AFFAIRE PIERRE-BLOCH c. FRANCE
(120/1996/732/938)
ARRÊT
STRASBOURG
21 octobre 1997
SOMMAIRE
Arrêt rendu par une chambre
France – procédure devant le Conseil constitutionnel siégeant en tant que juge de l’élection des députés
I. Article 6 § 1 de la convention
Le fait qu’une procédure s’est déroulée devant une juridiction constitutionnelle ne suffit pas à la soustraire au champ d’application de l’article 6 § 1 – convient de rechercher si la procédure litigieuse avait trait à une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil » ou une « accusation en matière pénale ».
Existence d’une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil »
Existence d’une « contestation » : non controversée.
Le droit de se porter candidat à une élection à l’Assemblée nationale et de conserver son mandat est de caractère politique et non « civil », de sorte que les litiges relatifs à l’organisation de son exercice sortent du champ d’application de cette disposition – l’enjeu également patrimonial de la procédure ne confère pas à celle-ci une nature « civile ».
Existence d’une « accusation en matière pénale »
Existence d’une « accusation » : non controversée – application des trois critères dégagés par la jurisprudence de la Cour pour déterminer si ladite « accusation » a trait à la matière pénale.
Qualification juridique de l’infraction en droit français, et nature même de celle-ci
Dispositions litigieuses relatives non au droit pénal français, mais au financement et au plafonnement des dépenses électorales et donc au droit des élections – manquement à une norme juridique régissant une telle matière pas davantage susceptible d’être qualifié de « pénal » par nature.
Nature et degré de sévérité de la sanction
Inéligibilité : sanction s’inscrivant directement dans le cadre de mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections législatives et échappant ainsi au domaine « pénal » – limitée à une année à compter de l’élection et valable pour l’élection en cause seulement.
Obligation de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement : porte sur le montant du dépassement constaté par le Conseil constitutionnel, ce qui tend à montrer qu’elle s’apparente à un versement à la collectivité de la somme dont le candidat a indûment tiré avantage pour solliciter les suffrages de ses concitoyens et qu’elle se rattache aux mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections législatives – à plusieurs égards, distincte des amendes pénales stricto sensu.
Peines envisagées à l’article L. 113-1 du code électoral : pas en cause, le requérant n’ayant fait l’objet d’aucune poursuite sur ce fondement.
Conclusion : inapplicabilité (sept voix contre deux).
II. article 14 de la Convention
Grief de discrimination fondée sur des opinions politiques : non repris par le requérant dans son mémoire ou à l’audience – aucune question ne pouvant en outre en principe se poser au regard de cette disposition prise isolément.
Conclusion : non-lieu à statuer (unanimité).
III. Article 13 de la convention
Droit de recours prévu à l’article 13 ne peut concerner qu’un droit protégé par la Convention.
Conclusion : inapplicabilité (sept voix contre deux).
RÉFÉRENCEs À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
8.6.1976, Engel et autres c. Pays-Bas ; 18.7.1994, Karlheinz Schmidt c. Allemagne ; 9.12.1994, Schouten et Meldrum c. Pays-Bas ; 22.2.1996, Putz c. Autriche ; 17.3.1997, Neigel c. France ; 1.7.1997, Pammel c. Allemagne
En l’affaire Pierre-Bloch c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Bernhardt, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
J. De Meyer,
J.M. Morenilla,
Sir John Freeland,
MM. M.A. Lopes Rocha,
J. Makarczyk,
U. Lōhmus,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 juin et 29 septembre 1997,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 16 septembre 1996, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 24194/94) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean-Pierre Pierre-Bloch, avait saisi la Commission le 6 avril 1994 en vertu de l’article 25.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention.
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 17 septembre 1996, M. R. Ryssdal, président de la Cour, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Matscher, C. Russo, J. De Meyer, J.M. Morenilla, M.A. Lopes Rocha, J. Makarczyk et U. Lōhmus, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement français (« le Gouvernement »), le conseil du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du Gouvernement et du requérant sont parvenus au greffe le 21 février 1997. Le 13 mars 1997, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué n’entendait pas y répondre par écrit.
5. Le 1er avril 1997, la Commission a produit divers documents que le greffier avait demandés sur les instructions du président.
6. Ainsi qu’en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 29 mai 1997, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MM. M. Perrin de Brichambaut, directeur des affaires
juridiques au ministère des Affaires étrangères, agent,
O. Schrameck, secrétaire général
du Conseil constitutionnel,
Mme M. Merlin-Desmartis, conseiller de tribunal
administratif, chargée de mission
auprès du Conseil constitutionnel,
M. J. Lapouzade, conseiller de tribunal administratif
détaché à la direction des affaires juridiques
du ministère des Affaires étrangères,
Mme C. Brouard, magistrat, chargée de mission
auprès du Conseil constitutionnel, conseils ;
– pour la Commission
M. B. Conforti, délégué ;
– pour le requérant
Me J. Roué-Villeneuve, avocate au Conseil d’Etat
et à la Cour de cassation, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Conforti, Me Roué -Villeneuve et M. Perrin de Brichambaut.
7. M. Russo n’ayant pu prendre part aux délibérations du 29 septembre 1997, Sir John Freeland, juge suppléant, l’a remplacé (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement A).
EN FAIT
I. Les circonstances de l’espèce
8. Candidat de l’Union pour la démocratie française (UDF), M. Jean-Pierre Pierre-Bloch participa aux élections législatives des 21 et 28 mars 1993 dans le XIXe arrondissement de Paris et fut élu député à l’Assemblée nationale.
A. L’examen du compte de campagne du requérant et la procédure d’inéligibilité
1. Devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques
9. Le 27 mai 1993, le requérant déposa son compte de campagne devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (« la commission nationale »).
10. La commission nationale rendit sa décision le 30 juillet 1993. Elle réévalua les dépenses déclarées par l’intéressé, soit 440 603,15 francs français (FRF), majorant cette somme du coût de cinq numéros d’une revue intitulée Demain notre Paris éditée par le requérant entre novembre 1992 et mars 1993 – soit 328 641,65 FRF –, estimant « qu’il n'[était] pas douteux compte tenu des dates, de la fréquence et plus encore du contenu que ces publications [avaient] une finalité électorale indéniable ».
Par ailleurs, elle ajouta le prix d’un sondage – soit 83 020 FRF – effectué le 26 octobre 1992 auprès des électeurs du XIXe arrondissement sur commande du Rassemblement pour la République (RPR), aux motifs « que cette étude avait pour objet principal de déterminer le choix du meilleur
candidat à opposer au député socialiste sortant et [avait] donné un net avantage à M. Jean-Pierre Pierre-Bloch qui s'[était] trouvé de ce fait investi tant par l’UDF que par le RPR » et qu’elle « portait également sur les attentes des habitants et était de ce fait destinée à permettre l’orientation de la campagne électorale, les thèmes majoritairement retenus se trouvant largement développés dans les publications électorales [susmentionnées] ».
Constatant en outre que le journal 18ème Indépendant avait participé à la campagne en faveur de trois candidats dont le requérant, la commission nationale intégra au compte de ce dernier le tiers du coût du numéro de février 1993, soit 8 211,66 FRF.
Après avoir déduit d’autres sommes, elle fixa ainsi à 816 663,84 FRF le montant des dépenses litigieuses et rejeta le compte de campagne de l’intéressé en raison du dépassement du plafond légal de 500 000 FRF. Elle saisit en outre le Conseil constitutionnel en application de l’article 136-1 du code électoral.
2. Devant le Conseil d’Etat
11. Le 8 septembre 1993, le requérant introduisit devant le Conseil d’Etat un recours tendant à l’annulation et à la réformation de la décision de la commission nationale. Il soutenait essentiellement que, au mépris de l’article L. 52-15 du code électoral et du principe du contradictoire, celle-ci avait intégré à son compte de campagne le coût du sondage et des publications litigieux sans l’inviter au préalable à s’expliquer.
12. Le Conseil d’Etat rejeta la requête par un arrêt du 9 mai 1994 ainsi motivé :
« (…)
Considérant que la décision attaquée, par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (…) a réformé le compte de campagne de M. Pierre-Bloch et, constatant un dépassement du plafond des dépenses électorales, a saisi le Conseil constitutionnel, n’est pas détachable de la procédure juridictionnelle ainsi engagée devant celui-ci ; que, dès lors, elle n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif ; qu’il suit de là que la requête de M. Pierre-Bloch est irrecevable ;
(…) »
3. Devant le Conseil constitutionnel
a) La décision du 24 novembre 1993
13. Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 8 avril 1993 par un électeur du XIXe arrondissement, M. M. – qui soutenait que le requérant avait dépassé le plafond légal des dépenses de campagne –, ainsi que le 3 août 1993 par la commission nationale.
14. Le requérant avait déposé des conclusions le 8 septembre 1993 : il demandait au Conseil constitutionnel, à titre principal, de surseoir à statuer jusqu’à ce que le Conseil d’Etat se soit prononcé sur la légalité de la décision de la commission nationale et, subsidiairement, de dire que ses dépenses de campagne n’avaient pas excédé le plafond légal et qu’il n’y avait pas lieu à prononcer son inéligibilité.
15. Par une décision du 24 novembre 1993, le Conseil constitutionnel rejeta la demande de sursis à statuer, et déclara M. Pierre-Bloch inéligible pendant un an à compter du 28 mars 1993 et démissionnaire d’office de son mandat de député. Ladite décision se lit comme suit :
« (…)
– Sur la demande de sursis à statuer présentée par M. Pierre-Bloch :
(…)
Considérant qu’aux termes de l’article 44 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 : « pour le jugement des affaires qui lui sont soumises, le Conseil constitutionnel a compétence pour connaître de toutes questions et exceptions posées à l’occasion de la requête (…) » ; qu’ainsi, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur toutes les questions concernant le compte de campagne de M. Pierre-Bloch ; que dès lors, la demande de sursis à statuer que celui-ci présente ne saurait être accueillie ;
– Sur les dépenses électorales de M. Pierre-Bloch :
(…)
Considérant que la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une autorité administrative et non une juridiction ; qu’il en résulte que la position qu’elle adopte lors de l’examen des comptes de campagne d’un candidat ne saurait préjuger la décision du Conseil constitutionnel, juge de la régularité de l’élection en vertu de l’article 59 de la Constitution ;
– En ce qui concerne la réintégration des dépenses afférentes au journal Demain notre Paris :
Considérant (…) que ce journal, compte tenu de ses dates de parution, de l’importance de sa diffusion et de son contenu apparaît comme un instrument de propagande électorale ; que, toutefois, les numéros 71 à 75 de cette publication comportent de nombreuses pages qui relèvent de l’information générale et locale ; qu’elles ne peuvent être rattachées directement à la promotion du candidat ou à celle de son programme électoral ; qu’ainsi, lesdites pages ne doivent pas être regardées comme des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection, au sens de l’article 52-12 du code électoral ; que dès lors, elles n’ont pas à figurer parmi les dépenses retracées par le compte de campagne de M. Pierre-Bloch ;
Considérant en revanche que d’autres pages de ces cinq numéros comportent de nombreuses photographies du candidat ou sont composées d’articles qui se rattachent aux thèmes développés lors de sa campagne électorale ; que de ce fait ces pages revêtent un caractère de propagande électorale ; qu’il en est ainsi [des pages …] (…), qui ont concouru à assurer la promotion du candidat élu ; que, dans cette mesure, les dépenses correspondantes doivent être regardées comme relevant de celles visées au premier alinéa de l’article L. 52-12 du code électoral et figurer dans le compte de campagne de ce dernier ; qu’eu égard au montant total du coût des publications concernées et du nombre de pages à prendre en compte, la dépense ainsi exposée s’établit à 217 327,47 FRF ;
(…)
– En ce qui concerne la réintégration du coût d’un sondage d’opinion :
Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’un sondage d’opinion, commandé par le RPR, a été effectué le 26 octobre dans la 19ème circonscription de Paris auprès d’un échantillon représentatif des électeurs ; que les questions posées portaient en premier lieu sur les préoccupations prioritaires des électeurs, en deuxième lieu sur leurs prétentions de vote et en troisième lieu sur l’appréciation portée sur des personnalités et formations politiques diverses ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. Pierre-Bloch a ensuite utilisé ceux des résultats de ce sondage portant sur l’attente des électeurs en choisissant les thèmes de sa campagne en fonction de leurs préoccupations telles qu’elles ressortent de ces résultats ; qu’il a privilégié, tant dans les n° 71 à 75 du journal Demain notre Paris que dans divers tracts, les thèmes ainsi définis ; qu’ainsi ces résultats ont servi à l’orientation de la campagne électorale du candidat dans la circonscription ;
Considérant qu’il suit de là que c’est à bon droit que la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a pris en compte ce sondage mais qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en limitant le montant de la prise en compte de ce coût au tiers des sommes exposées, à savoir 27 677,33 FRF ;
– En ce qui concerne la réintégration du coût d’une partie du n° 122 du journal 18ème Indépendant :
Considérant que le journal 18ème Indépendant tiré à quarante mille exemplaires a publié dans son n° 122 de février 1993 un texte de soutien de M. Chinaud, maire de l’arrondissement, aux trois candidats de l’opposition qui s’y présentaient, dont M. Pierre-Bloch ; que ce texte destiné à affirmer l’unité de la majorité municipale un mois avant le premier tour de scrutin n’était pas dissociable de l’ensemble de la publication qui revêt ainsi, dans sa totalité, un caractère de propagande électorale ; que cette publication doit être également imputée aux trois candidats auxquels elle a bénéficié ; qu’il suit de là que le tiers du coût de cette publication, soit 8 211,66 FRF, devait figurer en dépenses dans le compte de campagne de M. Pierre-Bloch, ainsi que l’a estimé la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;
– En ce qui concerne la réintégration du coût de divers frais de propagande :
Considérant que M. M. fait grief à M. Pierre-Bloch d’avoir omis divers frais de propagande ; qu’il ressort des précisions mêmes apportées par le candidat qu’ont été omises certaines dépenses (…) ; qu’ainsi, selon les chiffres fournis par M. Pierre-Bloch lui-même, la somme totale à prendre en compte au titre de l’article L. 52-12 est de 33 360,68 FRF ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de réintégrer dans les dépenses de M. Pierre-Bloch la somme de 191 164,99 FRF ; qu’ainsi le montant total de ces dépenses s’établit à 588 987,14 FRF, qu’il s’ensuit un dépassement de 88 987,14 FRF du plafond des dépenses de campagne de l’intéressé ;
(…) »
b) La requête en rectification d’erreur matérielle
16. Le 30 novembre 1993, M. Pierre-Bloch déposa devant le Conseil constitutionnel une requête en rectification des erreurs matérielles qui, selon lui, entachaient la décision du 24 novembre 1993. Il soutenait que le Conseil constitutionnel avait comptabilisé deux fois certaines dépenses et qu’il n’avait pas statué sur sa demande tendant à ce que le sondage litigieux soit écarté des débats (M. Pierre-Bloch avait en effet plaidé que M. M. avait omis d’apporter la preuve qu’il était régulièrement en possession du rapport dudit sondage lequel était revêtu de la mention « confidentiel propriété exclusive du client »).
17. Le requérant déposa un mémoire partiellement ampliatif le 7 décembre 1993 : il faisait valoir que la décision du Conseil constitutionnel ne comportait ni la signature du président, ni celle du secrétaire général, ni celle du rapporteur, et que le nom de ce dernier était en outre resté secret. Il ajoutait qu’il avait été également privé de la possibilité de déposer d’ultimes conclusions, faute pour lui d’avoir été avisé de la date de l’audience de son affaire.
18. Ni le requérant ni son avocat ne furent informés de la date de l’audience alors même que, par une lettre du 2 décembre 1993, le second avait demandé au secrétaire général du Conseil constitutionnel de lui préciser ladite date.
19. Dans sa décision du 17 décembre 1993, le Conseil constitutionnel rejeta les moyens de procédure et de forme soulevés par le requérant au motif « qu’un recours en rectification matérielle ne saurait avoir pour objet de contester l’appréciation des faits de la cause, leur qualification juridique et les conditions de forme et de procédure selon lesquelles est intervenue la décision [visée par ledit recours] ». D’autre part, il ramena le montant des frais de propagande à 7 950 FRF et fixa le montant des dépenses exposées par le requérant à 563 572,46 FRF et, en conséquence, modifia matériellement sa décision du 24 novembre 1993 tout en précisant que « cette rectification n'[était] pas de nature à remettre en cause le prononcé de l’inéligibilité de M. Pierre-Bloch et de sa démission d’office ».
B. La mise en œuvre de l’article L. 52-15 du code électoral
20. Par une décision du 8 avril 1994, après avoir déduit les honoraires de l’expert-comptable de la somme fixée par le Conseil constitutionnel, la commission nationale fixa à 59 572 FRF la somme que M. Pierre-Bloch était tenu de verser au Trésor public en application du dernier alinéa de l’article L. 52-15 du code électoral.
21. Le 8 juin 1994, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d’une demande en annulation de cette décision. Il plaidait notamment la méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention par ladite commission.
Par un jugement du 14 novembre 1994, le tribunal administratif de Paris rejeta la requête :
« (…)
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la décision contestée a été prise par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques qui n’est pas une juridiction ; qu’ainsi celle-ci n’est pas tenue d’accorder les garanties procédurales prévues par [l’article 6 § 1 de la Convention] ; que néanmoins cette circonstance ne prive pas le requérant de la faculté, dont il a usé, de faire entendre sa cause devant un tribunal ; qu’ainsi le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention (…) doit être rejeté ;
(…)
Considérant (…) que le Conseil constitutionnel dans sa décision du 24 novembre 1993 modifiée le 17 décembre 1993 a constaté un dépassement du plafond des dépenses engagées par M. Jean-Pierre Pierre-Bloch au cours de la campagne en vue des élections législatives des 21 et 28 mars 1993 dans la 19ème circonscription de Paris d’un montant de 63 572,46 FRF ; qu’en application des dispositions législatives susrappelées la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques était tenue de mettre à la charge de l’intéressé le versement du montant de ce dépassement ; que, par suite, les autres moyens invoqués par le requérant à l’encontre de la décision contestée sont inopérants et doivent être rejetés ;
(…) »
II. Le droit et la pratique interneS pertinents
A. Le plafonnement des dépenses électorales
22. Les dépenses électorales des candidats, notamment à la députation, ne peuvent dépasser un plafond légal (article L. 52-11 du code électoral).
1. Le contrôle des dépenses électorales des candidats à la députation
23. Chaque candidat présent au premier tour est tenu de déposer à la préfecture, dans les deux mois suivant le tour de scrutin où l’élection a été acquise, son compte de campagne certifié par un expert-comptable. Ledit compte est ensuite transmis à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (article L. 52-12).
a) Le contrôle par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques
24. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques se compose de neuf membres nommés pour cinq ans par décret : trois membres ou membres honoraires du Conseil d’Etat désignés sur proposition du vice-président du Conseil d’Etat, après avis du bureau ; trois membres ou membres honoraires de la Cour de cassation, désignés sur proposition du premier président de la Cour de cassation, après avis du bureau ; trois membres ou membres honoraires de la Cour des comptes, désignés sur proposition du premier président de la Cour des comptes, après avis des présidents de chambres (article L. 52-14).
25. Ladite commission assure la publication des comptes de campagne (article L. 52-12).
Elle approuve et, « après procédure contradictoire », rejette ou réforme ceux-ci (article L. 52-15).
Lorsque le montant d’une dépense déclarée est inférieur aux prix habituellement pratiqués, elle évalue la différence et l’inscrit d’office dans les dépenses de campagne après avoir invité le candidat à produire toute justification utile à l’appréciation des circonstances. Elle procède de même pour tous les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont a bénéficié le candidat (article L. 52-17).
26. Si le compte n’a pas été déposé dans les délais prescrits, s’il a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l’élection (articles L. 52-15 et L.O. 136-1), lequel est le Conseil constitutionnel pour l’élection des députés (article 59 de la Constitution).
b) Le contrôle par le Conseil constitutionnel
27. Le Conseil constitutionnel se compose de neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et n’est pas renouvelable. Trois des membres sont nommés par le président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, trois par le président du Sénat. En sus de ces neuf membres, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens présidents de la République. Le président du Conseil constitutionnel est nommé par le président de la République. Il a voix prépondérante en cas de partage (article 56 de la Constitution).
28. Le Conseil constitutionnel forme en son sein trois sections composées chacune de trois membres désignés par le sort. Il est procédé à
des tirages au sort séparés entre les membres nommés par le président de la République, ceux nommés par le président du Sénat et ceux nommés par le président de l’Assemblée nationale.
Chaque année, le Conseil constitutionnel arrête une liste de dix rapporteurs adjoints parmi les maîtres des requêtes au Conseil d’Etat et les conseillers référendaires à la Cour des comptes, lesquels n’ont pas voix délibérative (article 36 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel – « l’ordonnance »).
29. Outre l’application de l’article L.O. 136-1 du code électoral (paragraphe 26 ci-dessus), l’élection d’un membre du Parlement peut être contestée devant le Conseil constitutionnel durant les dix jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin, par requête écrite de toute personne inscrite sur les listes électorales de la circonscription dans laquelle il a été procédé à l’élection ainsi que par toute personne ayant fait acte de candidature (articles 33–34 de l’ordonnance et 1er du règlement intérieur du 31 mai 1959 modifié par les décisions du Conseil constitutionnel des 5 mars 1986, 24 novembre 1987 et 9 juillet 1991 – « le règlement »).
30. Dès réception d’une requête, le président en confie l’examen à l’une des sections afin qu’elle en assure l’instruction, et désigne un rapporteur qui peut être choisi parmi les rapporteurs adjoints (articles 37–38 de l’ordonnance).
Lorsque la requête n’est pas déclarée irrecevable ou manifestement mal fondée (article 38 de l’ordonnance), avis est donné au membre du Parlement dont l’élection est contestée, ainsi que, le cas échéant, à son remplaçant ; ceux-ci peuvent désigner la personne de leur choix pour les représenter et les assister dans les différents actes de la procédure. La section leur impartit un délai pour prendre connaissance de la requête et des pièces au secrétariat du Conseil et produire leurs observations écrites (articles 39 de l’ordonnance et 9 du règlement).
Lorsque l’affaire est en état d’être jugée, la section entend le rapporteur. Dans son rapport, celui-ci expose les éléments de fait et de droit du dossier et présente un projet de décision (article 13 du règlement). La section délibère sur les propositions du rapporteur et porte l’affaire devant le Conseil, en vue de son jugement au fond (article 14 du règlement).
L’inscription d’une affaire à l’ordre du jour du conseil est décidée par le président du Conseil constitutionnel. Les séances du Conseil constitutionnel ne sont pas publiques et ce n’est que depuis la décision du Conseil constitutionnel du 28 juin 1995 modifiant le règlement que les requérants et les parlementaires dont l’élection est en cause peuvent demander à y être entendus. Le secrétaire général et le rapporteur de l’affaire assistent aux délibérations du Conseil. Le rapporteur met en forme la décision résultant de ces délibérations (article 17 du règlement).
31. Le Conseil constitutionnel statue par une décision motivée, laquelle mentionne les membres qui ont siégé à la séance au cours de laquelle elle a été prise et est signée par le président, le secrétaire général et le rapporteur (articles 40 de l’ordonnance et 18 du règlement). Elle est publiée au Journal officiel de la République française (article 18 du règlement).
32. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours (articles 62 de la Constitution et 20 du règlement). Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles (article 62 de la Constitution).
Le Conseil constitutionnel peut toutefois, d’office ou à la demande de toute partie intéressée, rectifier les erreurs matérielles entachant ses décisions (articles 21–22 du règlement).
2. Les conséquences du dépassement du plafond des dépenses électorales
a) L’absence de remboursement des dépenses de campagne
33. Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n’est possible qu’après l’approbation du compte de campagne par la commission nationale (article L. 52-15 du code électoral).
b) Le paiement d’une somme égale au montant du dépassement
34. Lorsqu’un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision définitive, la commission nationale fixe une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine (article L. 52-15).
35. La commission nationale n’a pas de pouvoir d’appréciation : elle est tenue de tirer les conséquences de la décision définitive du Conseil constitutionnel et de retenir uniquement le montant du dépassement du plafond légal des dépenses électorales pour fixer la somme due par l’intéressé au Trésor public (jugement du tribunal administratif de Paris du 12 février 1993).
36. Quant à la nature de ce paiement, le tribunal administratif de Paris (jugement précité) a jugé ce qui suit :
« (…) en admettant même que la nécessité de verser à l’Etat une somme égale au montant du dépassement du plafond des dépenses électorales constitue une sanction, cette sanction présente uniquement le caractère d’une sanction administrative ; qu’elle ne saurait être regardée comme présentant un caractère pénal et constituant la condamnation d’une infraction ; qu’elle n’entre donc pas dans le champ d’application de l’article 7 de la Convention (…) ; que d’ailleurs, l’article L. 113-1 du code électoral a institué, en cas de dépassement des dépenses électorales, des peines délictuelles d’amendes et d’emprisonnement qui ont un caractère de sanction pénale et qui ne sont
pas en cause dans la présente instance ; qu’il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 7 de la Convention européenne par la décision attaquée ne saurait être retenu ; »
c) L’inéligibilité
37. Est inéligible pendant un an à compter de l’élection celui qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l’article L. 52-12 et celui dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. Peut également être déclaré inéligible, pour la même durée, celui qui a dépassé le plafond des dépenses électorales tel qu’il résulte de l’article L. 52-11 (article L.O. 128, second alinéa, du code électoral).
Le Conseil constitutionnel constate, le cas échéant, l’inéligibilité et, s’il s’agit du candidat proclamé élu, il le déclare, par la même décision, démissionnaire d’office (article L.O. 136-1).
d) Les poursuites pénales
38. L’article L. 113-1 du code électoral dispose :
« Sera puni d’une amende de 25 000 FRF et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout candidat en cas de scrutin uninominal, ou tout candidat tête de liste en cas de scrutin de liste, qui :
(…)
3. Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l’article L. 52-11 ;
4. N’aura pas respecté les formalités d’établissement du compte de campagne prévues par les articles L. 52-12 et L. 52-13 ;
5. Aura fait état, dans le compte de campagne ou dans ses annexes, d’éléments comptables sciemment minorés ;
(…) »
Il appartient à la commission nationale de transmettre le dossier au parquet lorsqu’elle relève des irrégularités de nature à contrevenir notamment à l’article L. 52-11 du code électoral (article L. 52-15).
B. L’interdiction des droits civiques, civils et de famille
39. Lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires (article 131-10 du nouveau
code pénal), dont l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, laquelle peut notamment porter sur l’éligibilité (article 131-26). Nonobstant toute disposition contraire, cette interdiction ne peut résulter de plein droit d’une condamnation pénale (article 132-31).
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
40. M. Pierre-Bloch a saisi la Commission le 6 avril 1994. Il soutenait ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant le Conseil constitutionnel, au mépris de l’article 6 § 1 de la Convention. Il alléguait par ailleurs une violation de son droit à un recours effectif au sens de l’article 13 et dénonçait une discrimination en raison de ses opinions politiques, contraire à l’article 14.
41. La Commission a retenu la requête (n° 24194/94) le 30 juin 1995. Dans son rapport du 1er juillet 1996 (article 31), elle exprime l’avis qu’il n’y a eu violation ni de l’article 6 § 1 (neuf voix contre huit), ni de l’article 13 (neuf voix contre huit), ni de l’article 14 (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
42. Dans son mémoire, le requérant déclare « persiste[r] dans le bénéfice de ses précédentes conclusions ».
Quant au Gouvernement, il « demande à la Cour de bien vouloir rejeter la requête de M. Pierre-Bloch ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
43. Le requérant soutient qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant le Conseil constitutionnel, notamment en raison de l’absence de débats contradictoires et de publicité de ceux-ci. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) »
44. Il y a lieu avant tout de déterminer si cette disposition est applicable en l’espèce.
A. Les thèses des comparants
45. Selon M. Pierre-Bloch, la circonstance que la procédure en cause s’est déroulée devant le Conseil constitutionnel ne saurait à elle seule fonder l’inapplicabilité de l’article 6 § 1, ledit Conseil n’ayant pas en l’occurrence fait œuvre de juge de la constitutionnalité.
Par ailleurs, si, en raison de la nature politique des droits en cause, le contentieux électoral échappe en principe au contrôle des organes de la Convention, le Conseil constitutionnel aurait en l’espèce tranché un contentieux « mixte », dont l’enjeu était aussi le paiement par l’intéressé de la somme correspondant au dépassement du plafond de ses dépenses électorales et le remboursement par l’Etat desdites dépenses. Cet élément patrimonial conférerait à la « contestation » dont il est question une coloration « civile » suffisante pour faire entrer le présent litige dans le champ d’application de l’article 6 § 1.
En tout état de cause, la procédure litigieuse aurait aussi trait à une accusation en matière « quasi pénale » et serait de ce chef couverte par cette disposition. A l’appui de cette thèse, le requérant fait valoir tout d’abord que l’« infraction » de dépassement du plafond des dépenses électorales ne s’adresse pas exclusivement à un groupe particulier d’individus mais à l’ensemble des citoyens éligibles. Il ajoute que la nature des sanctions édictées révèle un but répressif, ce qui leur donnerait une coloration pénale. D’une part, l’inéligibilité serait une peine prévue par le code pénal, frappant les personnes convaincues d’avoir commis diverses infractions graves. D’autre part, l’obligation de payer au Trésor le montant du dépassement ne serait pas destinée à réparer un préjudice mais à réprimer un comportement. Il y aurait lieu de prendre aussi en compte la possibilité d’encourir les peines de l’article L. 113-1 du code électoral (une amende de 360 FRF à 15 000 FRF et/ou un emprisonnement d’un mois à un an), alors même que le Conseil constitutionnel n’est compétent ni pour constater directement l’infraction édictée par cette disposition ni pour mettre en mouvement l’action publique. Il s’agirait en effet d’une infraction « purement matérielle » et le constat par le Conseil constitutionnel d’un dépassement du
plafond des dépenses lierait le cas échéant la juridiction pénale saisie. Enfin, la gravité des sanctions susmentionnées – lesquelles seraient infamantes – plaiderait aussi pour leur caractère pénal.
46. Le Gouvernement soutient que le contentieux électoral concerne l’exercice de droits de caractère politique et relève donc exclusivement du droit public. Le constat par le Conseil constitutionnel d’un dépassement du plafond des dépenses électorales a certes eu des conséquences économiques pour M. Pierre-Bloch dans la mesure où celui-ci dut verser au Trésor public une somme correspondant audit dépassement. Cette obligation ne serait toutefois qu’un effet indirect de la procédure devant le Conseil constitutionnel puisqu’elle résulterait d’une décision distincte de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (« la commission nationale »). Il découlerait en outre de la jurisprudence des organes de la Convention que l’existence d’un enjeu patrimonial ne confère pas automatiquement une coloration « civile » à un litige. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, les aspects de droit public (le caractère de la législation, l’objet de la contestation et la nature des droits en cause) l’emporteraient nettement sur cet unique aspect de droit privé.
Il n’y aurait pas non plus d’« accusation en matière pénale ». Tout d’abord, l’« infraction » litigieuse ne serait pas qualifiée de « pénale » en droit français. Ensuite, la législation y relative ne vaudrait que pour un nombre limité de personnes – les candidats à des élections – et s’inscrirait dans un ensemble de dispositions visant à assurer le caractère démocratique du scrutin et non à réprimer des comportements individuels. La nature et le degré de sévérité des sanctions encourues ne conférerait pas davantage une coloration pénale à ladite infraction. L’inéligibilité serait ainsi une mesure caractéristique du droit des élections puisqu’elle sanctionnerait d’autres manquements au code électoral que le dépassement du plafond des dépenses de campagne et frapperait d’autres personnes en dehors de toute répression, telles que certains magistrats ou fonctionnaires ; elle serait par ailleurs limitée à une année à compter de l’élection et ne vaudrait que pour l’élection en cause si bien qu’elle n’aurait que des effets restreints. L’obligation de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement serait essentiellement la contrepartie du financement des partis politiques par l’Etat ; elle ne serait pas soumise aux règles applicables aux amendes pénales stricto sensu telles que l’inscription au casier judiciaire, le principe du non-cumul des peines et l’exercice de la contrainte par corps et, contrairement auxdites amendes, le montant à verser ne serait ni tarifé ni fixé à l’avance. Il conviendrait aussi de relativiser l’importance de la somme mise à la charge de M. Pierre-Bloch. En tout état de cause, ladite obligation résulterait non de la décision du Conseil constitutionnel constatant le dépassement du plafond des dépenses autorisées mais d’une décision distincte de la commission nationale. Quant aux sanctions prévues à l’article L. 113-1 du code électoral, elles revêtiraient certes un caractère pénal mais ne seraient pas pertinentes en l’espèce, le requérant n’ayant fait l’objet d’aucune poursuite sur ce fondement.
Bref, l’article 6 § 1 ne serait pas applicable.
47. La Commission souscrit en substance à cette thèse.
B. L’appréciation de la Cour
48. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence le fait qu’une procédure s’est déroulée devant une juridiction constitutionnelle ne suffit pas à la soustraire au champ d’application de l’article 6 § 1 (voir par exemple, mutatis mutandis, l’arrêt Pammel c. Allemagne du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1109, § 53).
Il y a lieu de rechercher si la procédure litigieuse en l’espèce avait ou non trait à une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil » ou une « accusation en matière pénale ».
1. Existence d’une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil »
49. L’existence d’une « contestation » n’étant pas controversée, la tâche de la Cour se limite à déterminer si celle-ci porte sur des « droits et obligations de caractère civil ».
50. A ce titre, elle observe que, comme tout candidat à la députation, M. Pierre-Bloch était tenu par la loi de ne pas dépenser plus d’une certaine somme pour le financement de sa campagne. Le Conseil constitutionnel estima que ladite somme avait en l’occurrence été dépassée et déclara le requérant inéligible pendant un an et démissionnaire d’office, compromettant ainsi son droit de se porter candidat à une élection à l’Assemblée nationale et de conserver son mandat. Or un tel droit est de caractère politique et non « civil » au sens de l’article 6 § 1, de sorte que les litiges relatifs à l’organisation de son exercice – tels ceux portant sur l’obligation des candidats de limiter leurs dépenses électorales – sortent du champ d’application de cette disposition.
51. Il est vrai que la procédure litigieuse avait aussi un enjeu patrimonial pour le requérant. En effet, lorsqu’un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par le Conseil constitutionnel, la commission nationale fixe une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Or la procédure devant ladite commission n’est pas détachable de celle devant le Conseil constitutionnel puisque la commission ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation et est tenue de retenir le montant déterminé par ledit Conseil (paragraphe 35 ci-dessus). En outre, le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n’est possible qu’après l’approbation dudit compte par la commission nationale (paragraphe 33 ci-dessus).
Cet aspect patrimonial de la procédure litigieuse ne confère pas pour autant à celle-ci une nature « civile » au sens de l’article 6 § 1. En effet, l’impossibilité d’obtenir le remboursement des dépenses de campagne lorsqu’un dépassement du plafond est constaté et l’obligation de verser au Trésor public une somme équivalant à celui-ci sont les corollaires de l’obligation de limiter les dépenses électorales ; comme celle-ci, elles relèvent de l’organisation de l’exercice du droit litigieux. D’ailleurs, un contentieux n’acquiert pas une nature « civile » du seul fait qu’il soulève aussi une question d’ordre économique (voir, par exemple, mutatis mutandis, les arrêts Schouten et Meldrum c. Pays-Bas du 9 décembre 1994, série A n° 304, p. 21, § 50, et Neigel c. France du 17 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 411, § 44).
52. Partant, l’article 6 § 1 n’entrait pas en jeu sous son aspect civil.
2. Existence d’une « accusation en matière pénale »
53. L’existence d’une « accusation » n’étant pas controversée, la tâche de la Cour se limite à déterminer si celle-ci a trait à la matière pénale. Pour ce faire, elle a égard à trois critères : la qualification juridique de l’infraction litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci, et la nature et le degré de sévérité de la sanction (voir, entre autres, les arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, p. 35, § 82, et Putz c. Autriche du 22 février 1996, Recueil 1996-I, p. 324, § 31).
a) Qualification juridique de l’infraction en droit français, et nature même de celle-ci
54. Le code électoral instaure le principe d’un plafonnement des dépenses électorales des candidats à la députation (article L. 52-11 – paragraphe 22 ci-dessus) et un contrôle du respect de ce principe (paragraphes 23–32 ci-dessus). La commission nationale examine les comptes de campagne de tous les candidats et, si elle estime qu’il y a eu dépassement du plafond par tel d’entre eux, elle saisit le Conseil constitutionnel, juge de l’élection des députés (celui-ci peut également être saisi par un particulier). Lorsqu’un dépassement est subséquemment constaté par ledit Conseil, le candidat en cause peut être déclaré inéligible pendant un an (articles L. 118-3, L.O. 128 et L.O. 136-1 – paragraphe 37 ci-dessus) et il est tenu de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement fixée par la commission nationale (article L. 52-15 – paragraphe 34 ci-dessus). A l’évidence, ces dispositions, seules pertinentes en l’espèce, ne relèvent pas du droit pénal français mais, comme le confirme l’intitulé du chapitre du code électoral où elles figurent, de la réglementation relative au « financement et [au] plafonnement des dépenses électorales » et
donc du droit des élections. Un manquement à une norme juridique régissant une telle matière ne saurait davantage être qualifié de « pénal » par nature.
b) Nature et degré de sévérité de la sanction
55. Trois « sanctions » frappent ou sont susceptibles de frapper le candidat qui ne respecte pas le plafond de dépenses fixé par la loi : l’inéligibilité, l’obligation de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement, et les peines prévues à l’article L. 113-1 du code électoral.
i. L’inéligibilité
56. Le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible pour un an tout candidat dont il constate qu’il a dépassé le plafond des dépenses électorales ; s’il s’agit, comme en l’espèce, d’un candidat proclamé élu, le Conseil le déclare démissionnaire d’office.
L’objet de cette sanction est de forcer au respect dudit plafond. Elle s’inscrit ainsi directement dans le cadre de mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections législatives de telle sorte que, par sa finalité, elle échappe au domaine « pénal ». Certes, comme le souligne le requérant, l’inéligibilité est aussi l’une des formes de privation des droits civiques prévues par le droit pénal français. Néanmoins, il s’agit dans ce cas d’une peine « accessoire » ou « complémentaire », qui s’ajoute à certaines peines prononcées par les juridictions répressives (paragraphe 39 ci-dessus) ; elle tire alors sa nature pénale de la peine « principale » dont elle découle.
L’inéligibilité prononcée par le Conseil constitutionnel est en outre limitée à une année à compter de l’élection et ne vaut que pour l’élection en cause, soit en l’espèce, l’élection à l’Assemblée nationale.
57. Bref, ni la nature ni le degré de sévérité de cette sanction ne placent la question dans la sphère « pénale ».
ii. L’obligation de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement
58. Lorsqu’un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par le Conseil constitutionnel, la commission nationale fixe une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. La Cour a déjà indiqué qu’il n’y a pas lieu de détacher la procédure devant ladite commission de celle devant le Conseil constitutionnel (paragraphe 51 ci-dessus).
Cette obligation de payer porte sur le montant du dépassement constaté par le Conseil constitutionnel. Cela tend à montrer qu’elle s’apparente à un versement à la collectivité de la somme dont le candidat en cause a indûment tiré avantage pour solliciter les suffrages de ses concitoyens, et qu’elle se rattache de la sorte elle aussi aux mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections législatives et en particulier l’égalité des candidats. D’ailleurs, outre le fait que la somme à verser n’est ni tarifée ni fixée à l’avance, plusieurs éléments distinguent l’obligation litigieuse des amende pénales stricto sensu : elle n’est ni inscrite au casier judiciaire ni soumise au principe du non-cumul des peines, et l’absence de paiement n’autorise pas l’exercice de la contrainte par corps. Vu sa nature, l’obligation de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement ne peut donc s’analyser en une amende.
59. En résumé, la nature de la présente sanction ne place pas davantage la question dans la sphère « pénale ».
iii. Les peines envisagées à l’article L. 113-1 du code électoral
60. L’article L. 113-1 du code électoral dispose que le candidat qui aura dépassé le plafond des dépenses électorales encourt une amende de 25 000 FRF et/ou un emprisonnement d’un an (paragraphe 38 ci-dessus), peines prononcées le cas échéant par les juridictions pénales de droit commun. La nature de ces sanctions laisse d’autant moins de doutes que l’article L. 113-1 figure au chapitre « Dispositions pénales » du titre pertinent du code électoral. Elles ne sont toutefois pas présentement en cause puisque le requérant n’a fait l’objet d’aucune poursuite sur le fondement dudit article.
c) Conclusion
61. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que l’article 6 § 1 n’entrait pas non plus en jeu sous son aspect pénal.
II. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
62. Ni dans son mémoire ni à l’audience devant la Cour, le requérant n’a repris le grief de discrimination fondée sur des opinions politiques qu’il tirait de l’article 14 de la Convention et que la Commission avait déclaré recevable (paragraphes 40–41 ci-dessus). Dans ces conditions et dans la mesure où aucune question ne peut en principe se poser au regard de cette disposition prise isolément (voir par exemple, mutatis mutandis, l’arrêt Karlheinz Schmidt c. Allemagne du 18 juillet 1994, série A n° 291-B, p. 32, § 22), la Cour ne voit pas de raison de l’examiner d’office.
III. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
63. M. Pierre-Bloch affirme enfin qu’il n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs dans la mesure où le Conseil constitutionnel a statué en premier et dernier ressort. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi rédigé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
64. Avec le Gouvernement et la Commission, la Cour rappelle que le droit de recours prévu par l’article 13 ne peut concerner qu’un droit protégé par la Convention. Partant, eu égard à ses décisions quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 (paragraphes 52 et 61 ci-dessus) et 14 (paragraphe 62 ci-dessus), la Cour conclut que l’article 13 ne s’applique pas en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par sept voix contre deux, que ni l’article 6 § 1 ni l’article 13 de la Convention ne s’appliquent en l’espèce ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 14 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 21 octobre 1997.
Signé : Rudolf BERNHARDT
Président
Signé : Herbert PETZOLD
Greffier