AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le préfet du Val-de-Marne a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 2 septembre 2019 par lequel le maire d’Arcueil a interdit l’utilisation à certaines fins de l’herbicide glyphosate et des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime sur l’ensemble du territoire de la commune, dans l’attente des mesures réglementaires devant être prises par l’Etat pour garantir la protection des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009. Par une ordonnance n° 1908137 du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu l’exécution de cet arrêté.
Par un arrêt n° 19PA03833 du 14 février 2020, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la commune d’Arcueil contre cette ordonnance.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 mars, 18 mars et 11 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune d’Arcueil demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) statuant en référé, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
– la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,
– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune d’Arcueil ;
Considérant ce qui suit :
1. En vertu du troisième alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, repris à l’article L. 554-1 du code de justice administrative, le représentant de l’Etat peut assortir son déféré d’une demande de suspension, à laquelle il est fait droit si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 2 septembre 2019, le maire d’Arcueil a interdit l’utilisation de l’herbicide glyphosate et des produits phytopharmaceutiques mentionnés au premier alinéa de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime sur l’ensemble du territoire de la commune pour l’entretien des jardins et espaces verts des entreprises, des propriétés et copropriétés, des bailleurs privés, des bailleurs sociaux publics, des voies ferrées et de leurs abords, des abords des autoroutes A6a et A6b, et de l’ensemble des routes départementales traversant la commune. Par une ordonnance du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, saisi par le préfet du Val-de-Marne sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, a suspendu l’exécution de cet arrêté. La commune d’Arcueil se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 14 février 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre cette ordonnance.
3. D’une part, aux termes du premier alinéa de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : » Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre « . Aux termes de l’article L. 253-7 du code du même code : » I.- Sans préjudice des missions confiées à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et des dispositions de l’article L. 211-1 du code de l’environnement, l’autorité administrative peut, dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention des produits mentionnés à l’article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. Elle en informe sans délai le directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. / L’autorité administrative peut interdire ou encadrer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : / 1° Sans préjudice des mesures prévues à l’article L. 253-7-1, les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 (…) « . L’article L. 253-7-1 du même code prévoit que : » A l’exclusion des produits à faible risque ou dont le classement ne présente que certaines phrases de risque déterminées par l’autorité administrative : / 1° L’utilisation des produits mentionnés à l’article L. 253-1 est interdite dans les cours de récréation et espaces habituellement fréquentés par les élèves dans l’enceinte des établissements scolaires, dans les espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l’enceinte des crèches, des haltes-garderies et des centres de loisirs ainsi que dans les aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public ; / 2° L’utilisation des produits mentionnés au même article L. 253-1 à proximité des lieux mentionnés au 1° du présent article ainsi qu’à proximité des centres hospitaliers et hôpitaux, des établissements de santé privés, des maisons de santé, des maisons de réadaptation fonctionnelle, des établissements qui accueillent ou hébergent des personnes âgées et des établissements qui accueillent des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave est subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées telles que des haies, des équipements pour le traitement ou des dates et horaires de traitement permettant d’éviter la présence de personnes vulnérables lors du traitement. Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, l’autorité administrative détermine une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser ces produits à proximité de ces lieux. (…) Les conditions d’application du présent article sont fixées par voie réglementaire « . Par ailleurs, le III de l’article L. 253-8 du même code, entré en vigueur le 1er janvier 2020, dispose : » (…) l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d’agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures tiennent compte, notamment, des techniques et matériels d’application employés et sont adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire. Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d’engagements à l’échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec un produit phytopharmaceutique. / Lorsque de telles mesures ne sont pas mises en place, ou dans l’intérêt de la santé publique, l’autorité administrative peut, sans préjudice des missions confiées à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, restreindre ou interdire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones définies au premier alinéa du présent III. / Un décret précise les conditions d’application du présent III « .
4. D’autre part, aux termes de l’article R. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : » Le ministre chargé de l’agriculture est, sauf disposition contraire, l’autorité compétente mentionnée au 1 de l’article 75 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, ainsi que l’autorité administrative mentionnée au chapitre III du titre V du livre II du présent code (partie législative) « . L’article R. 253-45 du même code dispose que : » L’autorité administrative mentionnée à l’article L. 253-7 est le ministre chargé de l’agriculture. / Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l’article L. 253-7 concernent l’utilisation et la détention de produits visés à l’article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation. » L’article D. 253-45-1 du même code prévoit que : » L’autorité administrative mentionnée au premier alinéa de l’article L. 253-7-1 est le ministre chargé de l’agriculture. / L’autorité administrative mentionnée au troisième alinéa du même article est le préfet du département dans lequel a lieu l’utilisation des produits définis à l’article L. 253-1 « . En vertu de l’article D. 253-46-1-5 du même code, entré en vigueur le 1er janvier 2020, lorsque les mesures prévues dans la charte d’engagements des utilisateurs élaborée en application de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime sont adaptées et conformes aux exigences fixées par la réglementation, la charte est approuvée par le préfet de département concerné. Enfin, en vertu de l’article 5 de l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, » en cas de risque exceptionnel et justifié, l’utilisation des produits peut être restreinte ou interdite par arrêté préfectoral « , ce dernier devant » être soumis dans les plus brefs délais à l’approbation du ministre chargé de l’agriculture « .
5. Il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, confiée à l’Etat et dont l’objet est, conformément au droit de l’Union européenne, d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement tout en améliorant la production agricole et de créer un cadre juridique commun pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, alors que les effets de long terme de ces produits sur la santé restent, en l’état des connaissances scientifiques, incertains. Les produits phytopharmaceutiques font l’objet d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché, délivrée par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail s’il est démontré, à l’issue d’une évaluation indépendante, que ces produits n’ont pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine. Il appartient ensuite au ministre chargé de l’agriculture ainsi que, le cas échéant, aux ministres chargés de la santé, de l’environnement et de la consommation, éclairés par l’avis scientifique de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de prendre les mesures d’interdiction ou de limitation de l’utilisation de ces produits qui s’avèrent nécessaires à la protection de la santé publique et de l’environnement, en particulier dans les zones où sont présentes des personnes vulnérables. L’autorité préfectorale est également chargée, au niveau local et dans le cadre fixé au niveau national, d’une part, de fixer les distances minimales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité de certains lieux accueillant des personnes vulnérables, d’autre part, d’approuver les chartes d’engagements d’utilisateurs formalisant des mesures de protection des riverains de zones d’utilisation des produits et, enfin, en cas de risque exceptionnel et justifié, de prendre toute mesure d’interdiction ou de restriction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques nécessaire à la préservation de la santé publique et de l’environnement, avec une approbation dans les plus brefs délais du ministre chargé de l’agriculture. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 22122 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne peut légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques qu’il appartient aux seules autorités de l’Etat de prendre.
6. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la commune d’Arcueil, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, malgré l’absence de mesure de protection des riverains des zones traitées dans l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, que le pouvoir de police spéciale des produits phytopharmaceutiques confié aux autorités de l’Etat faisait obstacle à l’édiction, par le maire de la commune, de mesures réglementaires d’interdiction de portée générale de l’utilisation de ces produits. Dès lors, le moyen tiré de ce que la cour aurait inexactement qualifié les faits ou les a dénaturés en écartant la compétence du maire malgré l’existence de circonstances locales exceptionnelles justifiant son intervention au titre de son pouvoir de police générale ne peut qu’être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune d’Arcueil est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune d’Arcueil, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.