Le 12 avril dernier, a eu lieu à l’université Paris 8 un colloque sur l’actualité des thèses en droit public comparé. Ce colloque avait pour ambition de faire un état de la recherche doctorale récente en ce domaine et de donner l’occasion aux docteurs en droit public récemment qualifiés par le CNU (critère de sélection des participants certes imparfait, mais qui présente le mérite d’une certaine objectivité dans le choix des intervenants) de présenter leurs travaux, mais aussi de permettre les échanges entre chercheurs en droit comparé, qu’ils soient néo-docteurs, docteurs expérimentés ou doctorants. Cette idée de consacrer une journée aux néo-docteurs, afin de leur offrir un espace de présentation de leur thèse, trouve son origine dans deux colloques à la logique similaire organisés il y a quelques années à l’Université de Grenoble. Deux éditions ont eu lieu en 2006 et 2013 portant sur les thèses en droit public économique ; les actes de la seconde ont d’ailleurs été publiés dans cette revue (https://www.revuegeneraledudroit.eu/wp-content/uploads/2014/03/JDDPE-RGD.pdf).
Même si le colloque était organisé selon un plan parfaitement artificiel distinguant le droit administratif et le droit des libertés d’un côté, le droit constitutionnel de l’autre, force est de constater que le dynamisme de la recherche doctorale en droit comparé, qualifiée par le CNU, se situe du côté des constitutionnalistes. Le nombre de thèses qualifiées en droit administratif comparé est bien plus faible que celui en droit constitutionnel. Dans son étude sur les thèses en droit administratif, Olivier Renaudie constate que durant la période 2008-2014, les thèses portant explicitement sur un sujet de droit comparé représentaient 4,5% des thèses de droit administratif qualifiées au CNU alors qu’elles constituent 20% des thèses soutenues en droit constitutionnel (O. Renaudie, « La thèse en droit administratif : éléments statistiques », RFDA 2016, p. 1073) ; les quatre années suivantes n’ont pas permis de constater d’évolution significative. Il est patent que le CNU constitue un obstacle significatif pour nombre de thèses en droit comparé (sur cette question et la difficulté d’évaluation des thèses en droit comparé, voir Th. Perroud, « Le droit comparé dans les thèses en droit administratif », RFDA 2016, p. 1084). Ces thèses non qualifiées portent pour beaucoup d’entre elles sur les droits africains, latino-américains, est-européens ou asiatiques. L’Europe occidentale et les Etats-Unis semblent être des destinations de droit comparé plus porteuses pour réaliser une carrière universitaire en France.
Bien que nous soyons loin de l’état de « sous-développement » constaté par Jean Rivero en 1954 dans son cours de droit administratif comparé (J. Rivero, « Le droit administratif en droit comparé. Rapport final », RIDC 1989, p. 919), cette discipline n’a pas connu le formidable développement escompté par l’éminent professeur. Si l’imitation de modèles étrangers par le législateur se développe (F. Melleray, « L’imitation de modèles étrangers en droit administratif français », AJDA 2004, p. 1224), si les juridictions françaises s’inspirent plus volontiers de leurs homologues étrangers s’appuyant sur des cellules de droit comparé, la recherche doctrinale demeure en retrait (A. Antoine, « Plaidoyer pour une meilleure connaissance des droits administratifs étrangers », AJDA 2013, p. 369). Les causes sont multiples : sources plus éparpillées en droit administratif rendant la comparaison délicate ; « autosuffisance » des administrativistes (J. Rivero, « Le droit administratif en droit comparé. Rapport final », RIDC 1989, p. 921) car le droit administratif français est longtemps apparu comme un modèle imité et donc rendant moins intéressante la comparaison ; histoire d’un droit administratif lié à l’émergence des Etats et des administrations et possédant donc un ancrage national plus fort que le droit privé qui découle pour partie d’un droit à vocation universelle : le droit romain (F. Haut, « Réflexion sur la méthode comparative appliquée au droit administratif », RIDC, 1989, p. 908).
La publication des actes de ce colloque permet de diffuser les récents travaux doctoraux en droit public comparé. Ces actes ne sont pas le simple résumé des thèses des intervenants au colloque mais le résultat d’un effort de réflexivité sur la manière dont le droit comparé a été utilisé dans leur thèse. Plus qu’un résumé, il s’agit donc de précieux témoignages d’utilisation, de maniement du droit comparé. Ces retours d’expérience seront très utiles aux doctorants en cours de réflexion sur leur thèse de droit comparé, mais également à tout chercheur, avide d’observer la diversité des manières de mobiliser le droit comparé. Le colloque a été l’occasion de plusieurs tables rondes sur la méthode du droit comparé : le choix de l’Etat, les difficultés rencontrées, la méthode stricto-sensu ou encore la réception académique des travaux. Ces discussions entre docteurs et avec la salle ne sont pas reproduites dans les actes, la forme très libre, très orale et les discussions à bâtons rompus s’avérant difficiles à retranscrire. Néanmoins, les contributions font apparaître les points saillants de ces discussions tant les questions, obstacles, difficultés que rencontrent le chercheur en droit comparé sont à la fois similaires et spécifiques à l’objet d’étude choisi. L’impossibilité de retranscrire la richesse des discussions et débats qui ont eu lieu le jour du colloque est compensée par le travail de réflexion des docteurs sur l’apport du droit comparé à leur thèse dans leur contribution. Ainsi, un certain nombre de questionnements, de débats, d’échanges rejaillissent dans l’effort de mise en perspective de leur utilisation du droit comparé.
Les actes du colloque montrent la richesse et le dynamisme de la recherche en droit public comparé dans les universités françaises. Il reste à espérer que les contributions inspirent les étudiants, guident les doctorants, passionnent les enseignants-chercheurs titulaires et nourrissent les futures thèses présentées lors d’une prochaine édition du colloque sur les thèses récentes en droit comparé.
Le colloque a permis la présentation des travaux suivants :
- Anna Neyrat, Le rapport du droit administratif national aux droits administratifs étrangers. Les cas de la France et de l’Espagne, Université de Bordeaux, 2016. Thèse publiée aux éditions l’Harmattan en 2019.
- Jean-Baptiste Pointel, Le système administratif des pays nordiques, un modèle pour la France ?, Université de Rouen, 2015.
- Laurie Marguet, Le droit de la procréation en France et en Allemagne. Etude sur la normalisation de la vie, Université Paris X, 2018.
- Audrey Bachert, L’équilibre des pouvoirs législatif et juridictionnel à l’épreuve des systèmes de protection des droits et libertés – Etude comparée : Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Université Aix-Marseille, 2017. Thèse publiée à la bibliothèque des thèses de la LGDJ en 2019.
- Marie-Caroline Arreto, Les recours individuels directs devant la juridiction constitutionnelle (Allemagne, Autriche, Belgique et Espagne). Contribution à une approche processuelle du contentieux constitutionnel, Université Paris I, 2018.
- Zérah Brémond, Le territoire autochtone dans l’Etat postcolonial. Etude comparée des Etats issus des colonisations britannique et hispanique, Université Montpellier, 2018.
- Raphael Paour, Le pouvoir des cours constitutionnelles. Analyse stratégique des cas espagnol, français et italien, Université Paris X, 2018.
- Nicolas Pauthe, L’interprétation conforme des lois à la Constitution. Etude franco-espagnole, Université de Bordeaux, 2017.