Le rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale le 15 janvier 2019, puis le projet de loi du 24 juillet 2019 relatif à la bioéthique, conduisent à s’interroger sur l’évolution de la conception de la personne humaine, face aux progrès techniques et scientifiques. En effet, c’est la manière de former l’être humain, mais aussi la manière d’envisager l’être humain qui sont (re)touchées. Les principes fondamentaux du droit bioéthique, du droit des personnes et de la famille sont remis en cause, et ce, justifié au nom d’une amélioration de la condition humaine permise par le progrès scientifique. Tout se passe comme si le projet de loi bioéthique était une promesse de bonheur. Il souhaite libérer l’être humain de ses contraintes physiques pour tendre vers le mieux, vers un mieux-être.
Dès lors, Sarah FAHRI, dans les propos introductifs, propose de réfléchir au lien entre la bioéthique et la volonté de la personne humaine. Selon elle, envisager la bioéthique suscite une première difficulté à cause de sa dimension ontologique. La question de « l’être », initialement posée par les philosophes Grecs, trouve un nouvel écho avec les avancées de la science. En obtenant la maîtrise « de sa propre création et du devenir de l’espèce humaine » (F. Terré, « De l’esprit des lois bioéthiques », in Droit et bioéthique – Mélanges en l’honneur de J. Michaud, H.Gaumont-Prat (dir.), LEH éditions, 2012, spéc. p. 346), l’Homme peut dépasser les lois de la nature, qu’il s’agisse de la vie, de la mort ou des modifications de son corps. Qu’est-ce que l’être ? Quels sont ses attributs ? Quelles sont les catégories du vivant ? Ces questions retrouvent une acuité particulière dans les débats relatifs à la bioéthique. Le point commun entre l’ensemble des opérateurs juridiques en présence est sans nul doute, la volonté. La volonté d’un couple en désir d’enfant, celle de modifier ou supprimer l’imperfection génétique, ou encore augmenter l’être humain (X. Labbée, (dir.)L’homme augmenté face au droit, PU du Septentrion, 2015).
C’est donc au prisme de la volonté, du désir ou de la raison que les contributions et débats de ces journées d’études ont été orientés. Ceux-ci ont porté à la fois sur le projet de loi relatif à la bioéthique ouvrant de nouvelles voies à la procréation humaine (I) et à l’être humain (II), et plus largement à l’humanité.
I. La révision des lois bioéthiques et l’évolution de la procréation
En droit positif, l’assistance médicale à la procréation est une technique réservée aux couples hétérosexuels supposés infertiles et en âge de procréer. Avec le projet de loi bioéthique, ouvrant la technique aux couples de femmes et aux femmes seules (Professeur Jean-René BINET, « Projet de loi relatif à la bioéthique : évolution ou révolution de l’assistance médicale à la procréation ? »), levant l’interdiction de l’assistance post-mortem et en permettant aux personnes conçues à partir d’un don de gamètes d’accéder à leur origine (Maxime LEI, « Assistance médicale à la procréation post-mortem et anonymat des donneurs de gamètes : le Conseil d’État et le lit de Procruste »), l’assistance médicale à la procréation n’a-t-elle pas changé de nature pour contrer la nature ?
À la suite de ces nouvelles manières de faire un enfant, le droit de la filiation (Marjorie BRUSORIO-AILLAUD, « La filiation de la mère d’intention en droit positif ») est renversé : la filiation d’intention prend le pas sur la filiation biologique, au détriment de la « souffrance » de l’enfant et celle des parents liée au désir d’enfant, qui avaient d’ailleurs été soulevées par le Professeur Mélina DOUCHY-OUDOT lors de son intervention sur « La filiation de la mère d’intention, éléments pour une réforme, étude prospective du droit de la filiation ».
Parmi les techniques de l’assistance médicale à la procréation, celle de la gestation pour autrui demeure fortement rejetée. La gestation pour autrui est interdite sur le fondement de l’indisponibilité du corps humain, et plus précisément sur le principe de non-patrimonialité du corps humain qui interdit de vendre son corps à autrui. La gestation pour autrui est pénalement sanctionnée, mais cette répression est relativement ineffective, dans la mesure où les faits permettant la réalisation d’une gestation pour autrui, incriminés en droit français, sont commis à l’étranger où la pratique est autorisée (Camille LEROY, « La gestation pour autrui en droit pénal français »). Surtout, la jurisprudence civile permet désormais la transcription sur l’état civil du père biologique d’un enfant né d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger. En outre, elle accepte l’adoption de l’enfant né d’une GPA réalisée à l’étranger par le conjoint du père biologique. En effet, selon l’avis de la Cour européenne des droits de l’Homme du 10 avril 2019, si le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, oblige le droit interne à offrir une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale », l’effectivité de ce droit ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger. Ainsi, la reconnaissance du lien de filiation de la mère d’intention peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant (Hélène HURPY, « Le protocole n° 16 de la CEDH et l’avis du 10 avril 2019, filiation et droits de l’Homme »).
II. La révision des lois bioéthiques et l’évolution de l’être humain
Parmi les éléments fondamentaux permettant d’identifier une personne, il y a son sexe. Néanmoins, il arrive que des personnes naissent intersexuées. Selon le droit positif, il peut y avoir opération dès la naissance, en cas de nécessité médicale et recueil du consentement des parents, afin de tendre vers l’un ou l’autre sexe. Toutefois, depuis quelques années sont désormais critiquées les conditions « hâtives », « esthétiques » et « subjectives » de ces opérations et sont soulignées les souffrances psychologiques graves de l’enfant de lui avoir assigné un sexe sans son consentement. L’enfant devrait donc avoir son mot à dire ; son consentement explicite, libre et éclairé, devrait être recueilli avant l’opération. À travers ces questions, c’est plus largement celle du changement de sexe, et partant, de la détermination du sexe qui est soulevée (Mélanie JAOUL, « Sexe et genre : une identité en question, un régime en évolution »).
En droit, l’être humain acquiert la personnalité juridique s’il naît vivant et viable. Par conséquent, l’embryon et le fœtus ne sont pas des personnes juridiques. Néanmoins, au nom du respect de la vie humaine et en tant que potentielle vie humaine, l’embryon et le fœtus ne sont pas de simples choses et bénéficient d’un régime de protection. Cela étant, on remarque que les dernières réformes de la bioéthique renversent les principes : nous sommes passés de l’interdiction de la recherche, sauf exception, à un régime d’autorisation limité par des interdits, jusqu’à un régime de simple déclaration pour les cellules souches embryonnaires. Le droit pénal demeure quant à lui assez indifférent à la valeur individuelle de l’embryon et du fœtus. Il apparaît que la protection des intérêts de l’embryon et du fœtus n’est que relative, les intérêts de l’embryon et du fœtus sont mis en confrontation avec les intérêts économiques, scientifiques et sociaux qui tendent à réifier le vivant (Jérôme LEBORNE, « L’embryon et le fœtus, entre personne et chose, entre science et droit : des protections d’intérêts »). Les expériences sur l’embryon rejoignent celles sur le génome humain et les tests génétiques. Le dépistage des maladies, le séquençage du génome, la technique du crispr-cas9 … sont autant de techniques qui, à terme, permettent de fabriquer une nouvelle personne humaine (Jacques LEROY, « La modification du génome et le statut de la personne humaine »). Couplé à la machine, c’est l’homme-machine qui serait l’avenir de l’Homme, et dont le but ultime serait « la mort de la mort » (Philippe PÉDROT, « Des biotechnologies au transhumanisme : “l’homme artifice“ »).
À l’issue de ces débats, une question demeure et a été soulevée lors des propos conclusifs par le Professeur Jean-Pierre MARGUÉNAUD, « Et la tendresse ? … Bordel ! ». Dans ces questions d’une actualité brûlante, ces propos conclusifs ont permis de s’interroger également sur les conséquences de ces évolutions bioéthiques : « est-ce la fin du début ? » ou « le début de la fin ? ».
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