Section II – autorités de police
1364.- Autorités de police administrative générale et autorités de police administrative spéciale.- Les autorités de police se répartissent en deux catégories : certaines ont une compétence générale, alors que d’autres n’exercent qu’une compétence spéciale. Dans le premier cas, on parle d’autorités investies d’un pouvoir de police administrative générale. Ces autorités ont pour mission d’intervenir dans le but de protéger l’ordre public dans tous les domaines de la vie sociale. Dans le second cas, on parle d’autorités investies d’un pouvoir de police administrative spéciale. Cependant, la séparation entre ces deux types d’autorités n’est pas absolue et il existe des possibilités d’interactions entre elles.
§I – Autorités de police administrative générale
1365.- Lien avec l’organisation territoriale.- La répartition des compétences entre les autorités de police administrative générale est intimement liée à l’organisation territoriale : il faut ainsi distinguer les autorités de police au niveau national, des autorités de police au niveau local. La séparation entre ces deux types d’autorités n’est toutefois pas étanche, le concours entre les mesures de police administrative générale émanant de deux autorités différentes étant possible.
I – Autorité de police au niveau national
1366.- Premier ministre.- Le Premier ministre a hérité du pouvoir de prendre des règlements de police applicables à l’ensemble du territoire qui avait été reconnu au chef de l’Etat, chef de l’exécutif sous les Troisième et Quatrième Républiques, à l’occasion de l’arrêt Labonne du 8 août 1919 (requête numéro 56377, préc.).
Reprenant presque mot pour mot le considérant de principe de l’arrêt Labonne, le Conseil d’Etat a ainsi décidé, dans son arrêt du 2 mai 1973, Association culturelle des israélites nord-africains de Paris « qu’il appartient au Premier ministre en dehors de toute délégation législative, et en vertu de ses pouvoirs propres » de déterminer les mesures de police qui sont applicables à l’ensemble du territoire (requête numéro 81861, Rec., p. 313 ; Rev. Dr. Rural 1974, p.13, note Moreau). Il peut, par exemple, prendre une mesure dont l’objet est d’assurer la sécurité des conducteurs de voitures automobiles et des personnes transportées (à propos de la ceinture de sécurité obligatoire V. CE, 4 juin 1975, requête numéro 92161, requête numéro 92685, Bouvet de la Maisonneuve : Rec., p. 330 ; Dr. adm. 1975, comm. 250). De la même façon, il a été récemment jugé que le Premier ministre est compétent pour réintroduire temporairement un contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen (CE, 28 décembre 2017, requête numéro 415291, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers).
Cette solution a été confirmée par le Conseil constitutionnel qui a estimé que les dispositions de l’article 34 de la Constitution selon lesquelles la loi seule fixe « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » n’ont pas retiré au Premier ministre « les attributions de police générale qu’il exerçait antérieurement en vertu de ses pouvoirs propres et en dehors de toute habilitation législative » (CC, 20 février 1987, numéro 87-149 DC, Nature juridique de dispositions du Code rural et de divers textes relatifs à la protection de la nature : Rec. CC, p. 22 ; JO 26 février 1987, p. 2208 ; RDP 1987, p. 399, note Favoreu).
1367.- Délégations.- Le Premier ministre dispose également de la possibilité de renvoyer à des arrêtés ministériels, à condition toutefois que soit défini avec une précision suffisante le cadre et l’objet des mesures à intervenir (CE, 4 juin 1975, requête numéro 92161, requête numéro 92685, Bouvet de la Maisonneuve, préc.- V. également CE, 23 novembre 2011, requête numéro 345021, Association France nature environnement).
II – Autorités de police au niveau local
1368.- Rôles du maire et du préfet.- Au niveau de la commune, c’est en principe le maire qui exerce les compétences de police administrative générale, alors que cette compétence appartient au préfet dans le département.
A – Maire
1369.- Police administrative générale.– Comme le précise l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ».
1370.- Polices administratives spéciales.- En dehors de ces dispositions, qui confèrent au maire un pouvoir de police générale, celui-ci dispose de pouvoirs de police administrative spéciale dans des domaines particuliers visés par les articles L. 2213-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales. Sont visées par ces dispositions : la police de la circulation et du stationnement (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2213-1 et s.), la police des funérailles et des inhumations (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2213-7 s.), la police dans les campagnes (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2213-16 s.), la police des baignades et des activités nautiques (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2213-23), etc. Il dispose également de nombreux pouvoirs de police administrative spéciale issus d’autres dispositions, par exemple en matière de police rurale et en matière de protection de l’environnement.
1371.- Autorité de police administrative et officier de police judiciaire.- L’activité des maires en matière de police a pour objectif la prévention des infractions. Il s’agit donc essentiellement pour les autorités communales d’édicter des réglementations et de prendre des décisions particulières (autorisations, interdictions, etc.) et non pas de punir des infractions, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel. Certes, en vertu de l’article 16 du Code de procédure pénale et de l’article L. 2122-31 du Code général des collectivités territoriales, le maire et ses adjoints ont également la qualité d’officier de police judiciaire, ce qui leur permet notamment de constater des faits constitutifs d’une infraction pénale. Mais il s’agit ici d’une compétence qui relève non pas de la décentralisation, mais de la déconcentration, le maire et ses adjoints se trouvant, dans cette hypothèse, sous l’autorité hiérarchique du procureur de la République.
1372.- Agents de la police nationale.- Logiquement, les activités des agents de la police nationale agissant sous l’autorité du maire pour des compétences en matière de police administrative peuvent permettre d’engager la responsabilité de la commune (CE, 3 avril 1981, requête numéro 12870, requête numéro 18293, Ville de Bayonne : Rec. tables, p. 902 ; D. 1982, inf. rapp. p. 57, obs. Moderne et Bon). Mais comme on le verra, si ces compétences ont été transférées au préfet, c’est la responsabilité de l’Etat qui devra être recherchée.
1373.- Création d’une police municipale.- Pour permettre l’accomplissement des missions de police administrative générale qui lui sont dévolues, le maire peut créer une police municipale (Code général descollectivités territoriales, art. L. 2212-5 renvoyant au titre 1er du livre 5 du Code de sécurité intérieure). S’ils exercent l’essentiel de leurs missions pour l’exécution des décisions prises par le maire dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative, ces personnels n’ont en revanche que la qualité d’agents de police judiciaire adjoints. Ils exercent en conséquence des pouvoirs limités, ce qui a notamment été rappelé par le Conseil d’Etat à l’occasion d’un arrêt Commune de Marcq-en-Bareuil du 19 juin 2002 selon lequel « les missions des agents de police municipale, leurs modalités de recrutement et de formation, ainsi que leurs statuts, diffèrent de ceux des agents de la police nationale » (CE, 19 juin 2002, requête numéro 221500, requête numéro 221502, requête numéro 221503, requête numéro 221504, requête numéro 221505, requête numéro 221506l : AJDA 2002, p. 852).
De son côté, le Conseil constitutionnel a pu considérer que « l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire ». Il en résulte qu’en permettant aux policiers municipaux de procéder à des contrôles et des vérifications d’identité, alors qu’ils ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire, la loi déférée méconnaissait l’article 66 de la Constitution (CC, 10 mars 2011, décision numéro 2011-625 DC : AJCT 2011, p. 182, étude Dreyfus ; AJDA 2011, p. 1097, note Ginocchi ; Constitutions 2011, p.223, obs. Darsonville).
Dans le même ordre d’idées, le Conseil constitutionnel a récemment invalidé les dispositions de la loi n°2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure organisant une expérimentation de l’utilisation des drones par les policiers municipaux pour une durée de cinq ans. Ce dispositif devait être utilisé pour assurer « la régulation des flux de transport » ainsi que « les mesures d’assistance et de secours aux personnes », mais également « la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles ». Les sages ont considéré que le législateur n’avait pas limité cette utilisation « aux manifestations particulièrement exposées à des risques de troubles graves à l’ordre public ». En outre, si le législateur a prévu que le préfet devait donner son autorisation, « il n’a pas prévu que ce dernier puisse y mettre fin à tout moment, dès lors qu’il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies » (Cons. const., 20 janvier 2022, n°2021-834 DC, Loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure).
Il n’en demeure pas moins que les compétences de police judiciaire des agents de police municipale se sont considérablement développées ces dernières années. Ils peuvent par exemple verbaliser la grande majorité des contraventions prévues par le Code de la route (V. Code de la route, art. R. 130-2) ainsi que de nombreuses contraventions prévues par le Code pénal ne nécessitant pas d’actes d’enquête et ne réprimant pas des atteintes à l’intégrité des personnes (V. Code de procédure pénale, art. R. 15-33-29-3). Ils peuvent aussi prescrire la mise en fourrière d’un véhicule automobile (V. Code de la route, art. L. 325-2) ou encore constater le délit d’attroupement portant atteinte à la libre circulation dans les parties communes des immeubles (V. Code de la construction et de l’habitation, art. L. 126-3).
1374.- Transfert de pouvoirs de police administrative spéciale au président de l’EPCI à fiscalité propre.- Dans certains cas, le pouvoir de police administrative du maire peut être transféré – ou il doit l’être – au président de l’EPCI à fiscalité propre dont fait partie la commune. L’article L. 5211-9-2 du Code général des collectivités territoriales précise ainsi que les maires des communes de l’EPCI peuvent ou doivent transférer au président de cet établissement tout ou partie des attributions de police spéciale qui se rattachent au champ des compétences transférées à cet établissement.
Le transfert des pouvoirs de police est en principe obligatoire pour les compétences transférées en matière d’assainissement, de collecte des déchets ménagers, de voirie – pour la police de la circulation et du stationnement et pour la délivrance des autorisations de stationnement sur la voie publique aux exploitants de taxi -, de constructions et d’habitation – en matière de lutte contre l’habitat indigne essentiellement – et pour ce qui concerne la réalisation des aires d’accueil ou de terrains de passage des gens du voyage. Enfin, la loi n°2021-1104 du 22 août 2021, dans des dispositions qui seront applicables au premier janvier 2024, a prévu que lorsqu’un EPCI à fiscalité propre est compétent en matière de plan local d’urbanisme ou de règlement local de publicité, les maires des communes membres de cet établissement public transfèrent à son président leurs prérogatives en matière de police de la publicité.
Toutefois, les maires peuvent s’opposer aux transferts de compétences et les présidents des ECPI y renoncer. Dans le cas où les maires s’opposent à ces transferts, il y est mis fin, mais pour les seules communes dont les maires ont notifié leur opposition.
Le transfert est possible – et non plus obligatoire – pour les compétences transférées en matière de sécurité des manifestations culturelles et sportives organisées dans des établissements communautaires, de défense extérieure contre l’incendie, concernant les déchets ménagers et en matière de protection et de mise en valeur de l’environnement. Dans ces différentes hypothèses, le transfert se fait sur proposition d’un ou de plusieurs maires des communes intéressées. Il donne lieu à un arrêté du ou des représentants de l’Etat dans le ou les départements concernés, après accord de tous les maires des communes membres et du président de l’EPCI. Cependant, des règles spéciales s’appliquent aux communautés urbaines. Pour cette catégorie d’EPCI, le transfert est décidé par arrêté du ou des représentants de l’Etat dans le ou les départements, après accord du président de la communauté urbaine et des deux tiers au moins des maires des communes membres dont la population représente plus de la moitié de la population totale, ou de la moitié des maires de communes membres dont la population représente plus des deux tiers de la population totale.
B – Préfet de département
1375.- Rôle du préfet de département en matière de police.- Selon les dispositions de l’article 34 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 modifiée, le préfet de département « a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois, de l’ordre public ». L’article L. 122-1 du Code de sécurité intérieure précise quant à lui qu’il « anime et coordonne la prévention de la délinquance et l’ensemble du dispositif de sécurité intérieure ». Il est également autorité de police administrative spéciale dans de nombreuses hypothèses (par exemple en matière de chasse, de gares et d’aéroports, ainsi que, notamment, dans de nombreuses hypothèses visées par le Code de l’environnement).
1376.- Possibilité d’agir dans plusieurs communes ou la totalité des communes du département.- En principe, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative générale, il ne peut agir que pour prendre des mesures dont le champ d’application excède le territoire d’une commune, puisque sinon c’est le maire qui est compétent. Qui plus est, cette compétence ne peut être exercée que si des « circonstances particulières » l’exigent.
Exemples :
– CE, 3 juillet 1992, requête numéro 120448, Ministre de l’Intérieur c. Société Carmag (Dr. adm. 1992, 379 ; D. 1992, inf. rap. p. 232 ; RFDA 1992, p. 932) : les juges annulent un arrêté du préfet de Seine-et-Marne interdisant, sur l’ensemble du département, la vente de boissons alcooliques dans les stations-services entre 22 heures et 6 heures du matin, cette mesure n’ayant pas été prise en considération de circonstances particulières au département concerné.
– CE, 3 mars 1993, requête numéro 116550, SA Carmag (Rec., p. 52 ; Gaz. Pal. 1994, 1, pan. dr. adm. p. 2) : le préfet du Var était compétent pour prendre une mesure interdisant la vente de boissons alcooliques dans l’ensemble des stations -du département entre 22 heures et 6 heures. Le préfet avait en effet pris en considération des circonstances particulières au département concerné, en s’appuyant sur une enquête de gendarmerie et une enquête de police démontrant qu’un pourcentage important des 926 accidents corporels de la circulation survenus dans le département, étaient liés à l’alcoolémie et s’étaient produits entre 22 heures et 6 heures du matin.
La mesure de police administrative générale prise par le préfet peut concerner l’ensemble du département, ou seulement certaines communes. A l’opposé, en principe, le préfet ne peut prendre une mesure de police administrative générale applicable dans une seule commune, ce qui aurait pour effet de concurrencer le pouvoir de police administrative générale des maires.
Notons aussi que le Conseil d’Etat a récemment précisé que le préfet n’est pas compétent pour suspendre l’activité d’un établissement à l’origine de nuisances sonores qui étendent leurs effets au-delà du territoire de la commune où il est implanté. En effet, le champ d’application d’une mesure individuelle de police prise pour réglementer une activité à l’origine de troubles à l’ordre public « s’apprécie au regard de l’objet de la mesure, en fonction de la localisation de l’établissement dont l’activité est à l’origine du litige, et non au regard des effets de la mesure, en fonction de la portée des troubles à l’ordre public auquel elle entend remédier » (CE, 29 novembre 2022, requête numéro 449749, Ministre de l’Intérieur : JCP A 2023, comm. 2089, note Prétot ; JCP A 2022, act. 735).
1377.- Pouvoir de substitution en cas de carence du maire.- Par exception, il existe cependant des cas où le préfet est habilité à prendre des mesures de police qui ont vocation à s’appliquer dans une commune en particulier.
Ainsi, l’article L. 2215-1, 1°du Code général des collectivités territoriales permet au préfet de se substituer au maire, après une mise en demeure restée sans résultat, pour prendre les mesures nécessaires à la préservation de l’ordre public.
Exemple :
– CE, 31 janvier 1997, requête numéro 156276, SARL Camping « Les clos » : un préfet a mis en demeure un maire d’interdire l’installation de tentes, caravanes et maisons mobiles dans le secteur inondable d’un camping situé dans une zone à risque majeur. Cette mise en demeure étant restée sans suite pendant trois semaines, le préfet pouvait légalement se substituer au maire pour prendre à sa place la mesure d’interdiction.
Il faut relever, cependant, qu’en cas d’urgence le préfet est dispensé de mettre en demeure le maire avant de se substituer à lui.
Exemple :
– CE, 25 novembre 1994, requête numéro 148962, requête numéro 149018, Ministre de l’Intérieur (Rec. tables, p. 832 ; Quot. Jur. 28 mars 1995, note Moreno) : l’urgence justifie que le préfet puisse ordonner la fermeture provisoire d’une boucherie-charcuterie dont les produits comportent des souches épidémiques de listériose, sans mise en demeure préalable du maire.
Plus spécifiquement, concernant le service de l’aide sociale à l’enfance, l’inaction du président du conseil départemental – qui rappelons-le ne dispose pas de pouvoir de police administrative générale – susceptible de mettre en cause la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur isolé peut justifier l’intervention de l’autorité de police (CE, 27 juillet 2016, requête numéro 400055, Département du Nord).
Relevons également que l’article L. 2215-1, 1° du Code général des collectivités territoriales n’autorise pas le préfet à donner aux sous-préfets compétence générale à l’effet de se substituer aux maires dans l’exercice de leurs pouvoirs (CE, 31 juillet 1992, requête numéro 101623, Commune de Petite-Île).
Notons aussi que l’article L. 2215-3 du Code général des collectivités territoriales organise un mécanisme de mise en demeure préalable et de substitution identique à celui prévu par l’article L. 2215-1, 1° du même code. Il permet au préfet de se substituer au maire pour interdire, par arrêté motivé, l’accès de certaines voies ou de certaines portions de voies ou de certains secteurs d’une ou de plusieurs communes « aux véhicules dont la circulation sur ces voies ou dans ces secteurs est de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques ».
La carence du préfet dans l’exercice de ce pouvoir est susceptible d’entraîner la condamnation de l’Etat, à condition qu’elle soit considérée comme constitutive d’une faute lourde.
Exemple :
– CE, 25 juillet 2007, requête numéro 283000, Société France Télécom et Société Axa Corporate Solutions Assurance et CE, 25 juillet 2007, requête numéro 293882, Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire (Rec. tables, p.707 ; Dr. adm. 2008, comm. 2, note Dieu ; RLCT, décembre 2007, p. 24, obs. Glaser) : suite à des dégradations subies par un central téléphonique depuis l’installation de gens du voyage sur un terrain voisin, le préfet s’est déplacé sur les lieux et a provoqué une réunion au cours de laquelle il a préconisé les mesures à prendre et décidé de maintenir les rondes quotidiennes de gendarmerie aux abords du site. La détermination de mesures nouvelles à prendre était difficile en raison de l’absence de lien de causalité certain entre les déprédations et la présence de gens du voyage. Il en résulte que l’absence de mise en œuvre par le préfet des pouvoirs de substitution ne révèle pas, dans les circonstances de l’espèce, l’existence d’une faute lourde de l’Etat.
1378.- Etatisation de la police.- Le préfet est également compétent pour prendre certaines mesures de police administrative générale dans les communes dont la police a été étatisée. Sont concernés, en application des articles L.2214-1 et R. 2214-1 du Code général des collectivités territoriales : les chefs-lieux de département et les ensembles de communes de plus de 20000 habitants où les caractéristiques de la délinquance sont celles des zones urbaines. Il a été jugé, en application de ces dispositions, que le régime de la police d’Etat peut être supprimé sur le territoire d’une ou de plusieurs communes soit lorsque la population de cette commune ou de cet ensemble de communes est inférieure à 20 000 habitants, soit lorsque les caractéristiques de la délinquance sur le territoire de cette commune ou de cet ensemble de communes ne sont pas celles des zones urbaines (CE, 16 janvier 2008, requête numéro 297648, Commune de Marmande : JCPA 2008, comm. 2063, note Moreau). Il résulte également de la jurisprudence que le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l’appréciation portée par l’autorité administrative quant aux caractéristiques de la délinquance sur le territoire de la circonscription de sécurité publique en cause (CE, 30 novembre 2001, requête numéro 224800, de Courson et a. : Rec. p. 617 ; AJDA 2002, p. 539, concl. Mignon).
Les préfets exercent une fraction des pouvoirs de police administrative générale dans les communes dont la police a été étatisée. Ils exercent en effet, au nom de l’Etat, un pouvoir de police administrative générale dans le domaine de la protection de la tranquillité publique, sauf pour ce qui concerne notamment la lutte contre les bruits du voisinage qui continue de relever du maire (sur cette distinction V. CE, 27 juillet 2005, requête numéro 257394, Commune de Noisy-le-Grand : Rec. tables, p.758). Les préfets ont plus précisément la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d’hommes, par exemple en cas d’émeutes ou de manifestations.
Les juges veillent scrupuleusement à la préservation compétences respectives du préfet et du maire. Ainsi, le Conseil d’Etat a pu juger que dans les communes où est instituée une police d’Etat, le préfet a seule qualité pour prononcer l’interdiction d’une manifestation sur la voie publique de nature à troubler l’ordre public et cela même si le maire a tenté de fonder sa compétence sur la gêne apportée par la manifestation à la circulation publique (CE, 28 avril 1989, requête numéro 74018, Commune de Montgeron : Rec., p. 119 ; AJDA 1989, p. 644, obs. Prétot). En sens inverse, il a été jugé que le maire est compétent pour réglementer les heures d’ouverture des commerces à emporter et des épiceries de nuit pour des motifs tirés de la quiétude du voisinage (TA Nice, 6 juillet 2010, requête numéro 1001757, SARL Anteo et a. : BJCL 2010, p. 601, concl. Laso).
Cette délimitation des pouvoirs du maire et du préfet n’en est pas moins susceptible de poser un certain nombre de difficultés.
Exemples :
– CE, 20 décembre 1995, requête numéro 145908, Commune de Bourg-en-Bresse : la réduction de la durée quotidienne d’exploitation d’une salle de jeux, prise suite à des incidents provoqués en dehors de l’établissement par des bandes de jeunes et dans le but de limiter les troubles à l’ordre public ainsi constatés relève de la compétence du préfet et non de celle du maire.
– TA Caen, 18 novembre 2003, Préfet du Calvados (BJCL 2004, p. 175, concl. Hommeril) : le maire n’est pas compétent pour interdire la prostitution dès lors que l’arrêté litigieux est fondé sur des considérations de tranquillité publique.
III – Concours entre les mesures de police administrative générale
1379.- Conditions.- Cette possibilité de concours a été reconnue par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 18 avril 1902 Commune de Néris-les-bains (Rec., p. 275 ; S. 1902, III, p.81, note Hauriou ; Rev. Gen. d’adm. 1902, II, p.297, note Legouix).
L’idée qui sous-tend cette jurisprudence est que les actes pris par l’autorité hiérarchiquement supérieure établissent des règles qui constituent un minimum. Par conséquent, l’autorité hiérarchiquement inférieure ne peut prendre de mesures qui atténuent leur portée. En revanche, en raison de circonstances particulières de temps et de lieu, elle peut décider d’aggraver ces mesures.
En l’espèce, un préfet avait interdit les jeux d’argent dans son département, sauf dérogation accordée par le ministre de l’Intérieur pour les stations thermales. Le maire de Néris-les-bains a alors pris un arrêté interdisant de manière absolue les jeux d’argent dans sa commune, sans possibilité de dérogation. Cet arrêté est légal alors même qu’il établit une interdiction plus rigoureuse que celle édictée par le préfet.
§II – Autorités de police administrative spéciales
1380.- Autorités compétentes.- Contrairement à la police administrative générale, qui a pour objet, comme on l’a vu, la protection de l’ordre public dans un ressort géographique donné, la police administrative spéciale s’exerce dans un cadre plus restreint. Les pouvoirs de police administrative spéciale peuvent être dévolus à de nombreuses autorités. Parfois, comme on l’a vu, elles coïncident avec celles compétentes en matière de police administrative générale, mais ce n’est pas nécessairement le cas.
1381.- Concours entre police administrative générale et police administrative spéciale.- Les concours entre la police administrative spéciale et la police administrative générale sont envisageables si deux conditions sont réunies.
Pour que le concours soit possible, les objectifs des pouvoirs de police concernés doivent se recouper, ce qui implique que la police administrative spéciale considérée doit avoir, parmi ses objets, la préservation de tout ou partie des éléments composant l’ordre public.
De même, le concours n’est possible que s’il n’est pas exclu par un texte, ce qui est fréquemment le cas, et cela le plus souvent dans le but de ne pas contrecarrer l’exercice d’un pouvoir de police administrative spéciale appartenant à un ministre.
Exemples :
– CE, 10 avril 2002, requête numéro 238212, Ministre de l’Equipement et des Transports (Rec., p. 123 ; RFDA 2002, p. 676) : l’existence du pouvoir de police spéciale confié au ministre chargé de l’aviation civile en matière de circulation aérienne exclut la possibilité pour le maire d’user des pouvoirs de police administrative générale pour règlementer les évolutions des aéronefs d’écoles de pilotage au-dessus du territoire de sa commune.
– CE, 8 mars 1993, requête numéro 102027, Commune des Molières (Rec. tables, p. 655 ; RFD aérien, p. 333, concl. Lasvignes ; JCP 1993, II, comm. 22157, note Lascombe et Vandendriessche ; D. 1994, somm. 110, obs. Maillard Desgrées du Loû) : les dispositions du Code de l’aviation civile, qui confient au ministre chargé de l’Aviation civile la faculté d’interdire le survol de certaines zones du territoire français pour des raisons de sécurité publique, n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de priver le maire d’une commune de la possibilité d’user de ses pouvoirs de police administrative générale pour réglementer, en vue d’assurer la tranquillité et la sécurité des habitants de sa commune, l’utilisation des appareils d’aéromodélisme sur le territoire de cette commune.
– CE, 29 septembre 2003, requête numéro 18217, Houillères du bassin de Lorraine (AJDA 2003, p. 2164, concl. Olson ; Gaz. Pal. 19 juill. 2004, pan. dr. adm. p. 112) : s’il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, la police spéciale des installations classées a été attribuée au préfet et, à l’échelon national, au Gouvernement par la loi du 19 juillet 1976. En l’absence de péril imminent, le maire ne saurait par conséquent s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale.
– CE Ass., 26 octobre 2011, 3 arrêts, requête numéro 326492, requête numéro 329904, requête numéro 341767, requête numéro 341768, Commune de Saint-Denis, Commune des Pennes-Mirabeau, SFR (AJCT 2012, p. 37, obs. Moliner-Dubost ; AJDA 2011, p. 2219, chron. Stahl et Domino ; Dr. adm. 2012, comm. 8, note Melleray ; JCP A 2012, comm. 2004, note Charmeil et comm. 2005, note Billet ; JCP G 2012, comm. 60, note Del Prete et Borel ; RD imm. 2012, p. 153, obs. Van Lang) : le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l’Etat et règlementée par le Code des postes et des communications électroniques. Si le législateur a prévu par ailleurs que le maire serait informé à sa demande de l’état des installations radioélectriques exploitées sur le territoire de la commune et si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l’Etat, adopter sur le territoire de la commune une règlementation portant sur l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes.
– CE, 24 septembre 2012, requête numéro 342990, Commune de Valence (JCP A 2013, comm. 2006, note Billet) : s’il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s’immiscer dans l’exercice de la police spéciale de la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés confiée à l’Etat par l’édiction d’une réglementation locale.
– CE, 11 juillet 2019, requête numéro 426060, Commune de Cast (Energie – Environnement – Infrastructures 2019, comm. 54, concl. Cytermann) : concernant le déploiement des compteurs « linky », le Conseil d’Etat a jugé qu’il appartient aux autorités de l’Etat de veiller, pour l’ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d’interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d’expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises.
– CE, 31 décembre 2020, requête numéro 439253, Commune d’Arcueil (AJDA 2021, p. 754, note Rouillier ; Dr. adm. 2021, comm. 18, note Eveillard ; Energie-Env.-Infrastr. 2021, étude 10, Fériel; JCP A 2021, act. 23, obs. Erstein ; JCP A 2021, comm. 2150, note Malblanc ; RD rur. 2021, comm. 73, note Hermon) : l’existence d’une police spéciale des produits phytopharmaceutiques, organisée au profit de l’Etat par les articles L. 253-1 et suivants et R. 253-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, interdit à un maire d’adopter, pour des motifs tenant à la protection de la santé humaine, un arrêté « antipesticides » limitant l’utilisation du glyphosate sur le territoire de sa commune.
Récemment, le juge des référés du Conseil d’Etat a été amené à statuer sur la possibilité de concours, dans le contexte particulier de la crise du covid-19, entre les autorités de police spéciale désignées comme telles par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 sur l’urgence sanitaire et le pouvoir de police administrative du maire. Il a considéré que le maire peut agir en vue de la « la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ». Toutefois, de manière exceptionnelle, le maire peut prendre des mesures plus rigoureuses si « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ». Tel n’est pas le cas ici d’un arrêté par lequel un maire avait subordonné les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal (CE, 17 avril 2020, requête numéro 440057, Commune de Sceaux, préc.). Dans une autre affaire, le juge des référés du Conseil d’Etat a décidé que la décision du maire de Nice d’interdire les locations touristiques à l’occasion des vacances d’hiver, afin de lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 dans sa commune, ne répond pas à une nécessité impérieuse liée à des circonstances locales particulières (CE, ord., 16 février 2021, requête numéro 449605, Commune de Nice : Dr. adm. 2021, comm. 415, note Eveillard).
Lorsqu’elle est reconnue, la possibilité de concours entre une police administrative spéciale et la police administrative générale entraîne trois conséquences majeures.
Tout d’abord, une autorité détentrice d’un pouvoir de police administrative spéciale et d’un pouvoir de police administrative générale peut préférer utiliser l’une ou l’autre de ses compétences, dans le respect des conditions posées pour leur exercice (à défaut, il y aurait en effet détournement de procédure).
Exemples :
– CE, 2 juillet 1997, requête numéro 161369, Bricq (D. 1997, inf. rap. p. 199 ; Quot. jur. 6 nov. 1997 ; Dr. adm. 1997, comm. 323 ; Lettre J.-Cl. Env. 4/1997, p. 2) : l’existence de pouvoirs de police spéciale attribués au maire par l’ancien article L.2 du Code de la santé publique, ne fait pas obstacle à ce qu’il use de ses pouvoirs de police générale pour règlementer l’utilisation en plein air d’outils à moteurs tels que les tondeuses à gazon dans le but de sauvegarder la tranquillité publique.
– CE, 27 juillet 2015, requête numéro 367484, Baey (Rec., p. 285 ; AJDA 2015, p. 2277, note Perrin) : l’octroi au maire de pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d’assainissement non collectif (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2224-8 et Code de la santé publique, art. L. 1331-1-1) ne l’empêche pas d’intervenir dans le cadre de ses pouvoirs de police générale. Il peut ainsi intervenir en se fondant sur la salubrité publique pour faire cesser les pollutions de toute nature.
De même, lorsque, dans une situation déterminée, un pouvoir de police administrative spéciale n’a pas été utilisé par son détenteur, l’autorité détentrice du pouvoir de police administrative générale peut agir pour assurer le maintien de l’ordre public. Cependant, l’intervention de cette autorité devra être justifiée par l’existence de circonstances locales particulières.
Exemple :
– CE, 8 avril 1998, requête numéro 165034, Commune de Lattes : un maire peut prendre une mesure relative à la diffusion de publications destinées à la jeunesse alors même que le ministre de l’Intérieur, détenteur de la police spéciale des publications dangereuses pour la jeunesse n’est pas intervenu. En l’espèce, cependant, la mesure prise est jugée illégale, en l’absence de circonstances locales particulières.
Enfin, alors même que l’autorité investie d’un pouvoir de police administrative spéciale est intervenue, l’autorité détentrice de la police administrative générale peut prendre une mesure plus rigoureuse, une fois encore si des circonstances locales particulières le justifient.
Exemple :
– CE Sect., 18 décembre 1959, Société Les films Lutetia (requête numéro 36385, requête numéro 36428, préc.) : le maire peut interdire un film sur le territoire de sa commune en cas d’atteinte à la moralité publique et si des circonstances particulières le justifient, alors même que ce film a obtenu du ministre compétent, chargé de la police spéciale du cinéma, un visa d’exploitation.
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