Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 octobre 2011 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2231 du 12 octobre 2011), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Patelise F, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2008-2 du 13 février 2008 relative au code du travail de Nouvelle-Calédonie.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie ;
Vu le code du travail de Nouvelle-Calédonie ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 octobre 2011 ;
Vu les observations produites par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, enregistrées le 27 octobre 2011 ;
Vu les observations produites par le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, enregistrées le 9 novembre 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 novembre 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Claire Waquet pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 29 novembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie : « Les dispositions du chapitre III du titre Ier du présent livre, relatives au droit d’expression des salariés, du chapitre III du titre II, relatives à l’exercice du droit syndical, du titre IV, relatives aux institutions représentatives du personnel et du titre V relatives aux dispositions spécifiques aux salariés protégés, ne sont pas applicables à l’État, à la Nouvelle-Calédonie, aux provinces, aux communes et aux établissements publics administratifs » ;
2. Considérant que le requérant fait valoir que ces dispositions instituent une différence de traitement sur le territoire de la Nouvelle Calédonie entre, d’une part, les agents de l’État, de la Nouvelle-Calédonie, des provinces, des communes et des établissements publics administratifs et, d’autre part, les salariés des entreprises privées et les agents des établissements publics industriels et commerciaux ; qu’ainsi, elles méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi ; qu’en outre, en privant les agents de ces administrations publiques du bénéfice de l’application des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie relatives au droit d’expression des salariés, à l’exercice du droit syndical, aux institutions représentatives du personnel et aux salariés protégés, les dispositions contestées porteraient atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail ;
3. Considérant qu’en vertu de l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, l’État est compétent en matière de fonction publique de l’État ; qu’en vertu de l’article 22 de la même loi organique, la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de fonction publique de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu’en matière de droit du travail et droit syndical ; qu’en outre, aux termes de l’article 99 de la même loi organique : « Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la présente loi : . . . 3° Principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale ; garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de la Nouvelle-Calédonie et des communes » ;
4. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi. . . doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
5. Considérant, d’autre part, qu’aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ; que son huitième alinéa dispose : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’il était loisible au législateur, pour mettre en oeuvre la liberté syndicale et le principe de participation, d’adopter des dispositions particulières applicables aux agents des administrations publiques salariés dans les conditions du droit privé s’agissant du droit d’expression des salariés, du droit syndical, des institutions représentatives du personnel et des salariés protégés ;
7. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées soustraient ces agents des administrations publiques du bénéfice des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie applicables aux relations collectives du travail ; que ni ces dispositions ni aucune loi du pays de Nouvelle-Calédonie n’assurent la mise en oeuvre, pour ces agents, de la liberté syndicale et du principe de participation des travailleurs ; que, par suite, les dispositions contestées portent une atteinte inconstitutionnelle aux exigences précitées du Préambule de 1946 ; qu’elles doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
8. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ;
9. Considérant que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir de même nature que celui du Congrès de Nouvelle-Calédonie ; qu’il ne lui appartient pas d’indiquer les modalités selon lesquelles il doit être remédié à l’inconstitutionnalité de l’article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ; que, par suite, afin de permettre qu’il y soit remédié, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de cette abrogation ; que les contrats et les décisions pris avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité,
DÉCIDE :
Article 1er.- L’article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet à compter du 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 décembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 9 décembre 2011.