Cour d’Appel de LYON
Tribunal de Grande Instance de LYON
Jugement du : 16 FÉVRIER 2019
7ème chambre correctionnelle
N° minute :
N° parquet : 19168000015
Plaidé le 2 SEPTEMBRE 2019 Délibéré le 16 SEPTEMBRE 2019
JUGEMENT CORRECTIONNEL
A l’audience publique du Tribunal Correctionnel de LYON le SEIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX-NEUF,
composé de Monsieur GOUNOT Marc-Emmanuel, Vice-Président, Président du Tribunal Correctionnel désigné comme juge unique conformément aux dispositions de l’article 398 alinéa 3 du Code de procédure pénale,
assisté de Monsieur BRAVIN Jérôme, Greffier,
en présence de Monsieur LAUZERAL Pierre, Vice-Procureur de la République,
le Tribunal, vidant son délibéré, après débats ayant eu lieu à l’audience du DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX-NEUF, alors qu’il était composé de :
Monsieur GOUNOT Marc-Emmanuel, Vice-Président,
assisté de Monsieur BRISET Dominique, Greffier,
en présence de Madame HUON Rozenn, Vice-Procureur de la République, dans l’affaire entre :
Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce Tribunal, demandeur et poursuivant
ET PRÉVENUE:
Nom : D ‘ F.
née le
de I
Nationalité :
Antécédents judiciaires :
Demeurant
Situation pénale : libre
comparante, assistée de Maître FOURREY Thomas, avocat au barreau de LYON (toque 390),
Prévenue du chef de :
– VOL EN REUNION, faits commis le 21 février 2019 à LYON 2ème
***
PRÉVENU
Nom : G né
Nationalité : française
Antécédents judiciaires :
Demeurant
Situation pénale : libre
comparant, assisté de Maître FOURREY Thomas, avocat au barreau de LYON (toque 390),
Prévenu du chef de :
– VOL EN REUNION, faits commis le 21 février 2019 à LYON 2ème
***
TÉMOINS :
Madame C D
demeurant comparante,
Monsieur W C
demeurant comparant,
******** DÉBATS
A l’appel de la cause, le Président a constaté la présence et l’identité de D F. et de G P et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le Tribunal.
Le Président a informé les prévenus de leur droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui leur sont posées ou de se taire.
Le Président a invité les témoins à se retirer dans la pièce qui leur est destinée.
Le Président a instruit l’affaire, interrogé les prévenus présents sur les faits et reçu leurs déclarations.
Puis il a été procédé à l’audition, hors la présence les uns des autres, des témoins selon les dispositions des articles 444 à 457 du code de procédure pénale.
D ‘ Cc et C’ W ont prêté serment et ont été entendus
en leur déposition.
Le Ministère public a été entendu en ses réquisitions.
Maître FOURREY Thomas, conseil de Di et de G
P ;, a été entendu en sa plaidoirie.
Les prévenus ont eu la parole en dernier.
Le greffier a tenu note du déroulement des débats.
Puis à l’issue des débats tenus à l’audience du 2 septembre 2019, le Tribunal a informé les parties présentes ou régulièrement représentées que le jugement serait prononcé le 16 septembre 2019 à 14 heures 00.
A cette date, vidant son délibéré conformément à la loi, le Président a donné lecture de la décision.
Le Tribunal a délibéré et statué conformément à la loi en ces termes :
Une convocation à l’audience du 2 septembre 2019 a été notifiée à D’ F le 26 février 2019 par un agent ou un officier de police judiciaire sur instruction du Procureur de la République et avis lui a été donné de son droit de se faire assister d’un avocat. Conformément à l’article 390-1 du code de procédure pénale, cette convocation vaut citation à personne.
D F a comparu à l’audience assistée de son conseil ; il y a
lieu de statuer contradictoirement à son égard.
Elle est prévenue :
d’avoir le 21 février 2019 à LYON 2ème (Rhône), en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, frauduleusement soustrait le portrait du président de la République au préjudice de la mairie du LYON 2ème, avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion, faits prévus par ART.311-4 1°, ART.31 1-1 C.PENAL. etréprimés par ART.311-4 AL.1, ART311-14 1°,2°,3°,4°,6° C.PENAL.
Une convocation à l’audience du 2 septembre 2019 a été notifiée à G
P le 12 mars 2019 par un agent ou un officier de police judiciaire sur
instruction du Procureur de la République et avis lui a été donné de son droit de se faire assister d’un avocat. Conformément à l’article 390-1 du code de procédure pénale, cette convocation vaut citation à personne.
G( P ; a comparu à l’audience assisté de son conseil ; il y a lieu de
statuer contradictoirement à son égard.
Il est prévenu :
d’avoir le 21 février 2019 à LYON 2ème (Rhône), en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, frauduleusement soustrait le portrait du président de la République au préjudice de la maire du 2ème arrondissement de LYON, avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion,
faits prévus par ART.311-4 1°, ART. 311-1 C.PENAL. etréprimés par ART.311-4 AL.1, ART.311-14 1°,2°,3°,4°,6° C.PENAL.
SUR L’ACTION PUBLIQUE
Attendu que le jeudi 21 février 2019, période de congés scolaires, vers 10 heures, les locaux de la mairie de LYON 2ème arrondissement étaient investis par un groupe de 10 ou 20 personnes sous l’oeil de caméras de télévisions appelées pour l’occasion ; qu’une petite fraction se présentait à l’accueil en se déclarant défenseurs du climat dans le cadre de l’association «Association Non Violente COP 21», tandis que la majeure partie du groupe se rendait dans la salle de mariage, dont la porte était fermée mais non verrouillée, où elle décrochait du mur la photographie du président de la République de 50 cm x 70 cm conservée dans un cadre de verre ; que la police nationale, informée par le personnel municipal au plus tard à 10 heures 10, se rendait aussitôt sur les lieux, mais que le groupe d’intrus avait déjà quitté la mairie en emportant ledit portrait ; qu’un dépôt de plainte pour vol en réunion était alors recueilli de la directrice générale des services de la mairie de LYON 2ème ;
Attendu que les investigations policières menées sur les réseaux sociaux ont permis d’identifier un compte «TWITTER» au nom de «Alternatiba ANV Rhône» où apparaissait une femme brandissant, dans et devant la mairie de LYON 2ème, le portrait dérobé, scène légendée par un bordereau d’information au nom «F: Di , Collectif Action Non Violente — COP 21» ; que l’interrogation des opérateurs téléphoniques a abouti à la localisation d’une personne du même nom, connue des services de police et
demeurant à ( ; qu’un compte «FACEBOOK» au nom de
«FD ;» semblant correspondre à la même personne comportait pour
ami un certain Pi G connu des services de police, demeurant à
, dont la photographie a permis un rapprochement avec celle de l’un des participants au vol relevée sur les mêmes sites ;
Attendu que, le 22 février, P’ Gi a répondu à la
convocation de la police mais non aux questions des enquêteurs, reconnaissant simplement appartenir, comme étant chargé de la coordination d’évènements et de la logistique, au «Collectif Alternatiba Rhône» qui s’efforce de mettre en avant les moyens de lutte contre le changement climatique, mais non au «Collectif ANV — COP 21» qui serait pourvu du même objectif ; qu’il conservait les clés du bar «Alternatibar» situé à LYON 1 er arrondissement, volontiers remises à la police ; qu’il y a été découvert une banderole portant l’inscription «climat, justice sociale sortons Macron !» correspondant en tout point à celle photographiée et filmée sur les lieux du vol du portrait, outre divers matériels appartenant au «Collectif Action Non Violente — COP 21» ouà «Alternatiba» ; que l’intéressé a également laissé libre accès à son téléphone,où apparaissait un message en date du 21 le félicitant pour «le coup de ce matin» ;
Attendu que, le 26 février, Fe D] , a adopté la
même position que son comparse, ne répondant aux questions des enquêteurs que pour expliquer la relative confidentialité de son lieu de résidence, une maison de bois mobile actuellement stationnée sur le terrain d’un particulier ; que la perquisition qui y a été effectuée a permis de découvrir un manuel de «Lutte Non-Violente» et un papier comportant notamment les annotations de sa main: «crise climatique», «politique Macron pas à la hauteur des enjeux», «sortir Macron», «mairie du 2ème» et «faire voir la réalité du vide» ;
Attendu que les prévenus se sont exprimés à l’audience en se présentant comme les militants ordinaires d’un collectif sans précision, ayant décidé de décrocher symboliquement le portrait du président de la République pour réclamer de l’État non des démissions de personnes mais de l’action concrète en faveur du climat ; qu’ils n’ont pas souhaité apporter leur concours à la restitution de cet objet conservé en un lieu secret, qu’ils auraient brandi lors de diverses manifestations, notamment lors du dernier rassemblement des chefs d’Etat du G7 en vue duquel d’autres portraits avaient été identiquement «décrochés» ; que F D a réfuté tout plan de diversion auprès de l’accueil de la mairie de sorte à accéder plus facilement à la salle des mariages et que P G a reconnu avoir personnellement emporté le portrait comme le suggère la vidéo-protection de la voie publique du 21 février, montrant un homme seul s’éloignant de la maire en tenant sous le bras un emballage de la même forme que le portrait ;
Attendu que le témoignage de C, D ‘, ancien ministre
et militante écologiste, énonce que l’accord de PARIS de 2015 tendant à limiter le dérèglement climatique n’a pas été respecté en FRANCE par manque de volonté politique, que les responsables de plusieurs associations ont déposé devant le Conseil d’État en mars 2019 un recours en carence de l’État et que seul le président de la République serait à même d’ordonner les mesures d’ampleur exigées par l’urgence de la situation ; que W,
scientifique en écologie globale, souligne la nécessité d’un changement rapide
de civilisation pour maintenir, au dessous des 2° C prévus par cet accord à
compter de sa date, une hausse de température de l’atmosphère dont les effets
climatiques étaient déjà perceptibles dans le monde entier depuis plusieurs années ;
Attendu que les prévenus s’appuient sur ces témoignages pour expliquer que l’usage des voies légales et les avertissements des scientifiques ne sont pas des bras de levier suffisants et que la sensibilisation de la population en vue d’un changement politique leur semble devoir passer par des actes de «désobéissance civile non-violente» ; que par la bouche de leur avocat, conclusions écrites et documents officiels à l’appui, ils plaident la relaxe au nom d’un état de nécessité légitimant un acte délictueux proportionné à l’éloignement d’un danger grave et imminent, les prévenus n’ayant pas eu d’autre choix à leur portée que d’affronter les autorités par une réaction mesurée ; que le Ministère public a rejeté cet argument, ne voyant pas de lien entre l’acte délictueux commis et la cause légitimement défendue, et requiert la condamnation de chaque prévenu à une peine d’amende de 500 euros ;
Attendu que l’infraction de vol est matérialisée au regard des éléments rassemblés par l’enquête et des aveux recueillis à l’audience ; que les prévenus ont en effet soustrait volontairement un objet d’une valeur fortement symbolique et appartenant à la Commune de LYON en opérant en groupe nombreux et décidé, censé dissuader le personnel présent de toute résistance ; que l’opération a été préparée au terme d’une entente entre participants sur le choix de l’objectif et de la date et sur l’écho à donner au rassemblement grâce au relais des médias ; que l’endurcissement des prévenus s’infère de leur refus de restituer le bien et de leur volonté non dissimulée de s’en servir dans un proche futur pour défendre leur cause ;
Attendu toutefois que le dérèglement climatique est un fait constant qui affecte gravement l’avenir de l’humanité en provoquant des cataclysmes naturels dont les pays les plus pauvres n’auront pas les moyens de se prémunir et en attisant les conflits violents entre les peuples, mais aussi l’avenir de la flore et de la faune en modifiant leurs conditions de vie sans accorder aux espèces le temps adaptation requis pour évoluer ; que si la FRANCE s’est engagée sur le plan international et sur le plan interne, selon essentiellement trois indicateurs, à respecter des objectifs qui sont apparus au gouvernement sans doute insuffisants mais du moins nécessaires à une limitation, dans une mesure supportable pour la vie sur terre, d’un changement climatique inéluctable, mais que les pièces produites par la défense témoignent que ces objectifs ne seront pas atteints ;
Attendu, selon ces pièces, que premièrement le budget carbone d’émissions annuelles de gaz à effet de serre de 442 MtCO2eq pour la période de 2015 à 2018 tel qu’il avait été défini par le décret n°2015/842 était dépassé de 72 MtCO2eq en décembre 2018 selon le projet révisé de Stratégie Nationale «Bas Carbone» ; que deuxièmement, selon rapport du Commissariat général au développement durable d’octobre 2018, la part d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie s’élevait à 16,3 % en 2017 alors que la trajectoire annuelle entre 2005 et 2020 résultant du plan national d’action en
faveur des énergies renouvelables remis à la Commission Européenne en 2010 prévoyait un taux 19,5 % de façon à atteindre en 2020 l’objectif de 23 % fixé par la directive Européenne 2009/28 ; que troisièmement EUROSTAT a mesuré une consommation finale d’énergie de 147,1 Mtep en 2017, ce qui est supérieur à la trajectoire de 139,9 Mtep prévue en application de la directive européenne 2012/27 et ne permettra pas l’atteinte de l’objectif 2020 à 131,4 Mtep ;
Attendu que, face au défaut de respect par l’État d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ; que des messages à l’adresse du gouvernement peuvent ainsi être diffusés au moyen de rassemblements dont les organisateurs et les autorités s’efforcent de limiter le trouble à l’ordre public que pourrait provoquer une affluence soudaine de personnes aux intentions immédiates incertaines ; qu’en l’espèce la réunion de dix ou vingt personnes, même non déclarée préalablement en préfecture, investissant pendant quelques minutes un bâtiment affecté à l’administration des citoyens et ses abords, sans bousculade ni dissimulation sur son mobile ou ses déplacements, revêt un caractère manifestement pacifique de nature à constituer un trouble à l’ordre public très modéré ;
Attendu, s’agissant du portrait que les manifestants ont cru devoir emporter, la Commune de LYON le destinait, à l’endroit de son installation, à la vue du public, comme symbole de l’État en vertu des pouvoirs conférés par la constitution de la Vème République au président de la République ; que de tels pouvoirs, conjugués à une élection au suffrage universel direct, introduisent une relation particulière de cette autorité avec les citoyens admis à exercer un contrôle de la politique nationale sans être en mesure d’interroger individuellement cette autorité, eu égard notamment au nombre représenté par les premiers et à la protection due à la personne du second ; que, dans l’esprit de citoyens profondément investis dans une cause particulière servant l’intérêt général, le décrochage et l’enlèvement sans autorisation de ce portrait dans un but voué exclusivement à la défense de cette cause, qui n’a été précédé ou accompagné d’aucune autre forme d’acte répréhensible, loin de se résumer à une simple atteinte à l’objet matériel, doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ;
Attendu que la conservation de ce portrait, qui achève de caractériser sa soustraction volontaire, n’était certes pas une suite nécessaire au marquage d’une forme d’appel adressé au président de la République, face au danger grave, actuel et imminent, à prendre des mesures financières et réglementaires adaptées ou à défaut rendre compte de son impuissance ; que cette conservation obéit néanmoins à un motif légitime dès lors que l’usage du portrait semble s’être limité à son exhibition au service de la même cause à l’occasion de manifestations publiques, évitant ainsi la multiplication des intrusions dans des locaux municipaux aux fins d’y réitérer les mêmes
agissements ; que l’absence de constitution de partie civile de la Commune de LYON jetant par ailleurs un doute sur sa volonté de récupérer son bien, aucune sanction ne doit être prononcée du fait d’une privation de jouissance d’un objet par ailleurs de valeur de remplacement négligeable, sans valeur de placement financier et inaliénable ;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirementà l’égard de D: F et de G
SUR L’ACTION PUBLIQUE :
RELAXE D’ F. des fins de la poursuite,
RELAXE G’ P des fins de la poursuite,
et le présent jugement ayant été signé par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,