NB : la présente note n’est qu’une ébauche, qui sera complétée progressivement, notamment sur la notion de cause (4/03/2015).
Le litige opposant les communes de Béziers et Villeneuve-lès-Béziers aura donné l’occasion au Conseil d’Etat de faire évoluer la jurisprudence administrative relative à la nullité et à la résiliation du contrat administratif par trois décisions d’importance. Par la décision connue sous le nom de Béziers I (Conseil d’Etat, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers (Béziers I), requête numéro 304802, rec. p. 509) la Haute juridiction avait posé pour principe que les parties au contrat administratif pouvaient saisir le juge du contrat pour en contester la validité, mais que les exigences de stabilité et de loyauté des relations contractuelles limitaient considérablement les moyens permettant de déclarer nul le contrat, qu’il soit frappé d’un vice propre ou que la procédure précédant son adoption ait été entâchée d’une illégalité d’une particulière gravité remettant en cause le consentement d’une des parties.
La seconde pierre de l’édifice était la décision Béziers II portant sur la possibilité de contester la décision de résiliation d’un contrat administratif (Conseil d’Etat, Section, 21 mars 2011, Commune de Béziers (arrêt Béziers II), requête numéro 304806, rec. p. 117) et de demander la reprise des relations contractuelles. Sans être tout-à-fait nouvelle, la solution posée par le Conseil d’Etat frappait par sa volonté de systématisation (Ph. Cossalter, note sous CE, 21 mars 2011, n° 304806, Commune de Béziers, Revue juridique de l’économie publique n° 690, Octobre 2011, comm. 44).
La décision du 27 février 2015, Commune de Béziers, que nous appellerons par commodité Béziers III, marque probablement le point final de ce feuilleton judiciaire (Conseil d’Etat, SSR., 27 février 2015, Commune de Béziers (Béziers III), requête numéro 357028, publié au recueil). Il s’agit de la décision prise en cassation contre l’arrêt de la CAA de Marseille rendu après cassation et renvoi par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Béziers I. Pour éviter un jeu puéril avec les chiffres, nous n’appellerons pas la décision du 27 février 2015 « Béziers 1 bis ». Ceci serait d’autant moins mérité que la décision rapportée ajoute à la jurisprudence administrative et ne répète rien. Cette décision constitue à notre sens la plus complexe des trois, pour les raisons que nous allons évoquer.
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Si c’était encore nécessaire, rappelons rapidement les faits de l’espèce. La loi 10 janvier 1980 « portant aménagement de la fiscalité directe locale » permettait, lorsqu’un groupement de communes créait ou gérait une zone d’activités économiques et que la taxe professionnelle était perçue par une seule commune, de passer une convention pour répartir entre les communes tout ou partie de la part communale de la taxe professionnelle.
Dans le cadre d’un syndicat intercommunal à vocation multiple, les communes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers avaient mené à bien une opération d’extension d’une zone industrielle située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers ; par une convention signée en 1986, les collectivités convenaient que la commune de Villeneuve-lès-Béziers verserait à la commune de Béziers une fraction des sommes qu’elle percevrait au titre de la taxe professionnelle.
La Commune de Villeneuve-lès-Béziers résiliait la convention en 1996. La Commune de Béziers engageait alors deux procédures tout-à-fait fondées.
D’une part la Commune de Béziers contestait la décision de résiliation elle-même ce qui était fondé puisque dès 1992 le Conseil d’Etat permettait d’exercer un REP contre la décision de résiliation d’un contrat administratif portant organisation d’un service public (CE 13 mai 1992, Commune d’Ivry-sur-Seine, n° 101578, p. 197.). Cette procédure aboutit à la décision Béziers II, sur laquelle nous ne reviendrons pas.
D’autre part, la Commune de Béziers demandait l’indemnisation du préjudice qu’elle jugeait avoir subi du fait d’une résiliation jugée illégale. Le principal axe de défense de la Commune de Villeneuve-lès-Béziers fut alors d’invoquer sa propre turpitude en soulevant l’illégalité de la convention, signée par son maire avant que la délibération autorisant la signature ait été transmise au contrôle de légalité. La délibération n’étant pas encore exécutoire, le contrat aurait été signé par une autorité incompétente (Conseil d’Etat, Avis Section,10 juin 1996, Préfet de la Côte d’Or, requête numéro 176873, publié au recueil). Le TA puis la CAA donnaient raison à la Commune de Villeneuve-lès-Béziers avant que l’arrêt de la CAA de Marseille ne soit annulé par la décision Béziers I. Le Conseil d’Etat revoyait alors l’affaire à la Cour.
Notons qu’en pratiquant ainsi, comme il le fait souvent en matière indemnitaire, le Conseil a permis que cette affaire en suivant un processus juridictionnel « normal », dure près de vingt ans.
Ceci étant dit, la Cour administrative d’appel sur renvoi donnait à nouveau tort à la Commue de Béziers, jugeant cette fois que la décision de résiliation de la Commune de Villeneuve-lès-Béziers était justifiée par le déséquilibre s’étant installé entre les parties (CAA Marseille, 19 décembre 2011, Commune de Béziers, requête numéro 10MA00087). La Cour notait que la convention prévoyait le reversement de 50 % de la taxe professionnelle versée par des entreprises se déplaçant de Béziers à Villeneuve-lès-Béziers et 15 % de la taxe versée par les entreprises s’implantant à Villeneuve-lès-Béziers sans partir de Béziers. Ces versements avaient pour objet de compenser trois charges et sources d’apauvrissement : la perte de taxe professionnelle des entreprises se déplaçant de l’une à l’autre des communes; le coût des équipements primaires réalisés par Béziers et desservant la zone; différentes prestations réalisées par la commune.
La Cour notait alors que les équipements étaient amortis, que la commune ne réalisait plus de prestations et que les reversements de taxe de 15% concernaient des entreprises qui n’avaient pas quitté Béziers.
Constatant que les parties ne parvenaient pas à s’entendre sur une rénégociation de la convention et que cette dernière ne prévoyait pas de durée, la Cour justifiait, sans s’en expliquer autrement que par une référence implicite à une sorte de principe de bon sens, la légalité de la décision de résiliation.
L’analyse factuelle était assez détaillée mais le moins que l’on puisse dire est que l’analyse juridique restait quelque peu sommaire.
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Le Conseil d’Etat, saisi une nouvelle fois en cassation (et contraint de ce fait de régler l’affaire au fond) en profite pour poser un nouveau principe. Nous ne savons pas si ce principe a un réel intérêt, ou s’il est bien fondé sur le plan théorique. Exposons-le dans son atour le plus simple :
3. Considérant qu’une convention conclue entre deux personnes publiques relative à l’organisation du service public ou aux modalités de réalisation en commun d’un projet d’intérêt général ne peut faire l’objet d’une résiliation unilatérale que si un motif d’intérêt général le justifie, notamment en cas de bouleversement de l’équilibre de la convention ou de disparition de sa cause ; qu’en revanche, la seule apparition, au cours de l’exécution de la convention, d’un déséquilibre dans les relations entre les parties n’est pas de nature à justifier une telle résiliation ;
Notons en premier lieu que le principe posé ne vaut que pour une catégorie de contrats, ceux qui organisent un service public ou fixent les modalités de réalisation en commun d’un projet d’intérêt général. Sont donc concernés les contrats plaçant les personnes publiques sur le pied d’égalité de participantes à l’organisation de leurs missions, et non les contrats de commande publique passés entre un pouvoir adjudicateur et une collectivité prestataire.
En second lieu, le Conseil d’Etat indique que le contrat ne peut être résilié que si un motif d’intérêt général le justifie : celà est su et le rappel n’apporte en apparence rien de nouveau.
Cependant, l’observation a son importance si l’on comprend qu’elle a pour objet de fonder le droit à indemnités en cas de résiliation irrégulière. L’objet de la décision rapportée n’est pas la reprise des relations contractuelles (cette branche du litige a été close par la décision Béziers II). Mais la légalité a son importance dès que l’on sort du cadre des conventions d’occupation ou des contrats de la commande publique. Ces derniers, lorsqu’ils sont résiliés pour un motif autre que la faute du cocontractant, ouvrent droit à indemnités (sur les deux chefs classiques de préjudice, le lucrum cessans et le damnum emergens). Le droit à indemnités varie peu, que la décision de résiliation ait ou non été fondée.
La question de la légalité de la décision de résiliation a son importance en revanche dans la matière qui nous occupe : les contrats non de prestations mais de coopération ou de « simple organisation du service public » pour reprendre une expression doctrinale connue, n’ouvriront en principe droit à indemnités que si la décision de résiliation est infondée. C’est en tout cas ce que semble indiquer le Conseil d’Etat.
Et la décision de résiliation pour un motif d’intérêt général d’un contrat d’organisation du service public ou d’une activité d’intérêt général ne sera légale qu’en cas de bouleversement de l’équilibre de la convention ou de disparition de sa cause. Notons que l’adverbe « notamment » permet au Conseil d’Etat de perpétuer sa réticence naturelle à la systématisation en ouvrant de possibles évolutions jurisprudentielles. Nous n’en tiendrons pas compte pour l’heure.
Bouleversement de l’économie du contrat, disparition de la cause. Tels sont les deux motifs qui aujourd’hui permettent de justifier la résiliation d’une convention passée entre deux personnes publiques pour l’organisation en commun d’un service public ou d’une activité d’intérêt général.
Ces deux notions ne sont pas sans poser de sérieuses difficultés.
On le sait le bouleversement de l’économie du contrat est une notion que l’on rencontre dans le droit des marchés publics (article 20 CMP). Le seuil du bouleversement est laissé à la casuistique et donc à la libre appréciation du juge. En l’espèce, la disparition des contreparties ayant justifié le reversement d’une partie de la taxe professionnelle, si elle n’est pas discutée par le Conseil et ne semble d’ailleurs factuellement pas avérée, n’est pas considérée comme entraînant un bouleversement de l’économie du contrat.
La disparition de la cause du contrat renvoie quant à elle à une notion peu usitée en droit administratif. Si elle a fait l’objet d’une thèse remarquée (Lombard (Frédéric), La cause dans le contrat administratif, Paris, Dalloz (coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses » volume 77), 2008) le recours à la notion de cause du contrat est rare. Surtout, et sauf erreur de notre part, c’est la première fois que le juge administratif invoque la disparition de la cause de manière aussi claire pour justifier la résiliation du contrat administratif. Cette disparition peut tenir par exemple à l’abandon d’une compétence qui avait justifié le versement d’une subvention d’équilibre, l’abandon d’un projet de ZAC, etc… En l’espèce ce pourrait être l’abandon de certaines prestations assurées par la commune de Béziers au profit de Villeneuve-lès-Béziers. Mais, comme le remarque le Conseil d’Etat, les engagements de la commune de Béziers n’ont pas fait en l’espèce l’objet d’une claire détermination contractuelle.
Le Conseil d’Etat, par sa décision Béziers III, privilégie donc dans la lignée des deux décisions de principe précédentes, la stabilité de la relation contractuelle. Cette nécessité est d’autant plus forte en l’espèce qu’elle concerne l’organisation des missions des collectivités publiques, par le recours à un contrat qui supplée, dans de nombreux cas, les formes plus stables de coopération institutionnelle.
Il reste encore au juge , et ce n’est pas là le moindre des défis, à construire une théorie de la cause dans le contrat administratif.