« En droit, seule l’autorité judiciaire est garante des libertés fondamentales et notamment celles de l’autorité parentale et de l’Enfance en danger »1. Cette affirmation de la 1ère chambre civile de la Cour d’appel de Limoges en 1995 sonne comme l’acte de paix d’une guerre âprement disputée. Et pourtant cette victoire si fièrement claironnée met fin à une bataille qui n’a pas réellement existée.
L’Aide sociale à l’enfance est une politique publique2 dont la réalisation a été confiée au Département-collectivité territoriale par les lois de décentralisation de 1982-833. Elle a été complétée et précisée par une importante réforme en 20074 qui, sans révolutionner l’activité, l’a tout de même modernisée. Deux acteurs institutionnels principaux sont ainsi reconnus pour concourir à cette politique publique : le service public d’aide sociale du département appuyé par des associations privées habilitées et le juge judiciaire dont le rôle de pivot est clairement affirmé. Leurs interventions s’articulent dans une procédure redéfinie dans la réforme de 2007. D’abord, la place est faite aux services départementaux dans une procédure dite « administrative » où toute intervention est réalisée, suite à un signalement, avec l’accord de la famille. Ainsi, dès lors qu’un médecin, un instituteur, ou tout citoyen constate un comportement inadapté du parent envers l’enfant5, un signalement peut être réalisé à l’autorité départementale. Cette dernière diligentera une enquête, après avoir avisé la famille de l’intérêt pour elle de coopérer, puis mettra en place un « contrat » par lequel le département s’engage à fournir une prestation souvent à domicile6, à condition que les parents participent activement à l’amélioration de la situation. En cas de désaccord initial de la famille ou de débordements pendant l’exécution du contrat, l’autorité judiciaire est susceptible d’être saisie par le Président du Conseil départemental. Nous passons alors dans la deuxième phase de la procédure qui n’intervient qu’un cas d’échec de la première : le juge judiciaire (juge des enfants ou/et juge aux affaires familiales) décidera de mesures d’aide à domicile semblables à celles proposées par le département mais dont la nature coercitive sera plus prononcée, et il pourra surtout retirer l’enfant du milieu familial par une mesure de placement chez un tiers digne de confiance ou dans une institution d’accueil (vers une structure du département ou de la Protection judiciaire de la jeunesse – PJJ)7.
Toutefois à chaque étape de la procédure, ces deux acteurs principaux seront à la recherche d’un équilibre entre les droits de l’enfant et ceux des parents. Chaque décision devra ainsi être justifiée et motivée car ici nous sommes manifestement confrontés à une ingérence étatique dans le fonctionnement familial.
Avant d’étendre ce développement, il apparait nécessaire d’identifier la nature des droits ainsi évoqués. Les droits de l’enfant, tout comme ceux de leurs parents, sont d’une nature hybride puisqu’à la fois droits de l’Homme et droits sociaux, faisant ainsi de l’État le responsable de leur protection et de leur mise en œuvre : nous sommes ainsi face à des « droits-libertés » et des « droits-créances »8. Nous trouvons, par exemple pour l’enfant, le droit à la dignité et la protection de son intégrité physique et mentale, son droit à l’éducation, son droit à une nationalité9, son droit de vivre avec ses parents… Parents qui, quant à eux, peuvent se prévaloir du droit au respect de leur vie privée et familiale, de droit d’éducation de leurs enfants et du droit de garde, tous inhérents à une notion plus large qu’est l’autorité parentale que l’État doit normalement respecter.
Le problème se laisse ainsi entrapercevoir. Nous sommes ici dans une situation paradoxale où les droits fondamentaux d’un groupe d’individus, les enfants, seront opposés à ceux d’un autre groupe, les parents, alors même que la réalisation des seconds conditionne la préservation des premiers. En effet, dès lors que les parents exercent correctement les droits découlant de leur autorité parentale, ceux des enfants seront préservés. À l’inverse, dès l’instant où les parents sont défaillants il y aura une atteinte aux droits de l’enfant, or l’intérêt supérieur de celui-ci commande à ce que tout soit mis en œuvre pour les protéger : il revient donc aux autorités publiques de pallier à cette insuffisance parentale. C’est alors que les « droits-créances » de l’enfant prennent le pas sur les « droits-libertés » des parents.
Ce double mouvement pose l’administration et l’institution judiciaire au centre de la tourmente. Elles vont d’un côté devoir protéger les droits des enfants tout en garantissant, de l’autre, ceux des parents. C’est alors que le juge administratif intervient. Il trouvera effectivement son rôle dès l’instant où l’administration départementale – ou étatique avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse – sera en charge des enfants10 : interventions à domicile, placement en foyer… Le juge judiciaire dispose quant à lui d’une place toute définie par la loi puisqu’il est désigné comme le seul à pouvoir porter atteinte à l’autorité parentale sans l’accord de leurs titulaires.
Le dualisme juridictionnel est donc implicitement exploité par le législateur puisqu’il laisse au juge administratif le soin de contrôle le fonctionnement de l’administration avant l’intervention du juge judiciaire, auquel il cède la place dès l’instant où des mesures contraignantes pour les libertés doivent être apportées sans accord des intéressés. De fait, à l’un revient la protection des droits fondamentaux dans la prise en charge administrative, à l’autre appartient le choix d’y porter atteinte.
Entre les juges administratif et judiciaire, la « hache de guerre » est donc enterrée depuis longtemps : leur action nécessairement complémentaire a annihilé tout tir croisé, le dualisme juridictionnel est donc positivement dépassé. Le champ de bataille s’est toutefois déplacé, c’est dorénavant l’usager qui lutte pour la préservation de ses droits face à l’administration de l’Aide sociale à l’enfance. Une démarche d’autant plus délicate que sa dualité rend la visibilité de son action difficile.
De fait, nous nous attacherons à déterminer comment les juges réagissent à cette situation tout en se questionant sur la capacité de ce dualisme juridictionnel positivement dépassé a être source d’une protection plus aboutie des droits fondamentaux des usagers de l’ASE.
Face au péril de la famille, les juges se sont sentis très investis dans la bataille, marquant à eux deux un pas non négligeable dans la protection de l’usager (I.). Pourtant sous cet apparent engagement, une fois les premières salves tirées, les évènements leur échappent pour beaucoup, et c’est là où nous découvrons, peut-être, les insuffisances de cette complémentarité juridictionnelle (II.).
I. Un cadre posé par les juges : une action complémentaire dans la protection des libertés
N’en déplaise à Monsieur Jourdain11, comme tout esprit scientifique sait que 1+1 font 2, il apparait logique que la présence de deux juges pour la poursuite d’un seul but soit doublement bénéfique à la réalisation de celui-ci. Cette réalité se rencontre aussi bien dans la reconnaissance des droits de la famille par l’un et l’autre juge (A) que dans le contrôle attentif de la procédure de protection de l’enfance (B).
A. L’épanouissement des droits de la famille : deux juges attentifs
La dualité juridictionnelle a été un atout non négligeable dans la consécration des droits de l’enfant et des parents, aussi bien dans l’utilisation du droit international (1) que dans la construction du droit national (2).
1. Dans le droit international : l’invocabilité consacrée
Les étudiants de deuxième année, en droit administratif, connaissent bien cette problématique. Les juges judiciaire comme administratif, sont réticents à introduire le droit international dans les prétoires. De fait, les conventions consacrant des droits sont souvent exclues, l’invocabilité n’étant pas caractérisée.
Ce fut le cas pour la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989 par l’Organisation des Nations Unies12. Dès les premiers contentieux de 1993, le juge judiciaire refusa l’invocabilité de ce traité : il était selon lui dépourvu d’effet direct, du moins dans ses articles 1, 3, 9 et 1213. Désillusion pour la protection des droits de la famille, d’autant plus que le juge judiciaire est bientôt rejoint par son homologue de l’ordre administratif : en 1994 à l’occasion d’un recours contre une « reconduite à la frontière » émise à l’encontre des parents, le Conseil d’État estime que l’article 9 de la CIDE consacrant le droit de l’enfant de vivre avec sa famille, « créé seulement des obligations entre les États sans ouvrir de droits aux intéressés »14 L’effet direct de cet article est encore une fois dénié. L’invocabilité de l’ensemble du traité est menacée.
Le revirement de jurisprudence n’a pourtant heureusement pas tardé. C’est d’ailleurs le Conseil d’État qui a pris les devants en 1995 dans son arrêt Demirpence15 consacrant l’effet direct de l’article 16 touchant au droit à la vie privée et familiale, puis en 1997 dans son arrêt Demoiselle Cinar16, à l’occasion duquel l’invocabilité de l’article 3.1 touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant a été reconnue. L’institution judiciaire a, quant à elle, trainé à confirmer la position du juge administratif puisque ce n’est qu’en 2005 qu’elle profite de deux affaires pour acter son revirement17.
Depuis lors, juges administratif et judiciaire font régulièrement référence à cette Convention internationale, même si certains articles ne sont toujours pas d’effet direct18.
La complémentarité de ces deux institutions dans la protection des droits de la famille se poursuit aussi avec l’utilisation de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, au titre de laquelle résulte notamment l’article 8 touchant au droit au respect de la vie privée et familiale. L’invocabilité de ce texte ne pose d’ailleurs guère de doutes puisque dès 1991 le Conseil d’État reconnaissait par deux arrêts d’assemblée, son importance à l’occasion de divers recours19, la Cour de cassation ne tardant pas à lui emboiter le pas20.
Les insuffisances reprochées à la Convention des droits de l’enfant ne pouvant pas être transposées à la CEDH, nos deux juges, par leurs actions combinées, permettent donc de consacrer une reconnaissance effective des droits de la famille. Cette reconnaissance se poursuit avec l’utilisation des normes nationales de référence.
2. Une action juridictionnelle étendue aux normes nationales de référence
Il n’est pas toujours nécessaire de rechercher des normes internationales pour encadrer l’action administrative et judiciaire. Le droit national, notamment en matière de protection sociale, est déjà sensiblement fourni.
En effet, les normes constitutionnelles comportent plusieurs renvois à des droits sociaux, principalement le préambule de la Constitution de 1946. Ainsi, aux termes de l’alinéa 10 de ce texte, « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », ce qui passe, d’après l’alinéa 11, par la garantie d’une « protection matérielle […] de l’enfant et de la mère ».
Le préambule de 1946 occupe toutefois une place restreinte dans la jurisprudence du juge administratif. Si le Conseil d’État a effectivement tout de suite reconnu la valeur juridique de ce texte21, il est le plus souvent utilisé de manière surabondante à l’appui d’un principe général du droit ou d’un traité international22. À l’exception notable néanmoins du « droit de mener une vie familiale normale » qui est tiré directement du préambule de 1946 par le Conseil d’État dans un arrêt d’assemblée du 8 décembre 197823.
Le juge judicaire n’est toutefois pas en reste sur l’utilisation des droits posés par le préambule de 1946, et particulièrement celui de jouir « d’une vie privée et familiale » dont l’utilisation est constante24. C’est néanmoins davantage sur le respect des dispositions législatives que le rôle de ce dernier s’illustre.
En effet, si les normes constitutionnelles doivent être respectées à l’occasion de toute décision prise en matière d’Aide sociale à l’enfance, elles ont aussi largement motivé le développement par la loi de l’activité elle-même. Les droits de l’enfant étant des « droits-créances » il appartient à l’État, à travers le législateur, de développer les moyens matériels permettant leur respect. En ce sens, et même si l’État n’avait pas attendu cette vague de droits sociaux post-conflit mondial25, le législateur s’est pleinement emparé de la question pour développer un dispositif uniquement dédié à cette problématique et qui a été amélioré tout au long du XXème siècle26.
L’influence des juges administratif et judiciaire dans cette évolution législative se fait d’ailleurs clairement ressentir avec la notion « d’intérêt supérieur de l’enfant » et l’obligation de solliciter l’avis du mineur avant toute prise de décision, deux principes garantis initialement par la Convention internationale des Droits de l’enfant27. Or, grâce à aux interventions juridictionnelles reconnaissant l’effet direct de ces dispositions, le législateur a pris le soin de relever leur importance en en faisant le pivot de l’ensemble de la réforme de la protection de l’enfance réalisée en 200728. À charge dorénavant aux deux ordres juridictionnels de faire respecter ces principes lors de la procédure de protection de l’enfant.
B. La procédure de protection de l’enfance sous contrôle juridictionnel
Nous avons identifié en introduction deux phases dans la procédure d’Aide sociale à l’enfance : une première intervention dite « administrative », uniquement à l’initiative du département et une autre « judiciaire » venant pallier à l’insuffisance de la première. C’est lors de la première phase que l’intervention du juge administratif est la plus équivoque, notamment grâce à l’ensemble des principes dégagés en matière de procédure administrative non contentieuse (1). Pourtant le juge judiciaire n’est pas en reste : il sera toujours prêt à sanctionner l’abus de l’administration en cas de voie de fait, à condition que la nouvelle définition le lui autorise (2).
1. L’équilibre entre les droits dans la procédure administrative non contentieuse sous l’œil du juge administratif
Il serait exagéré d’affirmer que le juge administratif a joué un rôle déterminant dans la protection des droits de l’enfant et des parents lors de cette procédure administrative. Nous ne pouvons d’ailleurs que le déplorer tant le contentieux en la matière est potentiellement important.
Il apparait toutefois raisonnable de constater que l’ensemble des principes développés par le juge administratif en matière de procédure administrative non contentieuse trouvent à s’appliquer en matière de protection de l’enfance, tout comme de fait, la loi du 12 avril 200029 et ses adaptations du code de l’action sociale et des familles30.
Est ainsi transposable à notre problématique l’obligation de respecter le principe du contradictoire. Consacré dès 1944 par le Conseil d’État en tant que principe général du droit31, il trouve clairement tout son intérêt à notre étude car dès lors qu’un signalement est réalisé auprès des services de l’Aide sociale à l’enfance ceux-ci sont dans l’obligation, avant d’envisager une quelconque prise en charge, de diligenter une enquête sociale. A l’occasion de cette enquête l’avis de l’usager du service doit être recueilli, c’est-à-dire aussi bien la position des parents sur la nécessité d’une intervention des services sociaux, que celle de l’enfant.
Va encore en ce sens l’obligation faite à l’autorité administrative d’informer systématiquement les parents de l’ensemble des décisions adoptées dans le cadre de la prise en charge de leur enfant, à condition toutefois que cela soit dans son intérêt. Ils doivent être en outre tenus informés des conséquences d’une telle prise en charge ainsi que des délais et voies de recours. L’idée est bien entendu ici de leur permettre de contester les décisions en leur assurant une pleine conscience de la situation.
L’obligation qui est faite au service de l’ASE de recueillir l’accord du parent avant toute prise en charge de l’enfant constitue cependant une particularité de la procédure administrative de protection de l’enfance. Cette condition sine qua non à toute intervention est traduite dans un document « contractuel », le « projet pour l’enfant », dans lequel les parents s’engagent à accueillir les éducateurs et autres intervenants, pour une durée et une fréquence définie ne pouvant excéder un an32. Cette limitation de durée constitue là encore une garantie pour les parents de voir leur situation, et donc l’atteinte à leurs droits, réexaminée périodiquement.
La mise en œuvre de cette série d’obligations se heurte clairement à la dichotomie de l’usager de la protection de l’enfance : d’un côté le parent, de l’autre l’enfant. Il est évident que les droits de la défense, ainsi reconnus en matière d’Aide sociale à l’enfance, n’ont pour destinataire que le parent, alors même que le premier concerné par ces mesures reste l’enfant. Si l’ambition est effectivement de le protéger par la mise en place de cette procédure, on pourrait dès lors se demander dans quelle mesure l’avis puis l’accord parental sont-ils nécessaires ? N’est-ce pas finalement exiger une protection excessive des droits parentaux alors même que ceux de l’enfant sont menacés ? En réalité les professionnels de l’enfance sont aussi partisans de cette exigence procédurale puisqu’ils considèrent que cela contribue à revaloriser le rôle du parent qui se sent ainsi davantage concerné par l’intervention.
Quid alors des possibilités pour le parent de faire respecter ces droits à l’information et au contradictoire ? En théorie, la procédure de référé-suspension est susceptible d’être utilisée par ces derniers dès lors que cette méconnaissance est constitutive d’une illégalité manifeste. À défaut de prouver l’urgence de la situation, le recours de droit commun leur sera ouvert. Malheureusement, dans l’un comme dans l’autre cas, le juge administratif n’a jamais été amené à se prononcer sur une telle situation33, même si nous pouvons a priori affirmer qu’il sanctionnera une telle illégalité lorsqu’elle est réalisée à l’occasion de la procédure administrative.
En ce sens, dès l’instant où le juge judiciaire se prononce par voie d’ordonnance pour mettre en place des mesures d’assistance éducative, voire de placement, le juge administratif s’estime entièrement incompétent alors même qu’une décision administrative peut en être la cause. Ce fut ainsi le cas pour un mineur placé à l’ASE par le juge des enfants et dont l’éducateur référant avait fait éditer une carte nationale d’identité sans en informer la famille : le Conseil d’État considéra « qu’un tel litige est relatif à l’étendue, au regard de l’autorité parentale, des attributions du service auquel le juge des enfants a confié le mineur »34, le recours a donc été porté devant une juridiction incompétente puisque « ces attributions relèvent essentiellement du droit civil ».
La complémentarité semble donc ici assortie d’une sorte d’effet cliquet : dès lors que le juge judiciaire intervient pour porter atteinte à l’autorité parentale, le juge administratif se dédouane totalement alors que la décision contestée relève pourtant d’une administration.
Le juge judiciaire serait donc le seul à sanctionner un abus de l’administration portant atteinte à ce droit fondamental qu’est l’autorité parentale ?
2. Un juge judiciaire prêt à sanctionner l’abus de l’administration : la voie de fait en matière d’ASE encore envisageable ?
Une atteinte grave à une liberté fondamentale relève de la compétence du juge judiciaire. Ce fut tout du moins la conclusion de la 1ère chambre civile de la Cour d’appel de Limoges en 199535 lorsqu’elle fut confrontée au refus de l’administration départementale d’Aide sociale à l’enfance de rendre un enfant à sa mère. Les faits sont, hélas, relativement classiques : les parents rencontrant des difficultés personnelles, le juge des enfants a décidé, pour protéger un très jeune enfant, de le placer auprès d’une famille d’accueil dépendante de l’ASE. Le placement est renouvelé chaque année pendant cinq ans jusqu’à ce que le juge judiciaire décide que la mère, dorénavant stabilisée, doit se voir retourner son enfant. À la date prévue les services de l’ASE n’avaient pas fait le nécessaire pour exécuter la décision judiciaire et avaient même conforté la famille d’accueil dans son rôle. La mère se lance alors dans une bataille judiciaire de plusieurs mois dont l’aboutissement est cette décision de la Cour d’appel, venant confirmer l’ordonnance du juge des référés statuant en sa faveur. Le comportement de l’administration départementale est effectivement « un abus de droit […] [d’]une irrégularité particulièrement grave qui porte atteinte au droit fondamental de la mère qui est l’autorité parentale avec ses attributs, droit de garde et droit d’éducation de ses enfants, et constitue dès lors une voie de fait » qu’il revient au juge judiciaire de faire cesser36.
Cette affirmation est-elle néanmoins encore valable aujourd’hui ? L’évolution de la notion de la voie de fait pousse en effet à s’interroger : un tel abus de l’administration relèverait-il encore du juge judiciaire ? La jurisprudence Bergoend du Tribunal des conflits37 ne confiant plus que l’atteinte à « la liberté individuelle ou l’extinction du droit de propriété » à la protection du juge judiciaire, il apparait difficile de voir ce dernier venir au secours d’une mère dont l’autorité parentale se verrait bafouer. Ce droit fondamental n’est effectivement pas une composante de la liberté individuelle.
Les parents se retrouveraient-ils finalement sans aucune voie de recours pour faire valoir leur droit ? Si nous reprenons la position du Conseil d’État en 1995 refusant toute immixtion dès lors que le juge judiciaire est intervenu, nous pourrions strictement l’appliquer à cette nouvelle configuration et ainsi laisser le parent dans l’attente du bon vouloir des services de l’ASE.
Cette position n’est toutefois pas envisageable. Toute méconnaissance des droits et libertés fondamentaux doit être stoppée, sous peine d’ailleurs de s’exposer aux sanctions de la Cour européenne des droits de l’Homme. De fait, le juge administratif viendra bien au secours du juge judiciaire. Il pourra en effet être saisi grâce à la procédure du référé-liberté38, à condition toutefois que les parents se fondent sur une liberté expressément reconnue au sens de l’article L.521-2 du CJA. Malheureusement la sauvegarde de l’autorité parentale n’a pas encore bénéficié d’une telle consécration, c’est donc sur l’une de ses composantes que le requérant pourra assurément fonder une telle action : l’atteinte à la vie privée et familiale39. Néanmoins, et heureusement, rares sont les fois où le juge administratif aura à se prononcer sur un tel comportement du service de l’Aide sociale à l’enfance, ce dernier étant plutôt enclin à exécuter les décisions judiciaires. En ce sens, les affaires ayant permis jusqu’à présent d’élever la vie privée et familiale au rang de liberté fondamentale touchent en grande majorité au droit des étrangers.
Cette nécessaire adaptation dans la protection des libertés fondamentales, provoquée par la nouvelle définition de la voie de fait, montre ainsi combien les deux ordres juridictionnels sont complémentaires en matière d’Aide sociale à l’enfance. Entre reconnaissance des droits et garantie de leur effectivité, chaque juge se sent effectivement concerné, pourtant leurs actions respectives restent largement insuffisantes reflétant un plan de bataille imparfaitement maitrisé.
II. Un plan de bataille imparfaitement maitrisé : une complémentarité insuffisante cause d’une Bérézina ?
La Bérézina, cette victoire napoléonienne obtenue au prix de nombreuses pertes humaines et matérielles, illustre-t-elle la situation aujourd’hui constatée dans la protection des droits de la famille ? La ressemblance est troublante car nous avons pu remarquer combien les progrès en matière de protection de ces libertés étaient dus à l’implication complémentaire des juges administratif et judiciaire : une victoire donc ! Et pourtant le prix payé semble bien lourd : si ces droits fondamentaux sont bien reconnus, leur respect tout au long de la procédure apparait peu effectif (A). Difficultés qui sont probablement causées en grande partie par le dualisme juridictionnel (B).
A. Un respect difficile des droits fondamentaux dans la procédure de la protection de l’enfance
Le principe du contradictoire est élevé en principe général du droit par le Conseil d’État, retranscrit en outre dans la loi, et pourtant la parole du parent comme celle de l’enfant n’a finalement que peu de valeur face au professionnel de l’enfance40 (1). Une parole qui, de surcroît, a de grandes difficultés à arriver jusqu’au prétoire (2).
1. Le respect du principe du contradictoire : la parole (uniquement) au professionnel de l’enfance
La procédure de protection de l’enfance est pourtant claire : à chaque étape, qu’elle soit administrative ou judiciaire, le parent comme l’enfant doivent être entendus. Ils peuvent exprimer leurs souhaits et les parents peuvent même s’opposer à toute intervention administrative. A priori, leur droit de parole est amplement respecté puisqu’ils sont placés au centre de l’ensemble du dispositif. De nombreux parents rapportent pourtant une certaine forme de maltraitance institutionnelle issue d’un paternalisme anachronique des services de l’Aide sociale à l’enfance.
La tâche des services sociaux a ceci de délicat qu’ils doivent se substituer au parent défaillant en vue d’assurer l’éducation de l’enfant, ce futur citoyen objet de toutes les attentions. De fait, tellement investis dans cette mission, les professionnels de l’enfance adoptent fréquemment une position paternaliste : ils sauront toujours ce qui est le meilleur pour l’enfant. Cet indélicat sentiment devient concret dès lors que ce sont eux qui réalisent la première évaluation faisant suite à tout signalement. En s’appuyant sur l’ambivalent outil qu’est « l’intérêt supérieur de l’enfant », ils dresseront le tableau qu’il leur semblera le plus juste de la situation à laquelle ils sont confrontés. Toutefois, entre le risque de sous-estimer une situation (et donc d’engager la sécurité de l’enfant voire la responsabilité du service) et de mettre en place une mesure de protection temporaire qui ne pourra être que bénéfique, le principe de précaution l’emporte souvent et la parole du parent est alors clairement occultée. De plus, avant que celui-ci ne s’exprime quant à ce suivi administratif préventif, il sera toujours informé des conséquences de cette prestation et notamment des cas dans lesquels l’autorité judiciaire sera saisie, ce qui peut le décourager sensiblement d’opposer un refus à l’autorité administrative. Cette situation est d’autant plus inconfortable pour le parent qu’il n’existe aucun référentiel établi des faits susceptibles d’emporter l’intervention du département comme du juge judiciaire : sera ainsi dans « l’intérêt de l’enfant » ce que jugera bon le professionnel. Leurs décisions peuvent donc laisser transparaitre une certaine forme d’arbitraire, situation poussant même certains auteurs à parler de « police41 des familles »42.
En outre, et bien que cet « intérêt supérieur de l’enfant » apparaisse comme l’outil idéal pour permettre une protection effective des droits de l’enfant, il s’avère aussi très efficace pour porter atteinte à ceux des parents. En effet, et bien que les commentateurs de la loi portant réforme de la protection de l’enfance estiment que « l’intérêt de l’enfant ne s’oppose pas à celui des parents »43, il est inévitable selon nous qu’une contradiction se déclare toujours entre l’intérêt du parent et celui de son enfant, notamment lorsqu’est en jeu une immixtion de la puissance publique dans la vie privée et familiale.
Le statut d’« expert » que revêtent les professionnels de l’enfant devant la juridiction judiciaire accentue encore davantage ce sentiment d’aphonie pour le parent et pose toute la question de la place de l’expert dans la décision de justice. Si les juges des enfants développent leurs propres ressentis et connaissances des malaises de l’enfant, ils ne disposent manifestement pas du temps nécessaire à une étude approfondie de chaque dossier et s’en remettent donc fréquemment à la parole du professionnel, toujours présent à l’audience et dont les rapports constituent le fil rouge de toute la procédure. La parole du parent n’est donc que rarement directement entendue dans la phase judiciaire comme dans la procédure administrative. Les juges judiciaire et administratif se font ici complices de la situation. Le premier car il s’appuie presque systématiquement sur les dires des experts, l’autre car il « n’a jamais eu à notre connaissance, à traiter des questions liées au droit des usagers » dans leurs relations avec les services de l’ASE et notamment des « règles complexes ayant trait à la composition et au fonctionnement »44 de ces institutions, auxquelles les parents sont censés participer.
Une jurisprudence est particulièrement révélatrice de cette situation de déni de parole du parent. Un homme, père de deux enfants, perd sa femme de façon brutale. Affecté par la situation il demande de l’aide à ses sœurs qui acceptent de recevoir les enfants, décision actée par le juge judiciaire. Le placement est par la suite reconduit, contre l’avis du père, et va être renforcé puisque même pendant les courts séjours des enfants chez ce dernier, les visites seront supervisées. Décrédibilisé par sa première demande d’aide ainsi que par son mode de vie en pleine campagne et ses refus d’inscrire les enfants à l’école45, la garde de ses enfants lui sera donc refusée tant que les professionnels de l’enfance n’auront pas donné leur aval et en l’occurrence ici l’expert-psychiatre. Les recours réalisés contre cette ordonnance du juge des enfants n’y changeront rien, la Cour de cassation se révélant classiquement incompétente pour examiner « les moyens ne tend[a]nt qu’à remettre en cause le pouvoir souverain des juges du fond »46.
Ce principe du contradictoire si vaillamment affirmé par le Conseil d’État puis le législateur trouve ainsi une réalité toute relative dès lors que la valeur de la parole du contradicteur n’est pas reconnue, au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». À travers cette situation c’est tout le droit à un recours effectif qui semble mis à mal, chose d’autant plus vraie que l’accès au juge apparait déjà comme un exploit en soi.
2. Le droit à un recours effectif : le difficile accès au juge
D’une façon générale la protection de l’enfance s’est considérablement complexifiée et l’usager n’est définitivement pas équipé pour naviguer entre ces difficultés.
En effet, l’usager n’a généralement pas de vision globale de la politique publique de la protection de l’enfance. Il ne perçoit que les contours des institutions lui assurant des prestations. Étant confronté aux associations, au département ainsi qu’au juge des enfants dans certains cas, il constate de façon empirique les compétences de chacun, ignorant tout de leur fonctionnement interne. Et bien que l’article L.223-1 du Code de l’action sociale et des familles dispose que « toute personne qui demande une prestation (…) est informée par les services chargés de la protection de la famille et de l’enfance des conditions d’attribution et des conséquences de cette prestation sur les droits et obligations de l’enfant », en réalité les professionnels se limitent à présenter à l’usager des illustrations directes d’une intervention des services sociaux. L’explication des compétences de chaque organisme et la présentation de l’ensemble de la politique publique ne sont pas de leur prérogative. D’autant plus que de nombreux professionnels restent eux aussi incapables d’offrir une explication claire du montage de cette politique publique. Comment dans de telles conditions le parent peut-il faire valoir son droit au recours ? En effet, comment peut-il prétendre contester la décision de (non) prise en charge s’il ne sait déjà pas quel est l’organisme émetteur ? Cette première idée se confirme face au nombre résiduel voire inexistant de recours réalisés à l’encontre des décisions du président du Conseil départemental portant saisine du juge judiciaire.
Si le parent est le principal concerné par cette problématique du droit au recours effectif, l’enfant ne doit pas être oublié. En effet dès l’instant où ce dernier est placé par le juge judiciaire, il se retrouve, dans son intérêt, sous la protection de l’administration et non plus celle de ses parents. Cette administration, si elle ne s’apparente pas à un centre pénitentiaire quant à sa finalité, en reste proche dans son fonctionnement. Ainsi, dépourvu de tout appui parental, l’enfant sera soumis au gré des vents et marées de l’administration : rendez-vous fixés avec l’éducateur, changement de lieux de résidence, règlement intérieur des foyers, couvre-feu, sanctions… autant de décisions administratives qui ne feront jamais l’objet d’un recours. L’âge de l’enfant est l’explication la plus plausible puisqu’il est très largement inconscient de la valeur de ces actes. Sa minorité jouera aussi quant à son accès au prétoire puisqu’il ne pourra en principe saisir seul le juge administratif et même s’il peut interpeler sans l’aide de ses parents le juge judiciaire, il devra toujours demander à son éducateur référent de l’aider dans sa démarche. Ce constat s’applique aussi en matière de référé-liberté puisqu’il est parfois accessible à un mineur non émancipé47. Comment s’assurer alors l’impartialité du probable auteur de l’acte que l’enfant souhaite contester ? Nous pouvons clairement constater ici les limites de ce droit au recours pour l’enfant car même en cas d’atteinte grave à une liberté commise par l’administration, ce dernier ne pourra pas saisir l’autorité juridictionnelle.
Complexité de l’activité et présence patriarcale de l’ASE éloignent ainsi les usagers du prétoire car le parent, autant que l’enfant, voit sa parole perdue dans les méandres administratifs. Une situation a priori banale à ceci près qu’en l’espèce, la garantie des droits fondamentaux est menacée. Cet angle-mort dans la protection de libertés en matière d’Aide sociale à l’enfance ne devrait pas exister et pourtant les constats que nous venons de dresser sont bien réels. La cause de cet angle-mort ne serait-elle pas finalement le dualisme juridictionnel lui-même ?
B. Une Bérézina causée par le dualisme ?
Les droits fondamentaux des usagers de l’Aide sociale à l’enfance sont reconnus et garantis de façon complémentaire par les deux ordres de juridiction. C’est donc une victoire mais une victoire imparfaite car obtenue au prix d’importants sacrifices. La protection n’est effectivement pas totale et le dualisme juridictionnel n’y est pas étranger puisque il est une spécificité imperceptible pour l’usager de ce service public (1). Ainsi, si l’objectif est réellement d’apporter une protection exemplaire aux usagers, unifier le contentieux dans les mains du juge judiciaire n’est peut être pas une idée incohérente (2)
1. Le dualisme juridictionnel, une spécificité imperceptible pour l’usager de ce service public
Nous avons pris soin, dès l’introduction, de distinguer strictement les compétences des institutions départementales et du juge judiciaire. À l’un revient la protection administrative, à l’autre la protection judiciaire, fondant ainsi la compétence du juge administratif dans un cas et celle de son homologue judiciaire dans l’autre. Ce constat a priori simple n’est pourtant pas dépourvu de difficultés.
La première tient au fonctionnement même de la protection de l’enfance : dans le cas d’une protection administrative comme judiciaire, ce sont les mêmes acteurs qui interviendront. En effet, les services du département, comme les associations habilitées, interviendront dans les deux cas et proposeront les mêmes mesures, placement mis à part. Finalement, lorsque les mesures éducatives s’enchainent, passant d’une protection administrative à une protection judiciaire, les parents ne voient aucune différence significative. Les enfants encore moins.
Les choses se compliquent encore davantage dès l’instant où l’enfant, suivi par le département dans le cadre d’une protection administrative, commet un délit. Il passera devant le juge des enfants cette fois-ci non plus pour une protection judiciaire d’un enfant en danger, mais pour une répression judiciaire de l’enfant délinquant. Une différence notable dont les conséquences sont parfois48 minimes : ce sont fréquemment les mêmes institutions qui le suivront, avec les mêmes éducateurs, assistante sociale… à ceci près qu’intervient ici un nouvel acteur : le service déconcentré de la Protection judiciaire de la jeunesse. Un service public administratif qui ne peut intervenir que sur ordonnance du juge judiciaire mais dont le fonctionnement interne relève du juge administratif, sauf les décisions prises en vertu du transfert de l’autorité parentale49 !
Une difficulté insoluble en perspective qui prend souvent une ampleur démesurée dès l’instant où il est -très- fréquent qu’au sein d’une famille ce ne soit pas un enfant mais l’ensemble de la fratrie qui soit suivi. Imaginons alors que l’ainé fasse l’objet d’un placement en foyer, mesure judiciaire pénale, que le cadet soit placé au titre de la protection judiciaire tandis que le benjamin est lui concerné par une procédure administrative. Les mêmes institutions interviennent avec souvent les mêmes éducateurs et pour des mesures semblables ou presque. Comment ces parents, visiblement dépassés dans leur rôle, peuvent-ils alors comprendre quel juge saisir pour contester quelle décision ? Une situation d’autant plus dantesque que la juridiction administrative, compétente pour le fonctionnement de l’administration, reste une chimère pour la plupart de nos concitoyens ! La dualité juridictionnelle a-t-elle, dans ces conditions, encore un sens ?
2. Un contentieux intégralement confié au juge judiciaire, une cohérence susceptible d’apporter une meilleure protection des usagers
Le dualisme juridictionnel jouit d’une consécration constitutionnelle50 basée sur la « conception française de la séparation des pouvoirs ». Il ne faut pas oublier toutefois que le Conseil constitutionnel estime aussi que « dans la mise en œuvre de ce principe, lorsque l’application d’une législation ou d’une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, il est loisible au législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé ». Le juge judiciaire apparait ici comme tout désigné. Il est effectivement responsable de l’ensemble de la procédure de protection judiciaire comme du volet pénal. Ainsi, s’il est le seul habilité à porter atteinte aux droits issus de l’autorité parentale, pourquoi ne serait-il pas non plus le seul compétent pour protéger ces libertés fondamentales ?
Cette idée semble d’autant plus justifiée dans « l’intérêt d’une bonne administration de la justice » que le prétoire serait plus aisément accessible aux usagers. Les parents dont l’autorité parentale est méconnue sauront vers qui se tourner et même si l’avis de l’expert sera encore prépondérant, ils pourront malgré tout présenter des arguments contraires que l’impartialité du juge judiciaire obligera à analyser. Cette nouvelle visibilité permettra selon nous de multiplier le nombre de saisines et portera à l’attention de l’institution judiciaire les abus des professionnels de l’enfance qu’elle ignorait jusqu’alors. La vision du juge sur ces derniers sera finalement susceptible d’évoluer tout comme le caractère déterminant de leurs témoignages. Les parents ne seront toutefois pas les seuls à bénéficier d’une telle unification du contentieux. Rappelons-le, l’enfant est susceptible de saisir seul le juge judiciaire de toute question concernant son suivi. Il sera donc plus à même de faire sanctionner une atteinte à ses droits causée par l’administration à l’occasion de son placement par exemple.
Il apparait néanmoins évident qu’unifier les règles de compétence dans les mains du seul juge judiciaire ne règlera pas l’ensemble des problèmes touchant à la protection des libertés fondamentales en matière d’Aide sociale à l’enfance. La question de la dualité de l’usager de ce service public, et donc l’opposition entre leurs droits, restera effectivement la plus grande difficulté à surmonter pour l’ensemble des acteurs concourant à cette politique publique. Sur cette question cependant, il nous semble possible de faire justement confiance au juge judiciaire, spécialisé sur la question des enfants depuis plus d’un siècle51. Et peut-être est-ce d’ailleurs ce que commanderait finalement « l’intérêt supérieur » de ces derniers.
- Cour d’appel de Limoges, 1ère chambre civile, 16 novembre 1995. [↩]
- Programme d’action défini par une autorité politique plus ou moins proche de l’usager. [↩]
- Loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, JORF du 3 mars 1982 p.730 ; Loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, JORF 9 janv. 1983 p.215 et la loi n°83-663 du 22 juillet 1983 complétant la précédente, JORF du 23 juill. 1983 p.2286. [↩]
- Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, JORF du 6 mars 2007 p.4215. [↩]
- Enfant entendu ici comme mineur, c’est-à-dire « tout individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore atteint l’âge de dix-huit ans accomplis », article 388 Code civil. [↩]
- On trouve ainsi l’Action éducative en milieu ouvert, l’aide à la gestion du budget, etc… activités généralement réalisées par des éducateurs et des techniciens d’intervention sociale et familiale : voir article L.221-1 du Code de l’action sociale et des familles. [↩]
- Le juge judiciaire se basera ici sur l’article 375 du Code civil. [↩]
- Ces « droits-créances » « confèrent à leur titulaire, non pas un pouvoir de libre option et de libre action, mais une créance contre la société, tenue de lui fournir, pour y satisfaire, des prestations positives impliquant la création de services publics », J. Rivero, H. Moutouh, Les libertés publiques, tome 1. Les droits de l’homme, Ed. PUF, Coll. Thémis, 2003, p. 8. [↩]
- CE, 12 décembre 2014, n°375629 ; AJDA, 2014, p.1251 ; RFDA, 2015 p.163 : validation de la circulaire touchant à l’attribution de la nationalité pour les enfants nés suite à une gestion pour autrui à l’étranger. [↩]
- Contrairement aux autres secteurs de l’action sociale tels que l’attribution du RSA ou des remboursements de sécurité sociale, il n’existe pas de juridiction administrative spécialisée. Le juge administratif est bien l’autorité de contrôle compétente en matière de protection de l’enfance : voir article L.134-1 Code de l’action sociale et des familles. [↩]
- Le Bourgeois gentilhomme, Molière, Acte II, scène IV : le maitre de philosophie demande à Monsieur Jourdain : « Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ? » A Monsieur Jourdain de répondre naïvement : « Qu’est-ce que cette logique ? ». [↩]
- Cette convention est entrée en vigueur en France le 6 septembre 1990 : voir Décret n°90-917 du 8 octobre 1990 portant publication de la convention relative aux droits de l’enfant, signée à New York le 26 janvier 1990. [↩]
- Cass. Civ. Ière, 10 mars 1993, pourvoi n°91-11310, Le Jeune c. Sore ; D.1993, jurispr., p.361, note Massip ; RCDIP 1993, p.449, note Lagarde ; AFDI 1994, p.962, chron. Lachaume. [↩]
- CE 29 juillet 1994, n°143866, Préfet de la Seine-maritime; Rec. p.732; RGDIP 1995, p.502, note Alland ; AFDI 1995, p.813, chron. Lachaume. [↩]
- CE 10 mars 1995, Demirpence, Rec. p.610. [↩]
- CE 22 septembre 1997, n°161364, Dlle Cinar, Rec. p.319 ; RFDA 1998, p.562, concl. Abraham ; RGDIP 1998, p.208, note Alland ; AFDI 1998, p.671, chron. Lachaume. [↩]
- Cass. Civ. Ière, 18 mai 2005, n°02-20.613 et n°02-16.336 ; Dr. famille 2005 p.185, note Larribau-Terneyre. [↩]
- Cass. Civ. Ière, 24 octobre 2012, n°11-18.849, Fervel ; Cass. Civ. Ière, 13 mars 2007, n°06-12-665 ; CE 27 juin 2008, n°291561, Etarh ; JCP G 2008, I, 106, obs. Serinet. [↩]
- Même si cette possibilité est reconnue à l’occasion de recours ne touchant pas directement à l’Aide sociale à l’Enfance, l’invocabilité est actée. Pour une expulsion : CE Ass. 19 avril 1991, Belgacem, Rec. p. 152 ; pour une reconduite à la frontière : CE Ass. 19 avril 1991, Mme Babas, Rec. p. 162, avec conclusions R. Abraham p. 152 ; pour un refus de visa CE Sect. 10 avril 1992, Aykan, Rec. p. 152 ; pour un refus de titre de séjour Sect. 10 avril 1992, Marzini, Rec. p. 154 ; pour un refus d’abroger un arrêté d’expulsion Sect. 10 avril 1992, Minin, Rec. p. 156, conclusions Denis-Linton, RFDA 1993 p. 541. [↩]
- Cass. Crim. 15 septembre 1999, pourvoi n°98-58.615 ; et d’application constante : Cass. Civ. Ière, 14 juin 2005, pourvoi n°04-16.992 [↩]
- CE 18 avril 1974, Jarrigion ; Rec. p.148, S. 1948.3 et 33, note Rivero. [↩]
- Tout dépend en réalité de la précision des droits en cause : le principe de solidarité a été ainsi considéré comme nécessitant l’intervention préalable du législateur (CE 10 déc. 1962, Sté indochinoise de constructions électriques, Rec. p.678). Le juge administratif est d’ailleurs ici rejoint par la juridiction constitutionnelle, cette dernière laissant souvent une importante latitude au législateur dans la mise en œuvre de ces droits. [↩]
- CE Ass., 8 décembre 1978, GISTI, Rec. p.493 ; GAJA n°86 p.612 ; Dr. soc. 1979.57, concl. Doudoux ; AJ 1979(3)38, chr. O. Dutheillet de Lamothe et Robineau ; D. 1979.661, note L. Hamon ; D. 1979.IR.94, obs. P. Delvolvé ; Dr. ouvr. 1979.1, note Bonnechère. [↩]
- Voir par ex. : Cass. Crim., 13 mars 1996, pourvoi n°95-84.177 ; Cass. Civ., 17 janvier 2006, pourvoi n°02-15.173, Rec. 2008 p.8. [↩]
- Nous trouvons des interventions de la puissance publique, au profit de l’enfant, dès le Moyen-Âge avec la doctrine chevaleresque, et de façon plus institutionnelle dès la fin du XIXème siècle notamment avec la loi du 24 juillet 1889, relative à la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés. [↩]
- Loi n° 66-774 du 18 octobre 1966, relative à la tutelle aux prestations sociales, JORF 19 octobre 1966 p. 9219 ; Loi n° 89-487 du 10 juillet 1989, relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance, JORF du 14 juillet 1989 p. 8869 ; Loi n° 2000-196 du 6 mars 2000, instituant un Défenseur des enfants, JORF 7 mars 2000 p. 3536 ; etc. [↩]
- Respectivement article 3-1 et 9-2 de la CIDE. [↩]
- Nous trouvons ainsi l’insertion d’un article L.112-4 dans le Code de l’action sociale et des familles : « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant ». Mais aussi l’insertion de l’article L.223-4 : « Le service examine avec le mineur toute décision le concernant et recueille son avis. » [↩]
- Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF du 13 avril 2000 p.5646. [↩]
- Voir articles L.223-1 et ss du CASF. [↩]
- CE Sect. 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier, Rec.133 ; GAJA n°53 p.344 ; D. 1945.110, concl. Chenot, note de Soto ; RD publ. 1944.256, concl. Chenot, note Jèze. [↩]
- Il y a une subtilité à préciser ici. Comme toute prestation d’aide sociale, elle est accordée unilatéralement par le président du Conseil départemental, ou par délégation, par le directeur territorial à la protection de l’enfance. Cependant, pour acter matériellement l’accord parental, et donc le symboliser, est signé par les parties un « projet pour l’enfant » exigé par l’article L.223-1 CASF. [↩]
- Le juge administratif est effectivement difficile d’accès pour les usagers de l’Aide sociale à l’enfance, voir infra. p.21. [↩]
- CE, 10 avril 1991, n°82423, Rec. p.129. [↩]
- Cour d’appel de Limoges, 1ère chambre civile, 16 novembre 1995 ; F. Monéger, RDSS, 1996, p.619. [↩]
- « Cet abus de droit commis par la Direction de la solidarité de la Creuse est une irrégularité particulièrement grave qui porte atteinte au droit fondamental de la mère qui est l’autorité parentale avec ses attributs, droit de garde et droit d’éducation de ses enfants, et constitue dès lors une voie de fait constitutive du trouble manifestement illicite prévu par l’alinéa 1er de l’article 809 du nouveau code de procédure civile. » [↩]
- TC, 17 juin 2013, M. B. c/ Sté ERDF Annecy, n°3911 ; RFDA, 2013, p.1041 note P. Delvolvé, AJDA, 2013, p.1245. [↩]
- Article L.521-2 du Code de Justice administrative. [↩]
- La jurisprudence est aujourd’hui constante : CE sect. 30 octobre 2001, n°238211, Ministre de l’intérieur c/ Mme Tliba, Rec. p.523 ; AJDA, 2001, p.1058, RFDA 2002 p.324 concl. I. de Silva ; ou encore : CE ord. 25 octobre 2007, n°310125, Rec. p.1013 ; AJDA, 2007, p.2063, RFDA, 2008, p.328 note O. Le Bot. [↩]
- Est entendu comme professionnel l’ensemble des personnels de l’ASE susceptibles d’intervenir auprès de l’enfant ou des parents : éducateur, technicien d’intervention sociale et familiale, assistante sociale, psychologue et psychiatre… [↩]
- Le terme de « police » parait d’ailleurs tout à fait adéquat pour qualifier cette compétence administrative dévolue au président du conseil général puisqu’il s’agit effectivement d’un pouvoir de police spéciale. [↩]
- J.Donzelot, La police des familles, Ed. de Minuit, 1977, éd. poche collection « Reprise », 2005. [↩]
- F.Batifoulier (dir.), La protection de l’enfance, Dunod, 2008, p.30. [↩]
- H. Rihal relevait à propos des établissements sociaux et médico-sociaux, dont ceux accueillant les enfants placés : « on remarquera aussi, pour le regretter, que le juge administratif n’a jamais eu, à notre connaissance, à traiter des questions liées au droit des usagers. On aimerait pourtant, sans jouer les faiseurs de contentieux, savoir sa position à l’égard des règles complexes ayant trait à la composition et au fonctionnement du conseil de la vie sociale et au contenu du règlement de fonctionnement d’un établissement public », RDSS, 2010, p. 447 [↩]
- La Cour d’appel, comme le juge des enfants, relèvent ces deux éléments factuels mais précisent aussi qu’« aucune loi n’interdit d’habiter une maison à l’écart, à la campagne, ou de mener un mode de vie proche de la nature », tout comme « aucune loi n’impose la fréquentation obligatoire d’une crèche ou d’une école, l’éducation scolaire d’un enfant pouvant être assurée par d’autres moyens », Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 10 novembre 2006, cité dans Cass. Civ. Ière, 14 janvier 2009, pourvoi n°07-19.579, non publié. [↩]
- Cass. Civ. Ière, 14 janvier 2009, pourvoi n°07-19.579, non publié. [↩]
- Exemples : CE, 30 décembre 2011, Boiguile, n° 350458 ; CE ord. 12 mars 2014, n°375956 : « Considérant que, si un mineur non émancipé ne dispose pas, en principe, de la capacité pour agir en justice, il peut cependant être recevable à saisir le juge des référés, lorsque des circonstances particulières justifient que, eu égard à son office, ce dernier ordonne une mesure urgente sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ». Cet assouplissement des conditions de saisine du juge des référés ne peut être que bénéfique pour le mineur, à condition toutefois que les conséquences en matière d’aide juridictionnelle et d’accès au droit suivent, ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. Les parents et leurs enfants sont effectivement dépassés par ces problématiques et se tournent toujours… vers leurs éducateurs référents pour avoir des réponses. [↩]
- Il arrive que le mineur auteur d’un délit soit condamné à de la prison ferme, échelon de sanction extrême qu’il n’atteindra qu’en fonction de la nature du délit/crime et selon ses antécédents. L’échelle de sanctions commence ainsi par une mise à l’épreuve avec un suivi par les éducateurs et mesure de réparation, puis placement si nécessaire, etc. [↩]
- CE, 10 avril 1991, n°82423, Rec. p.129. [↩]
- C’est Principe fondamental reconnu par les lois de la République depuis la décision du Conseil constitutionnel n°86-224 DC du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence. [↩]
- Loi du 22 juillet 1912 relative à la création des tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée. [↩]
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