Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 14/11/2018, 420055
Conseil d’État – 10ème – 9ème chambres réunies
N° 420055
ECLI:FR:CECHR:2018:420055.20181114
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du mercredi 14 novembre 2018
Rapporteur
M. Paul-François Schira
Rapporteur public
Mme Anne Iljic
Avocat(s)
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
La société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France a demandé au tribunal administratif de Paris, en premier lieu, d’annuler la décision implicite par laquelle la ministre de la culture et de la communication a rejeté sa demande tendant à lui communiquer les certificats de sortie du territoire délivrés entre 2007 et 2016 en application de l’article L. 111-2 du code du patrimoine relevant des catégories 2, 3, 7, 13 b et 15 de l’annexe de l’article R. 111-1 du même code, les données statistiques relatives à ces certificats et l’intégralité des procès-verbaux depuis 1993 de la commission consultative des trésors nationaux mentionnés à l’article L. 111-4 du même code, en deuxième lieu, d’annuler la décision implicite de rejet de la ministre née du silence gardé pendant plus de deux mois à compter de la date de la saisine de la commission d’accès aux documents administratifs, et, en troisième lieu, d’enjoindre à la ministre de la culture de lui communiquer les documents demandés dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ou, à défaut, de l’autoriser à venir consulter sur place l’ensemble de ces documents, avec possibilité d’obtenir copie de certains d’entre eux, aux conditions de l’article L. 311-9 2° du code des relations entre le public et l’administration dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1713758/5-3 du 21 février 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite par laquelle la ministre de la culture et de la communication a rejeté la demande de communication formulée par la société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et a enjoint à la ministre de la culture de communiquer à cette société ces documents dans un délai de deux mois sous réserve de l’occultation préalable, le cas échéant, des données personnelles dont la communication aux tiers porterait atteinte à la vie privée.
I) Sous le n° 420055, par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 23 avril, 23 juillet et 31 octobre 2018, la ministre de la culture demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
II) Sous le n° 422500, par une requête enregistrée le 23 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la ministre de la culture demande au Conseil d’Etat d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de ce même jugement.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– le code du patrimoine ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Paul-François Schira, auditeur,
– les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la ministre de la culture, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 novembre 2018, présentée par la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 novembre 2018, présentée par la ministre de la culture ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France a demandé à la ministre de la culture et de la communication de lui communiquer les certificats de sortie du territoire délivrés entre 2007 et 2016 en application de l’article L. 111-2 du code du patrimoine relevant des catégories 2, 3, 7, 13 b et 15 de l’annexe de l’article R. 111-1 du même code, les données statistiques relatives à ces certificats, et l’intégralité des procès-verbaux depuis 1993 de la commission consultative des trésors nationaux mentionnés à l’article L. 111-4 du même code. A la suite du refus implicite opposé à sa demande, la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France a saisi la commission d’accès aux documents administratifs qui, le 19 janvier 2017, a émis un avis favorable à la communication des certificats de sortie du territoire, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, aux données statistiques relatives à ces certificats, si elles existent, et aux procès-verbaux depuis 1993 de la commission consultative des trésors nationaux, sous réserve qu’ils ne présentent plus un caractère préparatoire. La ministre de la culture demande au Conseil d’Etat l’annulation du jugement du 21 février 2018 par lequel le tribunal administratif a fait droit à la demande d’annulation de la décision implicite par laquelle elle a rejeté la demande de communication de ces documents et lui a enjoint de les communiquer dans un délai de deux mois sous réserve de l’occultation préalable des données personnelles dont la communication aux tiers porterait atteinte à la vie privée. Elle demande aussi qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement.
2. Le pourvoi par lequel la ministre de la culture demande l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 21 février 2018 et sa requête tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
3. Par un courrier en date du 25 septembre 2018, le directeur général des patrimoines a adressé à la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France les données statistiques sur les certificats de sortie du territoire dont elle demandait la communication. Le pourvoi du ministre en tant qu’il porte sur la communication de ces éléments a dès lors perdu son objet. Il n’y a par suite plus lieu de statuer sur le pourvoi dans cette mesure.
4. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. « . Aux termes de l’article L. 311-2 du même code : » Le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. / Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration […]. L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. « . Aux termes de l’article L. 311-6 du même code : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée […]. « . Aux termes de l’article L. 311-7 du même code : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. « .
5. Il ressort des dispositions, citées au point 4, du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Dès lors, en jugeant que la demande de communication formulée par la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France n’était pas abusive au seul motif qu’elle n’avait pas pour objet de perturber le bon fonctionnement du service, sans apprécier ses effets sur ce dernier, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. La ministre de la culture est par suite fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque en tant qu’il statue sur la communication des certificats de sortie du territoire délivrés entre 2007 et 2016 et des procès-verbaux de la commission consultative des trésors nationaux depuis 1993. Ses conclusions à fin de sursis à exécution de ce jugement sont, par suite, devenues sans objet.
6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande à ce titre la société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France. Il y’a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France la somme de 3 000 euros à verser à l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de la ministre de la culture dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 février 2018 en tant qu’il rejette la demande de communication de la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France relative aux éléments statistiques concernant les certificats de sortie du territoire.
Article 2 : Le surplus du jugement du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Paris.
Article 4 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 422500 de la ministre de la culture tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du jugement du tribunal administratif de Paris du 21 février 2018.
Article 5 : La société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France versera à l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées à ce titre par la société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de la culture et à la société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France.
ECLI:FR:CECHR:2018:420055.20181114