EBRA et la SFEJIC dès lors que ce risque ne peut être envisagé qu’en cas de création d’une entreprise commune contrôlée conjointement par les sociétés mères ; que l’opération de concentration en cause et celle envisagée dans le futur n’entrent pas dans les prévisions des dispositions du règlement communautaire n°139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises dont l’objet est d’éviter que des parties à une concentration n’échappent au contrôle en découpant artificiellement l’acquisition d’une seule et même entreprise en plusieurs opérations ; que la décision attaquée, qui relève que l’opération n’implique pas d’atteinte à la concurrence potentielle, est conforme aux prescriptions de la Commission européenne ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2006, présenté par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie qui conclut au rejet de la requête et à ce que la société FRANCE ANTILLES soit condamnée au paiement des frais irrépétibles en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que la requête est irrecevable dès lors, d’une part, que la décision attaquée a été complètement exécutée, et d’autre part, que la requérante n’a pas d’intérêt à agir ; que la condition d’urgence n’est pas remplie ; qu’en effet, il n’est pas démontré que le regroupement des titres de l’Est Républicain et du Crédit Mutuel ait effectivement eu lieu et que ce n’est qu’à l’occasion de l’examen de cette opération qu’il pourrait examiner les éventuelles restrictions à la concurrence évoquées par la requérante ; qu’en outre, la requérante ne démontre pas en quoi l’opération porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à son activité ; que la décision attaquée n’est entachée d’aucune contradiction de motifs ; que le groupe l’Est Républicain a le pouvoir de déterminer seul la politique commerciale d’EBRA et qu’en conséquence, il n’y avait à prendre en compte ni le droit de veto au profit de la BFCM sur la nomination des dirigeants d’EBRA, ni les conditions du financement de l’opération ; qu’en l’absence de contrôle de la BFCM sur EBRA, il n’y a pas de risque de coordination de comportements mais seulement une éventuelle entente entre entreprises indépendantes qui, si elle était avérée, pourrait être poursuivie sous l’angle du droit des pratiques anticoncurrentielles ; qu’il n’existe aucun élément convergent qui permettrait de considérer que la BFCM disposerait de la capacité d’exercer une influence déterminante sur le fonctionnement d’EBRA ; qu’il n’y a pas de risque d’atteinte à la concurrence par disparition d’un concurrent potentiel dans la mesure où il existe des concurrents réels sur les marchés ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 20 juillet 2006, présenté pour la société FRANCE ANTILLES ; la société conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient que la portée d’une décision autorisant une concentration ne se limite pas au transfert de propriété mais se réalise par étapes successives impliquant un calendrier nécessairement étalé sur plusieurs mois ; qu’au surplus, d’une part, des apports doivent être prochainement faits par l’Est Républicain à EBRA, et d’autre part, la concentration implique des synergies dont l’absence de mise en oeuvre confirme que la décision attaquée n’a pas épuisé tous ses effets ; qu’elle a intérêt à agir en sa double qualité de concurrent et d’actionnaire ; qu’il y a urgence à suspendre cette décision pour éviter que d’autres acteurs de la vie économique ne puissent également acquérir le droit de nommer les dirigeants de leur principal concurrent sans que cela constitue une prise de contrôle conjoint soumise à autorisation préalable ; que la décision attaquée est entachée d’une grave contradiction de motifs et d’une erreur manifeste de qualification du contrôle exercé sur EBRA dès lors que le ministre reconnaît l’existence d’un droit de veto de la BFCM sur la nomination et la révocation des dirigeants d’EBRA ce qui suffit à établir l’existence d’un contrôle conjoint, au vu de la doctrine de la Commission européenne ; que le contrôle conjoint est renforcé par la situation financière fragile d’EBRA et du groupe l’Est Républicain et par l’omniprésence financière de la BFCM ; que la décision attaquée est entachée d’erreur d’appréciation des faits liée à l’absence de prise en compte, d’une part, du rôle de la BFCM dans l’opération et des risques de coordination des comportements concurrentiels, et d’autre part, du risque d’atteinte au fonctionnement du marché par la disparition d’un concurrent potentiel ;
Vu le mémoire en duplique, enregistré le 24 juillet 2006, présenté par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie qui conclut aux mêmes fins que son mémoire en défense ; il soutient que la décision attaquée a été exécutée dans sa totalité ; que ni les titres de presse de l’Est Républicain, ni la SFEJIC ne sont apportés à EBRA ; qu’EBRA est contrôlée de manière exclusive par le groupe l’Est Républicain ; qu’en l’absence de contrôle conjoint sur EBRA, il n’existe pas de risque de coordination du comportement concurrentiel entre le groupe l’Est Républicain, EBRA, la BFCM, et la SFEJIC ;
Vu le mémoire en duplique, enregistré le 24 juillet 2006, présenté pour la SA Le Journal l’Est Républicain, la SA Socpresse et la SA Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM) qui concluent aux mêmes fins que leur mémoire en défense ; ils soutiennent que la décision attaquée a déjà été pleinement exécutée ; que la société FRANCE ANTILLES est dépourvue de tout intérêt à agir ; qu’il n’y a aucune urgence à suspendre la décision attaquée qui ne comporte aucun risque pour la concurrence ; que l’Est Républicain exerce un contrôle exclusif sur EBRA, tant en droit qu’en fait ; que tout lien capitalistique n’induit pas un risque de position dominante collective ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du commerce ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la société FRANCE ANTILLES et d’autre part, le ministre de l’économie des finances et de l’industrie et les sociétés anonymes Le Journal l’Est Républicain, Socpresse et Banque Fédérative du Crédit Mutuel ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du lundi 24 juillet 2006 à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Y…, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société FRANCE ANTILLES ;
– Me X…, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat des sociétés anonymes Le Journal l’Est Réplublicain, Socpresse et Banque Fédérative du Crédit Mutuel
– les représentants de la société FRANCE ANTILLES ;
– les représentants des sociétés Le Journal l’Est Républicain, Socpresse et Banque Fédérative du Crédit Mutuel ;
– les représentants du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ;
Considérant que par une décision en date du 17 mai 2006 relative à une concentration dans le secteur de l’édition, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a autorisé, en application de l’article L. 430-5 du code de commerce, le groupe l’Est Républicain à acquérir, auprès de la société Socpresse, la société Delaroche qui diffuse, notamment, des titres de presse dans les régions Bourgogne et Rhône-Alpes ; que la société FRANCE ANTILLES demande la suspension de cette décision sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu’en vertu des dispositions de cet article, le juge des référés peut ordonner la suspension d’une décision administrative lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette décision ; qu’eu égard à leur objet, les pouvoirs ainsi conférés au juge des référés ne peuvent s’exercer que dans la mesure où la décision dont la suspension est demandée n’a pas produit tous ses effets ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction d’une part, qu’en vertu de l’acte de cession conclu le 10 avril 2006 entre la société Socpresse et les sociétés Est Bourgogne Rhône Alpes (EBRA), Le Journal l’Est Républicain et Banque Fédérative du Crédit Mutuel, le transfert de propriété des actions de la société Delaroche à la société EBRA, véhicule constitué par le groupe l’Est Républicain et la Banque Fédérative du Crédit Mutuel pour l’acquisition, n’était soumis qu’à la seule condition suspensive de la délivrance de l’autorisation ministérielle prévue par les articles L. 430-1 et suivants du code de commerce, laquelle a été accordée sans condition le 17 mai 2006 ; que d’autre part, par une délibération du 8 juin 2006, le conseil d’administration de la société Delaroche a autorisé ce transfert et enregistré la démission des dirigeants en place et leur remplacement par des représentants du groupe l’Est Républicain ; qu’enfin, le même jour, l’acquisition des actions de la société Delaroche a été intégralement réglée au vendeur ; qu’ainsi, la décision d’autorisation donnée par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie était entièrement exécutée à la date à laquelle la société FRANCE ANTILLES a introduit sa requête tendant à la suspension de cette décision ; que par suite, cette requête n’est pas recevable ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de suspension présentées par la société FRANCE ANTILLES doivent être rejetées ainsi que ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre de cet article par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et par les sociétés anonymes Le Journal l’Est Républicain, Socpresse et Banque Fédérative du Crédit Mutuel ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société FRANCE ANTILLES est rejetée.
Article 2 : Les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et les sociétés anonymes Le Journal l’Est Républicain, Socpresse et Banque Fédérative du Crédit Mutuel sont rejetées
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société FRANCE ANTILLES, à la société Socpresse, à la société Le Journal Est Républicain et à la société Banque Fédérative du Crédit Mutuel et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.