Nous tenons à remercier chaleureusement la Revue générale du droit pour avoir accepté de recevoir les actes du colloque organisé à la Faculté de droit de l’Université de Rennes 1, le vendredi 3 avril 2015, intitulé « La guerre des juges aura-t-elle lieu ? – Analyse comparée des offices du juge administratif et du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales ». Nous espérons que cette contribution permettra d’apporter un éclairage original – si tant est que cela est possible – à l’opposition classique entre le juge administratif et le juge judiciaire.
Ce sujet m’a été proposé par l’Association des étudiants en droit public (AEDP) de l’Université de Rennes 1 dans le cadre de l’organisation de leur colloque annuel. Cette initiative, soutenue par l’Institut du droit public et de la science politique (IDPSP), a trouvé un écho favorable au sein de la Faculté de droit de Rennes pour plusieurs raisons.
D’une part, il s’agit d’un thème ancien. Le droit public, et avec lui la juridiction administrative, s’est construit par opposition et par émancipation par rapport au droit privé. La découverte, à la fin du XIXème siècle, des spécificités liées à la mise en place d’un Etat providence, à la création de services publics, et à la poursuite par les autorités publiques de l’intérêt général ont conduit le Tribunal des conflits à refuser l’application du Code civil dans la sphère publique. L’État « a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits privés ; Que, dès lors, (…) l’autorité administrative est seule compétente pour en connaître »1.
D’autre part, et paradoxalement, il s’agit d’un thème actuel. En témoigne, par exemple, le dossier consacré par l’AJDA en 2005 au dualisme juridictionnel2, ainsi que l’effacement des spécificités entre le droit public et le droit privé à l’initiative de l’Union européenne – la guerre de mouvement se transformant en une guerre de tranchée où chaque juge souhaite conserver l’intégrité de son contentieux. En témoigne également, et surtout, la jurisprudence relative à la voie de fait. Je ne trahirai aucun secret en révélant que l’ordonnance Commune de Chirongui3 a fondé le choix du sujet de la part des étudiants et a justifié de restreindre le colloque à la simple question des libertés fondamentales. Je ne trahirai pas non plus leur sentiment en révélant que parler, à propos de cette jurisprudence, d’une guerre du juge administratif à l’encontre du juge judiciaire est, si ce n’est totalement faux, largement abusif. Ne serait-ce que parce que cette jurisprudence peut s’interpréter tout autant comme une offensive à l’encontre du législateur. Le Conseil d’État renouvelle l’attrait du référé liberté – si cela était encore nécessaire – « au prix d’une méconnaissance de la lettre de l’article L. 521-2 CJA »4. Le juge du référé-liberté pourra connaître des atteintes graves et manifestement illégales à une liberté fondamentale commise par l’administration même hors de « l’exercice d’un de ses pouvoirs »5.
Toujours est-il que les idées sont lâchées : un affrontement – des libertés fondamentales. Le titre prend, dès lors, forme : « La guerre des juges aura-t-elle lieu ? – Analyse comparée des offices du juge administratif et du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales ».
On pourra reprocher aux étudiants publicistes d’avoir voulu rendre leur étude spectaculaire en utilisant un vocabulaire belliqueux. Certes, le terme de guerre est inapproprié. Je préfère laisser le soin à chacune des interventions de nous expliquer pourquoi. Néanmoins, d’autres ont utilisé cette expression avant eux6 et elle a le mérite de laisser entrevoir la rivalité amicale entre les publicistes et les privatistes qui persiste dans nos Universités… Le colloque organisé à l’initiative de l’AEDP en témoigne. Il a eu, dès ses prémices, une vocation interdisciplinaire : Droit administratif, constitutionnel, international, et privé.
Le déroulement de la journée, présidée par moi-même et Madame Servane Carpi-Petit (maître de conférences à l’Université Rennes 1), s’est construit autour de deux axes. D’une part, une matinée a été consacrée aux armes des juges. Elle visait à comprendre quels outils les juges administratif et judiciaire pouvaient-ils mettre en œuvre pour assurer la protection des libertés fondamentales. Monsieur le Professeur Richard Desgorces, Professeur à l’Université Rennes 1, et Monsieur Marc Janin, Conseiller à la Cour d’appel de Rennes, ont respectivement apporté le point de vue de la doctrine puis de la pratique concernant le juge judiciaire. Monsieur Jacques Petit, Professeur à l’Université Rennes 1, accompagné par Monsieur Dominique Rémy, Conseiller au Tribunal administratif de Rennes, ont complété ce premier propos en ce qui concerne le juge administratif. Cette matinée s’est achevée par une mise en perspective des armes des juges judiciaire et administratif au regard des outils à la disposition du juge constitutionnel et international grâce, respectivement, aux interventions de Madame Anne-Marie Le Pourhiet et Monsieur Thibault Fleury-Graff, Professeurs à l’Université Rennes 1.
D’autre part, l’après-midi a été consacrée aux champs de batailles. Cela a permis de balayer, tout d’abord, la répartition des compétences grâce aux interventions consacrées à la voie de fait puis aux questions préjudicielles par Mesdames Thaïs Augustin et Hada Messoudi, respectivement étudiante du Master 2 Droit public général et doctorante à l’Université Rennes 1. Ensuite, quatre interventions ont été consacrées à différents domaines où les juges judiciaire et administratif interviennent conjointement ou concurremment pour protéger certaines libertés fondamentales : La liberté contractuelle, avec Monsieur Robert Carin, doctorant contractuel à l’Université Rennes 1, l’ensemble des libertés fondamentales en droit de la concurrence, grâce à Monsieur Mathieu Le Soudéer, doctorant à l’Université Paris II Panthéon-Assas et ATER à l’Université Rennes 1, ou en droit des étrangers, avec Mademoiselle Aude Gay-Heuzey, étudiante en Master 2 Droit public général à l’Université Rennes 1, et enfin dans le domaine des aides sociales à l’enfance par l’intermédiaire de Monsieur Quentin Barnabé, doctorant à l’Université Rennes 1. Enfin, cette journée fut conclue par Monsieur Éric Péchillon, maître de conférences à l’Université Rennes 1, qui a su identifier des champs de batailles oubliées, notamment en matière carcérale, où ni le juge judiciaire ni le juge administratif ne s’affrontent pour protéger les libertés fondamentales.
Cet événement fut riche par ses questionnements et la grande qualité de ses intervenants. Si tous n’ont malheureusement pu apporter leur contribution écrite, les écrits ici réunis permettent de retrouver la ligne directrice qui a été à l’origine du colloque, et qui en a guidé le déroulé.
La volonté de publier les actes du colloque, si elle s’imposait, n’aurait pu se réaliser sans l’accueil de la Revue générale du droit. L’Association des étudiants de droit public, à laquelle je me joins, adresse encore une fois ses plus sincères remerciements à la RGD.
- TC, 8 févr. 1873, BLANCO ; D. 1873.3.20, concl. David ; S. 1873.3.153, concl. David. [↩]
- Ce dossier, publié à l’AJDA 2005, comprenait cinq articles : A. Van Lang, « Le dualisme juridictionnel en France : une question toujours d’actualité », p. 1760 ; D. Truchet, « Plaidoyer pour une cause perdue : la fin du dualisme juridictionnel », p. 1767 ; D. Labetoulle, « L’avenir du dualisme juridictionnel », p. 1770 ; M.-F. Mazars, « Le dualisme juridictionnel en 2005 », p. 1777 ; J. Caillosse, « Les justifications du maintien actuel du dualisme juridictionnel », p. 1781. [↩]
- CE ord., 23 janv. 2013, Commune de Chirongui ; AJDA 2013.788, chron. Domino et Bretonneau ; DA. 2013, comm. 24, note Gilbert ; JCP A 2013.2047 note Pauliat, 2048 note Le Bot ; RFDA 2013.299, note Delvolvé. [↩]
- J. Petit, Droit administratif, 10e éd., p. 481. [↩]
- Pour rappel, l’article L 521-2 du CJA dispose que « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». [↩]
- Il faut, sur ce point, attribuer la paternité de cette expression – avec celle de « dialogue des juges » – au Président Bruno Genevois dans ses conclusions sur CE, Ass., 6 déc. 1978, Ministère de l’Intérieur c/ Cohn-Bendit ; D. 1979.155, concl. Genevois, note Pacteau ; D. 1979.IR.89, obs. P. Delvolvé ; RTDE, 1979.169, concl. Genveois, note Dubouis. [↩]