Est-il un article de la constitution de 1958 aussi décrié que l’article 49 al. 3 ?
Plus d’un Français sur deux est contre son recours pour tout type de réforme (Jean-Romain Lehr, « 49 al. 3 : qu’en pensent les Français ? », 25 mai 2016, fr.yougov.com). Un taux qui est passé à plus de soixante-dix pour cent lors de sa dernière utilisation : 71% des Français étaient opposés à l’utilisation du 49 al. 3 concernant sa dernière utilisation en 2016 sur « le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises » (ibid)
La raison est que si cet article est la combinaison de la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur un texte de loi, il s’apparente en réalité davantage à un moyen de pression au cours la procédure législative permettant l’adoption forcée d’un texte qu’à un simple moyen de contrôle du gouvernement. La conséquence de sa mise en œuvre n’est pas sans risque puisqu’il s’agit de la chute du gouvernement (procédé qui est donc exclu au Sénat) mais « c’est bien lorsqu’il veut qu’un texte soit voté, alors que l’assemblée nationale n’y est pas très favorable, que le gouvernement en fait usage ; il engage sa responsabilité sur ce texte, posant en quelque sorte « la question de confiance sur le texte ». C’est un chantage à la démission qui est fait à l’assemblée. Ou bien l’assemblée renverse le gouvernement avec le risque que cela comporte pour elle en retour (dissolution), ou bien elle admet le texte proposé » (Michel Lascombe et Xavier Vandendriessche, Code constitutionnel et des droits fondamentaux commenté, 2016, 5eédition, Dalloz, p. 1024). La réforme constitutionnelle de 2008 a néanmoins limité son usage aux lois de finances, aux lois de financements de sécurité sociale et à « un seul texte par session », « Ce qui signifie « un projet ou une proposition de loi en session ordinaire ou extraordinaire » (inGuy Carcassonne et Marc Guillaume, Constitution, Seuil, collection Points, 2012, p. 253). A ces limites s’ajoutent les hypothèses du bicamérisme égalitaire qui impliquent un vote en termes identiques et qui en sont donc affranchies : les lois constitutionnelles (art. 89) ; les lois organiques relatives au Sénat (art. 46 al. 4) ; le vote des ressortissants communautaires aux élections municipales (art. 88-3) ; de l’adhésion d’un État à l’Union européenne (art. 88-5) ; opposition à une modification des règles d’adoption d’actes de l’Union européenne (art. 88-7).
Ainsi agencé, l’article 49 al. 3 fait partie des éléments juridiques qui ont instauré le parlementarisme dit « rationalisé », c’est-à-dire les différentes règles qui ont permis de renforcer le pouvoir exécutif, et de mieux encadrer le parlement. La fréquence de son application, 83 fois depuis sa création, en fait un dispositif essentiel du régime. Et ce, au point que Georges Vedel le présente comme étant inhérent à la VeRépublique, au même titre que l’élection du président de la République au suffrage universel direct (Rappelé par Jean Gicquel, « Sauvegarder l’article 49 alinéa 3 » inJean-Pierre Camby, Patrick Fraissex, Jean Gicquel, La révision de 2008 une nouvelleconstitution ?LGDJ, 2009, p. 287) ; et, Jean Charlot le range parmi le legs institutionnel gaulliste (Jean Charlot, « Le legs institutionnel gaulliste », inDe Gaulle en son siècle, tome 3 « La République », La documentation française, 1990, p. 422). Or il n’est ni un article totalement novateur ni un article inspiré ou voulu par le général de Gaulle. Son inspiration réside dans la volonté de réforme de la constitution de 1946. On en trouve la trace dès les débats qui aboutissent à la révision constitutionnelle du 7 décembre 1954, puis dans les propositions de réforme des dernières années du régime. Les origines de la création de cet article ne peuvent-elles pas permettre de mieux comprendre le pourquoi de son mécanisme et, lever ainsi certaines critiques récurrentes ?
Souvent présenté comme le symbole de l’abaissement de l’Assemblée voulue par la VeRépublique, l’article 49 al. 3 est en réalité issu de la volonté de la IVeRépublique (I). L’idée, qui veut qu’un texte soit adopté sans qu’il y ait de vote, mais en raison du non renversement d’un gouvernement, va progressivement apparaître comme la meilleure solution de la rationalisation du régime. Elle n’a pas le temps de s’inscrire au sein même de la Constitution de 1946 mais, elle parvient à se transférer dans la Constitution de 1958, grâce à la présence au sein de son comité de rédaction d’hommes impliqués dans les réformes constitutionnelles de la République précédente (II).
I : La volonté de lutter contre l’instabilité gouvernementale de la IVeRépublique
Les dispositions du 49 al. 3 s’inscrivent dans la volonté de remédier à l’un des maux du régime : l’instabilité gouvernementale. Une instabilité d’autant plus paradoxale, que les gouvernements se constituaient quasiment à l’identique du précédent, et sur la base d’un programme fort peu différent. Ces crises résultaient, bien souvent, du passage d’un certain nombre de députés de la majorité à l’opposition, à la suite d’un vote sur des questions ou des textes parfois mineurs. C’est donc au cœur même des règles de mise en jeu de l’existence des gouvernements (B), que se situa la recherche d’une réforme visant à se préserver des crises qui n’étaient pas animées par un changement de majorité (A).
A : Se préserver des crises ne traduisant pas une réelle aspiration à un changement de majorité
Sous la IVe République, le Parlement refuse bien souvent au gouvernement les textes nécessaires à sa politique. « Aucun texte législatif même particulièrement bienvenu ne peut prétendre être adopté s’il n’émane d’une coalition préalable » (Bernard Lefort, « Les partis et les groupes sous la IVeRépublique », Pouvoirs n°76, 1996, p. 65). Or bien souvent les coalitions associent des « tendances contradictoires » (ibid.). Les gouvernements sont alors contraints d’utiliser la question de confiance. Pratiquée sous la IIIeRépublique de manière intempestive, la constitution de 1946 a encadré la procédure. Son article 49 prévoit que la question de confiance ne peut être posée que par le président du conseil après délibération du conseil des ministres, le vote ne peut avoir lieu qu’après un délai de réflexion d’un jour franc (la révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 réduit ce délai à 24 heures) et le refus de la confiance n’est acquis qu’à la majorité absolue des membres de l’assemblée nationale.
Ainsi mis en place, ce mécanisme doit permettre la stabilité ministérielle en évitant que la question de confiance ne soit posée sans cesse comme cela avait été le cas sous la IIIeRépublique. Or, les verrous posés par les constituants de 1946 sautent les uns après les autres. Certains présidents du Conseil n’hésitent pas à poser la question de confiance sans aucune délibération préalable du conseil des ministres. Ce fut le cas notamment en 1948 des gouvernements Schuman et Queuille (Jean-Claude Colliard, « La pratique de la question de confiance », RDP, 1948, p. 223). D’autres sont autorisés à engager la responsabilité du gouvernement sur divers sujets quand ils le jugent bon. Ce fut le cas du gouvernement Queuille (8 décembre 1948) et Pleven (19 décembre 1951). De son côté le délai de réflexion est vidé de sa substance car, même si le vote et les explications de vote sont bien reportés à la fin du délai, les députés du fait des consignes de leur parti politique prennent position dès le dépôt de la question de confiance. Cette procédure explique que le gouvernement Pinay démissionne le 23 décembre 1952 avant même que ne soient connus les résultats du scrutin : le MRP avait annoncé qu’il s’abstiendrait lors du vote à intervenir. (Michel Lascombe, « Le premier Ministre, clef de voute des institutions ? L’article 49, alinéa 3 et les autres … », RDP, 1981, n°97, p. 111). Quant à la majorité absolue exigée par la constitution pour rendre obligatoire le départ du gouvernement, elle est très vite sans efficacité. Les ministères démissionnent même s’ils ne sont mis en minorité qu’à la majorité relative, leur action politique devenant parfois impossible du fait de la défection d’une partie de leur majorité. Ainsi par exemple les ministres radicaux du gouvernement Laniel l’obligent à quitter les affaires après un vote négatif obtenu à la majorité simple (juin 1954). Au final, il ne reste de la réforme que le monopole de la procédure au président du Conseil.
Même ainsi déformée, la question de confiance reste en place. Si elle n’est pas obligatoirement posée sur un texte, elle est surtout utilisée dans le cadre de la procédure législative au moment du vote de dispositions litigieuses : « Elle pouvait être posée dans d’autres circonstances comme la sanction à un débat de politique générale, sur un ordre du jour ou encore par exemple sur les modalités du scrutin. De même, si la confiance était posée sur un texte, ce pouvait être aussi bien pour obtenir le vote de ce texte que pour obtenir le rejet d’un texte. » (Michel Lascombe, « Le Premier ministre… » op. cit. p. 111). Résultat, en pratique,si la question de confiance est récurrente – la motion de censure ayant été abandonnée, aucune motion de censure ne fut adoptée sous la IVe République, seulement cinq sur une vingtaine ont fait l’objet d’un débat (Jacques Chapsal, La vie politique en France de 1940 à 1958, PUF, 1984, p. 209) – peu de gouvernements ont été renversés à la suite d’un refus de confiance voté à la majorité absolue des membres : seulement 5 sur 24 (Pauline Türk, Le contrôle parlementaire, LGDJ, 2011,p. 79). Cela s’explique par le fait qu’une crise ouverte dans les conditions constitutionnelles entre dans le décompte pouvant entrainer une dissolution. Les conditions de mise en œuvre de la question de confiance sont en outre détournées par un effet pervers de l’abstention. Les crises ouvertes sous la IVe République l’ont été bien souvent par défaillance d’une partie de la majorité qui s’est traduite non par un vote hostile mais par l’abstention. Un refuge commode, car elle permet de soutenir aux yeux du corps électoral que l’on ne veut pas d’un texte impopulaire ou imposant des sacrifices, mais que l’on ne souhaite pas pour autant de crise ministérielle. Quand le gouvernement engage sa responsabilité, le vote abstentionniste joue contre lui. Ainsi lorsque « la question de confiance était posée sur un texte, celui-ci était adopté à la majorité des suffrages exprimés (c’est-à-dire déduction faite des abstentions), et repoussé lorsque le nombre de suffrages contre excéde celui des suffrages pour » (Pierre Avril et Jean Gicquel, La IVeentre deux Républiques, Pouvoirsn°76, janvier 1996, p. 37).Il n’empêche que le gouvernement se voyant refusé le texte sur lequel il a posé la confiance se doit de partir bien qu’il n’y soit pas constitutionnellement obligé, la majorité absolue n’étant pas atteinte (ibid.).
En outre, la pratique a fait naître en parallèle un autre mécanisme basé sur l’engagement de fait de la responsabilité du gouvernement sur un texte de loi. Malgré les dispositions de la Constitution de 1946, le gouvernement, dès 1947 par l’expérimentation de Paul Ramadier, prend l’habitude de « lier son existence à l’adoption de mesures législatives qu’il estime indispensables » (Jérome Solal-Séligny, « La question de confiance sous la IVeRépublique », RDP, 1952, p. 737). Le président du conseil engage la responsabilité du gouvernement sans poser officiellement la question de confiance. C’est « la pseudo question de confiance ». Elle « est une déclaration par laquelle le président du Conseil affirme que le cabinet se retirera si le texte est voté ou au contraire n’est pas voté » (Claude Albert Colliard, « La pratique de la question de confiance sous la IVeRépublique », RDP, 1948, p. 220). Un procédé qui a pour origine le but « de ne pas envenimer les relations entre partis de la majorité » (Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle 1789-1958, LGDJ, 2014, p. 397). Alors que les règles de l’article 49 ne sont pas respectées, l’effet est identique : en l’absence d’un vote favorable le gouvernement démissionne. Le procédé devient traditionnel au sein du régime et il a raison de plusieurs gouvernements. Le gouvernement Schuman en fait les frais en juillet 1948, Félix Gaillard en avril 1958 et Pierre Pflimlin en mai 1958 également
Ce lien entre le sort du gouvernement et celui d’un texte sur lequel il a engagé sa responsabilité était déjà la règle sous la IIIeRépublique. C’est la IVeRépublique qui avait instauré une disjonction pour remédier à l’instabilité gouvernementale en prévoyant que le refus de la confiance n’entrainerait la chute du gouvernement que s’il était voté à la majorité des membres composant l’assemblée. Mais il en a résulté que le gouvernement même s’il pouvait n’être pas renversé, se trouvait privé du texte sur lequel il avait engagé son existence et qu’il considérait donc comme essentiel à sa politique. Cette situation ne se reproduirait plus si les députés étaient davantage mis devant leur responsabilité dans le soutien du gouvernement.
Pour y parvenir, il faut discipliner les hésitants et les opposants occasionnels. Mieux il faut que les membres de la majorité soutenant le gouvernement soit inciter à y demeurer, tout en laissant au gouvernement les moyens pour agir. Ainsi, l’article 49 al. 3 va trouver son origine dans la manière de réformer la question de confiance.
B : Les projets de réformes constitutionnelles de la IVeRépublique inspirant le 49 al. 3 à travers la refonte de la question de confiance
La première réponse à cette préoccupation provient du député MRP de Loire Atlantique Edouard Moisan. Au cours de la discussion des conclusions d’un rapport fait par la commission du suffrage universel de l’Assemblée nationale sur la révision de la constitution (Rapport n° 6431 en exécution de la résolution adoptée par l’Assemblée Nationale le 30 novembre 1950 et par le Conseil de la République le 23 janvier 1951), il propose une réforme. Aidé par le secrétaire administratif du groupe MRP à l’Assemblée nationale, Fernand Chaussebourg (Souligné par Rober Lecourt, in« Trois résultats majeurs de l’action du MRP », Amicale du MRP, 2003, www.amicalemrp.org), il dépose avec son collègue Michel Mercier un amendement à l’article 49 de la Constitution de 1946 qu’il présente comme « révolutionnaire » :
« Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir que vingt-quatre heures après qu’elle ait été posée devant l’Assemblée. Il a lieu au scrutin public, et seuls les votes contre sont recensés. La confiance ne peut être refusée au cabinet qu’à la majorité absolue des députés à l’Assemblée, ce refus entraine la démission collective du cabinet. Si la confiance n’est pas refusée, la décision sur le texte en cause est de ce fait acquise. »
JO AN, 22 juillet 1953 p. 3781
Ainsi dans un scrutin de confiance tous les parlementaires sont appelés à prendre leur responsabilité. Seuls les votes contre sont décomptés et si la majorité absolue des membres de l’assemblée n’est pas atteinte, la décision sur le texte intervient dans le sens précisé par le gouvernement lors de la position de la question de confiance, c’est-à-dire pour son adoption ou pour son rejet.
Comment est-il arrivé à cette idée ? La réponse vient de la pratique qui s’est instaurée : lorsqu’un gouvernement n’a pas eu contre lui une majorité absolue de députés, la confiance ne lui est pas refusée. Il est donc en droit de rester, mais il ne le fait pas. La raison est qu’il se trouve privé du texte à propos duquel il a engagé son existence. Il y a là une anomalie qu’Édouard Moisan veut gommer. C’est pourquoi, il est prévu que seuls sont recensés les votes contre la confiance. Dès l’instant où la majorité absolue de députés nécessaire (314 à l’époque) n’est pas réunie pour refuser la confiance, l’acceptation ou le rejet du texte va de soi. Il réussit ainsi à rapprocher le texte avec la confiance au gouvernement.
Mais cela semble aller trop loin. Certains parlementaires comme Maurice Kriegel-Valmont y voit « une atteinte aux règles élémentaires de la démocratie » (Ibid. p. 3786). La novation est de prendre position pour ou contre le texte sans que l’abstention ne soit possible. Or le fait de ne recenser que les votes contre pose également problème parce qu’il ne rend compte que d’une partie du vote (Charles Lussy, Ibid. p. 3787). Il ne comptabilise que l’opposition et considère qu’à défaut d’un vote contre les députés soutiennent le texte. Edouard Moisan rectifie en conséquence son amendement :
« Dans ce scrutin, tous les députés doivent prendre part au vote et l’abstention n’est pas possible.
La confiance ne peut être refusée au cabinet qu’à la majorité absolue des députés de l’assemblée. Ce refus entraine la démission collective du cabinet. Si la confiance n’est pas refusée, la décision sur le texte en cause est de ce fait acquise ».
Ibid. p. 3788
Ainsi l’abstention est textuellement interdite, tous les votes sont comptabilisés et l’idée essentielle qui veut que si le gouvernement n’est pas renversé, le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité est acquis, reste présente. Malgré cette modification, l’amendement est écarté : il est repoussé avec une écrasante majorité de 517 voix contre et 95 voix pour sur 612 votants (JO AN 22 juillet 1953 p. 3788). L’assemblée n’était visiblement pas prête.
Quelques années plus tard en janvier 1957 Paul Coste-Floret, également député MRP, reformule l’idée précédente dans une proposition de loi portant révision constitutionnelle. Il propose que lorsque le gouvernement engage sa responsabilité devant l’assemblée, celle-ci ait à se prononcer, non pas sur le maintien de la confiance, mais sur une motion de censure dont le vote entrainerait à la fois le rejet du texte proposé et la démission du gouvernement. Ainsi, la question de confiance posée pour l’obtention d’un texte « vaudrait sommation à l’opposition de déposer une motion de censure » (Pierre Pflimlin, Mémoires d’un Européen de la IVe à la Ve République, Fayard, 1991, p. 94), faute de quoi la confiance est accordée et le texte adopté :
« Lorsque la question de confiance est posée, et qu’il n’y a pas d’opposition, le Président de l’Assemblée Nationale constate que la confiance a été accordée et que le texte proposé par le gouvernement est adopté.
S’il y a opposition, l’auteur de celle-ci est tenu de déposer dans les vingt-quatre heures une motion de censure. »
Proposition de résolution tendant à décider la révision des articles 13 et 45 de la Constitution et à joindre cette révision à celle, actuellement en cours, des articles 17, 49, 50, 51 et 90 et du titre VIII. Document n°3802 du 17 janvier 1957
En outre, s’inspirant du système allemand, la motion de censure doit comporter la désignation d’un nouveau chef de gouvernement. Et la censure ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue en ne prenant compte que les votes favorables à celle-ci.
« Pour être recevable, la motion de censure doit proposer l’investiture d’un nouveau Président du Conseil nominativement désigné.
Seuls prennent part au vote les députés favorables à la censure.
La motion de censure ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue des députés à l’Assemblée. »
Ibid.
Mais la proposition de Coste-Floret, comme celle de Moisan, n’a pas le moindre succès.
La réforme des institutions devenant cependant de plus en plus pressante, Félix Gaillard, président du conseil en novembre 1957, inscrit au programme de son gouvernement une révision constitutionnelle (Projet de loi portant révision des articles 17, 49, 50 et 51 de la Constitution, 16 janvier 1958 (dit aussi Projet Gaillard) ; in Pouvoirs,n°76, 1996, p. 129-135. Voir également Documents pour servir à l’histoire del’élaboration de la constitution du 4 octobre 1958, La documentation Française, tome 1, 1987, p. 215-219. Les résolutions tendant à la révision de ces articles datent des 19 et 24 juillet 1955 ; il a donc fallu plus de trois ans pour qu’un gouvernement se décide de poursuivre la réforme engagée sous le second gouvernement d’Edgar Faure). Son garde des sceaux, Robert Lecourt, est chargé de la conduire et le projet est présenté en janvier 1958. Sur la procédure de la question de confiance il « associe quatre mesures étroitement solidaires issues pour la plupart des initiatives Moisan-Coste-Floret » (Robert Lecourt, « L’origine mouvementée du 49 al. 3 », France-Forum, Janvier-mars 1990 p. 27).
La première visait à éviter qu’au cours d’un même débat législatif le gouvernement soit amené à poser plusieurs questions de confiance. En effet, « pour faire tomber les amendements, le président du conseil n’avait d’autres ressources que d’utiliser la question de confiance en rafales » (Pierre Avril et Jean Gicquel, « La IVeentre deux Républiques » op. cit. p. 33). Il était donc préférable de réunir en un seul scrutin toutes les dispositions sur lesquelles le gouvernement engageait sa responsabilité. D’où la rédaction suivante :
« Lorsque le président du conseil fait connaître son intention d’engager l’existence du gouvernement sur l’adoption ou le rejet d’un texte législatif, le débat s’ouvre ou se poursuit sur le texte en discussion, ainsi que sur toutes motions de procédure et amendement dont est, en l’état, saisie l’Assemblée, les votes étant réservés. »
Article 49.2 du projet Gaillard, in Documents pour servir à l’histoire…tome 1, op. cit. p. 219
Comme dans le projet Moisan, il est question non pas seulement de l’adoption d’un texte législatif, mais aussi de son « rejet ». Et comme dans le projet Coste-Floret, la motion de censure doit toujours indiquer un successeur au président du conseil, mais le nom de celui-ci figure parmi « ses signataires » et elle « doit énoncer les principes d’unprogramme » :
« Toute motion de censure doit énoncer les principes d’un programme de gouvernement et indiquer le nom de celui de ses signataires dont la désignation comme futur président du conseil est suggérée. Au cas où la motion de censure est opposée (…) à une question de confiance posée pour l’adoption d’un texte législatif, elle doit être accompagnée d’un contre-projet à ce texte.
Si à l’expiration du délai précité, aucune motion de censure n’a été présentée, le président de l’assemblée nationale constate (…) que la confiance accordée au gouvernement n’a pas été retirée et le cas échéant que le texte sur lequel le gouvernement a engagé son existence est, en conséquence, et selon les cas, adopté ou rejeté .»
Article 49 al. 5 du Projet Gaillard, ibid.
Pour clarifier les rapports entre le gouvernement et sa majorité le projet précise que dès lors que la confiance est accordée au gouvernement lors de son vote d’investiture, celle-ci lui est acquise tant qu’elle ne lui « a pas été retirée ». C’est pourquoi, lorsque le gouvernement lie son existence au vote d’un texte, ce n’est pas à la majorité de réitérer sa confiance déjà manifestée par l’investiture, mais à l’opposition à démontrer par un vote de censure qu’elle est devenue majoritaire. Et reprenant la proposition Coste-Floret la motion doit énoncer « un programme de gouvernement » et indiquer un « futur président du conseil ». On peut noter qu’ici à la différence du projet Coste-Floret, le nom figure parmi les signataires de la motion.
Une troisième novation est de remettre en cause l’abstention. C’est ce qui est à l’origine de la remise en cause de bon nombre de majorité gouvernementale. C’est pourquoi, sans la remettre en cause, il est prévu concernant la censure que « les votes pour sont seuls exprimés ».
Ces mesures ont un seul objectif empêcher le transfert sans lendemain de certains parlementaires de la majorité à l’opposition.
Enfin dernière idée : dès lors que l’Assemblée nationale a refuser de censurer le gouvernement à l’occasion d’un texte sur lequel il a engagé son destin, « le texte sur lequel le gouvernement a engagé son existence est en conséquence et, selon les cas, adopté ou rejeté » (Article 49 al. 5 du Projet Gaillard, op. cit. p. 219).
Mais ce texte fit l’objet de nombreuses critiques au sein de l’Assemblée, au point qu’un contre projet fut présenté par trois anciens présidents du conseil, Edgar Faure, Paul Reynaud et René Pleven. Sous forme d’amendement n°19, Edgar Faure, René Pleven, Paul Reynaud, Pascal Arrighi et Valéry Giscard d’Estaing déposent un contre projet au projet de révision constitutionnelle du gouvernement (JO AN 20 février 1958, p. 922). Ce contre projet prévoit la dissociation du vote sur le principe de la confiance et du vote sur un texte. En effet, il est procédé « à deux votes simultanés, l’un sur le texte et l’autre sur la confiance du gouvernement ». Si la confiance est refusée, ce refus entraine la démission du gouvernement, si elle accordée et le texte rejeté, celui-ci n’est pas pour autant abandonné. Il est transmis au conseil de la République et, c’est ensuite à son retour devant l’Assemblée Nationale, qu’une question de confiance unique est posée à la fois sur la confiance du gouvernement et sur le texte. Un procédé que dénoncent nombre de parlementaires. D’abord, la dissociation du vote ne résout rien. On voit mal un président du conseil qui a la confiance, mais qui se voit refuser le texte continuer à gouverner quand l’assemblée lui en refuse un moyen, qu’il avait déclaré essentiel pour la poursuite de sa politique. Ensuite, comment accepter l’idée de transmettre à la Chambre haute un texte qui vient d’être écarté par l’Assemblée Nationale. Outre le fait qu’il y ait des doutes quant à la régularité constitutionnelle de la procédure, cela risque d’alourdir le débat entre les trois institutions que sont gouvernement, Assemblée nationale et conseil de la République sans parvenir à une solution rapide. L’article 20 de la Constitution de 1946 précise que : « Le Conseil de la République examine, pour avis, les projets et propositions de loi votés en première lecture par l’Assemblée nationale ». Autrement dit lorsque le texte a été repoussé par l’assemblée nationale le conseil de la république n’a pas à l’examiner. On ne peut pas transmettre un texte qui a été rejeté par l’assemblée (cf. Patrice Brocas, JO AN 19 février 1958, p. 887). Le contre projet prévoit également deux autres novations : la sanction de l’abstention et la dissolution automatique. Dans le premier cas, il s’agit de frapper de déchéance les députés qui n’auraient pas « pris part à deux scrutins sur des questions de confiances et de censure ». Dans le second cas, lorsque « le gouvernement est l’objet d’une motion de censure adoptée par l’Assemblée nationale ou est mis en minorité après avoir posé la question de confiance l’Assemblée nationale est dissoute de plein droit ». Or, ici aussi ces deux idées sont contestées. En effet, la déchéance du mandat de parlementaire pour abstention renvoie à des difficultés d’ordre pratique. Le projet prévoit que cette sanction ne vaudrait pas en cas de « d’empêchement reconnu valable par le bureau de l’assemblée ou mission hors de la métropole ». Il sera donc très difficile au bureau d’apprécier la valeur de ces empêchements et, il y aura toutes facilités aux députés d’invoquer un empêchement quelconque. Quant à la dissolution automatique, cela ôte toute faculté d’appréciation au gouvernement pour remettre pratiquement la décision à l’assemblée elle-même. Une majorité quelconque pourra provoquer, lorsqu’elle estimera la conjoncture électorale favorable, une dissolution.
Pour ces diverses raisons et après de nombreuses discussions, certains points du projet et du contre-projet se réunissement dans un amendement de compromis présenté par Edmond Barachin, Patrice Brocas, René Dejean et Pierre-Henri Teitgen (JO AN 1958 Amendement n°46, Barachin, Brocas, Dejean, Teitgen). Il est voté grâce à l’engagement de la responsabilité du gouvernement par le président du Conseil, à la suite d’un amendement présenté Raymond Triboulet, qui proposait de ne prévoir « la question de confiance et la motion de censure que sur la politique générale du gouvernement, les traités internationaux, les recettes budgétaires et la masse globale des dépenses » (JO AN 12 mars 1958 p. 1550). L’amendement voté par l’assemblée (Ibid. p. 1552), et ensuite écarté par l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur l’ensemble de la réforme qui est votée avec quelques retouches le 21 mars 1958 (JO AN 21 mars 1958 p. 1860).
L’idée première de Moisan était simple, le projet adopté réalise un mécanisme plus complexe. Lors d’un débat ou à la suite d’une déclaration du gouvernement le président du conseil peut engager l’existence de ce dernier par le biais d’une motion de confiance. Le débat se poursuit jusqu’au scrutin « sur la politique générale incluant le texte ayant l’assentiment du gouvernement ». Si aucune « motion de défiance » n’est déposée, il est constaté que la confiance n’a pas été retirée et que le texte à propos duquel le gouvernement a engagé son existence est selon le cas « adopté ou rejeté ». Si une « motion de défiance » est déposée elle doit « énoncer un programme de gouvernement ». Elle est mise au voix en même temps que la « motion de confiance ». Les députés doivent se prononcer pour l’une ou pour l’autre, sans pouvoir s’abstenir sous peine d’encourir une sanction disciplinaire. « L’adoption d’une motion de défiance entraine la démission du cabinet » (Article 50 du projet du 21 mars 1958, in Documents pour servir à l’histoire…, tome 1, op. cit. p. 222-223).
Cette réforme englobait un texte avec la politique générale du gouvernement en place, confrontée en cas d’opposition à une autre politique par le biais de la présentation d’un programme. Par rapport au projet de janvier 1958, il n’y a plus la présentation d’un texte alternatif ni le nom d’un potentiel président du conseil.
Transmis au Conseil de la République, ce texte n’a pas le temps d’y être voté. Félix Gaillard est renversé par une question de confiance en avril 1958. Pierre Pflimlin qui lui succède fait de la réforme de l’Etat un engagement de son programme politique. Un projet de réforme constitutionnelle est réalisé le 22 mai 1958 qui vient s’ajouter à la révision en cours (« Projet de loi tendant à la révision de certains articles de la constitution », 22 mai 1958, in Documents pour servir à l’histoire… p. 225-227. Voir également Pierre Pflmlin, Mémoires, op. cit. p. 123-126). Si aucun des projets n’aboutit, puisqu’une crise de régime éclate à la suite des événements d’Alger de mai 1958, cet effort de réforme et de rationalisation n’est pas vain. Il inspire la rédaction de la Constitution de 1958. Et malgré les critiques, l’idée de donner au gouvernement les moyens de gouverner, notamment par une procédure qui ferait adopter un texte sans vote, semble avoir fait son chemin.
II : L’élaboration du 49 al. 3 lors de la rédaction de la Constitution de 1958
Nombre de membres qui ont été à l’origine de ces projets de réforme vont se trouver mélés à la rédaction de la constitution. Ce qui explique un transfert des idées de réforme défendues durant la IVeRépublique notamment à travers le projet Gaillard et les travaux rédactionnels de la Constitution de 1958 (A). Ils ont été soucieux de lutter contre ce qui avait été au cœur du dysfonctionnement de la IVe République, à savoir l’absence de majorité soudée et l’absence de prise de responsabilité politique à travers les votes abstentionnistes des parlementaires (B).
A : Le transfert de l’idée de l’adoption d’un texte sans vote dans la Constitution de 1958
Pour élaborer le projet de constitution, le général de Gaulle conscient des difficultés rédactionnelles qu’une assemblée constituante est à même de générer, l’assemblée de la IVe République en avait été la preuve, la rédaction constitutionnelle est donnée à un groupe restreint de politiques et d’experts. Un comité interministériel est ainsi créé qu’il préside lui-même ainsi qu’un groupe de travail dirigé par son garde des sceaux Michel Debré. Parmi les personnes qui travaillent à cette rédaction constitutionnelle certaines d’entre-elles sont à l’origine des premières dispositions du 49 al. 3.
Ainsi « deux des collaborateurs du chef radical du gouvernement se sont retrouvés parmi l’équipe rédactionnelle de l’avant-projet de constitution ; l’un était Solal-Celigny qui dépendait du Secrétariat général du gouvernement et était ami du président du conseil et l’autre était François Luchaire qui se trouvait alors à son cabinet » (François Luchaire, « Les radicaux et la Constitution de 1958 », Société d’Histoire du radicalisme, p. 4). De même, on trouve dans le comité consultatif constitutionnel Barachin, Dejean et Teitgen à l’origine de l’amendement du projet de janvier 1958, mais aussi Coste-Floret qui est à l’origine du projet de janvier 1957. Au sein même du gouvernement de Gaulle, fort de leur expérience, les anciens présidents du Conseil Pierre Pflimlin et Guy Mollet ont toujours été soucieux de faciliter l’adoption des textes jugés importants. Guy Mollet, n’hésitait pas à répéter à qui veut l’entendre « il faut absolument qu’on puisse faire adopter une loi sans être contraint à un vote exprès du Parlement sinon le gouvernement n’obtiendra pas les lois essentielles à l’exercice de sa politique et tombera » (Rapporté par André Chandernagor, Michel Debré et la Constitution de la Ve République, Association des amis de Michel Debré, Paris, 2005, p. 55). Quant au général de Gaulle, s’il n’a pas d’idée arrêtée sur ce point, il insiste cependant lors de la première réunion du comité interministériel qui eut lieu le 13 juin 1958 sur différents points à prendre à compte pour la rédaction constitutionnelle. Et, après avoir rappelé les principes inscrits dans la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, il souligne notamment la responsabilité du gouvernement devant le Parlement en précisant qu’elle ne doit pas jouer sur tous les sujets mais seulement sur certains d’entre eux. Il ajoute « A cet égard, les projets du gouvernement de M. Pflimlin s’inspirent de principes dont plusieurs peuvent être retenus » (Rapporté par P. Pflimlin, Mémoires d’un Européen…, op. cit. p. 148). Fort de cette remarque, Pierre Pflimlin propose la rédaction de l’article 49 al. 3 (www.strasbourg-europe.eu/pierre-pflimlin,14544,fr.html) y ayant réfléchi bien avant d’être appelé à Matignon (Souligné par André Chandernagor op. cit. p. 56). Il s’inspire de la proposition Coste-Floret et du projet élaboré par Robert Lecourt en sa qualité de garde des sceaux du gouvernement Félix Gaillard (Pierre Pflimlin, Mémoires d’un Européen… op.cit.p. 153). Il s’en fait devant le comité des ministres l’avocat, soutenu dans sa démarche par Guy Mollet mais aussi Antoine Pinay. Tout trois anciens présidents du conseil, ils ont le souvenir de leur impuissance lorsque des textes importants à leurs yeux étaient repoussés. La reformulation de ces projets est préférée à une idée de Michel Debré qui proposait alors que « le pouvoir législatif soit exercé par le parlement pendant les sessions parlementaires et par le gouvernement en dehors des sessions ; le gouvernement étant mettre de l’ordre du jour du parlement, cette proposition permettrait au premier de déposseder en fait le second de son pouvoir de faire la loi » (François Luchaire, op. cit. p. 4).
Ce n’est cependant pas tout le projet Gaillard qui est repris, même si Pflimlin s’en inspire. Le projet de réforme Gaillard obligeait l’opposition d’indiquer, dans sa motion de censure éventuelle, un programme de gouvernement ainsi que le nom du successeur possible si la motion renversait le président du conseil. En outre, il fonctionnait autant pour l’adoption que pour le retrait d’un texte. De cette façon, les parlementaires n’étaient pas mis devant un chantage politique, ils pouvaient s’opposer de manière plus constructive puisqu’une alternative de texte et de président du conseil devait être présentée.
C’est ce que font remarquer quelques membres du Comité consultatif constitutionnel parmi lesquels Edmond Barachin, qui a été l’un des principaux artisans du projet Gaillard. Il dénonce la possibilité qu’un gouvernement soit renversé du seul fait d’un texte : « un gouvernement qui tient à un texte prenons le prix des betteraves peut être renversé sur le prix des betteraves. C’est inadmissible ». Et il ajoute : « Dans le texte que nous avons proposé (le projet Gaillard) le gouvernement disait « j’attache tellement d’importance à cette affaire que j’en fais une question de politique générale et que je dépose une motion de confiance ». A ce moment là l’opposition (…) devait par le dépôt d’une motion de censure déposer un texte qui s’opposait à celui de l’Assemblée Nationale. Ce n’était pas tout à fait la même chose. » (Documents pour servir à l’histoire…, tome 2, op. cit. p. 495)
Paul Reynaud va plus loin et dénonce qu’un « texte puisse être adopté sans être voté » (Ibid. p. 499). Au sein du Comité consultatif qu’il préside il rejoint sur ce point Jean-Paul David (« Le gouvernement, (…) a dans ses mains une arme terrible : (…) il pourra toujours considérer qu’un texte est indispensable et il viendra devant le parlement. Il saura que l’on ne pourra pas réunir la majorité de la motion de censure et que, par conséquent, son texte sera adopté. » Ibid. p. 501) et même Michel Debré, chez qui le « sens du parlementarisme » est heurté par l’idée qu’un texte soit adopté sans vote : « Qu’un texte soit adopté parce que la motion de censure déposée à l’occasion du débat n’est pas adoptée, passe encore. Mais qu’il soit également adopté sans vote du fait qu’aucune motion de censure n’a été déposée voilà qui heurte (son) sens du parlementarisme. » Cependant il reconnaît « qu’on ne peut éviter cette conséquence dusystème » (Michel Debré, Trois Républiques pour une France– Mémoires, tome 2, Albin Michel, 1988, p. 380). Paul Reynaud propose à la place la dissolution automatique. C’est-à-dire dès que le gouvernement est renversé, les députés retournent devant les électeurs. Il défend cette idée durant toute la IVeRépublique. En 1953, lorsqu’il est désigné Président du Conseil, il subordonne son acceptation de constituer un gouvernement au vote préalable d’une réforme constitutionnelle comportant la dissolution automatique de l’assemblée dans les dix-huit mois suivant sa constitution. L’investiture lui fut refusée notamment pour son intransigeance à l’égard de cette réforme (JO Débats parlementaires, AN 27 mai 1953 p. 2489 et s). Deux ans plus tard, il dépose une proposition de résolution qui évoque à nouveau cette procédure mais elle est écartée par la commission du suffrage universel (JO Documents parlementaires AN annexe 10.412 (5 mars 1955) p. 613 et annexe 4.663 (26 mars 1957) p. 1890). La rédaction de la Constitution de 1958 lui permet de défendre à nouveau cette idée. Mais le général de Gaulle ayant appelé depuis le discours de Bayeux à ce que le chef de l’Etat puisse inviter « … le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine » (Charles de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946. Reproduit dans la Documentation française, La Constitution française de 1958, éd. 2015, Documents et études, n° 104) le droit de dissolution se doit d’être à la discrétion du chef de l’État. « L’argument invoqué par le général de Gaulle et Michel Debré est qu’un tel système limiterait à un seul type de situation l’exercice de la dissolution » (Pierre Albertini, Le droit de dissolution et les systèmes constitutionnels français, PU Rouen, 1977). Ils souhaitent permettre la dissolution en dehors de toute crise gouvernementale, idée réaffirmée par Michel Debré dans une lettre à Paul Reynaud publiée dans le journal Le Mondele 3 février 1961. En outre, il y a le risque d’un détournement de la procédure par l’opposition pour provoquer une dissolution au moment le plus défavorable. Dès lors, la proposition de Paul Reynaud est écartée.
Michel Debré propose également une autre solution. Il propose à la place une déclaration gouvernementale faite chaque année sur l’état de la France et sa politique. « Le gouvernement dresse le bilan de son action, énonce son programme et dépose le projet de budget, un débat s’engageant alors entre le parlement et le gouvernement. Si ce dernier obtient la confiance il n’y aura plus, en principe, de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement pour l’année, sauf si le gouvernement en prend l’initiative pour une question de politique générale » (Jean-Louis Debré, Les idées constitutionnelles du général de Gaulle, LGDJ, 1974, p. 236). Ce procédé fait disparaître la question de confiance pour l’approbation d’un texte, sauf transformation de la discussion du texte en question de politique générale. Mais la proposition ne séduit ni le général de Gaulle, qui n’apprécie guère l’idée d’un rendez-vous annuel régulier extérieur au président de la République (Michel Debré, Mémoires, tome 2, op. cit. p. 380), ni à la plupart des membres du comité consultatif.
La rédaction de l’article 49 al. 3 est alors entérinée avec l’accord du général de Gaulle « plutôt amusé, mais persuadé que la nouvelle réglementation imposera au gouvernement de prendre ses responsabilités et interdira qu’une coalition négative puisse faire obstacle à la politique décidée en Conseil des Ministres. » (ibid.).
Se retrouve dans l’article l’articulation des quatre mesures proposées en janvier 1958 : même blocage en un scrutin unique de toutes les dispositions sur lesquelles le gouvernement doit engager sa responsabilité, même liaison entre l’engagement de la responsabilité et une motion de censure éventuelle en réponse, même obligation à ne recenser que les votes favorables à la censure, même approbation implicite du texte en cas de refus de la censure
Mais il y a néanmoins des différences, il ne s’agit que de l’approbation et non pas également du rejet ; il n’y a pas possibilité de proposer un texte alternatif ; et, il y a la possibilité de couper court à tout débat.
B : Un procédé inventé en raison de l’absence d’une majorité absolue garantie et de la difficulté de sanctionner l’abstention parlementaire
L’article 49 al. 3 a été pensé parce qu’il n’y avait pas la possibilité de garantir une majorité absolue au sein du parlement permettant de soutenir le gouvernement. C’est ce que confirme Michel Debré au Comité Consultatif : il faut en arriver là « parce que nous ne pouvons avoir une majorité cohérente, puisqu’il n’y a pas la possibilité matérielle, juridique, dans ce pays, avant de nombreuses années d’avoir une assemblée nationale où sur 600 députés, 310 seront liés à la vie et à la mort, puisqu’on n’a pas cela, vous êtes obligés de réfléchir à des mécanismes » (Documents pour servir à l’histoire…, tome 2, op. cit. p. 506). L’article n’a pas été inventé « pour contrer l’opposition mais bien pour contraindre la majorité à se mettre au service du gouvernement » (Dominique Rousseau à Simon Prigent, « L’article 49 al. 3 : un déni de démocratie ? » Le Monde, 12 mai 2016). Il s’apparente ainsi à un contrepoids au cœur même de la majorité « pour ramener les égarés à la raison » (Didier Maus, « La constitution jugée par sa pratique », RFSP, 1984, p. 876). Il est vrai qu’au sein du Parlement britannique par exemple, berceau du régime parlementaire, on oublie que « les députés de la majorité sont là pour soutenir le gouvernement. Ce sont les députés de l’opposition qui critiquent les projets du gouvernement et qui proposent des amendements » (Souligné par Jean Foyer, in Michel Debré et la constitution de la VeRépublique, op. cit. p. 164), les députés de la majorité critiquent rarement les projets du gouvernement, ce qui est loin d’être le cas en France.
Toute la force de l’article ou sa ruse, voire son « stratagème », selon le mot de Robert Bruyneel au sein du Comité consultatif constitutionnel (Documents pour servir à l’histoire…, op. cit. tome 2 p. 501), est que le problème, qui porte initialement sur un texte de loi, glisse vers un vote « pour ou contre le gouvernement en cas de dépôt d’une motion de censure ». Ce qui revient à poser la question de savoir : êtes-vous contre ce texte au point de faire tomber le gouvernement ? Voilà pourquoi la Vea prévu qu’un gouvernement ne peut être renversé que par une majorité de députés votant contre lui. Il ne doit pas être renversé par les abstentionnistes.
Car le 49 al. 3 trouve également son origine dans une refonte de la pratique de la question de confiance implicite. Comme certains textes sont essentiels pour la politique du gouvernement, mais que cela ne doit pas être l’occasion pour quelques minorités de s’associer pour le renverser, il fallait prévoir que c’est seulement le vote d’une motion de censure à la majorité absolue – seule disposition de la constitution de 1946 à avoir été respectée – qui peut faire tomber le gouvernement, et avec lui le texte qu’il défend. Il n’y avait pas d’autre solution, sauf celle peut-être de sanctionner l’abstention. Mais cela était impossible, des projets en ce sens, avaient d’ailleurs été écartés durant la IVeRépublique. Ainsi, il a été question de préciser que les « abstentionnistes étaient présumés avoir votés pour le gouvernement » (Projet Gaillard, 16 janvier 1958, art. 50.3 op. cit). Ensuite René Pleven et Edgar Faure avaient présenté un amendement commun sur l’interdiction de l’abstention, avec pour sanction en cas de non-respect la déchéance du mandat parlementaire (Proposition du 20 février 1958, art. 50 al.6). Une sanction prévue dans le règlement avait été préférée, la censure avec exclusion temporaire. Cette peine ayant apparu trop forte, finalement le texte avait été adopté avec la peine de la censure simple, c’est-à-dire avec une amende égale à une privation de l’indemnité parlementaire pendant 15 jours (Projet voté par l’Assemblée Nationale en mars 1958). Mais devant des difficultés pratiques, l’idée au final a été abandonnée. Dès lors, si l’on veut que la majorité absolue joue pleinement son rôle lorsque le gouvernement engage sa responsabilité sur un texte sans tenir compte de l’abstention, il n’y avait pas d’autre solution que d’aller jusqu’au bout de la logique, et dire que si la motion de censure n’est pas votée le texte est adopté. C’est ce que souligne Paul Coste Floret au sein du Comité Consultatif affirmant que si l’on repousse l’interdiction pure et simple de l’abstention « on est bien obligé d’arriver au système proposé (…) selon lequel on vote pour une motion de censure qui vous fait exprimer pour ou contre le texte de loi si elle assortit la discussion d’un texte de loi. On ne recense que les votes favorables, de ce fait on ne peut pas présumer du sens dans lequel auront voté les abstentionnistes puisque leur vote n’est pas recensé » (Documents pour servir à l’histoire…, tome 2, op. cit. p. 503).
L’évocation des différentes étapes de réforme de la IVe République, pour parvenir à contenir la majorité parlementaire, montre que l’article 49 al. 3 n’est pas seulement « l’aboutissement pragmatique d’une réflexion sur le parlementarisme français » (Pierre Avril et Jean Gicquel, « Memento sur l’article 49 al. 3 », Petites Affiches, 13 mars 2015, n°52 p. 4), mais aussi le produit d’une réflexion des parlementaires eux-mêmes, commencé depuis le début des années cinquante. Réflexion s’inscrivant dans la recherche d’une thérapeutique du mal qui gangrénait la IVeRépublique : l’instabilité gouvernementale. Celle-ci était due à des coalitions de circonstances de différents partis politiques qui se liguaient contre le gouvernement. L’absence d’unité des députés de la majorité à soutenir la politique gouvernementale renforcait ce scénario. Il fallait donc trouver un mécanisme institutionnel soudant la majorité à l’égard du gouvernement lorsque celui-ci avait besoin de son soutien. Et le principe qui veut qu’un texte soit adopté sans vote, dès lors qu’une motion de censure n’a pas été votée, s’est révélé comme le meilleur système : meilleur que l’auto-dissolution, meilleur que l’interdiction de l’abstention, meilleur que la dissociation de l’engagement de la responsabilité gouvernementale avec le vote d’un texte.
Il faudrait parfois s’en souvenir avant de le présenter comme un mal sans nom à chaque utilisation (Guillaume Tusseau, « La réactivation de l’article 49 al. 3 », Recueil Dalloz, 2015, p. 560). Il est vrai que son usage peut être dénoncé, lorsqu’il est détourné pour couper court à tout débat. Le gouvernement s’en sert alors pour « discipliner sa majorité sans chercher à la convaincre » (Arnaud Montebourg, Bastien François, La Constitution de la 6eRépubliqueop. cit. p. 134-135). Parmi les différentes propositions de réforme, c’est peut-être celle qui empêcherait ce cas de figure qui est la plus nécessaire. Dernièrement la députée Laurence Arribagé propose de limiter le recours au 49 al. 3 en limitant son utilisation aux seules sessions ordinaires (Blog de Laurence Arribagé, Proposition de loi : je propose de limiter le recours au 49 al. 3, 5 juillet 2016). Au Sénat, il est proposé de ne pouvoir l’utiliser qu’aux seuls projets de loi de finances et financement de sécurité sociale (Proposition de loi constitutionnelle visant à limiter l’usage du 49 al. 3 de la constitution, Sénat, Document n°293, enregistré à la présidence du Sénat le 18 février 2015 et présentée par François Commeinhes, Pierre Médevieille, Olivier Cadic, Sophie Joissains, Brigitte Micouleau et François Calvet). Quoiqu’il en soit, le problème n’est pas constitutionnel mais politique, car les institutions ne sont que ce que les hommes en font.