722 • Le droit de l’Union est, depuis ses débuts, un droit qui a été voulu par les auteurs des traités originaires et par la Cour de justice, comme le droit d’un ordre juridique autonome, droit directement applicable dans les Etats membres et dont la primauté et l’application uniforme sont des éléments considérés comme consubstantiels (selon CJCE, 15 juillet 1964, Costa contre ENEL, Aff. n°C-6/64,Rec. CJCE, p. 1141 : « La Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants »). Si les finalités politiques spécifiques à la construction de l’Union européenne peuvent justifier que l’on postule l’existence d’un ordre juridique européen spécifique, on ne retrouve pas ces finalités dans le cadre de la ConvEDH qui, malgré l’affirmation de la CourEDH (qui a expressément qualifié la convention d’ « instrument constitutionnel de l’ordre public européen » : CourEDH, 23 mars 1995, Loizidou contre Turquie, req. n°15318/89, série A, n°310, § 75), ne constitue pas le texte fondateur d’un ordre constitutionnel. Le texte n’a pas pour but de régir une société politique dans son ensemble et ne dispose pas, dans cadre, d’une compétence générale. Il met en place de simples compétences d’attribution dans le domaine de la protection des droits fondamentaux et présente la nature d’un traité qui n’engage les parties que pour ce qu’elles ont signé et ratifié en vertu du principe de spécialité. Il y a, par contre, une différence notable avec le droit international classique qui tient moins au contenu du texte qu’à ses bénéficiaires et à l’existence d’un mécanisme de protection particulier qui réside dans l’implantation d’une juridiction supranationale. En vertu de l’article 34 ConvEDH, toute personne placée « sous la juridiction » d’un Etat partie et prétendant avoir subi une violation de ses droits garantis par la Convention est habilitée à introduire un recours individuel contre cet Etat devant la CourEDH.
723 • Au-delà de ce système assurant l’effectivité de la Convention, la Cour a quelque peu fait évoluer l’engagement des Etats qui n’a aujourd’hui rien de comparable avec les exigences initiales du texte. Partant du fait que la ConvEDH est « un instrument vivant qui doit s’interpréter à la lumière des conditions de vie actuelle » (CourEDH, 25 avril 1978, Tyrer contre Royaume-Uni, req. n°5856/72, §31), la Cour s’estime investie de la mission de faire avancer de manière globale le niveau de protection de droits fondamentaux et interprète le texte dans un sens dynamique largement protecteur des droits des individus au détriment des Etats. Par ailleurs, elle se déclare compétente pour étendre le champ d’application des droits, voire reconnaitre des droits non-inscrits dans la Convention, en se fondant sur le principe d’indivisibilité des droits de l’homme (Cf., par ex., M.-J. Redor-Fichot, « L’indivisibilité des Droits de l’homme », CRDF 2009, n°7, p. 75). Elle peut ainsi se référer, non seulement à la Convention, mais aussi toutes les sources formelles du droit international.
724 • Au-delà des obligations positives qu’elle fait peser sur les Etats, une autre tendance se manifeste par l’objectivisation du contentieux européen des droits de l’homme (Cf. J. Arlettaz et J. Bonnet (dir.), « L’objectivation du contentieux des droits et libertés fondamentaux – Du juge des droits au juge du droit ? », : Paris, Pédone, 2015 ou M. Afroukh, « L’identification d’une tendance récente à l’objectivisation du contentieux dans le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme », RDP 2015, p. 1357). À l’instar de la CJUE dans le cadre du recours en manquement, la CourEDH n’hésite plus à contrôler directement les législations et pratiques nationales (Par ex., CourEDH, 26 juin 2014, Labassee contre France, req. n°65941/11 et Menesson contre France, req. n°65192/11 lorsque la Cour a condamné la France pour son refus de transcrire à l’état civil français la filiation d’enfants nés de gestations pour autrui pratiquées à l’étranger remettant en cause la loi française). De même, le fait que l’expression « brevet de conventionnalité » soit employée pour rendre compte de constats de non-violation accrédite l’idée que la Cour se prononce directement sur le droit d’un Etat. Enfin, l’autorité de chose interprétée des décisions de la CourEDH s’est, ensuite, imposée en pratique par le rôle relais joué par les juridictions judiciaires et administratives nationales qui ont légitimé le contrôle ainsi opéré sur le législateur et la façon dont il détermine l’intérêt général. Le législateur allant même jusqu’à prédéterminer son comportement eu égard à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg pour éviter une éventuelle remise en cause (Cf., par ex, B. Mathieu, « La validation par le Conseil constitutionnel de la loi sur le « voile intégral ». La reconnaissance implicite d’un ordre public immatériel », JCP 2010, G, n° 1018). Cette approche liée à l’exercice du droit européen pose immanquablement des risques de conflit avec le contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel en France que ce soit dans le cadre du contrôle a priori (1) ou dans le cadre du contrôle a posteriori (2).
1 – Contrôle a priori et ConvEDH
→ Conseil constitutionnel et CourEDH : des champs d’action délimités et distincts qui tendent à se rapprocher
Des institutions qui se sont longtemps ignorées malgré des objectifs et des techniques communes
725 • Si le Conseil constitutionnel et la CourEDH ont tous les deux une fonction de protection des droits fondamentaux, ils se sont longtemps ignorés (Cf. En ce sens, O. Dutheillet de Lamothe, « Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l’homme : un dialogue sans paroles » Mélanges Genevois, Paris, Dalloz, 2009, p. 403 et « La Convention européenne et le Conseil constitutionnel », RIDC 2008, vol. n°60, p. 293). Le Conseil s’est tout d’abord déclaré incompétent pour examiner la conformité des lois aux engagements internationaux de la France et notamment de la ConvEDH (CC, n°74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, précité). Si ce choix avait largement été critiqué, l’incompétence du Conseil permettait néanmoins une meilleure et plus complète application de la ConvEDH puisque l’appréciation de la conformité de la loi à cette Convention pouvait alors être sollicitée devant le juge ordinaire par toute personne, alors qu’un simple particulier ne pouvait, à l’origine, saisir le juge constitutionnel. De plus, cette demande peut être formée après la publication de la loi concernée alors que le Conseil ne pouvait, toujours à l’origine, pas être saisi après la publication de la loi contestée. Il n’existait, ensuite, aucun mécanisme de coopération entre le Conseil constitutionnel et la CourEDH comme il pouvait en exister, par exemple, dans le cadre du droit de l’Union et même si le mécanisme de question préjudicielle n’était pas, jusqu’à une date récente, utilisé par le Conseil (ancien article 234 TCE). Il y avait, pourtant, des éléments communs et un mode de fonctionnement assez identique qui pouvaient être à l’origine d’un rapprochement. Le bloc de constitutionnalité a ainsi largement inspiré la rédaction de la ConvEDH (Voir, pour une comparaison détaillée des droits garantis par la ConvEDH et le bloc de constitutionnalité B. Genevois, « Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de l’homme : concurrence ou complémentarité », RFDA 1993, p. 849).
Un parallèle entre les méthodes de raisonnement et les techniques jurisprudentielles employées
726 • A ce titre, on peut citer celle du contrôle de proportionnalité qui, d’abord utilisé par le Conseil, s’est transformé, sous l’influence du droit européen, dans le sens et au service d’une protection accrue des droits fondamentaux. On est passé d’une appréciation d’une pondération relative des éléments en balance à une conception plus libérale et donc plus protectrice des droits et des libertés (Cf. J.-M. Sauvé, « Le principe de proportionnalité, protecteur des libertés », www.conseil-etat.fr, 17 mars 2017 et B. Bertrand et J. Sirinelli, « La proportionnalité », in J-B. Auby (dir), L’influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz, 2010, p. 624 ). On peut aussi parler de la notion de « marge nationale d’appréciation » reconnue aux états membres par le juge européen (Cf., par ex., en matière de gestation pour autrui où « les Etats doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation, s’agissant de la décision non seulement d’autoriser ou non ce mode de procréation mais également de reconnaître ou non un lien de filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l’étranger et les parents d’intention » : CourEDH, 26 juin 2014, Menesson contre France, req. n°65192/11 et Labassée contre France, req. n°65941/11, §79 ; Voir, par ex., F. Tulkens et L. Donnay, « L’usage de la marge d’appréciation par la Cour européenne des droits de l’homme. Paravent juridique superflu ou mécanisme indispensable par nature », RSC 2006, p. 3) et qu’on retrouve aussi du côté du juge constitutionnel dans la reconnaissance au législateur d’un « large pouvoir d’appréciation » (Voir, en ce sens, S. Leturq, Standards et droits fondamentaux devant le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’homme, Paris, LGDJ, 2005, p. 175).
Un souci commun de laisser le législateur exercer pleinement sa compétence
727 • Les deux juges mettent aussi en avant l’obligation pour le législateur d’exercer pleinement sa compétence en matière de libertés. Le juge constitutionnel censure ainsi l’incompétence négative du législateur (CC, n°67-31 DC, 26 janvier 1967, Loi organique modifiant et complétant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, JO, 19 février 1967, p. 1793, Rec. CC, p. 19; Voir, par ex., A. Vidal-Naquet, « L’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’incompétence négative », Nouveaux Cahiers du CC 2015, n°46, p. 7) Ce moyen est, la plupart du temps, invoqué par les requérants et, en conséquence, souvent reconnu par le Conseil constitutionnel. Cette incompétence négative renvoie à plusieurs situations où le législateur n’aurait pas normalement usé de sa compétence : loi trop imprécise ou ambiguë, renvoi au pouvoir réglementaire, renvoi aux autorités d’application de la loi, intervention insuffisante du législateur, omissions…. Dans le même sens, le juge européen exige que la norme soit accessible et suffisamment précise. La notion d’accessibilité s’oppose à ce que les droits fondamentaux soient restreints sur le fondement de textes internes inconnus des administrés. Les individus doivent pouvoir « disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné » (CourEDH, 26 avril 1979, Sunday Times contre Royaume-Uni, req. n°6538/74, série A, n°30, § 49). La prévisibilité se mesure, quant à elle, à la précision et à la clarté de la loi, qu’il s’agisse du droit écrit ou des normes jurisprudentielles. La jurisprudence européenne impose que le particulier ait été à même de « prévoir à un degré raisonnable […] les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé, en s’entourant au besoin de conseils éclairés » (Ibid. § 49). L’interprétation constructive du texte conventionnel a permis de dégager un véritable standard européen vers lequel doivent tendre les législations et les juridictions nationales. Il faut ajouter au standard ainsi développé par la CourEDH, l’exigence d’intelligibilité de la loi, objectif de valeur constitutionnelle dégagé par le juge constitutionnel français qui s’inspire directement de la jurisprudence européenne (CC, n°99-421 DC, 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, JO, 22 décembre 1999, p. 19041, Rec. CC, p. 136 ; Voir, en ce sens, S. Leturcq, « Vers l’élaboration d’un standard du « bon législateur » devant le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’homme ? », www.droitconstitutionnel.org [En ligne], congrès de Montpelier, 2005).
Un souci commun de conférer un caractère effectif à la protection des droits fondamentaux
728 • La CourEDH met à la charge des Etats membres des obligations positives pour certains droits. Le droit européen refuse l’abstention fautive des Etats membres et exige de ces derniers qu’ils assurent une protection effective des droits, y compris souvent de manière « horizontale », dans les relations entre personnes privées (Voir, par ex., F. Sudre, « Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme », RTDH 1995, p. 363). Il en résulte une protection des droits très particulière, marquée par le souci d’effectivité et de généralité qui a ainsi conduit le juge européen à protéger « des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » (CourEDH, 9 octobre 1979, Airey contre Irlande, req. n°6289/73, série A, n° 32, § 24) faisant alors jouer à plein l’effet utile de la Convention. Le juge constitutionnel, quant à lui, vérifie, dans le même sens, que l’exercice par le législateur de sa liberté de modifier ou d’abroger à tout moment des dispositions antérieures n’a pas pour effet de priver des garanties légales des exigences de caractère constitutionnel (CC, n°86-210 DC, 29 juillet 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la presse, JO, 30 juillet 1986, p. 9393, Rec. CC, p. 110, cons. n°2). Il invalide chaque disposition législative qui prive de garantie légale les exigences constitutionnelles. L’absence de garantie légale constitue donc une cause d’inconstitutionnalité et un moyen de guider le législateur dans son activité normative tout en l’influençant dans son pouvoir d’appréciation (G. Mollion, « Les garanties légales des exigences constitutionnelles », RFDC 2005, n°62, p. 57 [En ligne]).
→ La prise en compte implicite de la ConvEDH par le Conseil constitutionnel
La reconnaissance de droits nouveaux sur la base de dispositions internes implicitement liés à la ConvEDH et à la jurisprudence de la CourEDH
729 • Malgré de fortes analogies dans la finalité et les techniques employées lors des contrôles opérés, l’influence de la jurisprudence de la CourEDH ne tient, au final, qu’à une simple autorité persuasive. A l’origine, cette influence a été difficile à percevoir puisque le Conseil était le seul juge constitutionnel en Europe à ne jamais se référer de façon expresse à la ConvEDH dans les motifs de ces décisions (sauf en matière électorale où le Conseil statue, dans ce cadre, comme juge ordinaire : voir, par ex., CC, n°88-1082/1187, Assemblée Nationale, Val-d’Oise (5ème circonscription), JO, 25 octobre 1988, p. 13474, Rec. CC, p. 183 et lorsqu’il statue sur le fondement de l’article 54 C° : CC, n°2004-505 DC, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, précité). La prise en compte implicite de la ConvEDH s’est d’abord manifestée par la reconnaissance de droits nouveaux sur la base de dispositions internes mais implicitement liés à la ConvEDH et à la jurisprudence de la CourEDH. Parmi les reconnaissances les plus marquantes (Voir, en ce sens, O. Dutheillet de Lamothe pour l’ensemble des citations évoquées ci-dessous, « Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l’homme : un dialogue sans paroles » précité), on peut citer deux droits reconnus comme composante de la liberté personnelle de l’article 2 DDHC : le droit au respect de la vie privée de l’article 8 ConvEDH (CC, n°99-416 DC, 23 juillet 1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle, JO, 28 juillet 1999, p. 11250, Rec. CC, p. 100) et la liberté de mariage de l’article 12 ConvEDH (CC, n°2003-484 DC, 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, JO, 27 novembre 2003, p. 20154, Rec. CC, p. 438). On peut aussi citer le droit de mener une vie familiale normale de l’article 8 ConvEDH (CC, n°93-325 DC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, JO, 18 août 1993, p. 11722, Rec. CC, p. 224 qui le lie au 10èmealinéa de la de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lequel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement »).
Un principe de dignité de la personne humaine proclamé comme étant de l’essence même de tous droits fondamentaux (1)
730 • Dans les droits nouveaux reconnus sur la base de dispositions internes implicitement liés à la ConvEDH et à la jurisprudence de la CourEDH et en plein débat pour inscrire le principe dans la Constitution, il faut citer encore le principe de dignité de la personne humaine. Le Conseil constitutionnel fonde la « sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation » sur le premier alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui proclame qu’« au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame, à nouveau, que tout être humain […] possède des droits inaliénables et sacrés » (CC, n°94-343/344 DC, 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, JO, 29 juillet 1994, p. 11024, Rec. CC, p. 100, cons. n°2). Aucune censure n’a, à l’origine, été prononcée sur le fondement du principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Le juge constitutionnel a néanmoins appliqué le principe en certaines matières. C’est le cas, par exemple, même si par le biais parfois de QPC, en matière de bioéthique (outre la décision précitée de 1994, voir CC, n°2004-498 DC, 29 juillet 2004, Loi relative à la bioéthique, JO, 7 août 2004, p. 14077, Rec. CC, p. 122 et CC, n°2013-674 DC, 1er août 2013, Loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, JO, 7 août 2013, p. 13450, Rec. CC, p. 912), d’hospitalisation sans consentement (CC, n°2010-71 QPC, 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. [Hospitalisation sans consentement], JO, 27 novembre 2010, p. 21119, Rec. CC, p. 343) ou encore d’arrêts de traitement de maintien en vie (CC, n°2017-632 QPC, 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés [Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté], JO, 4 juin 2017, texte n°78). Si des censures n’ont pas été prononcées, à l’origine, sur la base du principe de dignité, il faut relever, en sens contraire, les décisions récentes du juge constitutionnel en matière de conditions de détention indigne dans les prisons françaises.
Un principe de dignité de la personne humaine proclamé comme étant de l’essence même de tous les droits fondamentaux (2)
730-1 • S’il n’y a pas eu de censure directe de dispositions législatives, le juge a, précisément, déclaré inconstitutionnelle l’absence, dans le code de procédure pénale, de toute disposition permettant à une personne condamnée d’obtenir un aménagement de peine au seul motif qu’elle est détenue dans des conditions indignes ou de saisir le juge judiciaire pour qu’il soit mis fin à cette situation par une autre mesure (CC, n° 2021-898 QPC, 16 avril 2021, Section française de l’observatoire international des prisons [Conditions d’incarcération des détenus II]), JO, 17 avril 2021, texte n° 68). Cette décision corrobore, à propos des détenus condamnés, la QPC rendue, quelque temps au préalable en matière de détention provisoire (CC, n° 2020-858/859 QPC, 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d’incarcération des détenus], JO, 3 octobre 2020, texte n°106) et a été prise en réaction à la condamnation de la France par le juge européen (CourEDH, 30 janvier 2020, J. M. B. et autres contre France, req. n°9671/15). La ConvEDH ne consacre pourtant pas explicitement, ce qui peut paraitre paradoxal, le principe de dignité mais la CourEDH considère qu’il constitue l’essence même des objectifs fondamentaux protégés par la Convention (CourEDH, 22 novembre 1995, S. W. contre Royaume-Uni, req. n°20166/92, §44). Sous l’égide de la notion, le juge européen a amplifié la protection de certains droits présents dans la Convention comme le droit à la vie (art. 2), l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (art. 3) et la prohibition de l’esclavage, du servage et du travail forcé (art. 4). Le champ d’application de l’article 3 ConvEDH s’étire désormais jusqu’aux expulsions et extraditions, aux conditions de détention, au traitement des malades mentaux ainsi qu’aux peines perpétuelles (Voir, en ce sens, C. Grewe, « La dignité de la personne humaine dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », www.revuegeneraledudroit.eu, 2014 [En ligne]). Depuis la nouvelle prise de position sur les conditions de détention, on constate, sur la dignité et comme pourraient le relever Mustapha Afroukh et Jean-Pierre Marguénaud, un « redéploiement, vivement souhaité sinon pronostiqué, vers les espaces très nombreux si l’on veut bien ouvrir les yeux, où, débarrassée du faux nez de la morale, elle peut rendre aux plus vulnérables les plus signalés services » (M. Afroukh et J.-P. Marguénaud, « Le redéploiement de la dignité », RDLF 2021, chron. n°19). Les auteurs citent trois jurisprudences sur ce point. La première est la jurisprudence J.M.B. contre France précitée. La seconde vise à reconnaitre que l’absence persistante, sur le long terme, d’un accès à l’eau peut avoir des conséquences néfastes sur la santé et la dignité humaine et porter atteinte à l’article 8 ConvEDH (CourEDH, 10 mars 2020, Hudorovic contre Slovénie, Req. n°24816/14 à propos de la communauté Rom parqués dans des campements sans eau potable). Dans la troisième et dernière, le juge estime, à propos toujours d’une ressortissante Rom qui demandait l’aumône, que la requérante avait le droit inhérent à la dignité humaine de pouvoir exprimer sa détresse et d’essayer de remédier à ses besoins par la mendicité parce qu’elle se trouvait, notamment, dans une situation de vulnérabilité manifeste (CourEDH, 19 janvier 2021, Lacatus contre Suisse, req. n° 14065/15).
Une vision nouvelle de certains droits fondamentaux sous l’influence de la CourEDH : l’exemple du « droit à la liberté d’expression » (1)
731 • Le Conseil a, aussi, sous l’influence toujours implicite de la jurisprudence de la CourEDH, une autre vision de certains droits fondamentaux. On peut parler, à cet égard, du droit fondamental à la liberté d’expression. Initialement conçu comme impliquant la liberté d’exprimer ses opinions et comme interdisant la censure, cette liberté a été étendu à l’accès à des sources pluralistes d’information comme exprimée dans la jurisprudence européenne (CourEDH, 7 décembre 1976, Handyside contre Royaume-Uni, req. n°5493/72 ;Voir F. Rigaux, « La liberté d’expression et ses limites », RTDH 1995, p. 401). La jurisprudence du juge constitutionnel se réfère désormais expressément à la notion de « pluralisme des courants de pensée et d’opinion » (Cf. X. Magnon, « La liberté d’expression devant le Conseil constitutionnel : une liberté en voie de concrétisation jurisprudentielle », RPDP 2012, p. 863). Après avoir été qualifié, s’agissant des courants d’expression socioculturels, comme « une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale » (CC, n°84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, JO, 13 octobre 1984, p. 3200, Rec. CC, p. 78, cons. n°37) ainsi que comme l’« une des conditions de la démocratie » (CC, n°86-217 DC, 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, JO, 19 septembre 1986, p. 11294, Rec. CC, p. 141, cons. n°11), ce principe du « pluralisme des courants d’idées et d’opinion » est qualifié de « fondement de la démocratie » depuis 1990 (CC, n°89-271 DC, 11 janv. 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, JO, 13 janvier 1990, p. 573, Rec. CC, p. 21, cons. n°12).
Une vision nouvelle de certains droits fondamentaux sous l’influence de la CourEDH : l’exemple du « droit à la liberté d’expression » (2)
731-1 • Si les états d’urgence sécuritaire et sanitaire ont quelque peu rompu l’équilibre jusque-là trouvé dans la conciliation entre liberté et ordre public, cela ne touche pas la conception de la liberté d’expression, qui fait figure de dernier bastion des libertés publiques défendu par le juge constitutionnel. Les restrictions qui peuvent la toucher doivent être strictement « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » (Par ex., CC, n°2016-611 QPC, 10 février 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes], JO, 12 février 2017, texte n°46). C’est le désormais traditionnel triple test de proportionnalité, inspiré de la jurisprudence européenne, qu’il applique à la liberté d’expression notamment depuis 2009 (CC, n°2009-580 DC, 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, JO, 13 juin 2009, p. 9675, Rec. CC, p. 107). Il a amené à la censure presque complète de la « loi Avia » (CC, n°2020-801 DC, 18 juin 2020, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, JO, 25 juin 2020, texte n°2), du délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme (CC, n°2020-845 QPC, 19 juin 2020, M. Théo S. [Recel d’apologie du terrorisme], JO, 20 juin 2020, texte n°67) ou encore à la censure du très controversé article 24, (devenu l’article 52) de la loi sécurité globale préservant les libertés (loi n° 2021-646 du 25 mai 2021, JO, 26 mai 2021, texte n°1) visant à protéger les forces de l’ordre en opération en pénalisant la diffusion malveillante de leur image (CC, n°2021-817 DC, 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, JO, 26 mai 2021, texte n° 2 ; voir, par ex., V. Audubert, « L’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la liberté d’expression », https://blog.juspoliticum.com, 4 décembre 2020). Pour rappel, il faut vérifier que les diverses restrictions apportées à la liberté d’expression permettent d’atteindre l’objectif poursuivi (critère d’adaptation), que l’objectif ne puisse être atteint par un dispositif moins contraignant (critère de nécessité), et que la restriction ne soit pas excessive au regard du but recherché (critère de proportionnalité au sens strict) (voir, sur ce point, B. Bertrand et J. Sirinelli, « Le Conseil constitutionnel et la liberté d’expression et de communication : la voie étroite de la lutte contre les discours de haine sur internet », Dalloz IP/IT 2020, p. 577 et suiv.). Ce qui permet aujourd’hui de placer « la liberté d’expression tout en haut de l’échelle des libertés fondamentales, en lui donnant en quelque sorte la nature d’une « liberté-ombrelle » nécessaire à l’effectivité de toutes les autres » (C. Bigot, « Régulation des contenus de haine sur internet : retour sur le désaveu infligé par le Conseil constitutionnel à l’encontre de la loi dite « Avia » », Dalloz 2020, p. 1448 et suiv.).
→ La « constitutionnalisation » des règles du procès équitable par le Conseil constitutionnel
La « constitutionnalisation » du droit au recours juridictionnel (art. 6-1 ConvEDH et art. 16 DDHC)
732 • Les droits et libertés ont d’abord été exprimés dans le droit public à proprement parler, le droit processuel se limitant à un ensemble de règles techniques loin de ses préoccupations. Depuis quelques années, il apparait pourtant que le droit processuel conditionne l’exercice même de ces droits et libertés. Le Conseil constitutionnel est ainsi amené à s’inspirer de ces règles processuelles telles qu’elles sont notamment mises en place sous le modèle du procès équitable européen. La « constitutionnalisation » du « droit au recours juridictionnel » reconnu par l’article 6-1 ConvEDH a ainsi été engagée par les décisions n° 93-225 DC (CC, n° 93-225 DC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, JO, 18 août 1993, p. 11722, Rec. CC, p. 224) et n°93-335 DC (CC, n°93-335 DC, 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, JO, 26 janvier 1994, p. 1382, Rec. CC, p. 40) puis parachevée par les décisions n°2001-451 DC et n°2002-461 DC (CC, n°2001-451 DC, 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, JO, 1er décembre 2001, p. 19112, Rec. CC, p. 145, §36 ; CC, n° 2002-461 DC, 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, JO, 10 septembre 2002, p. 14953, Rec. CC, p. 204). L’apport de ces dernières décisions est de faire de l’article 16 DDHC relatif à la garantie des droits, le vrai fondement du droit au recours juridictionnel. Il résulte de cette disposition, selon le Conseil, qu’en principe il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction ce qui fait écho à la jurisprudence de la CourEDH selon laquelle l’article 6-1 ConvEDH consacre un « droit d’accès effectif à la justice » afin que soit assurée « une protection réelle et efficace » du justiciable (Voir, par ex., CourEDH, 1er mars 2002, Kutic contre Croatie, req. n°48778/99 ou CourEDH, 3 avril 2003, Anagnostopoulos contre Grèce, req. n°54589/00). On peut observer que si le recours effectif est inscrit à l’article 13 ConvEDH, il est assez largement absorbé par l’article 6-1 (Voir N. Hervieu, « Droit à un procès équitable et droit à un recours effectif (art. 6 et 13 CEDH) : Poursuites pénales initiée tardivement et délais de jugement », RDH 2010, 12 septembre [En ligne] et B. Delaunay, « Le droit au juge et à un recours effectif selon la convention européenne de sauvegarde et des libertés fondamentales (article 13) » www.hrcak.srce.hr, 2014 [En ligne]).
La « constitutionnalisation » du respect des droits de la défense (art. 16 DDHC) et le lien avec le principe d’égalité des armes (art. 6-1 ConvEDH)
733 • De même, le juge constitutionnel a pu juger que le respect des droits de la défense qui constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC, n° 76-70 DC, 2 décembre 1976, Loi relative au développement de la prévention des accidents du travail, JO, 7 décembre 1976, p. 7052, Rec. CC, p. 39, cons. 2) et qui résulte de l’article 16 DDHC, « implique, notamment en matière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties » (CC, n°89-260 DC, 28 juillet 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, JO, 1eraoût 1989, p. 9676, Rec. CC, p. 71, cons. n°44). En agissant de la sorte, il s’inspire clairement de la jurisprudence de la CourEDH relative au droit à un procès équitable et à la nécessaire égalité des armes entre les parties qui en découle (CourEDH, 17 janvier 1970, Delcourt contre Belgique, req. n°2689/65 ; CourEDH, 19 décembre 1989, Kamasinski contre Autriche, req. n°9783/82 et CourEDH, 18 février 1997, Niederhöst-Huber contre Suisse, req. n°18990/91). En tant que telle, la contradiction ne figure pas formellement parmi les exigences de l’article 6-1 ConvEDH. Il est simplement prescrit, que la cause doit être entendue équitablement (Cf. J.P. Costa, « Le principe du contradictoire dans l’article 6-1 et la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’Homme », RFDA 2001, p. 30). Le principe d’égalité des armes n’est pas consacré, le Conseil tend à assurer davantage l’équilibre des droits des parties. Dans un premier temps, c’est le principe du contradictoire qui a été reconnu (CC,n°72-75 L, 21 décembre 1972, Nature juridique des dispositions de l’article 48, alinéa 2, modifié, de la loi du 22 juillet 1889 sur la procédure à suivre devant les tribunaux administratifs et article 13, paragraphes 1 et 2, de la loi du 27 décembre 1963 portant unification ou harmonisation des procédures, délais et pénalités en matière fiscale, JO, 31 décembre 1972, p. 13900, Rec. CC, p. 36) puis il s’est traduit, en matière pénale, par « l’équilibre des parties » (CC,n°89-260 DC, 28 juill. 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, précité, cons. n°44) ou « l’équilibre des droits des parties » (CC, 95-360 DC, 2 février 1995, Loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, JO, 7 février 1995, p. 2097, Rec. CC, p. 195, cons. n°5). C’est à partir de 1999 que le caractère équitable de la procédure pénale est considéré comme une exigence constitutionnelle autonome. A travers cette notion, le juge constitutionnel a alors contrôlé l’ensemble de la procédure devant la Cour pénale internationale : les dispositions sur l’arrestation d’une personne, sur son déferrement sans délai devant une autorité judiciaire, sa mise en liberté, l’assistance d’un défenseur, sa mise en détention provisoire, le respect d’un délai raisonnable de la détention provisoire et de la procédure, la conduite du procès, sa publicité, etc…(CC, n°98-408 DC, 22 janvier 1999,Traité portant statut de la Cour pénale internationale, JO, 24 janvier 1999, p. 1317, Rec. CC, p. 29).
La « constitutionnalisation » de l’ensemble des principes du procès équitable (art. 6-1 ConvEDH)
734 • Au-delà de la reconnaissance du caractère équitable de la procédure comme exigence constitutionnelle autonome, le juge constitutionnel a aussi hissé, au niveau constitutionnel, la publicité des débats judiciaires en transposant l’exigence de la publicité de l’audience énoncée à l’article 6-1 ConvEDH (CC, n° 98-408 DC, 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, précité, cons. n°25) reconnu, au sens du droit public, comme principe général du droit (CE, 4 octobre 1974, Dame David, req. n°88930, Rec. CE, p. 464, JCP 1975, II, n° 17967, note R. Drago). Il a poursuivi, dans cette logique, s’agissant des procès pénaux pouvant conduire à une privation de liberté (CC, n° 2002-461 DC, 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice dite « Perben I », JO, 10 septembre 2002, p. 14953, Rec. CC, p. 204, cons. n°81). Dans une décision du 2 mars 2004, il reconnait, pour la première fois, une valeur constitutionnelle au principe de publicité en jugeant « qu’il résulte de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration de 1789 que le jugement d’une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, faire l’objet d’une audience publique » (CC, n°2004-492 DC, 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dites « Perben II », JO, 10 mars 2004, p. 4637, Rec. CC, p. 66). Mais il n’en fait qu’une exigence constitutionnelle limitée, et non un principe général de la procédure juridictionnelle (Cf. S. Roure, « L’élargissement du principe de publicité des débats judiciaires : une judiciarisation du débat public », RFDC 2006, n°68, p. 737). Le Conseil a agi de même en hissant le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions, également inspiré de la jurisprudence européenne, au rang constitutionnel (CC, n° 98-408 DC, 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, précité, cons. n°27 même s’il parle d’ « exigence d’impartialité et d’indépendance » et non d’exigence « constitutionnelle »). Il n’avait, au préalable, érigé explicitement que le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement en exigence constitutionnelle (CC, n°95-360 DC, 2 février 1995, Loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, précité, cons. n°5 et 6), sans reprendre les garanties plus larges de l’article 6-1 ConvEDH (Voir, à ce sujet, R. Koering-Joulin, « La notion européenne de « tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6 par. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme », RSC 1990, p. 765). À plusieurs reprises, le Conseil avait constaté expressément l’impartialité d’organes de jugement mais sans jamais expliciter son raisonnement (Par ex., CC, n°86-213 DC, 3 septembre 1986, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’Etat, JO, 5 septembre 1986, p. 10786, Rec. CC, p. 122, cons. n°13 sur la Cour d’assise en matière de terrorisme).
Le rapprochement entre la notion de « sanction punitive » et la notion de « matière pénale »
735 • Il faut aussi citer dans les inspirations réciproques entre les deux juges, le rapprochement entre la jurisprudence liée à la notion de « sanction punitive » développée par le Conseil constitutionnel à partir des années 1980 (Cf. J. Kluger, « L’élaboration d’une notion de sanction punitive dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », RSC 1995, p. 505) et celle développée par le juge européen à travers la notion de « matière pénale ». L’élargissement par la CourEDH du champ d’application des principes du droit pénal et de la procédure pénale à tout pouvoir de sanction a incité le juge constitutionnel à imiter cette démarche (Voir, par ex., CC, n°8-155 DC, 30 décembre 1982, Loi de finances rectificative pour 1982, JO, 31 décembre 1982, p. 4034, Rec. CC, p. 88 ; CC, n°87-237 DC, 30 décembre 1987, Loi de finances pour 1988, JO, 31 décembre 1987, p. 15761, Rec. CC, p. 63 ; CC, n°92-307 DC, 25 février 1992, Loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, JO, 12 mars 1992, p. 3003, Rec. CC, p. 48 et CC, n°93-325 DC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, JO, 18 août 1993, p. 11722, Rec. CC, p. 224). La CourEDH raisonne, depuis 1976, sur la notion de « sanction punitive non pénale », à partir de la notion de « matière pénale » qui justifie l’applicabilité de l’article 6-1 ConvEDH (CourEDH, 8 juin 1976, Engel et autres contre Pays-Bas, req. n°5100/71 ; CourEDH, 21 février 1984, Oztürk contre Allemagne, req. n°8544/79 ; CourEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell contre Royaume-Uni, req. n°7819/77 et n°7878/77). Pour éviter que les domaines disciplinaires ou administratifs soient soustraits à l’applicabilité de l’article 6 ConvEDH, la Cour a étendu la qualification de « matière pénale » à des sanctions relevant de réseaux extra-pénaux. Même si le juge constitutionnel s’intéresse avant tout à la validité de la sanction alors que le juge européen recherche si les garanties sont respectées, le raisonnement développé par les deux juges présente des similitudes, dans la mesure où ils censurent tous les deux une mesure répressive si celle-ci ne présente pas les garanties constitutionnelles ou conventionnelles.
L’extension contrastée de la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition »
735-1 • Depuis trente ans, de nombreuses sanctions (sociales, économiques, administratives, disciplinaires, fiscales, pécuniaires) ont été requalifiés par le juge constitutionnel de « sanctions ayant le caractère d’une punition » avec pour conséquence de se voir appliquer les garanties constitutionnelles attachées aux sanctions pénales. Si cela implique une plus grande protection des individus ou une individualisation de l’application des obligations législatives, le bilan n’est pas si positif et peut apparaitre que de façade. D’abord, comme le note Patricia Rrapi, « le Conseil constitutionnel se perd constamment dans des distinctions, qui, derrière leur subtilité affichée, cachent mal, d’une décision à l’autre, les raisonnements contradictoires » (P. Rrapi, « Mieux vaut être une multinationale qu’un étranger. Observations sur la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition » dans le cadre de la Question prioritaire de constitutionnalité », RDH 2021, [Online], n°20, 5 juillet). Il est très difficile de définir les critères permettant les qualifications de « sanctions ayant le caractère de punition », de « peine » (Voir, par ex., M. Touillier, « Quel encadrement constitutionnel pour les mesures restrictives et privatives de libertés dans la prévention du terrorisme » et P. Rrappi, « La notion de peine pénale devant le Conseil constitutionnel, L’histoire d’un affranchissement », in P.-Y. Gahdoun, A. Ponseille, E. Sales, Existe-t-il un droit constitutionnel punitif ?, Faculté de droit de Montpellier, 2019, p. 155 et suiv. et p. 62 et suiv.) ou de « mesures de police ». Ensuite, si le mouvement de pénalisation de toutes formes de sanction est très important, il s’accompagne aussi d’un mouvement de dépénalisation des mesures privatives de liberté. Ainsi, des mesures très proches de la « peine pénale » (comme les mesures de sûreté, les mesures d’exécution des peines ou les sanctions pénitentiaires) sont ainsi exclues des garanties constitutionnelles pénales. Enfin, dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale et de la lutte contre le terrorisme, toute une série de mesures privatives de liberté (rétention administrative pour les étrangers en éloignement, assignations à résidence administratives, etc….) sont désormais devenues des mesures de police administrative avec l’aval du juge constitutionnel (Par ex., CC, n°2017-691 QPC, 16 février 2018, M. Farouk B. [Mesure administrative d’assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme], JO, 18 février 2018, texte n°27 ou CC, n°2017-695 QPC, 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autre [Mesures administratives de lutte contre le terrorisme], JO, 30 mars 2018, texte n°111).
→ Les dispositions constitutionnelles ne peuvent constituer un obstacle à l’application de la ConvEDH
Un juge européen qui refuse toute exception constitutionnelle aux Etats pour l’application de la ConvEDH
736 • Dans certains cas, la CourEDH peut confirmer une décision d’une Cour constitutionnelle tout comme la prendre à son compte. Dans le cas de la France, le juge européen a, par exemple, abouti, dans la décision « Amuur contre France » (CourEDH, 25 juin 1996, Amuur contre France, req. n°19776/92) à un constat de violation de l’article 5-1 ConvEDH en se référant au raisonnement d’une décision du Conseil constitutionnel (§ 21 de la décision de la Cour : CC, n°92-307 DC, 25 février 1992, Loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, JO, 12 mars 1992, p. 3003, Rec. CC, p. 48). La CourEDH a aussi pu reprendre à la lettre le raisonnement suivi par le juge constitutionnel français dans la décision « Thivet contre France » qui concernait les emprunts russes émis entre 1860 et 1914 et qui ne furent pas remboursés après la révolution de 1917 (CourEDH, 24 octobre 2000, Simone Thivet contre France, req. n°57071/00 qui se réfère expressément à la décision CC, n°99-425 DC, 29 décembre 1999, Loi de finances rectificative pour 1999, JO, 31 décembre 1999, p. 20012, Rec. CC, p. 168). Mais, il faut relever que, comme dans le cadre du droit de l’Union, le droit européen issu de la ConvEDH met en avant sa propre primauté sur le droit interne quel que soit le statut de la norme. Le juge européen estime ainsi que les autorités nationales ne peuvent donner effets à des droits constitutionnels que d’une manière conciliable avec les obligations conventionnelles, il ne faut pas qu’elles constituent un obstacle à l’application des dispositions de la ConvEDH. La nature constitutionnelle d’une règle de droit ne la soustraie pas à l’applicabilité de la Convention, le juge européen refuse toute « exception constitutionnelle » au profit des Etats (Voir, par ex., CourEDH, 18 décembre 1986, Johnston et autres contre Irlande, req. n°9697/82, série A, n°112 à propos de l’impossibilité constitutionnelle en droit irlandais d’obtenir la dissolution du mariage ou CourEDH, 22 décembre 2009, Sejdic et Finci contre Bosnie-Herzégovine, req. n°27996/06 à propos de l’impossibilité constitutionnelle de se présenter à des élections pour les membres de certaines minorités).
Un juge européen qui n’hésite pas à entrer en conflit avec les juges constitutionnels nationaux
737 • Si des dispositions constitutionnelles empêchent l’application de la ConvEDH, le juge européen n’hésite pas à entrer en conflit avec les juges constitutionnels nationaux et à faire prévaloir le droit conventionnel sur le droit constitutionnel. Cela a été le cas à propos d’une disposition constitutionnelle interdisant les femmes enceintes à se rendre à l’étranger pour y subir une IVG dont l’interprétation par la Cour suprême irlandaise a été jugé contraire à l’article 10 ConvEDH relatif à la liberté d’expression (CourEDH, 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman contre Irlande, req. n°14235/88, série A, n°246-A). Dans l’affaire « Parti communiste unifié de Turquie et autres contre Turquie » (CourEDH, 30 janvier 1998, Parti communiste unifié de Turquie et autres contre Turquie, req ; n° 19392/92), la CourEDH prend le contre-pied de la Cour constitutionnelle qui, saisie par le procureur général près la Cour de cassation, avait dissous le parti en question, avant même que ce dernier eût pu entamer ses activités. Dans l’arrêt « Zielinski, Pradal et Gonzalez et autres contre France » (CourEDH, 28 octobre 1999, Zielinski, Pradal, Gonzalez et autres contre France, req. n°24846/94 et n°34165/96), la Cour a estimé que, dans le cadre de validations législatives, la conformité à la Constitution de la loi critiquée ne suffisait pas à établir sa compatibilité avec les dispositions de la Convention. Le Conseil constitutionnel avait, au préalable, admis la conformité à la Constitution de la disposition en cause (CC, n°93-322 DC, 13 janvier 1994, Loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, JO, 30 juillet 1993, p. 10750, Rec. CC, p. 204). Au final, moins d’un mois après la décision du juge européen, le juge constitutionnel a adapter sa jurisprudence dans le sens de celle du juge européen en se fondant explicitement sur le principe de la séparation des pouvoirs pour exercer, comme la CourEDH, un contrôle de proportionnalité entre l’intérêt général invoqué et l’atteinte portée au droit au recours du justiciable (CC, n°99-422 DC, 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, JO, 30 décembre 1999, p. 19730, Rec. CC, p. 143). On peut encore citer l’arrêt « Von Hannover contre Allemagne (CourEDH, 24 juin 2004, Von Hannover contre Allemagne, req. n°59320/00) où le juge européen n’a pas suivi la position de la Cour constitutionnelle fédérale qui avait estimé, en se référant à la liberté de la presse, que la requérante (la princesse Caroline de Monaco), en tant que personnalité absolue de l’histoire contemporaine, devait tolérer la publication des photos litigieuses. La Cour, à l’inverse, fait prédominer le respect dû à la vie privée et aboutit à la violation de l’article 8 ConvEDH, après avoir remarqué, en particulier, que la contribution au débat d’intérêt général faisait défaut, la requérante ne remplissant pas de fonctions officielles.
→ L’applicabilité des règles du procès équitable au Conseil constitutionnel lui-même
Une procédure constitutionnelle peut relever de l’article 6-1 ConvEDH s’il existe un litige relevant de la « matière civile » ou de la « matière pénale »
738 • La juridiction constitutionnelle peut être contestée en tant que tel devant le juge européen pour méconnaissance du droit à un procès équitable. Une procédure peut relever de l’article 6-1 ConvEDH même si elle se déroule devant une juridiction constitutionnelle. Peu importe que la procédure s’inscrive dans le cadre d’un renvoi préjudiciel (CourEDH, 1er juillet 1997, Pamnel contre Allemagne, req. n°17820/91 et CourEDH, 1er juillet 1997, Probstmeier contre Allemagne, req. n°20950/92), un recours contre une décision judiciaire (CourEDH, 25 novembre 2003, Soto Sanchez contre Espagne, req. n°66990/01) ou contre une loi (CourEDH, 17 mai 2001, Hesse-Anger et Anger contre Allemagne, req. n°45835/99). La seule condition requise est l’existence d’un litige qui porte sur un droit ou une obligation de caractère civil ou une accusation en matière pénale. Or, cette condition n’est pas remplie pour le contrôle de constitutionnalité préventif, abstrait et a priori pratiqué par le Conseil constitutionnel avant la promulgation d’une loi. Il n’y a, en effet, ni de « parties », ni « litige » dans le cadre « civil » ou « pénal » voire pas de « juridiction » ou de « tribunal » au sens de l’article 6-1 ou 13 ConvEDH. Dans son rôle de juge électoral, le juge constitutionnel français n’est pas plus considéré comme un « tribunal » dans la mesure où le droit concernant les élections législatives dans un Etat relève des droits politiques (Voir, en ce sens, CourEDH, 21 octobre 1997, Jean-Pierre Bloch contre France, req. n°24194/94 à propos du droit de se porter candidat à une élection à une assemblée parlementaire et de conserver son mandat, malgré l’enjeu également patrimonial de la procédure), ce qui l’exclu du champ des contestations civiles ou accusations pénales (Voir, S. Perez, « Recherche de l’aspect civil ou pénal d’une procédure devant le Conseil constitutionnel siégeant en tant que juge de l’élection des députés aux fins de conclure à l’applicabilité ou non de l’article 6 paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme », D. 1998, p. 208). Si les règles du procès équitable ne sont pas applicables au Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle a priori, la jurisprudence du juge européen a largement évolué dans le sens de l’applicabilité de l’article 6-1 ConvEDH aux procédures pendantes devant les Cours constitutionnelles.
Une jurisprudence européenne qui évolue dans le sens de l’applicabilité des règles du procès équitable aux procédures constitutionnelles (1)
739 • S’il y a application des règles du procès équitable, les Cours constitutionnelles doivent, par contre, agir en tant qu’ « organe judiciaire de pleine juridiction » compétent pour examiner les points de fait et de droit (ce n’est pas le cas, par exemple, de la Cour constitutionnelle autrichienne : CourEDH, 25 novembre 1994, Ortenberg contre Autriche, req. n°12884/87, ni de la Cour constitutionnelle tchèque : CourEDH, 12 juillet 2001, Malhous contre République tchèque, req. n°33071/96). L’arrêt « Ruiz-Mateos contre Espagne » (CourEDH, 23 juin 1993, Ruiz-Mateos contre Espagne, req. n°12952/87) est, à cet égard, l’arrêt de principe qui a reconnu l’applicabilité de l’ensemble des garanties du procès équitable aux procédures pendantes devant les Cours constitutionnelles. Le juge européen a, cependant, intégré dans son raisonnement des tempéraments afin de reconnaître la spécificité et le rôle particulier des juridictions constitutionnelles. Comme peut le relever Françoise Tulkens, « la Cour tente, dans le cadre de chaque espèce, de trouver le juste équilibre entre un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois » (F. Tulkens, « Convention européenne des droits de l’homme et Cours suprêmes », www.conseil-constitutionnel.fr, 13 février 2009 [En ligne]. La CourEDH rappelle ainsi que le droit d’accès n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours (CourEDH, 23 juin 1993, Ruiz-Mateos contre Espagne, précité).
Une jurisprudence européenne qui évolue dans le sens de l’applicabilité des règles du procès équitable aux procédures constitutionnelles (2)
740 • Les règles sont identiques quant à l’exigence du délai raisonnable. L’obligation vaut aussi pour une Cour constitutionnelle mais elle ne s’interprète pas de la même manière que pour une juridiction ordinaire. La fonction de gardien de la Constitution « rend particulièrement nécessaire […] de parfois prendre en compte d’autres éléments que le simple ordre d’inscription au rôle d’une affaire, telles la nature de celle-ci et son importance sur le plan politique et social » (CourEDH, 16 septembre 1996, Süssmann contre Allemagne, req. n°20024/92, § 56). Toujours dans la même logique, la publicité des débats, critère du procès équitable, ne s’applique pas en cas de recours constitutionnel, la condition d’audience publique a été exclue pour ce type de juridiction car le contrôle de constitutionnalité implique un contrôle de droit et non de fait qui ne nécessite pas une audience, à condition que devant les autres juridictions les parties aient pu être entendues publiquement (CourEDH, 10 juillet 2002, Peter Gratzinger et Eva Gratzingerova contre République tchèque, req. 39794/98, § 82). L’absence d’audience publique est alors suffisamment compensée par les audiences publiques tenues au stade déterminant de la procédure. Concernant la notion d’indépendance ou d’impartialité, elle a été affinée comme devant être, avant tout, une notion fonctionnelle ce qui implique une application plus souple de l’article 6-1 ConvEDH. Du côté du Conseil constitutionnel, si le non renouvellement du mandat et l’irrévocabilité des membres permettent d’affirmer son indépendance (CourEDH, 9 juillet 2013, Di Giovanni contre Italie, req. n°51160/06), ce n’est pas le cas de la présence des membres de droit qui, s’ils devraient normalement être rapidement supprimés, continuent à aller l’encontre de l’apparence d’indépendance (CourEDH, 22 juin 2004, Pabla Ky contre Finlande, req. n°47221/99, §26). Enfin dernier élément à bénéficier d’aménagements, le principe d’égalité des armes et du contradictoire bénéficie d’un statut spécifique eu égard aux caractéristiques propres de la norme à protéger tout comme à l’importance de la décision à rendre (Voir, par ex., CourEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga contre Espagne, req. n°62543/00)
2 – Contrôle a posteriori et ConvEDH
741 • L’irruption de la QPC dans le paysage juridique français a bouleversé les rapports juridiques entre le Conseil constitutionnel et la CourEDH. La protection des droits fondamentaux était jusque-là principalement assurée par le juge de Strasbourg, le juge constitutionnel n’apportait à sa vision qu’un correctif à la marge. Il y avait une séparation claire entre contrôle de constitutionnalité, assuré par le seul juge constitutionnel, et le contrôle de conventionnalité, assuré par les juges ordinaires sous le contrôle de la CourEDH. Par l’exercice de leur compétence en matière de filtrage de la QPC, les juges ordinaires assurent dorénavant les deux contrôles à la fois. Le juge constitutionnel exerce aussi désormais son contrôle a posteriori à l’occasion de l’application de la loi tout comme le font les juges ordinaires et la CourEDH dans le cadre du contrôle de conventionnalité. La QPC amène donc à revoir le rôle de chacun puisque les juges ordinaires peuvent, à l’occasion d’un même litige, être confrontés à l’autorité d’une décision du juge constitutionnel comme du juge européen. Le risque de conflit tend aujourd’hui à être dépassé par un jeu subtil d’influence entre les deux juges, bien plus perceptible qu’il ne l’était avant l’introduction de la QPC.
→ La QPC et le renouvellement de la question de l’application des règles du procès équitable
Un contrôle a posteriori qui pose la question de l’applicabilité de l’article 6-1 ConvEDH
742 • On a pu voir que si la CourEDH a progressivement appliqué l’article 6-1 ConvEDH aux procédures devant les Cours constitutionnelles, celui-ci n’était pas applicable au Conseil constitutionnel dans son contrôle a priori (Cf. Supra n°738). Depuis son arrêt « Ruiz-Mateos » (CourEDH, 23 juin 1993, Ruiz-Mateos contre Espagne, précité), la CourEDH fait, en effet, échapper les recours abstraits à l’emprise de l’article 6-1 ConvEDH, seuls les recours concrets, directs ou indirects par voie d’exception sont soumis aux règles du procès équitable dès lors que l’issue du litige est déterminante pour des « droits et obligations de caractère civil » ou pour le « bien-fondé d’une accusation en matière pénale ». L’avènement de la QPC amène cependant le juge constitutionnel français à se prononcer dans un autre cadre. D’un prime abord, la QPC continue de relever d’un contentieux abstrait fait à la norme législative : le Conseil ne juge pas le fond de l’affaire, la QPC est présentée dans un écrit distinct, l’examen de la QPC se poursuit malgré l’extinction de l’instance principale et l’abrogation de la disposition législative, enfin, ne s’applique pas qu’aux parties mais présente un effet erga omnes. Mais cela ne suffit pas à exclure l’applicabilité de l’article 6-1 ConvEDH. Certains éléments de la procédure présentent un aspect concret. Ainsi, le caractère de juridiction à part entière est clairement affirmé depuis l’entrée en vigueur de la QPC, la question étant soulevée par un requérant à l’occasion d’une instance. Les requérants sont érigés en « parties » lors d’un procès constitutionnel et on leur garanti les droits découlant de ce nouveau statut (Cf. Règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité, www.conseil-constitutionnel.fr, art. 1er). Le juge européen peut, parfois, également faire le lien entre le procès au fond et la procédure préjudicielle et considérer qu’on ne peut dissocier la phase civile et la phase constitutionnelle du procès sans verser « dans l’artifice » ou affaiblir « à un degré considérable la protection des droits des requérants » (CourEDH, 23 juin 1993, Ruiz-Mateos contre Espagne, précité, §59). Un juge constitutionnel qui ne se prononce pas sur le fond du litige principal ou qui ne statue pas sur la détermination d’un droit de caractère civil (ou sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale) sur renvoi préjudiciel peut donc, dans ce cas, se voir appliquer l’article 6-1 ConvEDH. S’il est difficile de conclure catégoriquement à l’applicabilité de l’article 6-1 ConvEDH à la procédure QPC, celle-ci semble néanmoins largement ouverte. La QPC est déterminante pour l’issue du litige porté devant le juge du fond et la référence aux « droits et libertés que la Constitution garantit » (art. 61-1 C°) peut amener la Cour à lier la procédure au volet « civil » de l’article 6-1 ConvEDH eu égard au critère de la patrimonialité (« critère décisif » selon F. Sudre, « L’exception d’inconstitutionnalité : un chantier difficile. Question préjudicielle de de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme », RDP 2009, p. 671). Nonobstant ces éléments, le Conseil constitutionnel a entendu se prémunir de toute remise en cause au titre du procès équitable en retoquant son règlement intérieur pour finaliser la « juridictionnalisation » de l’institution (Règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité précité, voir V.-F. Jacquelot, « La procédure de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel », AJDA 2010, p. 950).
La question du droit d’accès au juge et la procédure QPC
743 • Le premier élément à traiter au titre des règles du procès équitable reste la question du droit d’accès au juge qui peut se présenter à deux phases différentes. La question se pose tout d’abord au niveau de la procédure de filtrage devant les juges ordinaires suprêmes. Il existe deux conditions formelles de recevabilité (la disposition contestée doit être « applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites » et elle ne doit pas avoir été « déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ») mais aussi un moyen de fond qui doit être examiné par les juges relatif au « caractère sérieux » de la QPC (Cf., pour l’ensemble des dispositions, articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance organique n° 58-1067du 7 novembre 1958 (JO, 9 novembre 1958, p. 10129)portant loi organique du Conseil constitutionnel). On a vu qu’il y avait certaines critiques quant à l’appréciation du critère tenant au caractère sérieux qui détermine l’opportunité ou non de transmettre la QPC. Il y a un risque inhérent de blocage de la transmission qui peut, comme on l’a vu, transformer les juges ordinaires en juge constitutionnel de droit commun. Le refus de transmission de la QPC peut ne pas être compris (Cf. Refus de transmission de la Cour de cassation d’une QPC formée contre une loi mémorielle « loi Gayssot » : Cass., crim., 7 mai 2010, n° de pourvoi : 09-80.774 avant de se raviser 5 ans plus tard sur la même disposition législative : Cass., crim., 6 octobre 2015, n° de pourvoi : 15-84.335) et être interprété comme contraire au droit d’accès au juge. La CourEDH a eu l’occasion de se prononcer à l’occasion de la décision « Renard contre France » (CourEDH, 25 août 2015, Renard contre France, req. n°3569/12) qui a, au surplus, soumis, pour la première fois, la procédure de la QPC aux principes de l’article 6-1 ConvEDH, à tout le moins la procédure de filtrage. Le juge européen constate que les contestations dans les litiges au principal devant les juges ordinaires portent bien, sur des droits et obligations de caractère civil ou sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale et qu’il y a un lien étroit avec la procédure QPC justifiant l’applicabilité des principes du procès équitable mais que concernant la procédure suivie devant les juridictions de renvoi. Il n’y a, cependant, pas de doute, c’est bien toute la procédure QPC qui relève du champ des règles du procès équitable (notamment à la vue de la jurisprudence bien établie de la CourEDH qui tient compte du caractère déterminant au litige de la réponse apportée par le juge constitutionnel : Voir, par ex., CourEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga contre Espagne, n° 62543/00, §47 ou CourEDH, 16 septembre 1996, Süssmann contre Allemagne, req. n°20024/92, §44). A noter que le règlement intérieur précité ne prévoit pas de règle d’irrecevabilité nouvelle de la QPC devant le Conseil. Ce dernier a jugé, de même, qu’il ne lui appartenait pas, saisi d’une QPC, de remettre en cause la décision de renvoi par laquelle le juge ordinaire a jugé qu’une disposition était ou non applicable au litige (1er critère formel : CC, n°2010-1 QPC, 28 mai 2010, Consorts L. [Cristallisation des pensions], précité) comme il ne lui appartenait pas de se prononcer sur une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution (2nd critère formel : CC, n°2010-9 QPC, 2 juillet 2010, Section française de l’Observatoire international des prisons [Article 706-53-21 du code de procédure pénale], JO, 3 juillet 2010, p. 12120, Rec. CC, p. 128).
La question du principe d’indépendance et d’impartialité et la procédure de la QPC
744 • Concernant le principe d’indépendance et d’impartialité, c’est l’article 4 du règlement intérieur précité qui a été mis en place pour se conformer à la jurisprudence de la CourEDH. L’impératif d’indépendance et l’’impartialité subjective (celle qui renvoie à la conception personnelle du juge : aucun des membres de la juridiction ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel) ne semblent guère poser de soucis dans le sens où la procédure « politique » de désignation des juges constitutionnels n’est pas en soi contraire à ce principe (En ce sens, D. Szymczak, « Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme : l’européanisation « heurtée » du Conseil constitutionnel français », Jus Politicum 2012, n°7 [En ligne]) et dans la mesure où, à terme, la présence des anciens présidents de la république devrait être supprimée (Voir, par ex., E. Lemaire, « Conseil constitutionnel : la suppression de la catégorie des membres de droit, une réforme indispensable mais insuffisante » http://blog.juspoliticum.com, 19 juin 2018). L’impartialité objective (qui consiste à se demander si, « indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance » : CourEDH, 27 août 2002, Didier contre France, req. n°58188/00) est, par contre, plus problématique. L’article 4 tente d’y répondre. Il prévoit ainsi la possibilité pour un membre du Conseil constitutionnel de se « déporter » de lui-même tout en mettant en place une procédure de récusation à l’initiative des parties. Mais comme peut le rappeler D. Szymczak, « tout restera cependant « affaire de conscience » » (D. Szymczak, « Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme : l’européanisation « heurtée » du Conseil constitutionnel français », précité). Le dernier alinéa précise, en effet, s’agissant de l’hypothèse où les juges ont déjà eu à connaître de l’affaire à l’occasion d’autres fonctions ou d’un litige antérieur, que ce fait « ne constitue pas en lui-même une cause de récusation ». Dans ce cadre, le simple fait d’avoir voté une loi ne remet pas en cause l’impartialité mais une implication directe d’un juge dans l’adoption d’une législation ou d’une réglementation administrative peut faire naître un doute (Cf. CourEDH, 8 février 2000, McGonnell contre Royaume-Uni, req. n°28488/95, §55). Dans ce cadre, le juge constitutionnel n’est pas à l’abri d’une remise en cause par le juge européen pour défaut d’impartialité.
La question des autres règles du procès équitable et la procédure de la QPC
745 • Concernant les autres règles liées au procès équitable, le juge constitutionnel semble à l’abri d’une remise en cause. Le délai de trois mois laissé au Conseil pour se prononcer (art. 23-10 de l’ordonnance organique n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précité) est le même que celui laissé au juge ordinaire pour transmettre la QPC (Ibid., art. 23-4 et 23-5) et il devrait le mettre à l’abri de toute contestation pour violation du délai raisonnable. Il peut, cependant, être amené à dépasser ce délai (c’est le cas, notamment, on l’a vu, lorsqu’il est susceptible de poser une question préjudicielle à la CJUE pour répondre à la QPC). De plus, il se peut que la procédure supplémentaire, au final, rallonge beaucoup trop la procédure globale puisque c’est la totalité de la procédure qui est prise en compte dans l’appréciation du juge européen et qu’il faut donc inclure, dans l’évaluation, celle suivie devant le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation (En ce sens, F. Sudre, « L’exception d’inconstitutionnalité : un chantier difficile. Question préjudicielle de de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme » précité). S’agissant du principe du contradictoire et de l’égalité des armes, on rappelle que le nouveau règlement a érigé les requérants en « parties » qui sont placés sur un strict plan d’égalité avec les autorités de l’Etat rendant ainsi la procédure exemplaire (En ce sens, M. Guillaume, « Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme », Nouveaux cahiers du CC 2011, n°32 et Mélanges Costa, Paris, Dalloz, p. 293) qui souligne que les garanties vont même bien au-delà de ce qui est exigé par le juge européen). Ils sont, tous les deux, avisés par le Conseil de la réception d’une QPC, ont le même délai pour produire des observations écrites comme pour produire des secondes observations en réponse aux premières (respectivement art. 1er al. 1er, 2, 3, 4 du règlement intérieur du 4 février 2010 précité). C’est sur un strict plan d’égalité que ces « parties » et autorités sont aussi considérées lors de l’audience publique où elles peuvent présenter des observations orales (la seule différence tient au fait que les parties ont recours à un avocat pour les plaidoiries alors que les autorités peuvent désigner un agent à cet effet). Concernant le principe de la publicité des audiences et même si celui-ci n’est pas absolu selon la CourEDH, l’audience est publique (sauf cas exceptionnels : voir art. 23-10 ordonnance du 7 novembre 1958 précité et art. 8 al. 3 du règlement intérieur du 4 février 2010 précité) et peut même faire l’objet d’une retransmission audiovisuelle voire même d’une diffusion en ligne sur le site Internet du Conseil.
→ La QPC, une voie de recours à épuiser avant de saisir la CourEDH ?
Les procès incidents de constitutionnalité ne sont pas des voies de recours à épuiser avant de saisir le juge européen
746 • L’article 35 ConvEDH stipule que : « La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes ». En d’autres termes, on ne peut poursuivre un Etat devant le CourEDH que si on lui a laissé la possibilité de remédier à la violation invoquée au niveau national. L’épuisement des voies de recours doit ainsi être démontré par le requérant qui doit avoir invoqué « en substance » devant les juridictions nationales le grief qu’il fait valoir devant le juge européen (Voir, par ex., CourEDH, 10 mars 1977, Guzzardi contre Italie, req. n°7367/76, §70 et suiv.). Si la règle ne revêt pas un caractère absolu puisque la CourEDH impose uniquement au requérant d’avoir fait un usage normal des recours utiles (Cf. CourEDH, 16 septembre 1996, Akdivar et autres contre Turquie, req. n°21893/93, § 69), ces recours utiles doivent néanmoins être « à la fois relatifs aux violations alléguées, accessibles et adéquats » (CourEDH, 6 novembre 1980, Van Oosterwijck contre Belgique, 6 novembre 1980, req. n°7654/76, § 27) et doivent exister « à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie » (CourEDH, 20 février 1991, Vernillo contre France, req. n°11889/85, §27), la question se pose quant à son application à la procédure de la QPC. Il n’y a aucune indication qui est fournie à ce sujet par le législateur organique qui semble, de par le caractère prioritaire donné à la procédure nationale, plutôt enclin à y voir une voie de recours à épuiser (en ce sens, T. Larrouturou, « La QPC est-elle une voie de recours à épuiser avant de saisir la Cour européenne des droits de l’homme ? », RDP 2015, p. 111). Si l’ancien secrétaire général du Conseil a partagé ce point de vue (M. Guillaume, « Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme », Nouveaux Cahiers du CC 2011, n° 32, p. 67), l’ensemble de la doctrine juge, à la lumière de la jurisprudence européenne, que le procès incident de constitutionnalité n’est pas une voie de recours à épuiser avant de saisir le juge européen (Voir, notamment, F. Sudre, « Question préjudicielle de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme », précité et D. Szymczak, « Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l’homme : l’européanisation « heurtée » du Conseil constitutionnel français », précité).
Une procédure QPC qui ne semble pas, en l’état actuel des choses, être concernée par la règle de l’épuisement des voies de recours internes
747 • Les voies de droit constitutionnelles ont connu des destins variés suite à l’application par la CourEDH des différents critères définis précédemment. Les recours constitutionnels où les justiciables bénéficient d’un accès direct à la Cour constitutionnelle pour l’inviter à vérifier la constitutionnalité d’une loi sont ainsi considérés comme des voies à épuiser. Cela concerne le recours constitutionnel allemand de type Verfassungbeschwerde (Voir, par ex., CourEDH, 3 février 2009, Schädlich contre Allemagne, req. n°21423/07), l’Amparo espagnol (CourEDH, 14 juin 2011, Del Pino Garcia et Ortin Mendez contre Espagne, req. n°23651/07, §§ 26-34), le recours individuel devant la Cour constitutionnelle tchèque (CourEDH, 9 octobre 2012, Brandejs contre République tchèque, req. n°16878/09), le recours en annulation belge (Voir, par exemple : CourEDH, 6 avril 2004, S. B. et autres contre Belgique, req. n°63403/00, § 7) ou enfin, le recours individuel turc (Voir, notamment, CourEDH, 30 avril 2013, Uzun contre Turquie, req. n°10755/13). En revanche, le juge européen a toujours exclut de la catégorie des voies de recours utiles ou efficaces directement à la disposition des requérants les recours par voie d’exception indirects où le requérant n’a pas la possibilité de forcer la saisine devant les juridictions constitutionnelles. Cela a été le cas pour la question de constitutionnalité turque (CommEDH, 11 mai 1989, Sargin et Yagci contre Turquie, 11 mai 1989, req. n°14116/88 et n°14117/88), de l’exception de constitutionnalité roumaine (CourEDH, 6 mars 2001, Pantea contre Roumanie, req. n°33343/96) ou du recours en exception d’inconstitutionnalité devant le juge constitutionnel italien où la règle est fréquemment rappelée par le juge européen (CourEDH, 19 décembre 1989, Brozicek contre Italie, req. n°10964/84, §34 ; CourEDH, 28 sept. 1995, Spadea et Scalabrino contre Italie, req. n°12868/87, Série A, n°315 ; CourEDH, 26 juillet 2011, Paleari contre Italie, n°55772/08, § 19 ; CourEDH, 27 août 2015, Parrillo contre Italie, req. n°46470/11, §101). Cette jurisprudence a pu être contestée (Cf. M. Melchior, « Les cours constitutionnelles et l’épuisement des voies de recours internes au regard de la Convention européenne des droits de l’homme », Mélanges Helmanns, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 238) mais elle implique que la procédure QPC ne semble pas, en l’état actuel des choses, être concernée par la règle de l’épuisement des voies de recours internes. A noter, cependant, en sens contraire, certains auteurs qui soulignent l’importance accrue donnée aujourd’hui au principe de subsidiarité et au fait de résoudre, en priorité, au niveau national, les contradictions entre la législation des Etats parties à la qui pourrait, à court terme, faire de la question de constitutionnalité une voie de recours interne à épuiser (voir, en ce sens, T. Larrouturou, « La QPC est-elle une voie de recours à épuiser avant de saisir la Cour européenne des droits de l’homme ? », précité).
Le rappel récent quant à la différence d’objet et de nature des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité
747-1 • Des décisions récentes du juge européen sont venues préciser la position de la Cour sur la question de l’épuisement des voies de recours internes. Certains requérants ont mis en avant le fait qu’à partir du moment où une disposition législative était déclarée conforme à la Constitution, il n’était pas utile d’épuiser les voies de recours internes dans la mesure où si les recours existent, ils ne peuvent plus être effectifs puisqu’aucune chance d’aboutir. Il y a une autorité de fait de la décision constitutionnelle d’ailleurs reconnu par le juge européen dans sa jurisprudence relative à la Cour constitutionnelle belge. Le rejet par cette Cour des moyens des requérants a pu être jugé, eu égard au rang et à l’autorité des décisions de la Cour, comme vouant à l’échec tout autre recours que les requérants auraient pu engager par ailleurs. Les juridictions ordinaires étant enclin à aligner leurs positions sur celle de la Cour constitutionnelle (CourEDH, 20 novembre 1995, Pressos Compania Naviera S. A. et autres contre Belgique, req. n°17849/91, § 27). La CourEDH aurait pu transposer cette jurisprudence en France mais elle a préféré mettre en avant la différence d’objet et de nature des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité, en particulier la plus-value du contrôle in concreto de conventionnalité par rapport au contrôle in abstracto exercé par le Conseil constitutionnel. Plusieurs décisions confirment cette prise de position. On peut citer ainsi, récemment, la décision d’irrecevabilité de la requête qui contestait la conventionnalité du passe sanitaire (CourEDH, 7 octobre 2021, Zambrano contre France, req. n°41994/21 ; voir, dans le même sens, CourEDH, 16 janvier 2018, Charron et Merle-Montet contre France, req. n°22612/15 et CourEDH, 5 mai 2020, Graner contre France, req. n°84536/17).
→ La QPC, l’intensification de la prise en compte de la ConvEDH et du dialogue entre les juges
Une QPC qui multiplie les points de contact entre les deux juges et les possibilités de prise de décisions différentes
748 • La prise en compte de la jurisprudence de la CourEDH dans les décisions du Conseil a été, au départ, relativement rare et toujours implicite. Elle a surtout été l’objet, selon la formule d’Olivier Dutheillet de Lamothe, d’un « dialogue sans parole » entre le juge constitutionnel et le juge européen. La QPC change la donne et multiplie les points de contacts entre les deux droits. Il peut toujours exister des prises de position différentes entre les deux juges. On peut faire référence, ici, à la jurisprudence sur l’indépendance du parquet. Les motivations de principe qui avaient amenées à la condamnation de la France par la CourEDH, parce que les membres du ministère public ne remplissaient pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif et ne pouvaient être considérés comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5-3 ConvEDH (CourEDH, 23 novembre 2010, Moulin contre France, req. no 37104/06), n’ont pas été transposées par le juge constitutionnel. Ce dernier a admis, au contraire, que le parquet pouvait valablement contrôler les gardes à vue malgré sa dépendance à l’égard de l’exécutif (CC, no2011-133 QPC, 24 juin 2011, M. Kiril Z. [Exécution du mandat d’arrêt et du mandat d’amener], JO, 25 juin 2011, p. 10840, Rec. CC, p. 296). La question du droit à connaître ses origines ou de faire connaitre sa filiation a également fait l’objet d’une divergence entre les deux juges. Pour le Conseil constitutionnel, le droit au respect de la vie privée et à la vie familiale n’implique pas la reconnaissance de ce droit (CC, no2011-173 QPC, 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres [Conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d’actions en matière de filiation], JO, 1eroctobre 2011, p. 16528, Rec. CC, p. 481 où l’interdiction de recourir à l’identification par les empreintes génétiques sur une personne décédée, dans une procédure civile en matière de filiation n’est pas contraire à la Constitution). La CourEDH, au contraire, fait primer, de façon générale, le droit d’accès aux origines paternelles (CourEDH 13 juillet 2006, Jäggi contre Suisse, req. n°58757/00 ; CourEDH, 16 juin 2011, Pascaud contre France, req. n°19535/08 ; CourEDH, 5 mai 2009, Ménendez Garcia contre Espagne, req. n°21046/07).
Le principe non bis in idem : un exemple de divergence d’interprétation
749 • Le Conseil Constitutionnel n’a jamais adhéré à la conception européenne du principe non bis in idem qui interdit de poursuivre ou de juger pénalement une personne pour une seconde infraction si celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (Cf. article 4 du Protocole n°7 additionnel à la ConvEDH ; CourEDH, 10 février 2009, Zolotoukhine contre Russie, req. n°149-39/03 ; CourEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et autres contre Italie, req. n°18640/10). La doctrine avait logiquement conclu à la nécessité d’adopter une conception extensive du principe non bis in idem interdisant le cumul, pour des faits, sinon « identiques », du moins, « qui sont en substance les mêmes », de sanctions pénales et de sanctions administratives de même nature ou non relevant de la « matière pénale » au sens de l’article 6-1 ConvEDH. Le juge constitutionnel n’a pas suivi la logique ainsi développée. Il a d’abord réaffirmé l’indépendance des actions de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) et de la juridiction pénale (CC, n° 2014-423 QPC, 24 octobre 2014, M. Stéphane R. et autres [Cour de discipline budgétaire et financière], JO, 26 octobre 2014, p. 17776). Il s’est prononcé, ensuite, dans les très médiatiques affaires « EADS » (CC, n°2014-453/454 QPC et n°2015-462 QPC du 18 mars 2015, M. John L. et autres [Cumul des poursuites pour délit d’initié et des poursuites pour manquement d’initié], JO, 20 mars 2015, p. 5183), « Cahuzac » (du nom de l’ancien ministre des finances, CC, n°2016-546 QPC, 24 juin 2016, M. Jérôme C. [Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale], JO, 30 juin 2016, texte n°111) ou « Wildenstein » (du nom d’un célèbre marchand d’art : CC, n°2016-545 QPC, 24 juin 2016, M. Alec W. et autre [Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale], JO, 30 juin 2016, texte n°110). Les décisions prises dans l’affaire « EADS » (suspicion de délit d’initié de la part des hauts dirigeants d’Airbus et d’EADS lors de l’exercice de leurs stock-options avant l’annonce publique des retards de livraison du gros porteur A380), relatives au cumul de sanctions disciplinaires et pénales, ont pu entrainer, outre la relaxe des mis en cause, la modification législative du 21 juin 2016 (Loi n°2016-731 du 3 juin 2016 (JO, 4 juin 2016, texte n°1) renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale), qui met fin, depuis le 1er septembre 2016, aux doubles poursuites devant le juge pénal et devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers. Pour le reste, le Conseil constitutionnel est resté ferme sur la possibilité de condamner un fraudeur fiscalement et pénalement en affirmant, de manière constante, que le « principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts ». La méconnaissance de ce principe de nécessité des délits et des peines n’est retenue qu’en cas de réunion de quatre conditions tenant à une qualification identique des faits, la protection du même intérêt social, l’existence de sanctions de même nature et la compétence du même ordre de juridiction. A noter que dans les décisions « Cahuzac » et « Wildenstein », le Conseil a supprimé la 4ème condition relative à l’identité de l’ordre juridictionnel (la formule de principe se contentant dorénavant de faire simplement référence à des « corps de règles distincts » sans plus évoquer « selon leur propre ordre de juridiction »).
Le principe non bis in idem : un exemple de persistance de désaccord
750 • De nouveau confronté à la question de la compatibilité du cumul de poursuites et de sanctions pénales devant la CDBF et devant le juge pénal, le juge constitutionnel a maintenu sa position contraire à celle de la Cour EDH (CC, n°2016-550 QPC, 1er juillet 2016, M. Stéphane R. et autre [Procédure devant la cour de discipline budgétaire et financière], JO, 2 juillet 2016, texte n°104). Saisi de la conformité à la Constitution du cumul des poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public, le juge a concédé que les dispositions contestées rendaient possible un mécanisme de double poursuite et de double sanction mais que ce dernier ne pouvait plus trouver à s’appliquer dès lors que la seconde autorité de poursuite ne peut plus poursuivre dès lors que des poursuites ont déjà été engagées (CC, n°2016-572 QPC, 30 septembre 2016, M. Gilles M. et autres [Cumul des poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public], JO, 2 octobre 2016, texte n°59 à propos du possible cumul de poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public). Pour terminer, des sanctions peuvent être considérées comme identiques même si elles sont établies par des juges différents (les sanctions de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer peuvent être prononcées par le juge civil ou le juge commercial et elles se révèlent identiques à celles pendantes devant le juge pénal pour les mêmes manquements constitutifs du délit de banqueroute). Si le juge prononce des sanctions différentes (le juge pénal peut condamner l’auteur du délit de banqueroute à une peine d’emprisonnement et à une peine d’amende mais aussi à plusieurs autres peines complémentaires d’interdictions), le cumul n’est pas prohibé (CC, n°2016-570 QPC et n°2016-573 QPC, 29 septembre 2016, M. Pierre M. et M. Lakhdar Y. [Cumul des poursuites pénales pour banqueroute avec la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire et cumul des mesures de faillite ou d’interdiction prononcées dans ces cadres], JO, 1eroctobre 2016, texte n° 57 et n°58).
Le principe non bis in idem : un exemple de dialogue des juges qui amène, au final, à une position commune (1)
751 • Ce faisant, la France, comme d’autres pays européens, a clairement exprimé, à travers les décisions du Conseil, son désaccord à l’égard de la jurisprudence de la CourEDH et souligné les dangers de son application littérale pour notre droit national. La CJUE a fait de même (CJUE, 7 mai 2013, Aklagaren contre Hans Akerberg Fransson, Aff. n°C-617/10, §37 et CJUE, 5 avril 2017, Massimo Orsi et Luciano Baldetti contre Italie, Aff.n°C-217/15 et n°C-350/15, §27) qui, après avoir souligné que plusieurs grands Etats avaient refusé de ratifier le protocole n°7 (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Turquie) et que d’autres avaient accompagné leur ratification de réserves (Autriche, France, Italie, Portugal), a jugé que l’article 50 de la CDFUE, qui reprend pourtant l’article 4 du protocole en question, ne s’opposait pas, en matière de fraude à la TVA, au prononcé successif d’une sanction fiscale et d’une sanction pénale. Ce dialogue des juges a amené la CourEDH à changer sa jurisprudence, cette dernière autorisant dorénavant dans son principe, la double poursuite pénale et fiscale et admettant que, pour un même fait, des sanctions de nature différente puissent être prononcées par des autorités différentes à condition que les procédures administrative et pénale soient étroitement imbriquées entre elles, matériellement et temporellement (CourEDH, 15 novembre 2016, A. et B. contre Norvège, req. n°24130/11 et n°29758/11 ; voir, notamment, D. Roets, « La question du cumul des sanctions administratives et des sanctions pénales : tango jurisprudentiel à Strasbourg », RSC 2017, p.134). Le principe non bis in idem devient applicable si les deux procédures n’ont aucun lien entre elles (CourEDH, 20 mai 2014, Nykänen contre Finlande où les sanctions pénales et fiscales avaient été infligées par des autorités différentes, avec des procédures distinctes, chaque autorité ayant fixé une peine sans tenir aucun compte de la sanction prononcée par l’autre). Le lien matériel se complète par un lien temporel (CourEDH, 30 avril 2015, Kapetanios et autres contre Grèce où le fait pour les requérants d’avoir été condamnés à une amende fiscale pour contrebande après avoir été définitivement acquittés par le juge pénal justifie l’atteinte au principe non bis in idem). En définitive, on peut affirmer, comme le relève Patrice Spinosi, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat que : « le dialogue des juges nationaux et européen est la voie naturelle de l’évolution de décisions qui, comme dans ce cas précis, sont susceptibles de bouleverser notre droit national […] en restreignant sa jurisprudence, la Cour de Strasbourg n’a pas pour autant capitulé. Elle illustre, à l’inverse, ce que doit être l’équilibre du système des protections des droits de l’homme en Europe. Un mélange de vigilance et de pragmatisme […]).
Le principe non bis in idem : un exemple de dialogue des juges qui amène, au final, à une position commune (2)
752 • Dans trois arrêts de principe, rendu en Grande chambre, le 20 mars 2018, la CJUE a confirmé le nouvel état du droit et a rejoint le dialogue des juges en affirmant qu’il peut exister des limitations au principe non bis in idem et qu’en pratique, les législations nationales peuvent prévoir un cumul de sanctions à finalité répressive, dès lors qu’il existe un motif d’intérêt général et que les sanctions ont des objectifs complémentaires (CJUE, GC, 20 mars 2018, Garlsson Real Estate SA, Stefano Ricucci et Magiste International SA contre Consob, Aff. n°C-537/16, ; CJUE, GC, 20 mars 2018, Procédure pénale contre Luca Menci, Aff. n°C-524/15 ; CJUE, 20 mars 2018, Enzo Di Puma contre Consob et Consob contre Antonio Zecca, Aff. n° C-596/16 et C-597/16). Si on peut parler ainsi d’un retour à l’orthodoxie, l’approche des juges s’opère plutôt aujourd’hui dans une démarche plus concrète par rapport au cas donné, démarche qui est moins formaliste que par le passé et déterminée davantage au cas par cas. Une décision récente prise par le juge constitutionnel dans le domaine électoral et plus précisément sur la question délicate du cumul répressif en cas de dépassement du plafond de dépenses par un ancien candidat à l’élection présidentielle, en l’occurrence Nicolas Sarkosy, confirme cette nouvelle approche (CC, n°2019-783-QPC, 17 mai 2019, M. Nicolas S. [Cumul de poursuites et de sanctions en cas de dépassement du plafond de dépenses par un candidat à l’élection présidentielle], JO, 18 mai 2019, texte n°62). Le Conseil a rejeté les arguments invoqués, conformément à ce qu’il avait déjà jugé auparavant, en considérant que le cumul de sanctions administratives, prononcées par la CNCCFP puis par le Conseil constitutionnel, et de sanctions pénales, prononcées par le juge judiciaire, était possible car « les deux répressions prévues par les dispositions contestées relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente » (cons. n°14).
Le principe non bis in idem : des soucis qui persistent néanmoins au-delà des apparences
753 • Les dernières décisions prises par le juge européen (CourEDH, GC, 8 juillet 2019, Mihalache contre Roumanie, req. n° 54012/10 ; CourEDH, 6 juin 2019, Nodet contre France, req. n°47342/14) illustrent néanmoins des soucis persistants dans l’application commune, entre les juges, des règles touchant au principe non bis in idem. Il ressort des faits de l’espèce de l’arrêt « Nodet », par exemple, que le requérant s’était vu infliger une double sanction pour des faits de manipulation de marché, une sanction financière par l’AMF puis, au pénal, une peine d’emprisonnement avec sursis. Il invoquait une violation de l’article 4 du Protocole n° 7 ConvEDH. Dans une réponse logique, le juge européen, après avoir constaté la nature pénale des sanctions en question et l’identité des faits poursuivis, applique le critère de la complémentarité des procédures (tel que précisé par le juge européen dans son arrêt « A. et B. » et par le juge constitutionnel). Il conclut, sans réelle surprise, à la violation de de l’article 4 précité du fait de l’absence de lien matériel entre les deux procédures compte tenu des buts visés par elles et surtout de leur absence de lien temporel suffisamment étroit pour pouvoir les considérer comme s’inscrivant dans le mécanisme intégré de sanctions prévu par le droit français. En apparence, la décision est ainsi conforme à la jurisprudence de la CJUE dans la mesure où cette dernière pose, dans les dernières décisions mentionnées, des principes applicables à tout cumul répressif pénal/administratif, même en matière fiscale en se fondant sur « des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union » et sur la complémentarité de but des procédures répressives permettant d’assurer la réalisation desdits objectifs. Mais certains auteurs ont pu pointer, au-delà des apparences, une certaine contradiction entre le juge européen et le juge de l’Union notamment au sujet de la notion de complémentarité. Si cette dernière « est mise en avant par la CJUE, elle ne constitue qu’un critère parmi d’autres pour la CEDH afin d’apprécier le lien matériel permettant d’établir l’intégration dans un tout cohérent des procédures mixtes. Ces critères permettent à la Cour de Strasbourg de disposer d’une large marge d’appréciation, peu compatible avec les principes de prévisibilité et de sécurité juridique » (F. Stasiak, « Démêlage de « nœuds » bis in idem ? », RSC 2019, p. 383 et suiv.).
→ Une convergence et une complémentarité nouvelle : la réception de la jurisprudence européenne par le juge de la QPC
Des liens explicites dans les raisonnements menés par les deux juges
754 • Le Conseil constitutionnel ne peut plus se permettre d’ignorer la jurisprudence de la CourEDH. Il existe beaucoup d’exemples significatifs, dès les débuts de la QPC, qui témoignent de liens assez explicites sur la façon de raisonner entre les deux juges. On peut ainsi citer la première décision QPC sur la cristallisation des pensions de retraite des anciens combattants indigènes (CC, no 2010-1 QPC, 28 mai 2010, Consorts L. [Cristallisation des pensions], précité) qui apparait largement inspirée par la jurisprudence européenne (Cf. CourEDH, 16 mars 2010, Carson et autres contre Royaume-Uni, req. n°42184/25) lorsque le Conseil retient le critère du lieu de résidence et donc du pouvoir d’achat pour le calcul des pensions, critère qui doit s’appliquer à tous, y compris pour les français résidant à l’étranger. Dans le même ordre d’idée, on peut évoquer la jurisprudence reconnaissant la constitutionnalité de l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe (CC, 28 janvier 2011, no2010-92 QPC, Mme Corinne C et autre [Interdiction du mariage entre personnes de même sexe], JO, 29 janvier 2011, p. 1894, Rec. CC, p. 87 qui profite de la marge d’appréciation laissée aux Etats comme reconnue dans la décision CourEDH, 24 juin 2010, Schalk et Kopf contre Autriche, req. n°30141/04) ou celle sur l’accouchement « sous X » (CC, no 2012-248 QPC,16 mai 2012, M. Mathieu E. [Accès aux origines personnelles], JO, 17 mai 2012, p. 9154, Rec. CC, p. 270 où le droit au respect de la vie privée n’implique pas un droit d’accès aux origines conformément à la jurisprudence européenne qui a admis que la législation française de l’accouchement « sous X » n’était pas contraire à l’article 8 ConvEDH : CourEDH, 13 février 2003, Odièvre contre France, req. n°42326/98). Une des illustrations concrètes de cette proximité nouvelle entre les juges réside dans la chronique désormais mise en place, depuis 2013, dans les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel par Hélène Surell et qui analyse les décisions rendues sur la QPC à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH (Voir les différentes chroniques pour l’ensemble des décisions citées ci-après). Qu’il s’agisse de droits procéduraux, notamment tout ce qui a trait au procès équitable, ou de droits substantiels, les décisions analysées témoignent de la convergence et de la complémentarité des contrôles respectifs.
La réception des règles du procès équitable : le principe d’indépendance et d’impartialité
755 • Les décisions QPC relatives aux droits procéduraux attestent de la réception par le juge constitutionnel de la jurisprudence relative au droit à un procès équitable. S’agissant, en premier lieu, du respect effectif du droit à être jugé par un tribunal impartial et indépendant, le Conseil a pu juger que, lorsque l’Autorité de la concurrence prononce des sanctions ayant le caractère d’une punition, elle est tenue, au regard de l’article 16 DDHC, de respecter le principe d’impartialité objective (CC, n°2012-280 QPC, 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autres[Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction], JO, 13 octobre 2012, p. 16031, Rec. CC, p. 529). Une telle jurisprudence est conforme à l’interprétation de la CourEDH qui l’applique à tous les tribunaux au sens de la ConvEDH qu’il s’agisse ou non de juridictions de type classique ou de simples autorités administratives indépendantes au sens du droit français (CourEDH, 27 août 2002, Didier contre France, req. n°58188/00). Plus spécifiquement, sur le principe d’indépendance, la décision Mme Valérie C. (CC, n˚2014-457 QPC, 20 mars 2015, Mme Valérie C., épouse D. [Composition du conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire], JO, 9 du 22 mars 2015, p. 5345) confirme le lien entre les jurisprudences concernant la présence de fonctionnaires au sein des juridictions ordinales. Pour la CourEDH, leur présence n’est pas en soi contraire aux règles du procès équitable mais l’exigence d’indépendance nécessite qu’elle s’accompagne de garanties appropriées, les pouvoirs publics ne devant pas pouvoir leur adresser des instructions relatives à leurs activités juridictionnelles (Cour EDH, 23 avril 1987, Ettl et autres contre Autriche, req. n°9273/81, série A, n°117, §§ 38-40, présence de fonctionnaires du bureau du gouvernement au sein des commissions régionale et suprême de la réforme agraire). Dans la décision mentionnée, le Conseil constate, comme le ferait le juge européen, que l’indépendance des fonctionnaires concernés vis-à-vis de l’exécutif n’est pas assurée, au regard de l’article 16 DDHC puisqu’ils représentent les ministres (cons. n°6).
La réception des règles du procès équitable : le droit à un recours effectif (1)
756 • S’agissant du droit à un recours effectif, le Conseil interprète la DDHC conformément à la jurisprudence européenne en dictant ainsi son interprétation au juge ordinaire. Confronté à la question de l’absence de recours en matière de visites et saisies domiciliaires, le Conseil a jugé à propos de dispositions du Code du travail concernant les infractions au droit du travail (CC, n°2014-387 QPC, 4 avril 2014, M. Jacques J. [Visites domiciliaires, perquisitions et saisies dans les lieux de travail], JO, 5 avril 2014, p. 6480, texte n°3) ou du Code des douanes concernant des visites de navire par les agents des douanes (CC, n°2013-357 QPC, 29 novembre 2013, Société Wesgate Charters Ltd [Visite des navires par les agents des douanes], JO, 1er décembre 2013, p. 19603, Rec. CC, p. 1053), que ces dispositions, soumises à son contrôle, méconnaissaient les exigences découlant de l’article 16 DDHC en ce qu’il ne faut pas porter d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction et l’a jugé contraire à la Constitution. Conformément à la jurisprudence européenne, la personne concernée doit, en effet, pouvoir contester, en fait comme en droit, tant la régularité de la décision d’autorisation de tels actes que celle des mesures prises sur son fondement (CourEDH, 21 février 2008, Ravon et autres contre France, req. n°18497/03,§§ 28-30 à propos de visites domiciliaires effectuées par l’administration fiscale). Dans le même ordre d’idée, on peut citer la décision M. Laurent L. (CC, n°2014-403 QPC, 13 juin 2014, M. Laurent L. [Caducité de l’appel de l’accusé en fuite], JO, 15 juin 2014, p. 9972) qui concerne la possibilité pour le président d’une Cour d’assise de prononcer la caducité de l’appel lorsque l’accusé a pris la fuite et n’a pu être retrouvé avant l’ouverture de l’audience ou au cours de son déroulement. La disposition porte une atteinte disproportionnée, selon le Conseil, au droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où elle prive l’accusé du « droit de faire réexaminer l’affaire par la juridiction saisie du seul fait que, à un moment quelconque du procès, il s’est soustrait à l’obligation de comparaître tout en rendant immédiatement exécutoire la condamnation contestée » (cons. n°6). Là encore, la décision est conforme à la jurisprudence de la CourEDH qui condamne les dispositifs empêchant le prévenu ou l’accusé en fuite de bénéficier de l’assistance d’un avocat ou d’exercer des voies de recours. Elle juge, par exemple, que l’obligation de se constituer prisonnier pour pouvoir exercer les voies de recours est disproportionnée « eu égard à la place primordiale que les droits de la défense et le principe de la prééminence du droit occupent dans une société démocratique » (CourEDH, 23 novembre 1993, Poitrimol contre France, req. n°14032/88, §38 où irrecevabilité du pourvoi en cassation en raison de la fuite de l’intéressé).
La réception des règles du procès équitable : le droit à un recours effectif (2)
757 • Toujours sur le droit au recours effectif, le Conseil veille au respect du « bref délai » au sens de la jurisprudence de la CourEDH sur l’article 5 § 4 ConvEDH (par ex., CourEDH, 28 mars 2000, Baranowski contre Pologne, req. n°28358/95, §68) en rappelant, à propos d’une ordonnance de placement en détention provisoire ou de refus de mise en liberté, « qu’en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais » (CC, n°2014-446 QPC, 29 janvier 2015, M. Maxime T. [Détention provisoire – examen par la chambre de l’instruction de renvoi], JO, 31 janvier 2015, p. 1502, cons. n°8). Si la disposition n’est pas jugée contraire à l’article 16 DDHC, il faut que les autorités judiciaires veillent, sous le contrôle de la Cour de cassation, « au respect de cette exigence y compris lorsque la chambre de l’instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation » (cons. 8). Le juge constitutionnel a aussi précisé, en 2016, le régime de la détention provisoire des personnes faisant l’objet d’une mesure d’extradition (CC, n°2016-561/562 QPC, 9 septembre 2016, M. Mukhtar A. [Ecrou extraditionnel], JO, 15 septembre 2016, texte n°59) ou d’un mandat d’arrêt européen (CC, n°2016-602 QPC, 9 décembre 2016, M. Patrick H.[Incarcération lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen], JO, 11 décembre 2016, texte n°103), dans la droite ligne de la jurisprudence européenne relative au droit à la liberté et à la sureté de l’article 5-4 ConvEDH. La décision souligne l’importance, pour le magistrat du siège, de pouvoir prendre la décision de laisser la personne en liberté dans la mesure où le procureur général qui a décidé de ne pas laisser la personne en liberté n’est pas « un juge […] ou autre magistrat habilité à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l’article 5-1 et 5-3 ConvEDH (Cour EDH, 23 novembre 2010, Moulin contre France, req. n°37104/06,§ 59). Pour le Conseil constitutionnel, le droit à un recours effectif est bien garanti puisque l’intéressé peut, à tout moment, demander sa mise en liberté à la chambre de l’instruction et, dès lors, contester la régularité de l’ordonnance d’incarcération. Enfin, il rappelle, en écho à la jurisprudence européenne, qu’outre le fait que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais (respectivement §17 et § 20 dans les deux décisions), ce dernier doit contrôler la durée de l’incarcération et faire « droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention, dans le cadre de la procédure d’extradition, excède un délai raisonnable » (§ 21 et §26). Pour la CourEDH, la libération d’une personne en détention provisoire s’impose dès que le maintien en détention n’est plus raisonnable (Cour EDH, 27 juin 1968, Neumeister contre Autriche, req. n°1936/63).
La réception des droits substantiels : le droit à la liberté d’expression
758 • Au-delà de la convergence des jurisprudences constitutionnelle et européenne en matière de droits procéduraux, on peut aussi évoquer celle concernant les droits substantiels. En premier lieu, on peut parler du droit fondamental à la liberté d’expression. Le juge constitutionnel a ainsi pu se prononcer sur l’exception de vérité en matière de diffamation (art. 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) selon laquelle la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf, notamment, pour des faits amnistiés ou prescrits. En constatant la règle comme contraire à l’article 11 DDHC (CC, n°2011-131 QPC, 20 mai 2011, Mme Térésa C. et autre [Exception de vérité des faits diffamatoires de plus de dix ans], JO, 20 mai 2011, p. 8890, Rec. CC, p. 244 et CC, n°2013-319 QPC, 7 juin 2013, M. Philippe B. [Exception de vérité des faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision], JO, 9 juin 2013, p. 9632, Rec. CC, p. 814), le Conseil permet à la France de répondre aux conséquences de sa condamnation par la CourEDH quant au caractère restrictif de cette exception (CourEDH, 7 novembre 2006, Mamère contre France, req. no12697/03 où Noel Mamère n’avait pu apporter la vérité des faits relatifs à des propos tenus dix ans auparavant par un haut fonctionnaire selon lequel le nuage de Tchernobyl se serait arrêté aux frontières de la France) tout en s’alignant sur la jurisprudence européenne (en jugeant que « par son caractère général et absolu, cette interdiction porte à la liberté d’expression une atteinte qui n’est pas proportionnée au but poursuivi», respectivement cons. n°6 et cons. n°9 dans les décisions précitées). Le juge européen agi de même en considérant que les restrictions à la liberté d’expression sont d’interprétation stricte lorsqu’est en cause un discours ou un débat politique ou un « sujet d’intérêt général ». L’article 10 ConvEDH a ainsi pu être violé, s’agissant de propos portant sur une question d’intérêt public, quand l’exception de vérité est impossible en raison d’une protection spéciale touchant certaines hautes autorités de l’Etat (voir, par ex., CourEDH, 15 mars 2011, Otegi Mondragon contre Espagne, req. n°2034/07 à propos d’un délit d’injure grave au Roi) ou un Etat étranger (CourEDH, 25 juin 2002, Colombani et autre contre France, req. n°51279/99) voire quand la législation rend passible le requérant d’une condamnation pénale pour diffamation et pour avoir reproché à un homme politique un délit pénal passé (CourEDH, 28 août 1992, Schwabe contre Autriche, req. n°13704/88, §32).
La réception des droits substantiels : le droit au respect de la vie privée
759 • On peut aussi évoquer au titre des droits substantiels, le droit au respect de la vie privée. Le juge constitutionnel a mis en place sa jurisprudence lors de la fixation des perquisitions administratives, à domicile de jour comme de nuit dans le cadre de l’Etat d’urgence. Après avoir censuré les dispositions qui permettaient de copier des données informatiques (CC, n°2016-536 QPC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence], JO, 21 février 2016, texte n° 27) et avant de censurer l’absence de garanties légales dans la conservation des données pour laquelle le législateur n’a prévu aucun délai après la fin de l’Etat d’urgence (CC, n°2016-600 QPC, 02 décembre 2016, M. Raïme A. [Perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence III], JO, 4 décembre 2016, texte n°29), ce dernier a pu constater l’inconstitutionnalité du régime de ces mêmes perquisitions, leur recours étant soumis à aucune condition et leur mise en œuvre n’étant encadré par aucune garantie. Pour le juge constitutionnel, le législateur n’a pas assuré, dans ce cadre, une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée (CC, n°2016-567/568 QPC, 23 septembre 2016, M. Georges F. et autre [Perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence II], JO, 25 septembre 2016, texte n°28). Cette jurisprudence est conforme à celle de la CourEDH qui exige, dans ce cadre, des « garanties adéquates et suffisantes contre l’arbitraire », a fortiori lorsque les autorités sont habilitées à effectuer des perquisitions sans mandat judiciaire, ce qui implique alors « un encadrement légal et une limitation des plus stricts de tels pouvoirs » (CourEDH, 10 novembre 2015, Slavov et autres contre Bulgarie, req. n°58500/10, § 144). La CourEDH a pu être amené, dans le cadre d’inspections en matière de concurrence, à conclure à une violation de l’article 8 ConvEDH en raison de « l’absence d’une autorisation préalable d’un juge, d’un contrôle effectif a posteriori de la nécessité de la mesure contestée et d’une réglementation relative à une éventuelle destruction des copies obtenues » (CourEDH, 2 octobre 2014, Delta Pekarny contre République Tchèque, req. n°97/11, § 91 et 92).
La réception des droits substantiels : la question de la notion de « domicile »
760 • Le Conseil constitutionnel a aussi développé, au même titre que la CourEDH, une conception assez large de la notion de domicile en considérant qu’un navire (CC, n°2013-357 QPC, 29 novembre 2013, Société Wesgate Charters Ltd [Visite des navires par les agents des douanes], JO, 1erdécembre 2013, p. 19603, Rec. CC, p. 1053), un lieu de travail (CC, n° 2014-387 QPC, 4 avril 2014, M. Jacques J. [Visites domiciliaires, perquisitions et saisies dans les lieux de travail], JO, 5 avril 2014, p. 6480) ou une construction en cours (CC, n°2015-464 QPC, 9 avril 2015, M. Marc A. [Délit d’obstacle au droit de visite en matière d’urbanisme], JO, 11 avril 2015, p. 6538) pouvaient être considérés comme un « domicile ». Le juge européen rappelle, lui, que la notion de « domicile » au sens de l’article 8 ConvEDH ne se limite pas au domicile légalement occupé ou établi, mais qu’il s’agit d’un concept autonome qui ne dépend pas de sa qualification en droit interne. Il faut tenir compte des circonstances factuelles, notamment de l’existence de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé (Voir, par ex., CourEDH, 25 septembre 1996, Buckley contre Royaume-Uni, req. n°20348/92, § 54 ; CourEDH, 21 juin 2001, Orlic contre Croatie, req. n°48833/07, § 54 ou, plus récemment, CourEDH, 16 mai 2019, Halabi contre France, req. n° 66554/14, §41). Des locaux professionnels (CourEDH, 16 avril 2002, Sociétés Colas Est et autres contre France, req. n°37971/97), un domicile illégal (CourEDH, 11 octobre 2016, Bagdonavicius et autres contre Russie, req. n°19841/08), les abords du domicile (CourEDH, 9 novembre 2010, Dees C. contre Hongrie, req. n°2345/06) ou une résidence secondaire (CourEDH, 16 mai 2019, Halabi contre France précité) peuvent ainsi être protégés par la ConvEDH. Il ne faut pas tenir compte ainsi du simple espace physique que constitue le domicile, il faut ajouter la jouissance paisible, dans des limites raisonnables, dudit espace contre des nuisances telles que les bruits, les émissions ou les odeurs.
Les cas où le juge de la QPC va plus loin que le juge européen
761 • Si la convergence des jurisprudences est indéniable, il y a des cas où le Conseil constitutionnel va plus loin que le juge européen. On peut citer, à titre d’exemple, dans le cadre du droit au recours effectif, la remise en cause par le Conseil de l’article 575 CPP qui limitait la possibilité pour la partie civile de se pourvoir en cassation contre un arrêt de la chambre d’instruction (CC, n°2010-15/23 QPC, Région Languedoc-Roussillon et autres [Article 575 du code de procédure pénale], JO, 24 juillet 2010, p. 13727, Rec. CC, p. 161) alors que la CourEDH avait admis la compatibilité de ce même article avec l’article 6-1 ConvEDH. Dans le même ordre d’idée, il y a des cas où le Conseil adopte une approche plus protectrice que celle du juge européen. C’est le cas lorsqu’il consacre, pour la première fois, la liberté constitutionnelle de mettre fin aux liens du mariage, en tant que composante de la liberté personnelle des articles 2 et 4 DDHC (CC, n°2016-557 QPC, 29 juillet 2016, M. Bruno B. [Prononcé du divorce subordonné à la constitution d’une garantie par l’époux débiteur d’une prestation compensatoire en capital], JO, 31 juillet 2016, texte n°34). La CourEDH juge, certes, que le droit, pour les personnes divorcées, de se remarier ne doit pas être soumis à des restrictions déraisonnables (Cour EDH, 18 décembre 1987, F. contre Suisse, req. n°11329/85, §38 ou CourEDH, 27 novembre 2012, V.K. contre Croatie, req. n°38380/08, §106) mais elle a rappelé, encore dernièrement, que la ConvEDH n’impose pas la légalisation du divorce ni ne contient de droit individuel au divorce (CourEDH, 10 janvier 2017, Babiarz contre Pologne, req. n°1955/10 et CourEDH, 22 novembre 2016, Andrzej Piotrowski contre Pologne, req. n°8923/12). Enfin, le juge constitutionnel est également plus protecteur dans le cadre du droit au logement. Il a pu rappeler ainsi que l’obligation de relogement, en cas d’éviction définitive, met en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (CC, n°2016-581 QPC, 05 octobre 2016, Société SOREQA SPLA [Obligation de relogement des occupants d’immeubles affectés par une opération d’aménagement], JO, 7 octobre 2016, texte n° 127). Le juge européen ne va pas aussi loin, il considère que le droit au respect du domicile énoncé à l’article 8 ConvEDH ne garantit pas un droit au logement (CourEDH, 18 janvier 2001, Chapman contre Royaume-Uni, req. n°27238/95, §9). Certes, la CourEDH a pu constater que l’inexécution d’un jugement enjoignant à l’Etat d’assurer le relogement d’une personne, sur le fondement de la loi dite DALO, viole le droit à l’exécution des décisions de justice (CourEDH, 9 avril 2015, Tchokontio contre France, req. n°65829/12) mais elle ne va pas jusqu’à ériger le droit au logement en véritable droit conventionnellement protégé, tout au plus est-il reconnu comme un « intérêt conventionnellement protégé » (Voir, en ce sens, F. Tulkens et S. Van Drooghenbroeck, « Le droit au logement dans la Convention européenne des droits de l’homme. Bilan et perspectives », www.rtdh.eu, 2005 [En ligne]).
Les cas où le juge de la QPC va moins loin que le juge européen : l’exemple de la question lancinante de l’indépendance des magistrats du parquet (1)
762 • ll a été demandé au Conseil constitutionnel de mettre fin à la règle selon laquelle les magistrats du parquet sont placés « sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice » (article 5 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 (JO, 23 décembre 1958, p. 11551) portant loi organique relative au statut de la magistrature). Par une décision du 8 décembre 2017, Union syndicale des magistrats, le juge de la QPC y répond en désignant les magistrats du parquet comme appartenant à l’autorité judiciaire, et comme tel constitutionnellement indépendant, mais également et « dans le même temps », comme correspondant privilégié du pouvoir exécutif auprès de la justice (CC, n° 2017-680 QPC, 8 décembre 2017, Union syndicale des magistrats [Indépendance des magistrats du parquet], JO, 9 décembre 2017, texte n°186). Même si celui-ci est sans surprise, le raisonnement suivi par le juge de la QPC a été assez unanimement critiquée (B. de Lamy, « Indépendance des magistrats du parquet : la méthode Coué au Conseil constitutionnel », RSC 2018, p. 163 et suiv. ; S ; Roussel, « Indépendance des juridictions : deux poids, deux mesures ? », AJDA 2018, p. 966 et suiv. ; J. Roux, « Le parquet au milieu du gué », AJDA 2018, p. 509 et suiv. ; E. Alt, « Le Conseil constitutionnel manque un rendez-vous historique », https://blogs.mediapart.fr, 8 décembre 2017 ; G. Moréas, « Les procureurs ont perdu leur ombre », https://www.lemonde.fr, 10 décembre 2017 ; J.-B. Jacquin, « L’indépendance du parquet attendra une éventuelle réforme de la Constitution », https://www.lemonde.fr, 8 décembre 2017 ; P. Cassia, « Magistrats du parquet : une indépendance tout en nuance », https://blogs.mediapart.fr, 12 décembre 2017 ; V. Duval, « Indépendance du parquet : rêve inaccessible après la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2017 ? », GP 2018, 6 février, p. 31 et suiv.). Comme peut le noter Bertrand de Lamy, la « décision rendue pêche par manque d’argumentation, se contentant étonnamment d’un : « c’est comme cela, parce que c’est l’inverse », puisque le Conseil expose quasiment sans aucune explication des textes qui affirment clairement la dépendance du Ministère public pour en déduire une indépendance différente de celle des magistrats du siège. Une telle conclusion ne peut être que l’aboutissement d’une lecture essentiellement biaisée des textes constitutionnels mêlée d’une forte capacité d’auto-persuasion » (B. de Lamy, « « Indépendance des magistrats du parquet : la méthode Coué au Conseil constitutionnel », précité). Le juge constitutionnel a, récemment, confirmé la logique de la décision prise en 2017 en déclarant la transmission de rapports particuliers par les procureurs à leur autorité hiérarchique (article 35 al. 3 CPP) conforme à la Constitution (CC, n° 2021-927 QPC, 14 septembre 2021, Ligue des droits de l’homme [Transmission de rapports particuliers par les procureurs à leur autorité hiérarchique], JO, 16 septembre 2021, texte n°75). Les pressions pour un statut adapté sont, pourtant, de plus en plus fortes eu égard à la spécialisation des parquets, au fonctionnement futur du parquet européen et, bien entendu, de l’interprétation du juge européen quant à la notion d’autorité judiciaire (voir, en ce sens, F. Molins et A. Taleb-Karlsson, « Plaidoyer pour une indépendance statutaire des magistrats du parquet », AJ Pénal 2021, p. 23 et suiv. ou D. Boccon-Gibod, « Le statut du parquet, toujours et encore », AJ Pénal 2020, p. 321 et suiv.).
Les cas où le juge de la QPC va moins loin que le juge européen : l’exemple de la question lancinante de l’indépendance des magistrats du parquet (2)
763 • La CourEDH a, à l’inverse du juge constitutionnel, une position, pourtant, assez claire sur le problème en refusant de reconnaître aux magistrats du parquet la qualité de « juge », faute pour le ministère public de présenter des garanties d’indépendance suffisantes. Le juge européen ne condamne pas à proprement parler le système français mais il ne considère pas les membres du parquet comme des « magistrats habilités à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l’article 5 § 3 ConvEDH (CourEDH, 10 juillet 2008, Medvedyev contre France, req. n°3394/03 où il est jugé que « le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion […] il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié » ; voir aussi CourEDH, 4 mars 2015, Hassan et autres contre France, req. n°46695/10 et n°54588/10, §88 ; CourEDH, 4 mars 2015, Ali Samatar et autres contre France, req. n°17110/10 et n°17301/10, §44). Cela leur interdit, notamment, d’assurer la garde des mesures privatives de liberté, laquelle relève des seuls magistrats du siège mais aussi d’agir, dans la suite de la procédure, contre le requérant (CourEDH, 23 novembre 2010, Moulin contre France, req. n°37104/06, § 57 et 58). S’il y a eu des avancées en réaction à cette jurisprudence (on a notamment fait en sorte, d’une part, que le garde des Sceaux ne puisse plus adresser aucune instruction dans des affaires individuelles et on a, d’autre part, consacré l’impartialité à laquelle le parquet est tenu lorsqu’il « exerce l’action publique et requiert l’application de la loi » (respectivement art. 30 et 31 CPP)), cela n’empêche toujours pas l’assimilation au statut de magistrat tel que vu par le juge européen. Ainsi si la QPC a été un moyen d’aligner au moins en partie la jurisprudence constitutionnelle sur la jurisprudence européenne concernant le droit à l’assistance effective de l’avocat en garde à vue, elle a aussi été un moyen, pour le juge constitutionnel, de réaffirmer son opposition à la CourEDH quant au statut des magistrats du parquet. S’il n’appartient pas au juge constitutionnel de réécrire la Constitution qui écarte l’idée même de pouvoir judiciaire, il y a là un accroc dans le dialogue des juges qui ne pourrait se régler que par une révision constitutionnelle mettant en œuvre un véritable régime de séparation des pouvoirs en la matière.
→ L’institutionnalisation de la fonction régulatrice de la CourEDH : les protocoles n°15 et n°16
Une institutionnalisation engendrée par la défiance de certains Etats membres à l’égard de la jurisprudence de la CourEDH
764 • Si le succès et l’audace de la CourEDH ne se dément pas aujourd’hui jusqu’à provoquer un certain engorgement du prétoire de la Cour, il n’a pas toujours déclenché des réactions positives de la part des Etats parties. On songe notamment à l’une des plus notables de ces réactions, celle du Royaume-Uni à la suite de sa condamnation par le juge européen en raison de la privation automatique de droit de vote des détenus condamnés (CourEDH, 6 octobre 2005, Hirst n°2 contre Royaume-Uni, req. n°74025/01, violation art. 3 du 1er protocole additionnel). L’arrêt n’a pas été exécuté malgré une confirmation de celui-ci par la Cour (CourEDH, 28 novembre 2010, Greens et MT contre Royaume-Uni, req, n°60041/08 et n°60054/08). La présidence britannique du comité des ministres du Conseil de l’Europe a alors décidé d’organiser une conférence sur l’avenir de la CourEDH à Brighton (18 au 20 avril 2012) tendant à limiter les pouvoirs du juge européen. De cette conférence sont alors issus deux protocoles, le n°15, ouvert à la signature le 24 juin 2013, et le n°16, ouvert à la signature le 2 octobre 2013. Outre diverses modifications (réduction de six mois à quatre mois du délai de saisine de la Cour, suppression de la condition empêchant le rejet d’une affaire qui n’a pas été dûment examinée par une juridiction interne concernant le critère de recevabilité du « préjudice important » ou encore la suppression du droit des parties de s’opposer au dessaisissement d’une chambre au profit de la grande chambre), le protocole n°15 introduit le principe de subsidiarité et la règle de la marge nationale d’appréciation dans le préambule de la Convention (L’article 1er du protocole prévoit l’ajout d’un 5ème considérant à ce Préambule : « Affirmant qu’il incombe au premier chef aux Hautes Parties contractantes, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la présente Convention et ses protocoles, et que, ce faisant, elles jouissent d’une marge d’appréciation, sous le contrôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme instituée par la présente Convention »). Le protocole n°16, quant à lui, permet aux hautes juridictions des hautes parties contractantes d’adresser à la Cour une demande d’avis consultatif portant sur l’interprétation et l’application de la ConvEDH et ses protocoles (Voir, en général, T. Disperati et C. Tzutzuiano, Le protocole n°16 à la Convention européenne des droits de l’homme. Mise en œuvre et effets de la procédure d’avis consultatifs, PUAM, 2021 ; M. Afroukh et J.-P. Marguénaud (dir.), Le Protocole n°16 à la Convention européenne des droits de l’homme, Ed. Pédone, 2020 ; Institut Carré de Malberg Strasbourg, Les défis liés à l’entrée en vigueur du Protocole 16 à la Convention européenne des droits de l’Homme, https://journals.openedition.org/revdh/6959?file=1 ; L. Burgorgue-Larsen, « Le Protocole n° 16, entre théories et réalités du dialogue judiciaire », Revue québécoise de droit international 2020, p. 219 et suiv.). Or, plutôt que de brider ou fragiliser la CourEDH par un rôle plus important donné aux Etats, et malgré les tergiversations liées à l’adhésion de l’Union à la ConvEDH, il ressort plutôt de ces textes un renforcement de la position du juge européen.
Une institutionnalisation du principe de subsidiarité et de la marge d’appréciation des Etats qui renforce, paradoxalement, la position de la CourEDH
765 • Qualifié respectivement de « Cour « éminente » des droits de l’homme dans l’espace juridictionnel européen » (J. Andriantsimbazovina, « La Cour européenne des droits de l’Homme, cour éminente des droits de l’Homme dans la construction européenne- Quelques réflexions sur les protocoles n°15 et n°16 à la Convention européenne des droits de l’homme », LPA 2014, 10 mars, n°49, p. 6) ou de « Cour de régulation de la protection des droits de l’homme en Europe » (Ibid.), le juge européen se retrouve renforcé par la mise en place de ces deux protocoles. Ces derniers devraient, en effet, permettre à terme, dès leur entrée en vigueur (le protocole n°15 entrera en vigueur dès que les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe l’auront ratifié, au 12 septembre 2019, seuls l’Italie et la Bosnie-Herzégovine doivent encore la ratifier ; le protocole n°16 est lui entré en vigueur le 1er août 2018 puisque 10 Etats parties l’ont ratifié dont la France et il ne liera que les Etats ayant ratifié ce protocole, au 12 septembre 2019, 13 pays l’ont ratifié : voir www.coe.int), d’institutionnaliser ou de constitutionnaliser dans un texte des pratiques déjà actées dans la jurisprudence de la Cour : celle du principe de subsidiarité (Cf. Avis de la CourEDH en date du 6 février 2013 où l’Assemblée plénière de la Cour se félicite, à propos du principe de subsidiarité, des « termes dans lesquels la disposition est formulée, […] » qui « reflètent la jurisprudence de la Cour dans ce domaine » (§5)) et celle de la marge d’appréciation des Etats qui continueront, toutes les deux d’être déterminée par le juge européen.
Une institutionnalisation de la procédure d’avis consultatif qui légitime, là aussi, paradoxalement, le pouvoir d’interprétation du juge européen
766 • Concernant la procédure d’avis consultatif, seules « les plus hautes juridictions » d’un Etat contractant ont la faculté de demander l’avis (art. 1er) précision faite que le protocole laisse le soin aux Etats parties de désigner la liste de ces autorités au secrétaire général du Conseil de l’Europe (art. 10). L’idée est, par cette disposition, de faire respecter le principe de subsidiarité et de satisfaire à la condition d’épuisement des voies de recours internes de l’article 35-1 ConvEDH. Pour la France, si les cours suprêmes nationales sont en premier lieu visées, cela devrait permettre d’intégrer le Conseil constitutionnel même si la QPC n’est pas encore considérée, en l’état actuel de la jurisprudence européenne, comme une voie de recours interne à épuiser (Cf. En ce sens F. Sudre, « De QPC en Qpc… ou le Conseil constitutionnel juge de la ConventionEDH », JCP 2014, G, n°1027). La demande d’avis doit s’inscrire « dans le cadre d’une affaire pendante » devant la juridiction dont elle émane (art. 1er§2), ce qui exclut un contrôle abstrait, comme celui d’une législation. La demande doit être motivée et s’accompagner des « éléments pertinents du contexte juridique et factuel » (art. 1er §3) de l’affaire et est ainsi directement liée aux procédures de recours individuels ce qui exclut son utilisation, pour le Conseil constitutionnel, dans le cadre du contrôle a priori. La demande d’avis sera facultative et pourra être retirée à tout moment et la CourEDH peut refuser d’accepter la demande (art. 2 §1er). En outre, les avis rendus ne seront pas contraignants (art. 5), la juridiction qui aura procédé à la demande décidera, seule, des effets de l’avis consultatif sur la procédure interne. Les demandes devront porter nécessairement sur des questions de principe concernant l’interprétation ou l’application des droits et libertés définis par la ConvEDH ou ses protocoles. Elles devront aussi être posées lors d’une affaire pendante devant la juridiction qui procède à la demande puisque la procédure n’est pas destinée à engendrer un examen théorique de la législation. Au même titre que l’institutionnalisation du principe de subsidiarité ou de la marge d’appréciation, celle de la procédure d’avis consultatif est amené à légitimer le pouvoir d’interprétation du juge européen même si elles illustrent un certain activisme des Etats en la matière. Les deux protocoles « constitutionnalisent », en quelque sorte, la collaboration entre le juge européen et les juges nationaux et, par de-là, le « dialogue des juges ». La CourEDH n’est pas un juge suprême puisque ni juge de cassation ni juge de dernière instance mais, par sa compétence d’interprétation, elle harmonise l’interprétation et l’application de la norme au sein de l’ordre juridique européen.
L’exemple du premier avis consultatif de la Cour de cassation en matière de GPA et le respect de la vie privée et familiale (art. 8 ConvEDH)
767 • Le juge européen a reçu, le 16 octobre 2018, la 1ère demande d’avis consultatif depuis l’entrée en vigueur du Protocole n°16, le 1er août 2018. La demande a été transmise par la Cour de cassation française au sujet de la gestation pour autrui (GPA) (Cass., Ass. Plén., 5 octobre 2018, n° de pourvoi : 12-30.138, D. 2019, p. 228, note P. Deumier et H. Fulchiron, RTDCiv. 2019, p. 90, obs. A.-M. Leroyer, JCP 2018, G, n°1190, note A. Gouttenoire et F. Sudre). Elle concernait, plus précisément, la question de savoir si un Etat excédait sa marge d’appréciation, au regard de l’article 8 ConvEDH, s’il refusait de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une GPA parce qu’il désignait comme « mère légale » sa « mère d’intention ». La saisine est apparue quelque peu en décalage avec les hypothèses envisagées par les rédacteurs du protocole (le juge français n’interroge pas la Cour sur une difficulté nouvelle ou une jurisprudence incertaine mais cherche à lui faire préciser le sens et la portée d’un de ses arrêts pour valider ou infirmer la traduction qui en avait été faite en interne : en ce sens, H. Fulchiron, « Premier avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme : un dialogue exemplaire ? », Rec. Dalloz 2019, p. 1084 et suiv. ou A. Gouttenoire et F. Sudre « Protocole 16 – L’audace d’une première demande d’avis consultatif à la Cour EDH », JCP 2018, G, n°1190). Mais le juge européen a validé, dans l’ensemble, les solutions retenues par la Cour de cassation (CourEDH, GC, 10 avril 2019, Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention, demande n°P16-2018-001, JCP 2019, G, n°551, note F. Sudre et A. Gouttenoire, D. 2019, p. 1084, note H. Fulchiron). Il a admis le droit à la filiation entre « la mère d’intention » et les enfants nés à l’étranger d’une GPA même s’il a laissé aux Etats la liberté de choisir les moyens de cette reconnaissance. En l’absence de « consensus européen » sur la GPA, les Etats membres disposent d’une « marge d’appréciation », qui n’implique pas « que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ». La reconnaissance de ce lien pouvant se faire plutôt, selon une suggestion du juge, par « l’adoption de l’enfant par la mère d’intention ». En jugeant de la sorte, la Cour prend soin, en lien avec une jurisprudence constante, de ne pas être trop virulente envers les Etats sur une question aussi sensible que la GPA et ses répercussions. Pour autant, elle pose des conditions pour la validité de la jurisprudence française et on peut dire que « les consignes données sont suffisamment claires pour que les États parties ne disposent que d’une marge de manœuvre réduite » (H. Fulchiron, « Premier avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme : un dialogue exemplaire ? » précité). Il y a bien dialogue des juges mais le juge européen reste bien au centre de ce dialogue.
L’exemple du premier avis consultatif du Conseil d’Etat sur la rupture possible du principe d’égalité (art. 14 ConvEDH)
767-1 • Des réticences ont suivi la première demande d’avis consultatif du juge judiciaire. Ce dernier aurait pu rééditer sa demande mais il a refusé de donner suite à l’avis consultatif dans une affaire où le juge a considéré que le droit interne ou le droit conventionnel ne pouvait admettre qu’un Etat étranger, personne morale étrangère de droit public, puisse se prétendre victime de diffamation (Cass., Ass. plén., 10 mai 2019, pourvoi n°17-84.509, n°17-84.511 et n°18-82.737, Légipresse 2020, p. 193, étude N. Verly). Par la suite, le juge administratif et le juge constitutionnel, malgré de nombreuses conclusions en ce sens, n’ont pas donné suite (voir, par ex., CE, 31 décembre 2019, M. B. A., req. n°416040 ; CE, 18 décembre 2019, Société IPC Petroleum France SA, req. n°421336 ; CE, 13 novembre 2019, Société C8, req. n°415396). La CourEDH a, de plus, pour la première fois, rejeté une demande d’avis adressée par la Cour suprême slovaque (CourEDH, 14 décembre 2020, Décision relative à une demande d’avis consultatif formée en vertu du Protocole n° 16 concernant l’interprétation des articles 2, 3 et 6 ConvEDH, n° P16-2020-001). Elle n’applique pas une présomption de pertinence et de recevabilité mais opte, au contraire, pour une approche très stricte quant à l’appréciation de la recevabilité de la demande ce qui n’encourage pas à développer la pratique (Voir, en ce sens, M. Afroukh, « Du bon usage de la demande d’avis consultatif adressée à la CEDH », Dalloz actualités 2021, 23 mars). Cela n’a pas empêcher le juge administratif de poser à son tour une demande d’avis auprès du juge européen à propos de l’impossibilité de la constitution d’associations de propriétaires désireux d’interdire la chasse sur leurs terres, lorsqu’une association communale de chasse agréée (ACCA) existe déjà sur le territoire de la commune (art. 422-18 du code de l’environnement) et sa possible atteinte notamment au principe d’égalité de l’article 14 ConvEDH (CE, 15 avril 2021, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), req. n° 439036, Rec. CE, RFDA 2021, p. 721, note C. Morio). La CourEDH a accepté la demande le 2 juin 2021 et devrait être en mesure de remettre en cause la disposition (double atteinte à la liberté d’association (art. 11 ConvEDH) et au droit de propriété (art. 1er du 1er Protocole additionnel), les contraintes imposées aux propriétaires de terrains étant disproportionnées par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis par le législateur ; Cf. CourEDH, GC, 29 avril 1999, Chassagnou et autres contre France, req. n°25088/94, n°28331/95 et n°28443/95) mais, dans l’intervalle, la disposition en cause a été jugé conforme à la Constitution (CC, n°2021-944-QPC, 4 novembre 2021, Association de chasse des propriétaires libres [Exclusion des associations de propriétaires du droit de retrait de terrains inclus dans le périmètre d’une association communale de chasse agréée], JO, 5 novembre 2021, texte n°74) ce qui augure certainement la nécessité d’un nouveau dialogue.
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