Le présent ouvrage réunit les contributions écrites faisant suite au colloque « La coopération transfrontalière en Grande Région : état des lieux » organisé par le Centre juridique franco-allemand à Sarrebruck le 11 octobre 2013, en coopération avec l’Institut François Gény de l’Université de Lorraine. Nous tenons ici à remercier le professeur Olivier Cachard, alors directeur adjoint de l’Institut Gény et les nombreux collègues de l’Université de Lorraine, qui ont participé avec enthousiasme à ce projet. Le délai de publication de ces actes peut paraître long. Ce délai s’explique par deux raisons. En premier lieu, et c’est pour nous une grande fierté, ces actes sont proposés en version bilingue intégrale. Chaque article soumis par les contributeurs, que ce soit en français ou en allemand, a été traduit par l’équipe de la Chaire de droit public français de l’Université de la Sarre : Audrey Eugénie Schlegel, Lyn Paula Fischer et Cedric Schemien. Nos remerciements vont à Marlies Weber pour sa relecture attentive. L’ensemble des versions françaises sont proposées dans la première partie de cet ouvrage. Les versions allemandes sont réunies dans la seconde partie.
La seconde raison tient au fait que la Chaire a assuré l’intégralité du travail éditorial. La publication de ces actes est en effet assurée dans le cadre des Editions juridiques franco-allemandes, service d’impression à la demande permettant au CJFA de publier ses travaux sans être soumis aux contraintes financières et juridiques de l’édition classique. Ce procédé, qui nous a déjà permis de publier des manuels et des actes de colloques, nous laisse ensuite la liberté de diffuser gratuitement les travaux scientifiques réalisés par ou sous l’égide du CJFA sur les sites Internet de Bijus (www.bijus.eu) et la Revue générale du droit (www.revuegeneraledudroit.eu). Les difficultés techniques rencontrées dans le travail de collecte, de suivi et de mise en forme de ces actes nous enseignent combien le métier d’éditeur est ardu. Il l’est d’autant plus quand tout, des marques de ponctuation aux formats de citation, doit être adapté à la langue utilisée. Avoir relevé ce défi n’est pas la moindre de nos satisfactions. Certaines contributions écrites qui étaient parfaitement à jour au moment du colloque ne reflètent plus exactement l’état du droit actuel.
L’organisation du colloque et la publication de ces actes ont été rendus possibles par le soutien financier de l’Université franco-allemande et l’aide matérielle de l’Université de la Grande Région. L’Ordre des avocats du barreau de Metz et le Ministère sarrois pour les finances et l’Europe nous ont également apporté une aide financière précieuse. Mention particulière doit être faite du soutien de Madame la députée Nathalie Griesbeck, qui outre son intervention personnelle nous a assuré le soutien financier de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe. Le programme de ce colloque peut être trouvé sur le site dédié http://regio.cjfa.eu. Il est également reproduit à la suite du présent avant-propos. Notons qu’un certain nombre d’interventions, notamment celles de Roland Theis et Nathalie Griesbeck, ont conservé leur caractère oral. Concernant le passage de l’oral à l’écrit, la retranscription complète des débats ne nous a pas semblé utile. Ainsi la table ronde organisée en fin de journée n’a pas été proposée à l’écrit.
* * *
La coopération transfrontalière est un thème d’étude majeur, tant en droit privé qu’en droit public. La position privilégiée de Sarrebruck en fait certes un point d’observation idéal sur les procédés de coopération entre l’Allemagne, la France, le Luxembourg et la Belgique. Mais la coopération transfrontalière propose un point d’entrée pouvant être exploité, d’une manière plus générale, pour l’étude comparée et même dans une perspective purement nationale. Pour profiter d’un jeu de mots un peu facile, nous pourrions dire que la coopération transfrontalière interroge les frontières de chaque droit national, en mettant ses limites à l’épreuve. Le thème de la frontière, exposé par Stephan Toscani1 et Hughes Rabault2, nous enseigne qu’elle peut être autant un lieu d’échange, que de conflits.
Il en va ainsi des sources (Jérôme Germain) comme des structures (Jochen Sohnle; Gilbert Schuh) de la coopération transfrontalière, qui sont élaborées au vu des limites identifiées dans chaque droit au fur et à mesure des besoins exprimés. Le travail au niveau local (Roland Theis) est la condition pour identifier ces limites et les faire remonter au niveau national et fédéral afin que de nouveaux traités internationaux ou des accords administratifs permettent de faciliter la coopération. La détermination d’un thème aussi vaste et ambitieux que celui de ce colloque aboutit nécessairement à quelques approximations. Le terme « transfrontalier » est en effet porteur d’approximation par le caractère extrêmement large de la notion. Peut être considéré comme transfrontalier tout ce qui passe la frontière. Il est ainsi nécessaire de distinguer ce qui, dans le transfrontalier, concerne deux ou plusieurs Etats sans considération de géographie, et ce qui concerne spécifiquement la situation frontalière. Il est, en d’autres termes, nécessaire de distinguer ce qui concerne toutes les frontières et ce qui intéresse plus spécifiquement la Grande Région.
Sans respecter l’ordre des interventions orales, nous avons réuni, après les propos introductifs et la présentation des sources et structures de la coopération transfrontalière, les interventions portant sur les problématiques générales de la coopération transfrontalière. Les six contributions réunies au sein de ces problématiques générales portent sur les régimes matrimoniaux (Véronique David-Balestriero), la coopération judiciaire en matière civile et commerciale (Paul Klötgen), la coopération entre entreprises (Francine Mansuy), la fiscalité (Hugues Rabault), la participation du public en matière environnementale (Annette Guckelberger) et la coopération en matière de sécurité (Thierry Thomas).
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage propose sept contributions portant sur la coopération dans la Grande Région à travers certaines de ses réalisations emblématiques. Au titre des institutions le Conseil parlementaire interrégional (Roland Theis), l’Eurodistrict SaarMoselle (Gilbert Schuh) et la Task Force Frontaliers (Kerstin Geginat) sont ici réunies. Notons que la Maison ouverte des services pour l’Allemagne (Mosa) n’existait pas encore. A également été étudiée l’implantation des sociétés commerciales sous un angle de droit comparé (Liliane Nau), avant que ne soit évoquée, dans deux contributions complémentaires, la coopération sanitaire en Grande Région (Olivier Renaudie et Valérie Scheffzek). Une seule étude de cas a été proposée : celle de la participation de la Communauté d’Agglomération Sarreguemines Confluences à la Projektgesellschaft Thermalbad Rilchingen mbH, les thermes de la Sarre (Roland Roth). Cette présentation des contributions en quatre parties distinctes répond donc à une logique particulière. Une autre logique eut été possible, distinguant le transfrontalier au sens large et les études frontalières au sens strict.
* * *
Nous avons fait le choix, dans le cadre de ce colloque, de placer nos travaux sous la bannière du « transfrontalier », par habitude et parce que le terme est familier. Nous avons procédé par ailleurs à un « état des lieux » ce qui implique une approche la plus large et donc exhaustive possible.
Mais parler de transfrontalier à propos de la Grande Région, ou de toute autre région frontalière déterminée, passe sous silence la spécificité d’un certain nombre de règles juridiques qui ne s’appliquent qu’en zone frontalière. Il serait ainsi plus juste, dans un certain nombre de cas, de parler de droit « frontalier » (Grenznachbarliches Recht) plutôt que de droit « transfrontalier » (Grenzüberschreitendes Recht). Ce qui est « transfrontalier » est ce qui « traverse la frontière ». Le terme se rapproche de la célèbre définition du droit « transnational » donnée par le professeur Jessup.3 Le transnational se distinguerait du droit international public lorsque les effets d’un acte ou d’une norme se feraient sentir directement à l’égard d’un destinataire situé sur le territoire d’un autre Etat, et non par un Etat souverain. Le transfrontalier est encore plus vaste que le transnational car il inclut en raison de sa ductilité et de son imprécision à la fois l’international et le transnational. Beaucoup de branches du droit sont ainsi impliquées dans le « transfrontalier » et ne concernent pas spécifiquement le droit international public. C’est en premier lieu le droit international privé, qui règle les conflits de lois dans l’espace par exemple le mariage entre personnes de nationalités différentes, l’adoption internationale, l’activité d’entreprises multinationales, etc. Mais ce qui manque à cette acception très large qui est traditionnellement conférée au terme « transfrontalier » est un élément essentiel à notre propos : l’idée de proximité.
La situation de la Grande Région, de l’Eurodistrict SaarMoselle ou de l’Eurodistrict Pamina ne tient pas seulement à la volonté de travailler ensemble malgré la présence d’une frontière. Ce qui fait l’intérêt de ces institutions est la continuité ou au moins la proximité territoriale qu’elles impliquent. Certaines situations ne sont pas seulement transfrontalières : elles sont plus spécifiquement « frontalières », elles s’établissent entre administrations, individus, entreprises situés sur des territoires nationaux différents, mais voisins. Notre hypothèse est que le droit frontalier peut être constitué, si ce n’est comme une branche du droit autonome, au moins comme un objet d’étude spécifique. Quant au droit public, il joue un rôle très particulier dans le droit frontalier. Nous l’avons dit le droit international privé règle les conflits de lois dans l’espace, mais la proximité ne joue aucun rôle dans la solution d’un litige. Le régime juridique d’un mariage ou d’un divorce mixte sera le même, que les époux vivent à Paris et Berlin, ou à Sarreguemines et Saarlouis. Les règles du commerce transfrontalier seront identiques quelle que soit la distance du siège ou de l’établissement des entreprises. Le droit public en revanche n’est pas indifférent à la proximité territoriale de part et d’autre de la frontière. Par exemple, les règles internationales du droit de l’environnement s’appliquent spécifiquement aux situations frontalières.4 L’accord de Karlsruhe sur la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux du 23 janvier 1996 définit son champ d’application territorial par référence aux collectivités territoriales françaises (à la région Alsace, à la région Franche-Comté, à la région Lorraine et à la région Rhône-Alpes), allemandes (Länder de Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Sarre) et suisses situées sur une frontière (le Luxembourg étant considéré entièrement comme frontalier).
C’est aussi le cas d’un certain nombre de règles communautaires, notamment l’obligation de réaliser une publicité communautaire lorsqu’un contrat même de faible montant présente un « intérêt transfrontalier certain ».5 Les conventions fiscales prévoient les situations frontalières et leur donnent une traduction juridique. La convention franco-allemande visant à éviter les doubleimpositions se réfère à une zone géographique située à moins de 20 kilomètres de la frontière.6 Le caractère frontalier a un sens en matière de services publics : collecte et traitement des déchets (partenariat entre l’EntsorgungsVerband Saar et le Sydeme), de l’eau, transport en commun (le tramway Sarreguemines – Sarrebruck), création d’activités de loisirs (les thermes de la Sarre, le parc archéologique de Bliesbruck), prise en charge par les services de secours et hospitalisation (accord entre le CHIC Unisanté de Forbach et la SHG Kliniken Völklingen).
* * *
Le colloque du 11 octobre 2013 et les actes qui en sont issus ne doivent donc être envisagés que comme une première étape. Ils sont l’occasion de construire un réseau et d’identifier des problématiques fructueuses. L’un des développements contemporains de l’Université est l’exigence croissante, qui lui est imposée par le pouvoir politique, de travailler de manière directement utile à la société. Cette contrainte de l’utilité a des effets délétères sur la qualité de la recherche et même de l’enseignement, qui ne peuvent plus s’élever au-delà des contraintes immédiates d’une utilité sociale confondue avec un dérisoire souci de rentabilité et d’efficience.
Très heureusement, le thème du droit frontalier rencontre sans effort l’objectif d’une utilité sociale directe. La matière première de la réflexion est concrète. Les résultats de toute réflexion sont eux aussi éminemment concrets. Les études du droit frontalier sont pourtant l’occasion, pour le juriste, de solliciter conjointement différentes branches du droit dans le cadre de perspectives d’études innovantes et intellectuellement fructueuses. Ces actes en sont la meilleure preuve.
Philippe COSSALTER
Sarrebruck, le 13 juillet 2016
- Stephan Toscani (représenté par Dr. Martin Niedermeyer), « Allocution du Ministre des affaires européennes ». [↩]
- Huges Rabault, « La frontière comme source de litiges en droit fiscal : quelques effets de la déterritorialisation en matière fiscale ». [↩]
- Philip C. JESSUP, Transnational Law, Storrs lectures on jurisprudence / Yale Law School, Yale University Press, 1956. [↩]
- Sur les conventions d’Aarhus et d’Espoo, v. Annette Guckelberger, « La participation du public transfrontalier » dans le présent ouvrage. [↩]
- CJUE, 15 mai 2008, SECAP SpA, C-147/06, cons. 31 ; CJUE, 21 juillet 2005, Coname, C-231/03, cons. 20. [↩]
- Convention fiscale du 21 juillet 1959, article 13 5. b) : « La zone frontalière de chaque Etat contractant comprend les communes dont tout ou partie du territoire est situé à une distance de la frontière n’excédant pas 20 kilomètres ». [↩]