• Accueil
  • Manuels et thèses
    • La protection des droits fondamentaux en France, 2ème édition
    • Droit administratif français, 6ème édition
    • Contentieux administratif, 3ème édition
    • Science politique, 2ème édition
    • Droit public allemand
    • Le principe de séparation des pouvoirs en droit allemand
  • Chroniques
    • Archives
      • Matière pénale
      • Responsabilité médicale
      • Droit des affaires
      • Droit constitutionnel
      • Droit civil
      • Droit et culture populaire
    • Droit administratif français et comparé
    • Droit de l’Union
    • Droit public économique et contrats publics
    • Droit des libertés
    • Contentieux administratif
    • Informatique juridique
    • Droit public financier
  • Revues archivées
    • Bulletin juridique des collectivités locales
    • Droit 21
    • Jurisprudence Clef
    • Scientia Juris
  • Colloques
    • 5 mai 2021 : L’UE et ses Etats membres, entre identité et souveraineté
    • 17-18 octobre 2019 : La révision des lois bioéthiques
    • 12 avril 2019 : L’actualité des thèses en droit public comparé
    • 31 janvier 2019 : Autonomie locale et QPC
    • 12 et 13 avril 2018: Les algorithmes publics
    • 30 mars 2018 : L’open data, une évolution juridique ?
    • 8 février 2018 : La nouvelle doctrine du contrôle de proportionnalité : conférence-débat
    • 15 septembre 2017 : La réforme
    • 3 avril 2015 : La guerre des juges aura-t-elle lieu ?
    • 30 octobre 2014 : La dignité de la personne humaine : conférence-débat
    • 27 juin 2014 : Le crowdfunding
    • 11 octobre 2013 : La coopération transfrontalière
  • Rééditions
    • Léon Duguit
      • Les transformations du droit public
      • Souveraineté et liberté
    • Maurice Hauriou : note d’arrêts
    • Édouard Laferrière
    • Otto Mayer
  • Twitter

Revue générale du droit

  • Organes scientifiques de la revue
  • Charte éditoriale
  • Soumettre une publication
  • Mentions légales
You are here: Home / Chroniques / Chronique de contentieux administratif / Le rire de « Sergent » : de quelques assouplissements récents des règles de procédure contentieuse par le Conseil d’Etat.

Le rire de « Sergent » : de quelques assouplissements récents des règles de procédure contentieuse par le Conseil d’Etat.

Citer : Yann Livenais, 'Le rire de « Sergent » : de quelques assouplissements récents des règles de procédure contentieuse par le Conseil d’Etat., ' : Revue générale du droit on line, 2019, numéro 43696 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=43696)


Imprimer




Décision(s) commentée(s):
  • CE, 6 février 2019, SARL Attractive Fragrances & Cosmetics, req. n° 415582
  • CE, Sect. 5 octobre 2018 SA Finamur, req. n° 412560
  • CE, Sect. 5 octobre 2018 Sergent, req. n° 418233,

Décision(s) citée(s):
  • CE, 19 octobre 2018, Badahane, req. n° 416629
  • CE, 26 octobre 2017, Mme Fauville, req. n° 406982
  • CE, 20 mai 2005, Barraud, req. n° 265777


Faut-il y voir une réponse aux critiques formées par le Barreau contre certaines dispositions réglementaires introduites depuis 2016 dans le code de justice administrative qui avaient pour conséquence (sinon pour objet) de durcir les conditions de recevabilité des recours et de permettre, au contraire, au juge administratif de traiter plus rapidement un certain nombre de litiges, notamment par la pratique des ordonnances ? Un souhait de donner à voir un rééquilibrage de la jurisprudence du Conseil d’État en des temps dominés par la déclinaison de la notion de sécurité juridique ? Toujours est-il que l’automne 2018 et le début de cette année 2019 ont donné l’occasion à la Section du Contentieux d’apporter des tempéraments majeurs aux effets procéduraux, d’une part, des dispositions relatives à l’introduction des requêtes par l’application informatique « Télérecours » telles qu’introduites dans le code de justice administrative par le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016 et, d’autre part, de l’ajout à l’article R. 222-1 du même code des ordonnances de tri dites « du neuvième alinéa », créées par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 dit « JADE » permettant au juge d’appel de rejeter par ordonnance les requêtes « manifestement dépourvues de fondement ». On notera que le Conseil d’État a confirmé la légalité du décret « JADE », notamment en ce qu’il institue cette catégorie d’ordonnances de tri, par une récente décision CE 13 février 2019, Syndicat de la juridiction administrative, Conseil national des barreaux et Société LCJ éditions et productions, (n°s 406606, 410872, 419467).

Le premier de ces tempéraments a été apporté par la décision CE, Sect. 5 octobre 2018 Sergent, req. n° 418233, qui sera publiée au Recueil, complétée et précisée par  la décision CE, 6 février 2019, SARL Attractive Fragrances & Cosmetics, req. n° 415582, qui sera publiée aux Tables, et allège l’obligation mise à la charge des parties par l’article R. 414-3 du code de justice administrative, à peine d’irrecevabilité de la demande, de procéder à l’indexation par signets des pièces jointes aux requêtes et mémoires transmises par l’application Télérecours. 

Le second résulte quant à lui de l’intervention de la décision CE, Sect. 5 octobre 2018 SA Finamur, req. n° 412560, qui sera également publiée au Recueil, et qui vaut moins par son objet, qui consiste à dispenser les juges d’appel de l’obligation d’exposer les motifs du recours à une telle ordonnance de tri, que par l’introduction de la notion de contrôle, par le juge de cassation, de l’usage abusif de ce dispositif par les Cours.

Bien que portant sur des objets différents, ces décisions, dont nous présenterons brièvement les motifs et les innovations jurisprudentielles (I) sont toutefois unies par deux points communs : elles sont lourdes de conséquences pratiques pour les parties, et en premier lieu pour les requérants, en ce qu’elles allègent, avec une portée qu’il reste encore à mesurer, des contraintes récentes pesant, tant sur la forme des recours, que sur la perspective de bénéficier de la plénitude du double degré de juridiction, mais, de manière plus sensible encore, elles conduisent la Section du Contentieux à amodier des dispositions jurisprudentielles inspirées et conçues par le Conseil d’État lui-même dans l’exercice de sa mission de gestion des juridictions administratives, au prix d’une forme de chevauchement, sinon dans les rôles, du moins dans les intentions, des missions exercées par cette institution (II) et dont, là aussi, il y aura lieu de suivre les évolutions.

I. Lueurs aux deux bouts du tunnel procédural ? : les apports des décisions Sergent et SARL Attractive Fragrances & Cosmetics et SA Finamur

Les décisions Sergent et SARL Attractive Fragrances & Cosmetics viennent donc préciser, de manière toutefois encore incomplète, l’étendue de l’obligation d’individualisation des pièces jointes transmises à l’appui d’une requête ou d’un mémoire dans l’application Télérecours.

Dans sa version en vigueur à compter du 1erjanvier 2017, l’article R. 414-3 du code de justice administrative dispose notamment : « Par dérogation aux dispositions des articles R. 411-3, R. 411-4, R. 412-1 et R. 412-2, les requérants sont dispensés de produire des copies de leur requête et des pièces qui sont jointes à celle-ci et à leurs mémoires. Les pièces jointes sont présentées conformément à l’inventaire qui en est dressé. Lorsque le requérant transmet, à l’appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d’entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l’inventaire mentionné ci-dessus. S’il transmet un fichier par pièce, l’intitulé de chacun d’entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d’irrecevabilité de la requête. ». Ces dispositions réglementaires ont été modifiées à compter du 10 février 2019 par l’entrée en vigueur du décret n° 2019-82 du 7 février 2019 modifiant le code de justice administrative, sans d’ailleurs que leur rédaction ait évolué sur la question jugée par les décisions Sergent et SARL Attractive Fragrances 1 Cosmetics

C’est en l’espèce la portée de cette obligation d’inventorisation, en particulier en ce qui concerne la désignation individuelle des pièces jointes, qu’elles soient présentées dans un fichier unique séparé par des signets ou sous la forme de fichiers individuels qui a conduit de nombreuses juridictions à s’interroger et à fixer des règles disparates aux parties en cette matière, l’absence totale d’individualisation des pièces jointes, notamment par la pose de signets dans un fichier unique, étant en revanche logiquement sanctionnée en l’absence de régularisation de la part de la partie intéressée (y compris en ce qui concerne les recours présentés par les administrations : en ce sens, CAA Marseille, ord., 11 juillet 2017 Préfet de la Haute-Corse, req. n° 17MA02021) . Ainsi, la cour administrative d’appel de Nancy, première à se prononcer sur la question, avait adopté une position libérale en estimant qu’une pièce jointe ne comportant pas d’intitulé mais portant un numéro d’ordre à l’inventaire, en l’espèce un plan de lotissement, était « à l’évidence, conforme à l’inventaire, ce qui lui permet de satisfaire aux exigences de l’article R. 414-3 précité » (CAA Nancy 18 Mai 2017 Commune de Wiwersheim, req. n° 16NC01247), rejointe en ceci par la cour de Douai qui admettait la recevabilité d’un recours dont les pièces comportaient des signets séparateurs sans dénomination, mais un simple numéro d’ordre conforme à celui porté à l’inventaire (CAA Douai, 30 novembre 2017, SARL Engels  Manutention, req. n° 17DA00686.)

Adoptant une interprétation littérale du code de justice administrative, la cour administrative d’appel de Marseille, par un arrêt CAA Marseille 25 septembre 2017 Badahane (req. n° 17MA02291), déclarait irrecevable une requête comportant en pièces jointes des documents produits sous la forme de fichiers individuels et, de ce fait, identifiables, mais dont la dénomination ne correspondait pas aux intitulés figurant à l’inventaire. De la même manière, la cour de Bordeaux sanctionnait un justiciable ayant produit dans une même partie de fichier individualisée par un signet des pièces de nature diverse dont la nature différait, en tous les cas partiellement, de celle indiquée à l’inventaire au numéro d’ordre correspondant, sans d’ailleurs mettre en cause le principe même de la production de plusieurs pièces à l’intérieur d’un même fichier ou fraction de fichier (CAA Bordeaux 28 novembre 2017 Kapachia, n° 17VE02680), et, de la même manière, confirmait l’irrecevabilité d’une requête dont seulement une partie des pièces individualisées par un signet n’étaient pas identifiables par comparaison avec l’inventaire (CAA Bordeaux, ord., 18 juin 2018 Association « Un air de Famille » n° 18BX02179, cette ordonnance faisant l’objet d’un pourvoi en cassation sur lequel le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé).

C’est à une unification de ce régime contentieux dans un sens clairement libéral, mais accompagnée d’une forme de pédagogie de l’article R. 414-3, qu’a entendu procéder le Conseil d’État en rendant la décision Sergent précitée, venue annuler une ordonnance rendue par l’un des vice-présidents de la cour administrative d’appel de Versailles.

A cette occasion, le Conseil d‘État propose en effet une définition claire de l’inventaire exigé par l’article R. 414-3 du code de justice administrative, entendu comme la «présentation exhaustive des pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d’elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu’un libellé suffisamment explicite » et précise que l’obligation d’inventorisation est satisfaite dès lors que  chaque pièce dans l’application Télérecours  est désignée au moins par le numéro d’ordre qui lui est attribué par l’inventaire détaillé, que ce soit dans l’intitulé du signet la répertoriant dans le cas de son intégration dans un fichier unique global comprenant plusieurs pièces ou dans l’intitulé du fichier qui lui est consacré dans le cas où celui-ci ne comprend qu’une seule pièce. Ce n’est qu’en l’absence de cette modalité minimale d’inventaire, nécessaire mais suffisante, que le juge administratif peut, le cas échéant, déclarer la requête irrecevable après avoir invité en vain la partie concernée à régulariser ses écritures, toute demande supplémentaire d’identification des pièces formulée par le juge ne pouvant, en revanche, conduire à l’irrecevabilité dans le cas où elle ne serait pas satisfaite.

Cette appréciation tempérée de l’obligation est, par ailleurs, motivée par des considérations qui ne relèvent pas exclusivement de la bonne administration de la justice, ou plus exactement des juridictions administratives, mais d’une forme d’intérêt général de la communauté des utilisateurs de Télérecours qui inclut les parties elles-mêmes, et au premier rang de ces dernières évidemment celles qui sont soumises à l’obligation de transmission des écritures par cette application. Le Conseil d’État précise en effet que les prescriptions de l’article R. 414-3 du code de justice administrative ont pour « finalité de permettre un accès uniformisé et rationalisé à chacun des éléments du dossier de la procédure, selon des modalités communes aux parties, aux auxiliaires de justice et aux juridictions », suggérant ainsi que l’obligation d’inventaire des pièces sert tout autant les intérêts du procès administratif que les contraintes matérielles des greffiers et magistrats des juridictions.

Prolongeant cette définition d’un régime libéral d’appréciation de la recevabilité des recours au regard des conditions matérielles de présentation des requêtes par voie électronique,  le Conseil d’État a logiquement censuré la position de la cours administrative d’appel de Marseille adoptée dans l’arrêt « Badahane » précité (CE, 19 octobre 2018, Badahane, req. n° 416629) en estimant que la désignation des pièces par un numéro d’ordre croissant conforme à l’inventaire détaillé suffisait à satisfaite aux obligations de l’article R. 414-3 du code.

De manière encore plus favorable aux requérants, le Conseil d’État s’est également penché sur la question des « fichiers groupés » comprenant, sous une même cote, une pluralité de documents, se rapportant souvent à un même élément de l’argumentation (bulletins de salaire, certificats médicaux successifs, attestations de tiers, etc…) par la décision Attractive Fragrances & Cosmetics précitée, dont l’apport essentiel est d’admettre le principe de tels fichiers groupés par une dérogation à la lettre des dispositions du code de justice administrative, sous réserve cependant que, d’une part, les pièces jointes regroupées dans un même fichier ou sous-fichier signalé  constituent une « série homogène », et que, d’autre part, le référencement de ces fichiers ainsi que la numération, au sein de chacun d’eux, des pièces qu’ils regroupent soient conformes à l’inventaire, le Conseil d’État maintenant une forme allégée d’identification par numéro d’ordre des pièces groupées au sein d’un même fichier. Cette amodiation, d’une importance pratique considérable dans certains contentieux, notamment ceux des étrangers ou de la fonction publique, donne d’ores et déjà lieu à des décisions d’espèce qui devront déterminer, notamment, la portée de la notion de « série homogène » (pour écarter le caractère homogène de la série mais, hélas, sans illustration par les faits de l’espèce, CAA Lyon, ord. 7 mars 2019 Fresard et Combier, n° 18LY03374).

Quant à la décision SA Finamur, elle vient pour sa part encadrer la pratique des ordonnances de tri des requêtes d’appel « manifestement dépourvues de fondement » dont on sait qu’elles ont suscité dès leur apparition de très vives critiques, tant de la doctrine que des praticiens (F. Poulet « La justice administrative de demain selon les décrets du 2 novembre 2016. Quelles avancées, quels reculs ? », AJDA 2017, p. 279, ainsi que H. Farge, « Conclusion : le regard de l’avocat », in « Dossier : les réformes de la juridiction administrative en 2016 », RFDA 1/2017, p. 29 et P. Cassia, « L’inquiétante justice administrative de  Demain », Recueil Dalloz 2016 p. 2475), encore que la nouveauté de cet « instrument de gestion du contentieux » (Nous empruntons cette expression à D. Chabanol dans ses commentaires sous cette disposition dans son édition commentée du CJA, Ed. le Moniteur, 8èmeédition) n’était que relative, un dispositif analogue existant auparavant en matière de contentieux de la police des étrangers en vertu des dispositions de l’article R. 776-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Disons immédiatement que ce mode de traitement des requêtes d’appel a connu un succès certain. Selon le secrétaire général adjoint du Conseil d’État chargé des juridictions administratives en effet, 18 % des requêtes d’appel étaient rejetées selon cette procédure particulière en 2017 (D. Moreau, « Les leviers de la performance du juge d’appel administratif », AJDA 2018, p. 795.), avec, il est vrai, de fortes variations selon les types de contentieux, celui des étrangers représentant à lui seul 78 % du total de ces ordonnances, et selon les cours administratives d’appel, dans lesquelles les sorties de requêtes du stock procèdent du recours à ces ordonnances de tri spécifiques dans une proportion variant de 10 % à 29, 8 % du total. Nous tirons ces chiffres des conclusions (non publiées) lues par M. Victor sur la décision SA Finamur, le rapport annuel d’activité des juridictions administratives ne distinguant pas les différents cas de rejet par ordonnance en appel prévus par l’article R. 222-1 du CJA.

C’est sans doute ce dernier point, et le traitement différencié des requêtes qui en résulte selon le ressort de chaque cour, qui a amené le Conseil d’État à adopter la décision SA Finamur dont, comme nous l’avons dit, l’intérêt principal ne réside pas nécessairement dans son objet principal.

De manière assez attendue en effet, cette décision confirme le principe d’un contrôle du juge de cassation sur les ordonnances prises sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative déjà énoncé par des décisions antérieures ainsi que la dispense de l’obligation de motivation par le juge d’appel du principe même du recours à une telle ordonnance, indiqué dans un point 9. de la décision d’une grande concision (par exemple, CE, 20 mai 2005, Barraud, req. n° 265777, aux Tables pp. 1015-1049-1057, ou CE, 26 octobre 2017, Mme Fauville, req. n° 406982).

Mais c’est surtout la nature du contrôle que se propose de porter le Conseil d’État sur ces décisions qui est intéressante, puisque le même point 9 de la décision confirme le bien-fondé de ‘ordonnance attaquée en relevant que «la première vice-présidente de la cour administrative d’appel de Versailles a pu faire sans abus usage de la faculté que lui reconnaissent les dispositions précitées de l’article R. 222-1 du code de justice administrative de rejeter par ordonnance la requête de la société Finamur eu égard à la nature des questions que celle-ci soulevait… » (nous soulignons). Le Conseil d’État s’attache donc, à cette occasion, à préserver la liberté du juge d’appel de recourir aux ordonnances du neuvième alinéa de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, préservant ainsi l’objectif de la réforme apportée par le décret « Jade », tout en se réservant la possibilité, en qualité de juge de cassation, de contribuer à une utilisation homogène et raisonnable de ce dispositif par les cours, dans une perspective de bonne administration du service public de la justice qui implique que ce ne soit qu’à titre dérogatoire et avec mesure que l’appelant ne puisse bénéficier de l’examen de sa requête par une formation collégiale.

II. Un desserrement par le Conseil d’État, statuant au contentieux, de la contrainte réglementaire pesant sur les justiciables inspirée par le Conseil d’État, gestionnaire des juridictions administratives.

On aurait mauvaise grâce à ne pas relever que ces deux jurisprudences rétablissent partiellement un équilibre entre les nécessités du fonctionnement des juridictions administratives et le droit du justiciable à accéder à son juge sans contraintes excessives. 

En ce qui concerne l’effet des décisions Sergent et SARL Attractive Fragrances & Cosmetics, et sous réserve de précisions, que ne manqueront pas d’amener les décisions juridictionnelles à venir, sur la notion de « série homogène » et, le cas échéant, le degré de latitude laissé aux parties en termes de volume de pièces appartenant à une telle série pouvant être incluses dans un même fichier, il peut être aisément admis que la nécessité d’une identification claire et rapide des pièces jointes à une requête, même en tenant compte de la tentation de l’inflation des productions qu’a pu entraîner la disparition de la limite, tant physique qu’économique, de la production en plusieurs exemplaires de ces documents sous forme papier, ne doit pas conduire à faire reporter sur les parties, à peine d’irrecevabilité, une charge exclusive, et excessive, de la mise en état des dossiers, dont le rôle incombe d’abord aux juridictions administratives et en premier lieu à leurs greffes. 

C’est également à une modération bienvenue dans l’usage des ordonnances de tri qu’invite la décision SA Finamur. Là encore, on peut reconnaître sans difficulté qu’il est possible au juge, sans méconnaître les principes attachés au double degré de juridiction, de rejeter sans que n’intervienne une décision collégiale des requêtes en appel formées alors que, par exemple, la question de droit qu’elle pose est réglée de manière définitive par la jurisprudence, de manière certaine et constante, et que l’office du juge d’appel se réduirait à un rôle purement notarial de constat du bien-fondé de la décision des premiers juges. Mais on voit bien, instruit par l’exemple, à quelles conséquences emmène une conception exagérément restreinte de l’efficacité des juridictions administratives, résumée à leur productivité, que ce soit en matière d’accès réel à son juge d’appel ou d’égalité de traitement des justiciables sur le territoires, selon la pratique, restreinte ou profuse, du recours à ces ordonnances par les présidents des cours concernées.

Ces conséquences positives ne peuvent cependant totalement occulter la dynamique, assez surprenante dans sa forme, qui conduit, dans l’un et l’autre cas, la Section du Contentieux du Conseil d’État à modifier directement, par le truchement de sa jurisprudence, des dispositifs mis en place par le Conseil d’État pour les besoins de sa politique de gestion de la juridiction administrative.

Ainsi des règles relatives à l’utilisation de Télérecours, dont la Section du contentieux, à l’invitation du rapporteur public, a indiqué -comme nous l’avons dit plus haut- dans la décision Sergent que cette application a pour finalité de permettre un accès uniformisé et rationalisé à la totalité des ses utilisateurs, et non pas seulement des juridictions. Cette déclaration de principe, dont on peut souscrire à la logique, serait toutefois plus convaincante si elle ne reconstruisait pas a posteriori l’origine de Télérecours et les objectifs de cette application, destinée initialement à être un simple mode de transmission des écritures entre les parties et les juridictions et promue dans un second temps par le Conseil d’État comme outil de travail dématérialisé au sein des juridictions (non sans tensions, d’ailleurs). C’est, en effet, en grande partie cette modification des finalités de Télérecours qui a conduit le Conseil d’État, d’une part à susciter l’insertion de l’article R. 414-3 dans le code de justice administrative, en réponse aux critiques issues des juridictions portant sur la lisibilité et l’ergonomie des requêtes ainsi proposées, sous forme dématérialisée, à l’instruction des magistrats, et d’autre part à contraindre, à peine d’irrecevabilité, les formes, parfois baroques, selon lesquelles les auxiliaires de justice –peut-être moins disciplinés que les avocats à la Cour et au Conseil- peuvent soumettre leurs requêtes à l’examen des magistrats. On notera d’ailleurs que, dans ses conclusions non publiées sur la décision Sergent, M. Daumas relève, et assume, l’opposition suggérée, et suivie en l’espèce par la formation de jugement, à la position « maximaliste », selon les propres termes du rapporteur public, de « l’aile gestionnaire du Conseil d’État » en matière d’obligation d’indexation.

De la même manière, on doit constater que la nature du contrôle que se propose d’exercer la Section du Contentieux sur les ordonnances de tri des requêtes d’appel « manifestement dépourvues de fondement », qui revêt en réalité la nature d’une sanction d’une pratique contentieuse sous couvert d’examen du bien-fondé de la mesure, remet en partie en cause, d’une part, le choix assumé du Conseil d’Étatde promouvoir, avec d’autres réformes de la procédure contentieuse, cet outil comme un élément concourant à la performance de la juridiction administrative[, mais place également le juge de cassation, d’une certaine manière, dans une fonction de contrôle et de discipline du fonctionnement des juridictions qui, en principe, ressortit à la compétence de la Mission d’inspection des juridictions administratives (outre l’article, cité plus haut, de D. Moreau, « Les leviers de la performance du juge d’appel administratif », la position du Conseil d’État, pris en qualité de gestionnaire, est clairement exposée sur ce point par O. Piérart dans « De nouvelles règles en matière de compétence et de procédure administrative contentieuse », RFDA 01/2017, p. 16. On lira également avec intérêt l’interview de D. Moreau intitulée « Faire face à l’augmentation continue des recours à moyens constants », AJDA 2016, p. 2068). Là encore, les propos de M. Victor, rapporteur public sous cette décision, sont éclairants en ce qu’il met en garde contre cette tentation disciplinaire du juge de cassation, en relevant que le caractère aisément identifiable d’un magistrat faisant un usage manifestement abusif de ces ordonnances de tri peut trouver d’autres modes de correction.

Certes, on peut saluer la démonstration par exemple de l’indépendance dont fait preuve ici la Section du Contentieux à l’égard de la fonction administrative du Conseil d’État. Reste que ces jurisprudences soulèvent deux séries de questions, auxquelles les prochains mois apporteront, nous l’espérons, des éléments de réponse : à quel point d’équilibre, en ce qui concerne tant l’appréciation de la conformité des requêtes transmises par voie électronique que l’usage des ordonnances de tri, va s’arrêter désormais la pratique des juridictions ? Et le Conseil d’État, pris en sa qualité de gestionnaire, profitera-t-il d’un prochain toilettage du code de justice administrative pour prendre acte des signaux envoyer par la Section du Contentieux et modifier le cadre réglementaire de deux éléments importants, même si non essentiels, d’une politique de gestion dynamique des flux contentieux sur laquelle il a construit une grande partie de sa gestion de la juridiction administrative au cours des dernières années ?


[1]

Partager :

  • Twitter
  • Facebook

Table des matières

  • I. Lueurs aux deux bouts du tunnel procédural ? : les apports des décisions Sergent et SARL Attractive Fragrances & Cosmetics et SA Finamur
  • II. Un desserrement par le Conseil d’État, statuant au contentieux, de la contrainte réglementaire pesant sur les justiciables inspirée par le Conseil d’État, gestionnaire des juridictions administratives.

About Yann Livenais

Ancien élève de l'Ecole nationale d'administration (promotion Nelson Mandela), magistrat administratif depuis 2001, Vice-président du Tribunal administratif de Nantes

Table des matières

  • I. Lueurs aux deux bouts du tunnel procédural ? : les apports des décisions Sergent et SARL Attractive Fragrances & Cosmetics et SA Finamur
  • II. Un desserrement par le Conseil d’État, statuant au contentieux, de la contrainte réglementaire pesant sur les justiciables inspirée par le Conseil d’État, gestionnaire des juridictions administratives.

Yann Livenais

Ancien élève de l'Ecole nationale d'administration (promotion Nelson Mandela), magistrat administratif depuis 2001, Vice-président du Tribunal administratif de Nantes

Rechercher dans le site

Dernières publications

  • Contrôle des algorithmes et droit du contentieux administratif français 06/02/2023
  • Actes du colloque sur « La gouvernance financière publique après 2022 : rupture ou continuité ? », Université du Mans, faculté de droit de Laval. 14/01/2023
  • L’encadrement des dépenses publiques. Quelle pertinence ? Quelle efficacité ? 14/01/2023
  • Quelles perspectives financières pour les départements ? L’exemple du Conseil départemental de la Mayenne  14/01/2023
  • Le système fiscal français : quelle(s) priorité(s) pour la gouvernance financière ? 14/01/2023
  • Gouvernance, pilotage, soutenabilité: quel cadre pour les finances sociales au sein des finances publiques ? 14/01/2023
  • Une Union européenne fédérale : utopie ou évolution inéluctable ? 14/01/2023
  • La gouvernance financière publique après 2022 : rupture ou continuité ?  14/01/2023
  • Propos conclusifs : Sortie de crise financière et enjeux écologiques 14/01/2023
  • Les finances publiques en Belgique et les crises du XXIème siècle : rupture ou continuité ? 14/01/2023

Revue générale du droit est un site de la Chaire de droit public français de l’Université de la Sarre


Recherche dans le site

Contacts

Copyright · Revue générale du droit 2012-2014· ISSN 2195-3732 Log in

»
«