A. Introduction
Lorsque nous avons défini le thème de notre intervention, nous savions qu’il était déjà d’une actualité continue, mais nous ignorions qu’il deviendrait, au mois d’octobre 2023, l’un de sujets brûlants du quotidien. Tant pour la France que pour l’Allemagne, les mots « intégration » et « identité » sont devenus aujourd’hui, plus encore qu’hier, des incantations que l’on retrouve un peu partout : dans les journaux généralistes, dans la presse spécialisée, dans les discussions de femmes et d’hommes politiques, dans les conversations privées. Mais de quoi l’intégration et l’identité sont-elles le nom ? S’agit-il de mots-éventails, qui cacheraient une multitude de sens, de réalités et de contradictions en se dépliant ? Ou bien, il est possible d’arrêter un cadre définissant une fois pour toutes leurs ingrédients magiques ?
Une brève enquête étymologique permet de savoir que le mot « intégration » vient du latin integrare et signifie d’abord « se renouveler », « remettre en état », « réparer », « restaurer », en lien avec integritas – « état d’être intact, totalité, intégrité »1, avant d’acquérir sa signification actuelle : en mathématiques, « intégrer » signifie « calculer une quantité finie en la considérant comme limite d’une somme d’infiniment petits ou, plus précisément, déterminer une fonction d’après sa différentielle », « par extension, il signifie assembler des parties pour en former un tout cohérent et concentré »2. « Identité » vient également du latin – identitas, identicus, idem pour désigner ce qui est pareil, qui est le même qu’un autre.
En employant les mots « intégration » et « identité », nous supposons en premier lieu qu’il existe un socle, un ensemble « cohérent et concentré », auquel il est possible (ou souhaitable) de s’intégrer. L’identité, ensuite, peut revêtir deux significations : l’identité de l’ensemble, auquel il est possible (ou souhaitable) de s’intégrer, ou l’identité de l’élément externe, qui entre en confrontation avec ce même ensemble. La double contrainte de ce mouvement réside en le besoin d’une identité collective couplé avec le besoin de maintenir vivante son identité individuelle ou ne pas la dissoudre dans l’ensemble.
Dès lors que des rapports de tension se créent entre l’ensemble et l’élément, qui présente des traits d’identité sensiblement différents3, ou marqués par une incompatibilité, le problème inextricable de la concordance surgit. Quelle serait la formule, si toutefois elle existait, permettant de laisser coexister ces forces antagoniques tout en maintenant leur spécificité, leur identité, de manière optimale ? La réponse serait-elle liée l’intégration ?
L’intégration fait penser à « l’étranger », celui, qui ne fait pas partie de l’anima collectiva4 de la communauté nationale, qu’il faut « intégrer » sans pour autant sacrifier son identité, ou plutôt l’intégrer dans l’identité collective tout en conservant son identité5. Définir l’« étranger » n’est pas une tâche aisée6 : il en existe différentes catégories. L’« étranger », que l’on pourrait qualifier d’absolu, est le ressortissant d’un État tiers à l’Union européenne, et l’étranger relatif, originaire d’un État membre de l’Union et qui s’est établi en France. Du prisme de l’intégration, cette démarche discriminante entre étrangers et nationaux ne tient cependant pas toujours. Il est des situations, dans lesquelles, il n’est pas impossible de s’interroger sur l’intégration dans l’identité collective de personnes, qui ne présentent pas les caractéristiques formelles de l’étranger, mais qui éprouvent des difficultés considérables à se retrouver dans le corps national auquel elles appartiennent7. Comment penser les raisons de la désintégration des nationaux étrangers ?
La notion d’intégration se réfère par ailleurs à une multitude de réalités sans jamais recevoir une définition claire. Elle appartient à la fois à la langue des sociologues, des politiques, des juristes8. L’intégration se poursuit jusque dans la sphère intime des individus : sont ainsi exclus certaines pratiques, par exemple les mariages polygames, même s’ils sont consentis par toutes les parties. Il ne s’agit pourtant pas de transformer les étrangers en moutons de Panurge et les priver des spécificités culturelles qui leur seraient propres.
L’état des lieux de l’actualité et du droit français ne livrent point des réponses ‘‘prêtes-à-consommer’’. Au contraire, il fait naître davantage d’interrogations et de constats contradictoires qu’il ne propose des solutions. Sur le chemin de la réflexion portée sur l’intégration et l’identité, deux écueils sont constamment présents : premièrement, les interrogations sont à la lisière de plusieurs disciplines : le droit, la sociologie, la science politique, l’histoire9 ; deuxièmement, même si on décide de s’isoler dans le champ juridique, les incertitudes subsistent, et les textes normatifs ne réussissent pas toujours à livrer une solution satisfaisante.
La théorie de l’intégration « à la française » est souvent perçue comme un processus de convergence uniforme des caractéristiques de populations étrangères vers la moyenne de celles de la société française, ce qui suppose que cette dernière dispose d’éléments d’identification qui constituerait une dénomination moyenne commune – un corps unifié10. Le modèle français d’intégration donne également « une grande importance au rôle de l’État […] qui représente la politique de constituer une identité collective forte qui s’exprime dans l’idée d’une nation française […] [p]ar conséquent, la politique d’intégration est d’abord une politique d’État »11. Identifier une identité potentiellement différente de l’identité commune permet alors de commencer à penser le processus d’intégration.
La notion d’intégration s’est progressivement imposée dans les procédures de naturalisation12. Cependant, ce n’est qu’en 1989 que « l’intégration » acquiert un certain statut institutionnel par la création du Haut Conseil à l’intégration, une « instance de réflexion et de propositions »13, qui est chargée de rédiger un rapport annuel et d’émettre des avis consultatifs à la demande du gouvernement sur « l’intégration des résidents étrangers ou d’origine étrangère ». En 2004, l’Observatoire des statistiques de l’immigration et de l’intégration complétait les missions du Haut Conseil, puis le 25 mars 2007, le président de la République Jacques Chirac et le premier ministre Dominique de Villepin prennent la décision de créer l’Observatoire de la laïcité, installée le 4 avril 2013. Cet organisme, une sorte de service public de la laïcité remplaçant le Haut Conseil à l’intégration, qui est dissous dès le mois de décembre 201214, fait un amalgame curieux entre l’intégration des étrangers ou des personnes d’origine étrangère et le respect ou plutôt le non-respect du principe de laïcité. L’Observatoire est à son tour supprimé en 2021 pour laisser place au Comité interministériel de la laïcité, créé pour que « toutes les administrations des ministères mettent en œuvre l’obligation prévue par la loi confortant les principes de la République de formation aux exigences du principe de laïcité pour tout agent public ». Le glissement (pas très subtil) d’un Haut Conseil à l’intégration vers des assemblées consultatives ou des comités interministériels, qui veillent au respect de la laïcité, laisse penser que la laïcité serait principalement « attaquée » par des populations étrangères ou d’origine étrangère, surtout associées à la confession musulmane15.
L’année de création du Haut Conseil à l’intégration – 1989 – est loin d’être le fruit du hasard. C’est l’année, qui marque le début de l’affaire du voile de Creil ou plutôt des affaires du foulard islamique en France. En octobre 1989, deux élèves de confession musulmane sont exclues du collège Gabriel Havez de Creil, parce qu’elles refusent d’enlever leur voile en classe. Le Haut Conseil naît deux mois plus tard, en décembre 1989. Intégration – étrangers – laïcité, forment dès cet instant un triptyque devenu l’ornement habituel du paysage public français, tant le voile, les habits indiquant l’appartenance à une religion (pour ne citer que la burka16, le burkini17, le hijab18 ou encore l’abaya19). Ce n’est qu’en 2004 qu’une loi « encadre », pour la première fois, « en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics »20. En 2010, le voile intégral (burqa), objet de débats et de fantasmes de tout genre, se trouve banni de l’espace public (mais pas expressément ciblé) par la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public21. Certes, ces dispositions législatives ne visent pas expressis verbis la religion musulmane, mais, dans leur application, il est évident que les personnes concernées, dans leur écrasante majorité, sont des personnes de cette confession.
Aujourd’hui, la notion d’intégration prend ainsi une forme contractuelle pour tous les étrangers accédant au séjour en France puisque la loi du 7 mars 201622 met en place un « parcours personnalisé d’intégration républicaine » d’une durée de cinq ans, qui comprend une formation civique et linguistique et dont la première étape consiste en la signature, avec l’État, d’un « contrat d’intégration républicaine »23. L’édifice normatif tendant à protéger les principes de la République est complété par la loi du 24 août 202124 confortant le respect des principes de la République, qui entend apporter des réponses au repli communautaire et au développement de l’islamisme radical, en renforçant le respect des principes républicains et en modifiant les lois sur les cultes. La loi de 2021 est adoptée à la suite du projet de loi constitutionnelle avorté sur la protection de la nation25, projet qui se voulait une réaction aux attentats islamistes ayant frappé la France en 2015. Cette modification constitutionnelle, qui n’a jamais vu le jour, comprenait deux articles relatifs à l’état d’urgence et à la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français en sanction des auteurs des crimes constituant une atteinte à la vie de la nation26. La loi crée un nouveau « délit de séparatisme » qui vient protéger les élus et agents publics contre les menaces ou violences pour obtenir une exemption ou une application différenciée des règles du service public. Aucune disposition spécifique n’existe en ce qui concerne l’activité d’enseignement qui se trouve souvent exposée à des critiques de la part de parents n’acceptant pas que leurs enfants puissent être confrontés à des réflexions ou à des images jugées incompatibles avec leur religion. Deux événements tragiques prouvent la nécessité impérieuse de réagir aux menaces d’individus prônant le dogme d’une religion radicale et intolérante. En réponse à l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty27, le législateur français crée le délit d’entrave à la fonction d’enseignant28. Malheureusement, l’existence de cette infraction pénale ne permet pas d’éviter l’assassinat de Dominique Bernard29 en octobre 2023, victime du terrorisme islamiste.
Enfin, en 2023, le projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration des étrangers fait l’objet de vives discussions. Selon le Gouvernement français, ce projet, très ambitieux, vise à assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue, à améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public, à sanctionner l’exploitation des migrants et contrôler les frontières, à engager une réforme structurelle du système d’asile et à simplifier les règles du contentieux relatif à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers. La loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration »30, qui fait encore une fois écho aux difficultés d’intégration liées à l’immigration, est adoptée le 19 décembre 2023 dans sa version issue de la commission mixte paritaire, après des débats houleux, et entre en vigueur le 26 janvier 2024 après que le Conseil constitutionnel a pu se prononcer sur le texte en déclarant certaines dispositions inconstitutionnelles31.
Ces textes déploient les liens intimes, aux yeux du législateur, entre les populations étrangères ou d’origine étrangère et les problèmes liés au respect des principes de la République, notamment le principe de laïcité32, transformé en étendard brandi toutes les fois qu’une faille est enregistrée dans le système d’intégration. Premier pays musulman d’Europe (en ne prenant pas en compte la Turquie), la France, « historiquement structuré[e] par des principes politico-culturels tels que la laïcité, la nation et la république »33, s’efforce à maintenir l’équilibre parfois fragile entre le respect de ce principe élastique de rang constitutionnel et le respect de la liberté de religion, elle aussi constitutionnellement protégée.
L’ensemble des mesures régissant la situation des populations étrangères ou d’origine étrangère témoigne d’une conception de l’intégration dont le point d’aboutissement constitue l’acquisition de la nationalité. Pourtant, face à cette thèse dominante, selon laquelle la naturalisation vient sanctionner le parcours d’un immigrant « intégré », d’autres défendent l’idée que la naturalisation, par elle-même, serait en effet un vecteur d’intégration en donnant accès à un ensemble de droits. La naturalisation représenterait même « le processus d’intégration sociale par excellence, puisqu’il assure l’égalité – ne serait-ce que formelle mais tout aussi nécessaire – entre les immigrés devenus citoyens et les nationaux face à la loi »34. D’une part, considérer la naturalisation comme une « faveur », un droit qui se « mérite », voire un plaisir, le « plaisir d’être Français ». D’autre part, rappeler que la naturalisation octroie des droits et réduit les inégalités entre étrangers et Français. Même si l’intégration formelle s’accomplit dans l’entrée formelle de l’étranger dans la communauté nationale, il n’est pas exclu d’avoir des personnes non-naturalisées qui sont complètement intégrées. Si la question de l’intégration se pose, c’est que les étrangers ne sont pas traités comme des nationaux : ils sont en principe privés du droit de vote, se voient interdits certains emplois de la fonction publique, peuvent être expulsés du territoire.
Focaliser l’analyse de la naturalisation sur la notion d’intégration conduit néanmoins à occulter la dimension pragmatique de l’acte au profit d’une conception émotionnelle et même idéologique de la nationalité. Le débat sur les relations entre naturalisation et intégration reflète une manière politique et quelque peu ethnocentrée d’aborder la question, qui présuppose l’infériorité sociale des étrangers tendant supposément à vouloir immanquablement obtenir la nationalité. Or, la naturalisation « doit également se comprendre au regard des intérêts qu’elle présente pour l’État qui l’octroie. […] Seule instance à pouvoir tracer la frontière entre celui qui est Français et celui qui ne l’est pas », la puissance publique bénéficie, ce faisant, d’un « monopole de la définition légitime du national »35.
Ces remarques introductives montrent que le processus d’intégration peut se déployer en deux directions : une intégration matérielle par l’exercice de certaines libertés (la liberté de religion) comme garantie de sauvegarde de l’identité individuelle (B.) et une intégration formelle, qui tend à l’incorporation de cette identité individuelle dans l’identité collective par l’obtention d’un statut stable au sein de la communauté des citoyens et qui permet l’exercice des droits politiques réservés aux nationaux (C.). Enfin, il convient d’envisager la désintégration de la communauté nationale comme phénomène contemporain qui met en échec la présomption simple d’intégration réussie par l’octroi ou la possession de la nationalité (D.).
B. L’intégration matérielle comme garantie de sauvegarde de l’identité individuelle
À cet endroit, il est impossible d’embrasser toutes les questions que pose l’intégration matérielle tant des étrangers que des nationaux. Aborder des problèmes d’intégration en particulier en se concentrant sur la liberté de conscience, et par conséquent sur le principe de laïcité, est en revanche une mission davantage accessible, même si sa complexité laisse parfois l’observateur démuni sur son chemin à la recherche de solutions dont la mise en œuvre n’aboutit pas aux résultats escomptés.
L’exercice de la liberté de conscience et son corollaire, la liberté d’exercer sa religion, est étroitement et même fatalement associée au principe de laïcité36. La liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République37, est rattachée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 178938.
La laïcité se retrouve dans le bloc de constitutionnalité actuel : à l’article 1er39, dans 13e alinéa du Préambule de la Constitution de la IVe République du 27 octobre 194640, qui fait partie du préambule-éventail de la Constitution du 4 octobre 1958 actuellement en vigueur. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État ne mentionne pas le mot laïcité, mais en illustre l’idée en proclamant d’abord la liberté de conscience, et donc la liberté religieuse, la liberté d’exercice du culte et la non-discrimination entre les religions et en consacrant la neutralité de l’État : « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte »41. Ainsi, la liberté de conscience recouvre deux aspects : l’aspect religieux lorsqu’elle est associée au principe de laïcité, qui impose que la république garantisse le libre exercice des cultes, et l’aspect « laïc ». Le but n’est pas de faire ici l’archéologie de cette « singularité française »42, la laïcité, mais d’en esquisser les contours, dans lesquels doivent être intégrées des personnes de confessions différentes, dont l’exercice paraît parfois inconciliable avec la laïcité française.
Certes, la loi du 9 décembre 1905 ne livre pas de définition de la laïcité43, mais la jurisprudence en précise les traits caractéristiques : dans une décision du 21 février 201344, le Conseil constitutionnel apporte trois précisions : 1) le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la constitution garantit et peut être invoqué dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (contrôle a posteriori)45 ; 2) en tant que principe organisationnel de la République, la laïcité implique « la neutralité de l’État » ; 3) « le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et la République garantit le libre exercice des cultes »46.
En ce qui concerne les populations étrangères ou d’origine étrangère, doit leur être garanti la liberté d’exercer leur religion tout en respectant le principe de laïcité. Parfois, il s’agit d’une équation impossible : la concordance pratique entre ces deux masses de rang constitutionnel n’est pas une entreprise aisée. La conception républicaine de l’intégration et de la laïcité est souvent mal perçue, peut-être parce qu’elle signifie le noyau dur des libertés qui est entendu comme un socle de droits individuels que la dimension collective de l’identité ne saurait contraindre. Pour les étrangers, dont la tradition familiale se rattache à des sociétés théocratiques ou totalitaires, le système politique français apparaît trop individualiste. Ceux qui ont fui les persécutions, même s’ils aspirent à davantage de liberté, se voient confronter à des lois et des institutions qui ne vont pas de soi, par la place centrale donnée à la responsabilité individuelle. Mais est-ce qu’il s’agit vraiment de concilier la liberté de religion et le principe de laïcité ou la liberté de religion et l’ordre public ?
L’apparition progressive du voile, puis du voile intégral illustre la situation classique de conciliation de valeurs antagonistes. Il s’agit de trouver un point d’accord entre la liberté individuelle, et notamment la liberté religieuse et la liberté d’aller et venir, d’une part, et le respect de l’ordre public, d’autre part. En ce sens, le principe de laïcité ne peut par lui-même justifier des interdictions totales. Il oblige les autorités publiques à davantage respecter toutes les religions et à les traiter également en restant neutre. Mais il n’interdit pas aux personnes de manifester leurs convictions religieuses à partir du moment où ces dernières ne transgressent pas l’ordre public. La laïcité ne signifie pas la négation ou la méconnaissance de toute appartenance religieuse.
La laïcité ne peut donc pas être invoquée pour justifier à elle seule une interdiction absolue du voile intégral. Or, quelle que soit la vérité, quelle que soit la part de contrainte et de choix – ou de l’intériorisation de la contrainte en choix –, nombre de femmes revendiquent le droit de le porter en avançant leurs convictions religieuses. Même si l’on peut penser que c’est là le produit d’une sujétion plus ou moins intériorisée, même si l’on peut penser que la majorité d’entre elles sont effectivement les victimes d’un ordre social tyrannique, à partir du moment où elles disent vouloir librement le porter ? Sans doute la servitude volontaire est-elle encore de la servitude, mais comment les juges pourraient-ils l’évaluer ?
L’interdiction ne peut donc se fonder que sur la notion d’ordre public au nom de laquelle, depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, on admet des limitations à l’exercice des libertés : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (article 10 DDHC). Interdire la burqa risquerait de compromettre le processus d’intégration des populations migrantes ou descendant de migrants ? Faut-il au nom de l’intégration des populations de tradition musulmane accepter des comportements potentiellement incompatibles avec les valeurs républicaines? Si le terme d’intégration concerne dans la vie publique les immigrés, il concerne l’intégration sociale en général. Pour vivre ensemble, alors que nous sommes différents, il faut à la fois reconnaître l’altérité de l’autre et le reconnaître comme son égal.
Reconnaître l’autre, ce n’est pas détourner les yeux de sa différence, c’est pleinement l’admettre, tout en affirmant qu’il n’en est pas moins égal en dignité et en droits. Il existe cependant des limites à cette reconnaissance des particularismes même dans la sphère privée. La diversité de la société civile peut être aussi large et variée que les individus le souhaitent, mais seulement s’il reste compatible avec les valeurs d’égalité et de liberté individuelle qui fondent la légitimité de la citoyenneté, si elle ne remet pas en question le principe de l’unité de l’espace public défini par les institutions et les pratiques de la citoyenneté.
Il ne faut pas oublier que l’égalité de toutes les croyances ne signifie pas l’identité de toutes les croyances devant la loi. Est-ce que toutes les croyances sont dans des situations objectivement comparables ? La réponse est négative.
En dehors de l’aspect vertical mettant en exergue l’État et les personnes, qui cherchent à exercer leur religion, il convient peut-être de réfléchir sur une sorte d’effet horizontal : se garantir mutuellement le respect de l’exercice de sa religion. Est-ce qu’il nous est aujourd’hui possible de garantir par exemple l’exercice de la religion juive sans que les personnes, qui la pratiquent, se sentent menacées par d’autres groupes de confessions différentes ?
La déconstruction possible de la laïcité, principe fondateur de l’école en tant que lieu de jonction entre l’État et la société civile peut compléter les difficultés liées à l’exercice de la religion qui se heurte à l’édifice républicain. La laïcité est la réponse française au processus de sécularisation47, par lequel le religieux quitte le champ du politique, ce qui permet de considérer que chacun est souverain en matière religieuse. La foi religieuse ne dépend alors ni de la contrainte politique, ni d’une pression cléricale ou familiale (ce qui est mis en échec dans le cas d’une pratique rigoriste de la religion islamique). L’État ne dispose pas du monopole de la religion légitime, et « n’a pas à participer à la ‘guerre des dieux’, il doit seulement la pacifier et la maîtriser »48.
Mais une « nouvelle sécularisation » semble progressivement prendre le relais de la laïcité que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’« ouverte »49. Selon cette programme idéologiquee, la sécularisation ne signifie nullement l’affaiblissement des religions dans la société mais, au contraire, la banalisation du religieux. Comptant même sur « le renouveau religieux » pour résister plus efficacement à l’Etat et aux institutions républicaines, cette « nouvelle sécularisation » tend à opposer la sécularisation, qui serait du côté de la liberté, à la laïcité stigmatisée pour son autoritarisme. Elle soutient que le renouveau religieux est facilité par son « inscription […] sur un arrière-plan de sécularisation » et présente les nouvelles expressions religieuses comme parfaitement disposées à « se fondre dans des pratiques et des identités plus diversifiées ». Par la posture individualiste qu’elles adoptent volontiers, ces nouvelles expressions religieuses prouveraient qu’elles sont en phase avec une société sécularisée qui ignore « l’évidence sociale de la religion et l’obligation à se définir comme croyant »50.
Il y a donc lieu de craindre que la « nouvelle sécularisation » annonce en réalité une « désécularisation », et les voix de plus en plus présentes dans le débat public, qui appellent à l’autorisation du port de signes religieux, même ostensibles, comme le voile, y compris dans l’enceinte de l’école publique, ne sont plus aussi rares. La présence de la religion dans les habitudes, les mentalités et les institutions ainsi qu’une accoutumance de la société aux prescriptions et aux prétentions les plus rétrogrades de certains groupes religieux semblent menacer ce qui paraissait inébranlable : la foi en le principe de laïcité. Résultat de combats politiques et idéologiques, l’édifice juridique de la laïcité française n’est pas un acquis définitif. Si la désécularisation, déguisée en « nouvelle sécularisation » ou en « laïcité ouverte » devait se poursuivre, elle entraînerait à plus ou moins brève échéance l’écroulement de la laïcité institutionnelle. Il revient donc à la laïcité de relever le défi de l’actuelle tendance réactionnaire à la désécularisation. Les immigrés sont les premiers à s’acquitter des frais de cette fracture : certains les renvoient à des identités d’origine au détriment d’une émancipation personnelle ; d’autres s’en réfèrent à l’abstraction du droit en minimisant les solidarités communautaires. Dans les deux hypothèses, le malaise social qui en résulte engendre de profondes désillusions.
En France, les deux dernières décennies ont connu des évènements violents dans les banlieues des grandes villes, la montée des discriminations racistes et sexistes, le développement d’un communautarisme religieux et ethnique, l’antisémitisme. Certains y ont décelé les limites l’intégration républicaine ; d’autres, à l’inverse, ont fait la relation avec l’effacement des valeurs de la République dans une société devenue « libérale à l’américaine ». Les deux explications ont une part de vérité. Tandis que la mondialisation accompagnait l’expansion de la puissance du marché, il devenait facile de répandre les diatribes contre « le modèle républicain ». L’ethnicisation de la société française, qui s’est produite alors, peut à la fois apparaître comme l’échec de la République mais, aussi comme une symptomatique de la méconnaissance et de l’abandon de ses principes.
C. L’intégration formelle : la conciliation (im)possible entre identité et altérité
Chaque individu est attaché à ce qui constitue son univers familier au sein duquel il se construit son identité individuelle, liée à une identité globale, collective. Chacun trouve sa nation à l’intérieur de soi, comme l’une des dimensions de son identité. La singularité de la nation par rapport aux autres modes d’organisation politique tient à ce que l’idée civique et la citoyenneté – ouverte dans son principe – doivent en dernière analyse primer sur les particularismes ethniques ou religieux, les solidarités domestiques ou claniques. Si seuls les citoyens d’une nation démocratique se voient reconnaître la plénitude des droits politiques, tous les étrangers en situation régulière, non-citoyens, disposent des mêmes droits économiques et sociaux que les nationaux. C’est la seconde dimension universelle de la citoyenneté moderne. L’étranger ne saurait être privé des droits humains puisqu’il n’est pas moins homme que le national. Mais est-ce qu’il est moins citoyen que le national51 ?
L’intégration formelle pose la question des relations entre nationalité et la citoyenneté52 qui « constituent en France à la fois un vieux débat et un débat récent »53. « La nationalité ne saurait assurer une intégration automatique » qui procède du jeu de multiples facteurs. Acquérir la nationalité, c’est surtout obtenir la possibilité d’exercer les droits politiques permettant de participer pleinement à la formation de la volonté politique, et donc à la prise de décision politique. Mais il faut introduire ici une autre notion, qui, bien que proche, et parfois employée comme synonyme de celle de nationalité, trahit des nuances importantes : la citoyenneté représente la jouissance des droits politiques et civiques, mais ne se réduit pas seulement à cette définition54.
La citoyenneté indique la filiation politique de l’individu qui s’inscrit dans un ensemble politique lui permettant d’exercer des droits également qualifiés de politique : il participe au processus décisionnel politique. La citoyenneté comporte trois volets complémentaires : elle est d’abord conçue comme « l’égalité des droits » comme interdiction des discriminations ; elle est également entendue comme « la capacité de participer aux décisions dans un ensemble de domaines variés, non réductibles au politique » ; enfin elle représente « la participation à la souveraineté nationale impliquant la jouissance pleine et entière des droits politiques »55. La nationalité suppose un lien plus étroit, une filiation biologique (jus sanguinis) ou territoriale (jus soli) à la nation. Cependant, les liens qu’entretiennent les deux notions sont flous et, parfois, il est impossible de les dissocier en établissant des critères plus ou moins fiables. La citoyenneté suppose la participation rationnelle, réfléchie à la vie politique de l’État, tandis que la nationalité, à l’instar de l’étymologie du mot français56, trahit le trait physique, et, peut-être, dans certaines circonstances, irrationnel de l’appartenance à la nation de l’individu, qui, naissant sur le territoire et/ou ayant des parents de nationalité française, n’a pas lui-même choisi ab initio cette filiation, à laquelle il peut renoncer en remplissant certaines conditions. Toutefois, la dichotomie entre nationalité et citoyenneté perd de sa pertinence si l’on accepte que la nation n’est pas seulement une communauté consolidée par les liens du sang ou ayant en commun un espace géographique déterminé : « Ce n’est ni la race ni la langue qui font la nationalité, mais une communauté d’idées, d’intérêts, d’affection, de souvenirs, d’espérance »57. La nationalité n’est pas qu’un lien juridique, elle peut également être perçue comme « une mentalité » : « Un étranger est assimilé, non pas quand il a les mêmes idées qu’un national, car les idées sont différentes même entre nationaux, mais quand il a acquis la même mentalité, c’est-à-dire la même tournure d’esprit, la même façon d’envisager toutes les idées. Une nationalité est une mentalité […] et c’est directement de cette mentalité commune que découle l’unité morale nationale, laquelle engendre à son tour la communion »58. La question serait alors celle de savoir si les candidats-nationaux répondent à cette mentalité pour pouvoir y être formellement intégrés.
Le national-citoyen59 combine ces deux types de filiation et représente l’élément constitutif de l’espace politique français60. Mais, dans l’histoire politique récente, il est des exemples de nationaux qui n’étaient pas des citoyens à part entière61. Il suffit de penser au droit de vote qui n’a été accordé aux femmes françaises qu’en 194462. Il est également possible d’exercer certains des droits politiques de citoyen sans avoir la nationalité de l’État. Les ressortissants de l’Union européenne résidant en France sont éligibles et électeurs aux élections européennes et municipales, mais ne peuvent en revanche pas participer aux élections législative et présidentielle, ni directement élire des sénateurs, car il s’agit d’élections participant directement ou indirectement à l’exercice de la souveraineté nationale63. Tout système d’organisation politique inclut les nationaux et exclut les étrangers. Le processus d’intégration interne ne peut pas ne pas tenir compte des intérêts nationaux, des relations entre les nations. Le droit de la nationalité règle les problèmes que soulèvent les populations marginales en distinguant juridiquement le national et l’étranger et en précisant les conditions selon lesquelles on passe d’un statut à l’autre.
La Révolution française, déjà, confère un contenu politique à la notion de nationalité : la citoyenneté64 en érigeant la reconnaissance des idées révolutionnaires en marqueur d’appartenance de tout étranger au corps politique français. Le « Français » est défini pour la première fois, et, alors que le mot « nationalité » n’existe pas encore, on préfère l’expression « qualité de Français »65. Après 1791, tout homme fidèle à ces idées, quelle que soit son origine, est digne d’être citoyen, et prête le serment civique qui incarne l’idéal d’universalité de l’Assemblée législative66. Il est possible d’établir le lien entre l’idéal révolutionnaire et les principes de la République qui constituent le code génétique de la France d’aujourd’hui. Il ne s’agit guère de seulement faire sienne la devise « liberté, égalité, fraternité », mais de davantage se reconnaître dans une certaine vision du monde, dans un mode de vie et dans les règles du vivre-ensemble de la société française, prise à la fois dans ses aspects culturel et politique67. Il convient également de remarquer un détail : les principes que l’on qualifie aujourd’hui de « républicains » commencent à se forger et prennent forme sous la monarchie constitutionnelle consacrée par la Constitution du 3 septembre 1791 : des cendres du régime monarchique commence à émerger la caractéristique première de la France – sa forme républicaine68.
Aujourd’hui, la République est secouée par les mouvements migratoires, par les récentes démonstrations en faveur de la cause palestinienne69 et leur identification avec une population étrangère ou d’origine étrangère, perçue par certains comme une menace pour l’identité républicaine et qui ont de nouveau fait apparaître le spectre du référendum sur l’immigration : la communauté nationale, ou plutôt une partie de celle-ci portée par le souffle de mouvements populistes en quête de bouc émissaire des maux dont souffre la société fracturée, veut se saisir du sort des personnes qui n’y appartiennent (pas encore) en usant de tous les moyens afin d’empêcher leur intronisation en tant que nationaux ou du moins limiter les droits, dont ils bénéficient en tant qu’étrangers sur le sol français70. Au fond, la question est celle de savoir si les nationaux doivent décider en dernier lieu qui fera partie de la nation (par référendum) ? C’est-à-dire qui va appartenir juridiquement, et donc formellement, à l’État, puisque la nationalité matérialise ce lien juridique unissant un individu à l’État.
En ce sens, acquérir la nationalité de l’État, dans lequel ils séjournent de manière durable, constitue pour les étrangers soit l’étape ultime d’intégration formelle et donc le début de l’appartenance formelle à l’identité collective, soit la dissociation de l’identité individuelle et de l’appartenance collective. Lien juridique de rattachement entre un Etat et un individu, la nationalité est une notion qui doit également être envisagée, sur le plan interne, comme un état (status) de l’individu. L’étranger est toujours à la recherche de la reconnaissance par l’État de sa propre identité intégrée à l’identité nationale.
En France, il existe plusieurs manières d’accéder à la nationalité française71. Par attribution : le droit du sang, le droit du sol72, et par acquisition (naturalisation). La nationalité est attribuée lorsqu’elle est obtenue de manière automatique : dès la naissance tout enfant né en France ou à l’étranger dont au moins un des parents est Français (droit du sang)73, tout enfant né en France de deux parents apatrides74 ; tout enfant né en France dont au moins un des parents est également né en France (double droit du sol)75.
La nationalité peut également être attribuée à la majorité lorsqu’un enfant est né en France de deux parents étrangers (droit du sol)76. La naturalisation est un mode d’acquisition qui se fait par décision de l’autorité publique (décret) et est accordée sous certaines conditions, notamment une résidence habituelle sur le sol français depuis au moins cinq ans ou par mariage. La décision est prise de manière discrétionnaire par l’administration qui peut refuser la naturalisation même si les conditions sont réunies77. Mais quiconque souhaite acquérir la nationalité française doit justifier de son « assimilation à la communauté française » lors d’un entretien individuel et signer la Charte des droits et devoirs du citoyen français78.
Est-ce que la volonté unilatérale de l’État suffit à « fabriquer » un Français, alors même que son appartenance va à une autre communauté sociale et culturelle ? Est-ce que l’acte (unilatéral) de naturalisation est une sorte de contrat d’adhésion que l’on signe sans en lire les clauses ? Donner le droit au séjour, garantir l’exercice de droits économiques et sociaux sans accorder le droit de voter et de pleinement participer à la vie politique, c’est faire naître des citoyens de seconde zone qui ne peuvent, comme les autres, défendre leurs droits par l’action politique. Est-ce qu’on ne retrouve pas ainsi, dans l’image de l’étranger, qui se soumet aux règles, pour pouvoir rester sur le territoire national, des vestiges de la relation toujours déséquilibré, verticale, entre l’État, la puissance publique, et l’individu étranger qui en devient l’objet, sans pouvoir participer à la détermination politique du pouvoir, qui s’exerce sur lui, ni faire partie de la chaîne de légitimation démocratique des organes du pouvoir d’État ?
Si tout citoyen est en principe un national, tout national n’est pas nécessairement citoyen79. En France, ce règle n’a guère évolué, si ce n’est par l’émergence d’une citoyenneté européenne qui a partiellement découplé l’exercice de certains droits politiques et la possession de la nationalité80. En ce sens, le citoyen européen non national demeure juridiquement un étranger relatif en ce que ses droits territoriaux demeurent contingents. Il ne peut exercer de manière plénière ses droits civiques et politiques puisqu’il ne peut participer qu’aux élections municipales et européennes, mais n’a pas accès aux élections nationales. Le critère discriminant de la nationalité conserve ainsi sa pertinence et son actualité en droit des étrangers, y compris dans le cadre de l’Union européenne.
D. La désintégration en guise de conclusion
Il devient de plus en plus difficile de répondre au problème inextricable de l’intégration prise dans la double contrainte de préserver l’identité des personnes formellement intégrées, par leur naissance ou après avoir acquis la nationalité française, mais n’appartenant pas à la communauté nationale et l’identité collective, et, à certains moments, de maintenir la paix sociale.
L’intégration formelle ne suffit sans doute pas à garantir un processus d’intégration et l’adhésion aux traditions et principes républicains, mais il n’est pas certain que ce constat puisse conduire à la conclusion d’un échec. L’entrée formelle dans la nation permet surtout de revêtir l’habit politique du citoyen, mais ne pourrait jamais s’accompagner de la volonté de sonder les tréfonds des âmes afin de savoir si les personnes étrangères, qui se placent de l’autre côté de la frontière juridique les séparant des nationaux, acceptent réellement de devenir « républicains », de respecter le principe de laïcité ou encore de faire la paix avec la liberté d’expression qui peut heurter frontalement leurs sensibilités religieuses ou culturelles. L’échec consiste plutôt en le refus de voir les différences profondes, qui séparent ces personnes, devenues citoyennes, de la République. La marginalisation ou le souhait d’imposer par la force les principes républicains sans qu’un travail de pédagogie, d’explication et de compréhension des fissures profondes risque de davantage creuser le fossé béant dans lequel guette le monstre de la désintégration de la communauté nationale. La prétendue existence de « Français de papier » signifierait qu’il est de « vrais » Français et de « faux » Français, qui n’ont que les caractéristiques formelles de l’appartenance, mais ne peuvent jamais matériellement devenir des citoyens français81. Cette division contribue à exacerber le sentiment communautaire de certaines populations qui se voient refuser l’entrée dans l’antre de la nation.
Mais, parfois, il faut également penser l’intégration des nationaux. De la même manière qu’il est difficile de garantir l’intégration réussie de populations étrangères par l’octroi de la nationalité, il se peut que des personnes de nationalité française expriment le désir de quitter le socle de valeurs communes et ne se reconnaissent ni dans le système culturel ni dans la société à laquelle ils sont censés formellement appartenir.
Ces lignes étant écrites par une « étrangère », qui reconnaît comme siennes d’autres cultures – française et allemande – en même temps que la culture bulgare au sein de laquelle elle est née, elle se remet à l’indulgence du lecteur et souhaite exprimer un sentiment très personnel et pourtant commun à un grand nombre d’étrangers aux cultures multiples. Souvent, ce qui compte, c’est d’avoir droit à l’indifférence face à sa différence, qu’elle soit matérielle, en raison de traditions différentes (mais pas antagoniques) à celles de la République ou formelle, à cause de l’absence de la « carte d’identité »82, premier symbole d’appartenance bureaucratique au grand pays de migration qu’est la France.
- Dictionnaire Gaffiot, latin-français, 1934, p. 836. [↩]
- Entrée « intégrer », Centre national de ressources textuelles et lexicales, <https://www.cnrtl.fr/definition/academie8/int%C3%A9grer>. Les sciences sociales aident à esquisser les limites de cette définition : « C’est le degré de cohésion de l’ensemble qu’il est important de mesurer. Il peut s’agir de socialisation des enfants, d’intégration des immigrés, d’une nation nouvelle ou du consensus et de la participation des citoyens à la vie de la collectivité » (M. Grawitz, Lexique des sciences sociales, 1988, p. 215). [↩]
- D. Schnapper, « Quelle politique multiculturelle ? », Le Débat, n°186, 2015, p. 111 s. : « On affirme volontiers que le ‘modèle républicain’ est en crise, qu’il est désormais incapable d’intégrer les nouveaux immigrés et leurs enfants dans la société française. […] Ni en France, ni en Allemagne, ni en Grande-Bretagne, des droits collectifs n’ont été accordés à des groupes particuliers. La démocratie est fondée sur l’égalité de chaque citoyen ». [↩]
- N. Elias, La société des individus, traduction française J. E. Fayard, 1991, p. 40-41 : « On attribue même parfois […] une seule âme, au-dessus de l’âme individuelle, une anima collectiva ou ‘esprit de groupe’ à des collectivités sociales tout entières, à des masses d’individus ». La différence entre les individus composant la société ne réside pas seulement en la présence ou l’absence d’une carte d’identité, de la même nationalité, ni même de la langue, mais peut être le reflet de parcours personnel, culturel ou économique antagoniques : « Ce qui nous manque – il faut bien s’en rendre compte – c’est un mode de pensée, une vision d’ensemble qui nous permette de comprendre, en réfléchissant, ce que nous avons en réalité sous les yeux tous les jours, qui nous permettent de comprendre comment la multitude d’individus isolés – autrement dit, comment ils forment une ‘société’ […] ». [↩]
- Tout en nous gardant de tomber dans le piège d’un grand nombre de juristes citant abondamment Jürgen Habermas, il semble que cette réflexion soit pertinente : J. Habermas, « L’État-nation a-t-il un avenir ? », in du même, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, traduction française R. Rochlitz, p.138 : « Le problème des minorités ‘natives’ s’explique par le fait que les citoyens, y compris en tant que sujets de droit, ne sont pas des individus abstraits, séparés de leur contexte d’origine. Dans la mesure où le droit porte sur des questions éthico-politiques, il affecte l’intégrité des formes de vie dans lesquelles la vie personnelle est façonnée. [↩]
- D. Lochak, Étrangers : de quel droit ?, 1985, p. 41-42 : « Dès que l’on veut, non plus simplement rendre compte des représentations collectives attachées à l’étranger, de la multiplicité de ses figures, mais essayer de cerner plus précisément les contours de la notion, on est nécessairement ramené au droit ; la définition de l’étranger comme catégorie, dans la mesure où elle suppose un minimum de conceptualisation, fait toujours intervenir, à un degré variable, le droit, qui seul permet de répondre clairement à la double question : qu’est-ce qu’un étranger, qui est étranger ? […] la question : qu’est-ce qu’un étranger ? pose le problème de la collectivité pertinente par rapport à laquelle se détermine l’extranéité, donc la qualité d’étranger […] ». [↩]
- Il peut s’agir de difficultés liées à des habitudes culturelles, mais aussi idéologiques. En Allemagne, les Reichsbürger, les « citoyens de l’Empire » illustre le cas particulier de ces étrangers nationaux, qui ne se reconnaissent pas dans le système de la République fédérale d’Allemagne, qui, selon leur idéologie, n’existerait qu’en tant que supercherie, née des cendres de l’Empire au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. Ces « citoyens » se présentent comme des citoyens de l’Empire allemand qui n’aurait jamais cessé d’exister. V., en langue française, C. Schönberger, S. Schönberger : « Nier la Constitution. Le cas des Reichsbürger », Pouvoirs, n°187, 2023, p. 101-112 ; en langue allemande, des mêmes (dir.), Die Reichsbürger. Verfassungsfeinde zwischen Staatsverweigerung und Verschwörungstheorie, 2019 ; des mêmes, Die Reichsbürger. Ermächtigungsversuche einer gespenstischen Bewegung, 2023. [↩]
- E. Durkheim, De la division du travail social, Livre I, 1893, p. 102, pose le problème de l’intégration des sociétés modernes : « Non seulement les citoyens s’aiment et se recherchent entre eux de préférence aux étrangers, mais ils aiment leur patrie ». Pour D. Schnapper, Qu’est-ce que l’intégration, 2007, p. 28 s., qui se réfère à Durkheim, « la seule citoyenneté commune, définie par l’égalité des droits civils, juridiques et politiques, ne suffit pas pour assurer concrètement le lien social. La solidarité abstraite née de la citoyenneté doit être aussi fondée sur l’ensemble des échanges entre les individus ». [↩]
- Il est par ailleurs impossible de réfléchir sur les questions de l’intégration et de l’identité sans adopter une approche sociologique. Il convient de signaler les travaux précieux et indispensables de D. Schnapper, grande spécialiste de ces thématiques : v., p.ex., La France de l’intégration. Sociologie de la nation en 1990, 1991 ; Qu’est-ce que l’intégration ?, 2007 ; de la même (avec la collaboration de C. Bachelier), Qu’est-ce que la citoyenneté ?, 2000. V. également M. Boucher, Les théories de l’intégration. Entre universalisme et différentialisme – Des débats sociologiques et politiques en France, 2000 ; B. Falga, C. Wihtol de Wenden, C. Leggewie (dir.), De l’immigration à l’intégration en France et en Allemagne, 1994 ; S. Beaud, La France des Belhoumi – Portraits de famille (1977-2017), 2018 ; D. Lochak, Étrangers : de quel droit ?, 1985. [↩]
- Or, cette homogénéité et l’existence d’un corps unifié ne sont qu’illusion ; v. D. Schnapper, « Quelle politique multiculturelle ? », Le Débat, n°186, 2015, p. 111 : « Par définition, toute société nationale est objectivement multiculturelle en ce qu’elle rassemble en une seule unité politique des populations diverses par leurs origines, leurs croyances et leurs conditions sociales » ; p. 113 : « La tradition française […] c’est l’intégration au sens actif ou historique du terme, autour d’un projet politique, né des valeurs incarnées par la Révolution et fondé sur le principe et, jusqu’à un certain point, sur la pratique de la citoyenneté individuelle ». [↩]
- M. Boucher, Les théories de l’intégration. Entre universalisme et différentialisme, 2000, p. 40. [↩]
- C. Zalc, « La naturalisation acte vecteur d’intégration ? Retour sur l’histoire du débat dans le premier XXe siècle », Pouvoirs, n°160, p. 47-60, en particulier p. 47 s. [↩]
- Créé par le gouvernement de Michel Rocard sous la présidence de François Mitterrand. [↩]
- Depuis le 24 décembre 2012, le président et les membres du collège du HCI ne sont plus en fonction. À compter de cette date et en l’absence de collège, le HCI n’est donc plus en situation d’émettre des avis, ni de publier des rapports », pouvait-on lire sur le site du Haut Conseil. [↩]
- P. Raynaud, La laïcité. Histoire d’une singularité française, 2019, p. 185 : « Aux yeux d’une partie significative de l’opinion publique d’aujourd’hui, la question de la laïcité tend à se confondre avec celle de la place de l’islam dans la société française. Pour les plus optimistes des ‘laïques’, la laïcité est la clé de la réussite à venir de l’‘intégration’. Mais on ne sait pas toujours si c’est parce que la laïcité va offrir à l’islam un cadre satisfaisant pour s’épanouir pacifiquement ou parce qu’elle aura sur lui le même effet de neutralisation qu’elle a eu sur les autres religions. […] La question nouvelle que pose l’islam n’est pas de savoir si l’État laïque peut reconnaître aux musulmans les droits qui sont ceux de tous les citoyens français, ce que, dans le cadre républicain, personne ne peut mettre en doute, mais si l’islam peut trouver sa place sans avoir un statut différent de celui des autres religions ». V. également : A. Besançon, Problèmes religieux contemporains, 2012 et J. Baubérot, Histoire de la laïcité en France, 7e éd., 2017. [↩]
- D. Schnapper, « Par-delà la burka : les politiques d’intégration », Études, 2010, p. 461 s. [↩]
- J. de Gliniasty, « Laïcité dans les piscines municipales : entre principe juridique et argument politique », Revue des droits et libertés fondamentaux, 2022, chronique n°33 (<https://revuedlf.com/droit-administratif/laicite-dans-les-piscines-municipales-entre-principe-juridique-et-argument-politique-ce-ord-21-juin-2022-commune-de-grenoble/>). Plusieurs arrêtés municipaux interdisent le burkini. Le Conseil d’État suspend leur application en l’absence de l’existence d’un risque actuel et avéré pour l’ordre public (p.ex. : CE, 17 juillet 2023, Ligue des droits de l’homme, n°475636). [↩]
- Le voile islamique ou le hijab a par exemple été interdit aux compétitions de football féminin, ce qui a soulevé de vives discussions et des reproches d’exclusion des femmes qui portent cet élément du vestiaire religieux islamique (CE, 29 juin 2023, Associations Alliance citoyenne et Contre Attaque, n°458088, 459547 et 463408). [↩]
- Le 31 août 2023 Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, indique dans une circulaire « Respect des valeurs de la République » (<https://www.education.gouv.fr/bo/2023/Hebdo32/MENG2323654N>) adressée aux chefs d’établissement ; aux inspecteurs de l’Éducation nationale et aux directeurs d’établissement que le port de l’abaya ou du qamis au sein des écoles, collèges et lycées publics constituait une manifestation ostensible d’appartenance religieuse interdite par l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, issue de la loi du 15 mars 2004. La mesure administrative fait l’objet de deux procédures successives en référé-liberté et en référé-suspension devant le Conseil d’État. Le juge administratif rejette les deux demandes en arguant de l’affirmation religieuse qu’exprime le port de l’abaya ou du qamis, interdite par la loi. Interrogé sur sa décision et accusé de mener une politique contre la religion musulmane, Gabriel Attal déclare en octobre 2023 : « Je ne prends aucune mesure contre l’islam, je prends des mesures pour la laïcité ». [↩]
- Article 1er de la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » (inséré en tant qu’article L. 141-5-1 au Code de l’éducation). [↩]
- Article 1er de la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Sur le principe de laïcité dans l’enseignement : B. Toulemonde, « La laïcité et le droit. La laïcité de l’enseignement », p. 23-28, en particulier p. 27 et P. Claus, « L’école et l’enseignement des faits religieux », p. 29-33, Administration & Éducation, 2016, n°151 ; D. de Béchillon, « Voile intégral : éloge du Conseil d’État en théoricien des droits fondamentaux », Revue française de droit administratif, 2010, p. 467 s. [↩]
- Loi n°216-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France. [↩]
- <https://www.ofii.fr/wp-content/uploads/2020/12/CIR-CONTRAT.pdf>. [↩]
- Loi n°2021-1109 du 24 août 2021. [↩]
- Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation présenté au nom de M. François Hollande, Président de la République, par M. Manuel Valls, Premier ministre, et par Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015 (<https://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl3381.asp>) [↩]
- Article 2 de la loi modifiant l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». [↩]
- L’assassinat de Samuel Paty ou l’attentant de Conflans-Sainte-Honorine est une attaque terroriste islamiste perpétrée le 16 octobre 2020. La victime, professeur d’histoire-géographie, est assassinée par un citoyen russe d’origine tchétchène bénéficiant du statut de réfugié sur le sol français. La raison de l’assassinat est l’exposition, par Samuel Paty, à l’occasion d’un cours d’enseignement moral et civique sur la liberté d’expression, de deux caricatures du prophète Mahomet publiées dans le journal satirique Charlie Hebdo. [↩]
- Article 10 de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 complétant l’article 431-1 du Code pénal : « Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la fonction d’enseignant est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». [↩]
- Professeur de lettres, Dominique Bernard a été assassiné le 13 octobre 2023 dans la cour de son lycée par un terroriste fiché pour radicalisation islamiste depuis le 1er février 2021 par les services de renseignement français. [↩]
- Loi n°2024-42 du 26 janvier 2024. [↩]
- CC, décision n°2023-863 DC du 25 janvier 2024, Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration [Non-conformité partielle – réserve]. Sur la décision du Conseil constitutionnel et la loi de manière générale : v. J. Lepoutre, « La nationalité dans la loi du 26 janvier 2024 : une apparition éphémère, des questions persistantes », Revue critique de droit international privé, 2024, p. 283 s. [↩]
- Pour une vue d’ensemble : Y. Gaudemet, « La laïcité en droit français », Commentaire, 2021, n°174, p. 245-254, contenant des références bibliographiques supplémentaires, en particulier p. 245 : « Voici que se déploie à nouveau en France le grand drapeau de la laïcité, brandi un peu partout et pour toute cause. […] Cette laïcité à l’allure de mot d’ordre politique sinon de slogan volontiers rangé au bénéfice sans doute de la rime, aux côtés des principes de liberté, d’égalité et de fraternité hérités de la Constitution de 1848, élevée ainsi au plus haut des valeurs de la République » ; M. Barbier, « Pour une définition de la laïcité française », Le Débat, n°134, 2005, p. 130 s. [↩]
- M. Boucher, Les théories de l’intégration. Entre universalisme et différentialisme, 2000, p. 13. [↩]
- C. Zalc, Pouvoirs, n°160, p. 47 s. [↩]
- C. Zalc, Pouvoirs, n°160, p. 51 s. [↩]
- D. Schnapper, De la démocratie en France – République, nation, laïcité, 2017. [↩]
- CC, déc. n°77-87 DC du 23 novembre 1977, Loi complémentaire à la loi n°59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n°71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de l’enseignement, cons. 5 : «Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ‘Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi’ ; que le Préambule de la Constitution de 1946 rappelle que ‘Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances’ ; que la liberté de conscience doit donc être regardée comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République […] ». [↩]
- CC, déc. n°2017-695 QPC du 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autres, cons. 37 : « […] ‘La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances’. Il résulte de cet article et de l’article 10 de la Déclaration de 1789 que le principe de laïcité impose notamment que la République garantisse le libre exercice des cultes ». [↩]
- « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les religions ». [↩]
- « […] L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. ». [↩]
- Article 2 de la loi du 9 décembre 1905. [↩]
- P. Raynaud, La laïcité. Histoire d’une singularité française, 2019, en particulier p. 120 s. [↩]
- Sur la notion de laïcité la littérature est pléthorique : J. Baudouin, P. Portier (dir.), La laïcité, une valeur d’aujourd’hui ?, 2001 ; C. Benelbaz, Le principe de laïcité en droit public français, 2011 ; G. Koubi, « La laïcité dans le texte de la Constitution », Revue du droit public, 1997, p. 1301-1321 ; M. Philip-Gay, Droit de la laïcité, 2016 ; F. Messner, « Laïcité imaginée, laïcité juridique : les évolutions du régime des cultes en France », Le Débat, 1993, p. 88-94 ; J. Rivero, « Laïcité scolaire et signes d’appartenance religieuse », Revue française de droit administratif, 1990, p. 1 s. ; en langue allemande : C. D. Classen, « Laizität und Religionsfreiheit in Frankreich », Zeitschrift für evangelisches Kirchenrecht, 2017, p. 111-151 ; N. Gross, « Frankreich : ein kraft Verfassung laizistischer Staat – mit religiosen Ausnahmen », JuristenZeitung (JZ), 2013, p. 881-884. [↩]
- Déc. n°2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité [Traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle]. [↩]
- Article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé […] ». [↩]
- Déc. n°2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité [Traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle], cons. 5 et suivants. [↩]
- J.-C. Monod, Sécularisation et laïcité, 2007, p. 75 s. [↩]
- O. Jouanjan, « Ernst-Wolfgang Böckenförde et la légitimité de l’État sécularisé », Droits, n°60, 2014, p. 117 s., dont la contribution s’ouvre par une référence au grand livre de H. Blumenberg, Die Legitimität der Neuzeit, 1966, qui « critique les discours de la sécularisation », qui « dénieraient à la modernité le fait – et même le droit – d’avoir en elle-même le principe de sa légitimité, de reposer, normativement, sur elle-même », alors qu’elle serait « au moins en partie et, pour certains de ces discours, pour sa partie essentielle et constitutive, religion et théologie recyclés à des fins et par des moyens non religieux ni théologiques » ; « Le conflit des valeurs – c’est l’essence même de l’État sécularisé – se joue dans la société et non dans l’État. C’est même le résultat essentiel de la sécularisation que de rejeter hors de la puissance étatique la question des valeurs, et au premier chef des valeurs religieuses ». [↩]
- L. Jaume, L’Éternel défi. L’État et les religions en France des origines à nos jours, 2022, p.176 s. : la « nouvelle laïcité » ou la « laïcité ouverte » s’opposerait à la « laïcité fermée » de J. Ferry ; P. Larralde, « Laïcité éclairée et laïcité aveugle : la tolérance, entre fraternité et indifférence », L’Enseignement philosophique, 2017, p. 9-26 ; H. Pena Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, 2003, p. 128 : la laïcité ouverte est « maniée par ceux qui en réalité contestent la vraie laïcité, mais n’osent pas s’opposer franchement aux valeurs qui la définissent » ; A.-V. Hardel, Signes religieux et ordre public : quelles laïcités dans les rapports espaces publics, espaces privés ?, Les Éditions du Cerf, 2018. [↩]
- L. Jaume, L’Éternel défi. L’État et les religions en France des origines à nos jours, 2022, p.177 s. [↩]
- E.-W. Böckenförde, « Principes de la démocratie, forme politique et forme de gouvernement », in du même, Le droit, l’État et la constitution démocratique, Essais de théorie juridique, politique et constitutionnelle, réunis, traduits et présentés par O. Jouanjan, avec la collaboration de W. Zimmer et O. Beaud, 2000, p. 285, qui établit le lien entre le peuple politique et la légitimation démocratique qui ne permet pas d’inclure les étrangers non nationaux: « Le problème ne peut cependant pas être résolu par l’extension du droit de suffrage à des personnes qui ne seraient pas des nationaux : il doit bien plutôt l’être par une politique d’intégration et de naturalisation. Tant que l’étranger n’est pas devenu membre de l’association étatique, par sa naturalisation et sa disposition à être naturalisé, il lui manque l’appartenance à et l’obligation envers le peuple en tant que communauté politique. Même s’il est économiquement et socialement largement intégré, il reste un « hôte » du point de vue politique. Il n’est pas existentiellement attaché au destin du peuple politique au sein duquel il vit ». V. encore : R. Barakova, « Citoyenneté et nationalité : concordance ou discordance? », in M.-P. Lanfranchi, O. Lecucq, D. Nazet-Allouche (dir.), Nationalité et citoyenneté. Perspectives de droit comparé, droit européen et droit international, 2012, p. 165 s. ; C. Colliot-Thélène, « Le citoyen et l’étranger », in O. Beaud et F. Saint-Bonnet (dir.), La citoyenneté comme appartenance au corps politique, 2020, p. 62-63. Sur l’opposition de citoyenneté et de nationalité : O. Beaud, « Les citoyennetés fédérative et impériale. Deux mondes particuliers d’appartenance à une communauté politique », in O. Beaud et F. Saint-Bonnet (dir.), La citoyenneté comme appartenance au corps politique, 2020, p. 75 ; v. également la thèse de doctorat de J. Lepoutre – une véritable enquête sur les liens intimes entre nationalité et la souveraineté : Nationalité et souveraineté, Dalloz, 2020, en particulier p. 1 s. et p. 49 s. qui met en exergue le rapprochement des notions de « citoyen » et de « sujet ». Depuis, le « citoyen » s’est émancipé de ce rôle de simple sujet (au sens d’assujetti au pouvoir) pour devenir un acteur politique à part entière. Sur la construction des droits subjectifs et la citoyenneté : O. Jouanjan, « Droit publics subjectifs et citoyenneté dans l’œuvre de Georg Jellinek », in O. Beaud, C. Colliot-Thélène, J.-F. Kervégan (dir.), Droits subjectifs et citoyenneté, Garnier, 2019, p. 49-74. [↩]
- J. Leca, « Nationalité et citoyenneté dans l’Europe des immigrations », in J. Costa-Lascoux, P. Weil (dir.), Logiques d’États et immigrations, 1992, p. 13 : « Nationalité et citoyenneté sont des concepts d’intense valeur idéologique et polémique ». Dans la langue allemande, les termes sont interchangeables, même si l’on peut traduire « nationalité » par « Staatsangehörigkeit » (littéralement appartenance [Angehörigkeit] à l’État [Staat]) et citoyenneté – par « Staatsbürgerschaft » (littéralement : citoyenneté [Bürgerschaft, de Bürger – citoyen] de l’État [Staat]). V. encore les développements de M. La Torre, « Citoyenneté », in M. Troper, D. Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, tome 3 (La suprématie de la Constitution), Dalloz, 2012, p. 258-385, en particulier p. 374 s. [↩]
- C. Wihtol de Wenden, « Le cas français », in B. Falga, C. Wihtol de Wenden, C. Leggewie (dir.), De l’immigration à l’intégration en France et en Allemagne, 1994, p. 43. [↩]
- C. Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », 2010, p. 181 : « Toute une partie de la littérature consacrée aux mutations contemporaines de la citoyenneté s’attache aux pratiques des individus et des groupes plutôt qu’à leurs droits formels […] ». [↩]
- D. Lochak, « Qu’est-ce qu’un citoyen ? », Raison présente, n°103, 1992, p. 21. [↩]
- Du latin « natio » : progéniture, engeance, peuple, du verbe « nascor » : naître (Dictionnaire Gaffiot, latin-français, 1934, p. 1012). [↩]
- Le grand historien T. Mommsen écrit : « Nous voyions avec douleur le drapeau français flotter sur cette merveilleuse cathédrale de Strasbourg, chef-d’œuvre de l’architecture allemande. Si nous lisions les poésies écrites par Goethe étudiant à Strasbourg, et, dans son autobiographie, la délicieuse idylle de Sessenheim, la plus vive et la plus belle incarnation poétique de l’amour allemand, nous ne fermerions pas le livre sans nous demander comment nos pères avaient pu laisser ravir ce champ sacré de notre poésie par des étrangers pour qui ces fleurs n’exhalent pas tous leurs parfums, et que nous savions occupés à en extirper notre langue, nos coutumes et notre culte » (Revue des deux Mondes, tome 90, 1870, p. 133, extrait du Manifeste prussien ou Agli Italiani par T. Mommsen). N.-D. Fustel de Coulanges, « L’Alsace est-elle allemande ou française ? », Réponse à M. Mommsen, professeur à Berlin, 1870, p. 7 s., lui répond : « Vous invoquez le principe de nationalité, mais vous le comprenez autrement que toute l’Europe. […] Voulez-vous maintenant que nous cherchions quel est l’étranger pour l’Alsace ? Est-ce la France, ou est-ce l’Allemagne ? Quelle est la nationalité des Alsaciens, quelle est leur vraie patrie ? […] Je vous prie d’examiner cette question posément, loyalement : à quoi distinguez-vous la nationalité ? à quoi reconnaissez-vous la patrie ? […] Mais je m’étonne qu’un historien comme vous affecte d’ignorer que ce n’est ni la race ni la langue qui fait la nationalité. […] Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage : mais par la nationalité et le sentiment de la patrie, elle est française. […] Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas Louis XIV, c’est notre Révolution de 1789 ». L’histoire double de l’Alsace est sans conteste un des exemples de l’impossible appartenance et du sentiment d’être autre tout en étant soi-même. [↩]
- M. Hauriou, Précis élémentaire de droit constitutionnel, 2e éd., 1930, p. 8, qui évoque encore « l’élément de parenté spirituelle » en mentionnant Ernest Renan, qui comprend les nations comme des « formations spirituelles ». V. E. Renan, Qu’est-ce qu’une nation, conférence prononcée à la Sorbonne le 11 mars 1882, qui rejette la conception objectiviste allemande en mettant en avant la conception française, contractualiste, qui est « un plébiscite de tous les jours » : « […] une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». La conférence de Renan répond de manière anachronique aux Discours à la nation allemande (Reden an die deutsche Nation ; traduits en langue française par L. Philippe, avec une introduction de J. Philipe, 1895) de J. G. Fichte, tenus à Berlin le 13 décembre 1807, dont l’objectif est d’éveiller le sentiment allemand d’appartenance nationale pendant l’occupation napoléonienne. [↩]
- J. Leca, « Nationalité et citoyenneté dans l’Europe des immigrations », in J. Costa-Lascoux, P. Weil (dir.), Logiques d’États et immigrations, 1992, p. 15 : « À l’échelon de l’individu citoyen de l’État-nation, la citoyenneté et la nationalité se superposent ‘normalement’, c’est-à-dire aussi ‘normativement’, et de ce fait deviennent en principe des concepts interchangeables : la nationalité est conférée à l’individu par les lois de l’État et emporte pour conséquence le statut de citoyen ; cette phrase peut être répétée en remplaçant un mot par l’autre sans que son sens soit changé ». Leca parle encore de la triade identitaire « national-citoyen-gouvernant » qui « reste cependant l’image forte constitutive à la fois du modèle nationaliste et du modèle démocratique » (p.16). [↩]
- C. Wihtol de Wenden, « Le cas français », in B. Falga, C. Wihtol de Wenden, C. Leggewie (dir.), De l’immigration à l’intégration en France et en Allemagne, 1994, p.43. [↩]
- L’idée du national qui n’exerce pas tous les droits politiques du citoyen n’est guère nouvelle. E. J. Sieyès, dans son discours devant l’Assemblée nationale, lu les 20 et 21 juillet 1789, au comité de constitution, Archives parlementaires de la Révolution française, vol. 8 [5 mai 1789-15 septembre 1789, 1875, p. 239, distinguait déjà entre citoyens passifs et citoyens actifs : « Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif : tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc., mais tous n’ont pas droit à prendre part active dans la formation des pouvoirs publics ; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l’état actuel, les enfants, les étrangers, ceux encore qui ne contribueraient en rien à soutenir l’établissement public, ne doivent point influer activement sur la chose publique. Tous peuvent jouir des avantages de la société ; mais ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale ». [↩]
- Article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Les femmes de nationalité française votent pour la première fois le 29 avril 1945 aux élections municipales, et le 21 octobre 1945 pour élire une assemblée constituante chargée de rédiger un projet de constitution (qui sera celle de la IVe République). [↩]
- CC, déc. n°92-308 du 9 avril 1992, Traité sur l’Union européenne [Non-conformité partielle], cons. 24 à 27 concernant l’élections des membres du Sénat : « Considérant que l’article 3 de la Constitution dispose dans son premier alinéa que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ; que le même article dispose, dans son troisième alinéa, que « le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret » ; qu’il est spécifié au quatrième alinéa de l’article 3 que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques » ; Considérant qu’en vertu de l’article 24 de la Constitution, le Sénat, qui est élu au suffrage indirect, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d’outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi » ; que selon le deuxième alinéa du même article « ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi » ; Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’organe délibérant d’une collectivité territoriale de la République ne peut procéder que d’une élection effectuée au suffrage universel ; que le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l’émanation de ces collectivités ; qu’il s’ensuit que la désignation des conseillers municipaux a une incidence sur l’élection des sénateurs ; qu’en sa qualité d’assemblée parlementaire le Sénat participe à l’exercice de la souveraineté nationale ; que, dès lors, le quatrième alinéa de l’article 3 de la Constitution implique que seuls les « nationaux français » ont le droit de vote et d’éligibilité aux élections effectuées pour la désignation de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale de la République et notamment pour celle des conseillers municipaux ou des membres du Conseil de Paris ; Considérant, qu’en l’état, l’article 8 B, paragraphe 1, ajouté au traité instituant la Communauté européenne […] soumis au Conseil constitutionnel, est contraire à la Constitution […] ». [↩]
- D. Schnapper, « Quelle politique multiculturelle ? », Le Débat, n°186, 2015, p. 113 : « La tradition démocratique repose sur l’idée du citoyen, né symboliquement avec la Révolution. La citoyenneté est conçue comme un tout indivisible, dont la légitimité s’exprime dans un rapport direct du citoyen avec l’État, en marginalisant les corps intermédiaires ». [↩]
- P. Weil, Qu’est-ce qu’un Français?, p. 13, sur l’apparition du mot « nationalité », p. 641 : « Madame de Staël l’aurait utilisé pour la première fois dans Corinne ou l’Italie (Londres, Peltier, 1807, livre XIV, p. 395). Mais il apparaît aussi au même moment dans le vocabulaire juridico-administratif : même si l’expression « qualité de Français » est alors la plus usitée pour signifier le lien qui unit l’individu à l’État, le mot de « nationalité » est signalé par W. von Warburg (Dictionnaire étymologique, 4e éd., 1964) en 1808 ». V. également G. Noiriel, État, Nation et Immigration, vers une histoire de pouvoir, 2001, p. 150. [↩]
- Article 4 de la première Constitution française écrite du 3 septembre 1791 contient la formule du serment civique : « Je jure d’être fidèle à la Nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution du Royaume, décrétée par l’Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 1791 ». La Constitution montagnarde du 24 juin 1793 ouvre grandement les portes à la citoyenneté : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français » (article 4). [↩]
- P. Weil, Qu’est-ce qu’un Français ?, p. 12 : La « conception élective de la nation française » s’oppose à « la conception ethnique propre à l’Allemagne », « patrie du droit du sang » ; pour une mise en perspective : D. Schnapper, « Allemagne-France : débat sur la nation », Commentaire, 1996, n°74, p. 315-320 ; B. Falga, C. Withol de Wenden, C. Leggewie (dir.), De l’immigration à l’intégration en France et en Allemagne, 1994, p. 13 : après la débâcle nazie, la République fédérale d’Allemagne s’éloigne de cette perspective ethnique en instaurant, dans la Loi fondamentale du 23 mai 1949, le droit d’asile « probablement le plus libéral au monde » ; M. Alexopoulou, Deutschland und die Migration. Geschichte Einer Einwanderungsgesellschaft wider Willen, 2020. [↩]
- La consolidation de la République, entamée au début du XIXe siècle, est lente: les différents régimes se succèdent et l’idée de revenir à la monarchie, nourrie par les périodes de la Restauration, ne disparaît pas avant l’adoption de la loi du 14 août 1884 révisant les lois constitutionnelles de la IIIe République de 1875 : « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision. Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République ». Dans la Constitution du 4 octobre 1958, cette interdiction prend la forme d’une limitation matérielle adressée au pouvoir de révision constitutionnelle : « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision » (article 89 al. 5). [↩]
- Les manifestations pour la cause palestinienne organisées immédiatement après l’attaque terroriste meurtrière perpétrée le 7 octobre 2023 sur le territoire de l’État d’Israël par le Hamas, organisation classée terroriste par l’Union européenne, voient naître des amalgames et des raccourcis dangereux qui mettent à l’épreuve l’appartenance de certaines catégories de populations à la communauté nationale. Dans son adresse aux Français du 12 octobre 2023, le président de la République, Emmanuel Macron, condamne « de la manière la plus ferme ces actes atroces » en dénonçant la guerre du Hamas contre les « valeurs démocratiques » en mettant en garde contre « la violence antisémite » : « Ni suspicions, ni divisions entre nous ne doivent exister au sein de la Nation […] l’antisémitisme a toujours été le prélude d’autres formes de haine : un jour envers les Juifs, le lendemain envers les chrétiens, puis les musulmans, puis toutes celles et ceux qui sont encore l’objet de haine, en raison de leur culture, leur origine, leur genre » <https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/12/adresse-aux-francais-3>. [↩]
- Saisi conformément à l’article 11 al. 4 de la Constitution (« [l]es conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique ») de la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers, le Conseil constitutionnel décide que le texte ne satisfait pas aux conditions fixées par la Constitution et rend ainsi impossible l’organisation d’un référendum d’initiative partagée en vertu de l’article 11 al. 3 de la Constitution : « Un référendum […] peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an » (CC, déc. n°2024-6 RIP du 11 avril 2024 [non-conformité]). La proposition de loi comporte cinq articles et instaure, entre autres, une condition de durée minimale de résidence en France ou d’affiliation à un régime obligatoire de sécurité sociale au titre d’une activité professionnelle que doivent remplir les étrangers non ressortissants de l’Union européenne en situation régulière pour bénéficier de certaines prestations sociales. Élément de langage indispensable aux discours des partis extrêmes (de droite ou de gauche), le référendum était cette fois porté par un mouvement politique qualifié de « modéré » : Les Républicains. Pour le Conseil constitutionnel, les mesures proposées ne respectent pas les « garanties légales », en particulier en matière de « politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées » (cons. 12 et 13 de la décision du 11 avril 2024). [↩]
- Les règles relatives à la nationalité française étaient régies par le Code civil entre 1804 et 1944. En 1945, le Code de la nationalité (ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945 portant Code de la nationalité française) les remplace avant qu’en 1993, par la loi n°93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité, le Code civil (Livre Ier, Titre Ier bis : De la nationalité française) ne régisse de nouveau cette question en précisant que ces dispositions sont applicables en l’absence de règles de droit international spécifiques conformément à l’article 17 du Code civil : « La nationalité française est attribuée, s’acquiert ou se perd selon les dispositions fixées par le présent titre, sous la réserve de l’application des traités et autres engagements internationaux de la France » . [↩]
- Contrairement à l’Allemagne qui s’en tient « au principe de la filiation ou du droit du sang usuel en Europe ». V. sur les raisons historiques du droit de la filiation en Allemagne : B. Falga, C. Withol de Wenden, C. Leggewie, De l’immigration à l’intégration en France et en Allemagne, 1994, p. 12-13 : « Les hypothèques historiques que les deux pays ont à leur charge et qu’ils ont toujours tendance à vouloir refouler concourent de façon complexe à cette opposition toujours schématique : ces hypothèques sont d’un côté le nazisme avec sa politique raciste visant à expulser et à exterminer des millions d’étrangers dont plusieurs milliers de Juifs allemands parfaitement assimilés, de l’autre la guerre d’Algérie et sa fiction d’une France une et indivisible allant de Dunkerque à Tamanrasset. ». [↩]
- Article 19-3 du Code civil : « Est français l’enfant né en France lorsqu’un de ses parents au moins y est lui-même né ». [↩]
- Article 18 du Code civil : « Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français », mais aussi en vertu de l’article 19 : « Est français l’enfant né en France de parents inconnus ». [↩]
- Article 19-1 du Code civil : « Est français : 1° L’enfant né en France de parents apatrides ; 2° L’enfant né en France de parents étrangers pour lequel les lois étrangères de nationalité ne permettent en aucune façon qu’il se voit transmettre la nationalité de l’un ou l’autre de ses parents ». [↩]
- Article 21-7 du Code civil : « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans » et article 21-11 : « L’enfant mineur né en France de parents étrangers peut à partir de l’âge de seize ans réclamer la nationalité française par déclaration […] si, au moment de sa déclaration, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans ». [↩]
- Article 21-2 du Code civil : « L’étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité […] » ; Article 21-15 du Code civil : « […] l’acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique résulte d’une naturalisation accordée par décret à la demande de l’étranger ». [↩]
- Article 21-24 du Code civil : « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises […] et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. L’intéressé justifie d’un niveau de langue lui permettant au moins de comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits dans un texte complexe, de communiquer avec spontanéité, de s’exprimer de façon claire et détaillée sur une grande variété de sujets ». Décret n°2012-127 du 30 janvier 2012 approuvant la Charte des droits et devoirs du citoyen français prévue à l’article 21-24 du Code civil. La Charte, qui peut être entendue comme une concrétisation détaillée notamment de l’article 1er de la Constitution de la Ve République, rappelle « les principes et valeurs essentiels de la République et énonce les droits et devoirs du citoyen résultant de la Constitution ou de la loi » en décrétant que « le peuple français se reconnaît dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et dans les principes démocratiques hérités de son histoire ». [↩]
- À titre d’exemple, la société coloniale était fondée sur l’inégalité de statut juridique, politique et social des membres qui la composaient. En Algérie, il existait ainsi la nationalité sans la citoyenneté. En 1862, la cour d’Alger affirma que « tout en n’étant pas citoyen, l’indigène est français ». La pleine citoyenneté ne leur fut accordée qu’en 1958. [↩]
- D. Nazet-Allouche, « Quelle citoyenneté pour les ressortissants des pays tiers dans l’Union européenne » (p. 181-202) et S. Hutter, « Le droit de suffrage et la citoyenneté européenne » (p. 245-265), in M.-P. Lanfranchi, O. Lecucq, D. Nazet-Allouche (dir.), Nationalité et citoyenneté. Perspectives de droit comparé, droit européen et droit international, 2012. [↩]
- Parmi les exemples de marginalisation de personnes étrangères, on trouve l’utilisation de l’expression « Français de papier » ou « Français de papier timbré », formule diffusée par le quotidien antisémite La Libre Parole fondé par Édouard Drumont à la fin du XXe siècle: v. M.-O. Bherer, « ‘Français de papier’, une formule xénophobe au service de la division de la nation », Le Monde, 25 octobre 2023. Récemment, Nadine Morano, femme politique membre du parti Les Républicains, ainsi que Marion Maréchal (Le Pen), affiliée au parti Reconquête, mais proche du Rassemblement national, tous deux d’extrême droite, accusent le footballeur français Karim Benzema d’être un « Français de papier » à cause du soutien de la population de Gaza exprimé par ce dernier après le pogrom du 7 octobre 2023. [↩]
- E. Ribert, Liberté, égalité, carte d’identité. Les jeunes issus de l’immigration et l’appartenance nationale, 2006, p. 9 s., p. 237 s. [↩]
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