RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 23 mars 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Jean-Paul A demeurant … ;
M. A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy en date du 27 janvier 2005 en tant qu’il rejette son appel incident tendant à la condamnation de l’Etablissement français du sang à lui verser la somme de 66.152,51 euros en principal, en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l’hépatite C ;
2°) réglant l’affaire au fond, de condamner l’Etablissement français du sang à lui verser la somme demandée avec les intérêts et la capitalisation des intérêts à compter du 20 août 1998, date de sa demande initiale devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de l’Etablissement français du sang la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean-Yves Rossi, Conseiller d’Etat,
– les observations de Me de Nervo, avocat de M. A, de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l’Etablissement français du sang et de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la caisse primaire d’assurance maladie de Sarreguemines,
– les conclusions de M. Didier Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l’indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a saisi le tribunal administratif de Nancy d’une demande tendant au versement d’une indemnité globale de 152.449 euros (1.000.000F) en réparation de l’ensemble des conséquences dommageables qu’il imputait à sa contamination par le virus de l’hépatite C provenant de produits sanguins fournis par le centre hospitalier universitaire de Nancy, aux droits duquel vient l’Etablissement français du sang ; que, par jugement en date du 28 mars 2000, le tribunal administratif lui a alloué, au titre des troubles qu’il avait subis dans ses conditions d’existence, une indemnité de 30.489,80 euros (200.000F) ; qu’à la suite de l’appel de ce jugement interjeté par l’Etablissement français du sang, M. A a demandé, par la voie du recours incident, l’indemnisation des pertes de salaires provoquées par la cessation de son activité professionnelle, qu’il évaluait à la somme de 66.152,51 euros (433.932F) ; qu’en rejetant cette demande comme irrecevable au motif qu’elle était présentée pour la première fois en appel, alors qu’elle se rattachait aux conséquences dommageables du fait générateur invoqué dans la demande de première instance et demeurait dans la limite de l’indemnité globale chiffrée devant les premiers juges, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit ; que M. A est, par suite, fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il se prononce sur l’évaluation de son préjudice et fixe le montant des indemnités dues par l’Etablissement français du sang ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’État, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; qu’il y a lieu de régler l’affaire au fond, dans la mesure de l’annulation prononcée ci-dessus ; Sur le préjudice ; Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. A, né en 1944, est atteint d’une hépatite chronique évolutive de forme active, présentant un risque élevé d’évolution vers une cirrhose hépatique et s’accompagnant d’épisodes de syndrome dépressif ; qu’en évaluant à la somme de 30.489,80 euros (200.000F) les troubles de toute nature subis par M. A dans ses conditions d’existence, le tribunal administratif a fait une juste évaluation du préjudice subi à ce titre ; que l’intéressé a, du fait de l’évolution de sa maladie, dû cesser toute activité professionnelle à l’âge de 50 ans ; que les pertes de revenus, partiellement compensées par une rente d’invalidité, qu’il a subies jusqu’à l’âge de 60 ans se sont élevées à un montant brut de 130 .000 euros ; que la caisse primaire d’assurance maladie de Sarreguemines n’a pas justifié dans quelle mesure les frais médicaux dont elle a demandé le remboursement pour une somme de 26.762,27 euros (175.549,78F) se rapportaient aux soins directement liés à la contamination de M. A ; qu’il résulte de ce qui précède que le préjudice total de M. A s’élève à 160.489,80 euros dont 130.000 euros au titre de l’atteinte à l’intégrité physique ;
Sur les droits de la caisse primaire d’assurance maladie de Sarreguemines ;
Considérant que la caisse justifie avoir versé à M. A les arrérages d’une pension d’invalidité pour un montant de 63.688,59 euros ; qu’il y a lieu de fixer les droits de la caisse à cette somme, faute pour elle d’avoir justifié, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif, que les frais médicaux dont elle demande le remboursement sont en relation directe avec la contamination de M. A par le virus de l’hépatite C ; que les arrérages de la rente versés par la caisse au 6 octobre 1998 porteront intérêt à compter de cette date et les arrérages ultérieurs à compter de leur versement ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 24 août 2000 ; qu’à cette date il était dû plus d’une année d’intérêts ; qu’il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande, tant à cette date qu’à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date ;
Sur les droits de M. A ;
Considérant que ceux-ci s’établissent, compte tenu des droits de la caisse, à la somme de 96.801,21 euros ; que la somme de 30.489,80 euros portera intérêts à compter du 3 avril 1998 ainsi que les sommes correspondant aux pertes de revenus subies avant cette date ; que les pertes de revenus subies après cette date porteront intérêts à compter des dates où elles ont été subies, par échéances trimestrielles ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 23 mars 2005 ; qu’à cette date il était dû plus d’une année d’intérêts ; qu’il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande, tant à cette date qu’à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de M. A, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes que demande l’Etablissement français du sang au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etablissement français du sang une somme de 4.000 euros au titre des frais exposés par M. A devant le juge de cassation et le juge d’appel et non compris dans les dépens ; que la caisse primaire est en droit de prétendre au versement par l’Etablissement français du sang de la somme de 760 euros qu’elle a demandée devant la cour administrative d’appel ;
D E C I D E : ————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy en date du 27 janvier 2005 est annulé en tant qu’il statue sur l’évaluation du préjudice de M. A et fixe le montant des indemnités dues par l’Etablissement français du sang.
Article 2 : La somme de 30.489,80 euros (200.000F) que le centre hospitalier universitaire de Nancy a été condamné à verser à M. A par le jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 24 juillet 2000 est portée à 96.801,21 euros. La somme de 30.489,80 euros portera intérêts à compter du 3 avril 1998 ainsi que les sommes correspondant aux pertes de revenus subies avant cette date. Les pertes de revenus subies après cette date porteront intérêts à compter des dates où elles ont été subies, par échéances trimestrielles. Les intérêts échus le 23 mars 2005 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux mêmes intérêts.
Article 3 : La somme de 46.512,41 euros ( 305.101,42 F) que le centre hospitalier universitaire de Nancy a été condamné à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de Sarreguemines est portée à 63.688,59 euros. Les arrérages échus au 6 octobre 1998 porteront intérêts à compter de cette date et les arrérages ultérieurs à compter de leur versement. Les intérêts échus le 24 août 2000 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux mêmes intérêts.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 28 mars 2000 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La requête d’appel de l’Etablissement français du sang, en tant qu’elle porte sur la réparation du préjudice, et le surplus des conclusions des appels incidents de M. A et de la caisse primaire d’assurance maladie de Sarreguemines sont rejetés.
Article 6 : L’Etablissement français du sang versera à M. A la somme de 4.000 euros et à la caisse primaire d’assurance maladie de Sarreguemines la somme de 760 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Paul A, à l’Etablissement français du sang, à la caisse primaire d’assurance maladie de Sarreguemines et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Copie en sera adressée pour information et au centre hospitalier universitaire de Nancy.