La Faculté de droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3 a organisé, du 11 au 14 mars 2019, le « Festival 24 – Justice & Cinéma », en partenariat avec le Barreau de Lyon et l’EDARA. Un événement qui s’est inscrit dans le prolongement des sept précédentes éditions des « Rencontres Droit, Justice et Cinéma » lesquelles, déjà, s’adressaient à un large éventail de spectateurs et pouvaient se féliciter de prestigieuses présidences : celles de Pierre Truche, Robert Badinter, Yves Boisset, Didier Nigaud, Christian Carion, Bertrand Tavernier et Jack Lang.
Un nouveau nom pour un double hommage. Le premier au 7èmeart et à ses 24 images par seconde. Le deuxième, à la justice : tout juriste peut en effet voir derrière le nombre 24 le principe et la réalité du temps écoulé, dont on connaît l’importance en droit ; et tout lyonnais voit dans les « 24 colonnes », le Palais historique de Lyon et sa façade néo-classique. L’évocation urbaine a du sens à bien des égards. Lyon est tout d’abord la ville qui a vu naître le cinéma. Dans le cadre du Festival, les projections se sont ainsi partagées entre les locaux de la Faculté et ceux de son prestigieux partenaire, l’Institut Lumière, lieu emblématique de la vie culturelle lyonnaise présidé par Bertrand Tavernier et dirigé par Thierry Frémaux. L’ancrage territorial se mesure ensuite au nombre important d’avocats lyonnais et de professionnels du droit passés sur les bancs d’une Faculté ouverte sur la cité. Il se rappelle également aux esprits en raison des procès historiques qui se sont déroulés dans l’enceinte des « 24 colonnes » tels ceux de Sante Geronimo Caserio, de Charles Maurras et de Klaus Barbie, premier procès filmé en France.
Enfin, avec le Festival 24 demeurait cette volonté de s’adresser au plus grand nombre. Le but : réfléchir sur les interactions, nombreuses, entre justice et cinéma et éclairer la perception et la compréhension du monde judiciaire. Une question à même d’intéresser lycéens encore hésitants quant à leur futur parcours, étudiants, enseignants, chercheurs, professionnels du droit, cinéphiles et, au delà, tout citoyen. A moins d’être appelé à devenir juré ou d’avoir un jour « affaire à la justice », les individus demeurent en effet souvent étrangers à son fonctionnement. Peu décident de pousser les portes d’un tribunal dans le but d’assister à un procès d’assises et beaucoup se forgent une idée de la justice via les films et les séries qu’ils ont visionné. Bien sûr, celle-ci demeure conditionnée par l’image renvoyée : une réalité déformée ou non, une procédure et un vocabulaire étrangers ou adéquats au modèle français. Pour ces raisons, le Festival 24 – Justice & Cinéma, s’est ouvert au format sériel. Une nouveauté enrichissante qui interroge également les liens juridiques existants et évolutifs entre les industries télévisuelles, cinématographiques et les nouvelles plateformes de diffusion qui séduisent ou rebutent.
C’est une rencontre fascinante que celle du cinéma et de la justice. Les liens entre ces deux mondes sont multiples. La dramaturgie du procès est source d’inspiration continuelle pour qui participe à la construction d’un film. Selon le doyen Hervé de Gaudemar, « les palais de justice offrent un cadre naturellement adapté à la dramatisation cinématographique. S’y révèlent quotidiennement, au civil comme au pénal, dans les prétoires ou les salles de délibéré, la noirceur et la grandeur de l’âme humaine, la complexité de l’Homme en Société, qui constituent autant de matériaux vivants dont les scénaristes n’hésitent pas à s’emparer ».

L’unité d’action, de temps et de lieu, les costumes, les rôles endossés et la place de chacun ajoutent à la force théâtrale du procès. En matière pénale, la maîtrise de la technique oratoire, l’éloquence afférente et la force de conviction sont les qualités premières d’un avocat et d’aucuns jugeraient qu’elles ne sont guère éloignées du travail de l’acteur. Certains s’en défendent, le drame qui se joue là est bien réel, quand d’autres s’en réclament. Les ténors du Barreau n’hésitent plus à se faire comédiens : les planches et le grand écran ont ainsi appelé Eric Dupont-Moretti et Hervé Temime. Nombre d’avocats dispensent des enseignements dans les écoles de formation professionnelle d’acteur ; des comédiens interviennent aujourd’hui dans les Facultés de droit, ainsi est-ce le cas à Lyon 3, afin de délivrer des enseignements d’expression orale.
L’interaction est évidente : le monde de l’image trouve dans l’univers judiciaire un sujet inépuisable, le monde du droit ne cesse d’être captivé par ce que donne à voir le cinéma. Partout en France, on voit d’ailleurs se multiplier les procès fictifs de personnages de fiction. Lors de la Nuit du droit, organisée le 4 octobre dernier dans les locaux de l’Université Lyon 3, un amphithéâtre comble assistait ainsi au procès de Severus Rogue, le sombre sorcier de la saga Harry Potter, et participaient à l’aventure enseignants-chercheurs, étudiants, comédiens, avocats et, en qualité de jurés, les membres du public.
L’interaction est également ailleurs. Le droit n’est pas seulement une règle qu’on applique, c’est aussi la société que l’on projette : un idéal de justice. Et par un parallélisme des formes, le cinéma ne se contente pas de décrypter la justice, d’en reproduire les codes. Il est parfois dénonciateur d’injustices. Jean-Luc Godard fait ainsi dire à son personnage principal dans son film Le Petit soldat(1963) :« La photographie c’est la vérité. Et le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde ». A cet effet, en plus de diffuser des courts et des longs métrages et de s’ouvrir aux séries, le Festival 24 a fait la part belle aux documentaires.
Sur quatre jours, s’est ainsi déployée une programmation riche d’une Master Class, celle de Rachid Bouchareb, et de douze diffusions suivis d’échanges avec le public et animées par des universitaires, cinéastes, acteurs, avocats, journalistes et producteurs. Deux séances lycéennes conduites par les étudiants du Master droit du cinéma et de l’audiovisuel de Lyon 3 sont venues compléter le dispositif confortant ainsi la dimension pédagogique du projet. Les partenaires étaient nombreux : le Barreau de Lyon, l’EDARA, l’IEJ de Lyon, l’IDAC, le Consulat des Etats-Unis d’Amérique, l’Institut culturel italien de Lyon, la Licra, le Mémorial national de la prison de Montluc, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, la Maison d’Izieu, l’Institut Lumière, les Cinémas Lumière, Cinesium, le Boscolo, le LYF, la Tribune de Lyon, Exit et Lyon Capitale.

Les thèmes étaient volontairement variés afin d’être au plus près des problématiques sociétales. La profession d’avocat et la thématique des droits de l’homme étaient à l’honneur le premier jour avec l’important et étonnant court métrage de Pierre Boulanger, La Robe ; le documentaire instructif de Mika Gianotti, A cœur d’avocat ; et le film Le procès du sièclede Mike Jackson retranscrivant le combat de l’universitaire américaine Deborah Lipstadt face au négationnisme. Une thématique abordée également par le documentaire projeté le jour suivant, Les faussaires de l’Histoirede Michaël Prazan. Les droits de l’homme, encore, avec la projection, l’avant dernier jour, du bouleversant documentaire Les accueillantsde Sylvie Perrin sur la réalité des mineurs isolés et celui, non moins fort, de La lettre de Masanjia de Leon Lee sur les persécutions chinoises. Criminalité organisée et terrorisme ont également été abordés avec London Riverde Rachid Bouchared, Secondsde John Frankeiheimer, la série Gomorratirée du roman de Roberto Saviano et le documentaire Yakuza Eiga, une histoire du cinéma Yakuza d’Yves Montmayeur. Avec Interpol, le documentaire de Samuel Lajus, était soulevée la question de l’indépendance financière de l’institution chargée, entre autres, de poursuivre ces criminels.
Débuté par la figure de l’avocat, le festival s’est clôturé, avec L’herminede Christian Vincent, sur cet autre « acteur » phare du procès, incarné ici Fabrice Luchini : le Président de la Cour d’Assises, profession paradoxalement peu traitée sur grand écran.
Il reste donc beaucoup à dire et beaucoup à faire et gageons que les prochaines éditions du Festival 24 – Justice & Cinéma se saisiront de ces questions.
Site internet du festival : http://facdedroit.univ-lyon3.fr/festival-24-justice-cinema–1207905.kjsp