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Conseil National de la refondation, un échec du Droit ?

Citer : Sandrine Perera, 'Conseil National de la refondation, un échec du Droit ?, ' : Revue générale du droit on line, 2025, numéro 68000 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=68000)


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Ces dernières années, particulièrement depuis les années 1970, émerge la relative nouvelle notion de « démocratie participative », impliquant l’idée de « citoyenneté administrative »1 conduisant à des consultations citoyennes, lesquelles ont connu un certain essor au niveau local, mais également au niveau national : le Grand débat national en 2019 à la suite du mouvement des « gilets jaunes », la Convention citoyenne pour le climat en 2020 a été également mise en place un groupe de citoyens chargé de contrôler la mise en œuvre de la politique vaccinale dans le cadre de la lutte contre la Covid-19.

Cette démocratie participative prend toute sa force dans un contexte de déséquilibre mal vécu de la relation administration/administré, basé sur un pouvoir unilatéral et le désir du sujet de droit d’être plus impliqué dans le processus décisionnel à travers la figure du citoyen2. Les contacts citoyens et administration se sont donc multipliées dans le but d’assurer une meilleure acceptation et légitimité de l’Administration mais également d’un meilleur équilibre dans leur relation, afin que l’administré soit un véritable sujet. Cependant ces consultations interrogent la conception française de la souveraineté, de la démocratie électorale, de la représentation et plus particulièrement du lien entre représentation et élection, laquelle assure seule la légitimité d’un représentant.

Notre sujet interroge plus particulièrement l’encadrement normatif de ces institutions. Le CNR est différent des consultations passées, en ce qu’il est, selon sa dénomination, une véritable institution : il s’agit bien d’un Conseil, qui a pour objectif d’assurer la réception des réponses à des questions posées aux sujets de droit sur un ensemble de thèmes sociétaux, à l’échelle nationale et locale — en cours actuellement — et qui se clôturera par des sessions plénières.

Le Conseil est plus « institutionnalisé » que les consultations publiques passées, en ce qu’un conseil suppose une structuration, des membres déterminés, des pouvoirs définis, un but, éventuellement des objectifs, une valeur juridique aux actes édictés par ce Conseil, alors que la consultation se pense nécessairement comme moins encadrée, sans effet normatif précis pour laisser une marge de manœuvre aux autorités publiques sur la portée qu’elles souhaitent donner à cette consultation.

Ce Conseil, tout comme la majorité des consultations, n’a pas de cadre normatif juridique (I). À cette absence s’ajoute un défaut de spécificité de l’objectif de ce Conseil dont la pertinence est à interroger (II). Cette institution, paraissant positive, est en réalité néfaste pour le droit, en raison de son manque d’encadrement qui dévalorise ou déconsidère le rôle et la force de la parole du droit (III).

I. L’absence de cadre juridique au Conseil national de la refondation

Le Conseil National de la Refondation a fait l’objet de nombreuses discussions et a bénéficié d’un effet d’annonce politique assez retentissant, néanmoins le fondement autant que le statut juridique de ce nouveau conseil n’ont pas été interrogés. La création juridique du Conseil est en réalité assez floue. Elle n’est la résultante que de la seule déclaration par le Président de la République3, mais sans fondement juridique, en effet le seul texte existant est un décret du 29 juillet 2022 relatif aux attributions du ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique4. Ce texte se charge simplement d’indiquer qu’Olivier Véran — à cette date — reçoit délégation pour « organiser et animer les travaux du CNR pour délégation de la PM ». À ce texte s’ajoutent quelques instructions mineures, mais qui ne donnent pas pour autant un fondement juridique au Conseil national de la refondation, ce qui interroge sur les effets de son existence.

Un Conseil peut-il exister et avoir des effets juridiques même sans fondement ? Ce constat est d’autant plus étonnant lorsque d’autres conseils, ont eu un fondement légal ou décrétale. Pour citer quelques exemples : le Conseil national de la protection de l’enfance a été créé en application de la loi du 7 février 2022 et le décret du 31 décembre 2022 n°2022-1729 vient en préciser la composition, les modalités d’organisation et de fonctionnement notamment. De même le Conseil national du numérique a été créé par le décret de 2011 par le Président de la République, ou encore dans un domaine différent, l’existence d’une commission consultative ayant bien un fondement juridique : le Conseil national de l’Industrie crée par le décret du 3 juin 2010.

Le statut et l’organisation juridique du Conseil national de la refondation sont également flous. En l’absence de texte juridique, les seules références sont celles du discours du Président et les informations du site internet, qui n’ont pas une réelle normativité ou tout du moins une normativité discutée. S’agissant tout d’abord du statut de cette institution, rien n’indique s’il s’agit d’une administration classique placée auprès du Premier ministre ou d’un autre ministre ou encore du Président ou bien s’il s’agit d’une autorité administrative indépendante. Le discours initial du Président laisse penser qu’il s’agit d’une administration classique supposément rattachée à lui, mais aucun élément juridique ne permet de l’affirmer.

De même concernant l’organisation, seuls le site internet et les informations du discours apportent des indications. Sous cette apparence de clarté, reste en réalité dans l’ombre le fonctionnement effectif de cette administration : fonctionnera-t-elle selon le principe hiérarchique ? Quels sont les membres qui composent ce Conseil, leurs modes de nomination ou d’élection, ou la possible durée du mandat, la source de leur légitimité ?

En somme, le fonctionnement organique de ce Conseil est extrêmement confus voire inexistant, à part à savoir que différents ministères seraient en collaboration pour assurer le fonctionnement de ce Conseil5.

Ce fonctionnement s’inscrit en rupture avec les conseils existants pour lesquels la hiérarchie est établie, leur rôle, leurs membres, leurs pouvoirs fixés. Pour illustrer notre comparaison, peut être fait mention de deux conseils dans deux domaines différents mais représentatifs du cadre juridique de ces institutions.

Ainsi par exemple le Conseil national de l’insertion pour l’activité économique (CNIAE) placé auprès du Premier Ministre, a une mission claire de consultation, de développement et de diffusion. Il a été créé pour capitaliser les nombreuses expériences existantes dans le secteur et à créer un lien d’échange et de concertation pour l’ensemble des réseaux de l’insertion pour l’activité économique. De même pour le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, son rattachement au Premier ministre est bien déterminé. Son rôle général est de faire participer à l’élaboration de ses avis des personnes directement concernées par les situations de pauvreté au sein d’un collège et proposer aux pouvoirs publics les mesures qui lui paraissent pouvoir améliorer la lutte contre la pauvreté. Sa composition est également encadrée juridiquement : parlementaires, collectivités territoriales, personnes morales concourant à la formation professionnelle, personne en situation de pauvreté ou de précarité. Sa saisine est détaillée : consulté par le Premier Ministre ou il peut être saisi pour avis par le gouvernement.

D’autres conseils plus communs et dont le fonctionnement est systématisé peuvent être cités comme le Conseil national d’évaluation des normes ou encore le Conseil de Défense qui sont d’ailleurs évoqués par le Président de la République.

En somme, le fonctionnement et les statuts de ce Conseil national de la refondation sont flous et confus, laissant toutes les questions ouvertes. Cette institution créée pour assurer le débat démocratique et la prise en compte de la voix des citoyens, n’indique aucunement si cette voix sera prépondérante, aucune information n’est donnée sur la présidence ou l’arbitrage à la suite des grandes consultations publiques. Enfin l’objet précis et les objectifs sont finalement assez flous. Certes, il s’agit de consulter la population sur certaines problématiques mais sans que soit expliqué l’effet ou le résultat de cette consultation et le rôle de Conseil à la suite de la consultation. Le vocabulaire choisi a son importance, il ne s’agit pas seulement d’une consultation (qui est un moyen) mais d’un véritable Conseil, qui est une institution. Dans ce cadre, quelle est la valeur des actes pris par ou pour l’encadrement de ce Conseil ?

En l’absence de référence de texte droit positif, ni le discours du Président, ni le site n’indiquent l’organe de décision, ou celui qui édicterait l’acte administratif, en effet au regard des éléments, l’incertitude est totale sur la question de savoir si le Conseil est une administration ou une autorité administrative indépendante. Néanmoins, il semblerait qu’il rédigerait des rapports ou des délibérations ou encore des propositions sur le fondement des consultations publiques. D’ailleurs, le fondement de la compétence de ce Conseil serait à interroger, certes le Président ou le Premier ministre peut prendre des mesures réglementaires sur le fondement des consultations mais le Conseil lui-même n’a aucun pouvoir législatif ou réglementaire.

Cette institution est, dans l’esprit de ses fondateurs, un organisme de consultation de la population — bien que rien n’indique que cet organe serait un organe consultatif — à l’origine de nouvelles politiques publiques dans divers domaines, néanmoins le résultat de ces consultations n’a aucun effet juridique obligatoire. Le pouvoir exécutif pourrait toujours décider d’une politique ne prenant pas en compte les recommandations issues du travail du Conseil.

Si les résultats de la consultation n’ont aucun effet contraignant, quel est l’intérêt du travail d’un tel Conseil, plus encore lorsque le possible rôle consultatif de cet organe n’est pas assuré, a contrario des organes comme le Conseil de Défense, pour lequel le rôle consultatif est posé par le droit positif ?

Bien que le Conseil ne puisse pas prendre d’acte en tant que tel, son travail peut fonder des actes exécutifs, des lois, des projets de loi, des instructions notamment interministérielles. Cependant, une nouvelle fois, rien n’impose une intervention législative à l’issue de la consultation.

Cependant, si le Conseil est un organe consultatif ou une AAI — ce qui n’est ni clair, ni établi — il ne serait pas exclu qu’il puisse être à l’origine de mesures de droit souple à travers ses recommandations, ses rapports ou des avis, dès lors que ces actes de droit souple pourraient même être attaqués devant le juge administratif s’ils sont de nature à produire des effets notables ou ont pour objet d’influencer de manière significative le comportement des personnes auxquelles il s’adresse6.

Dans ce cas, le problème serait tout de même celui de la compétence mais aussi de la légitimité de cette institution pour créer du droit. Certes, si le Conseil édicte des actes qui sont le résultat de ces consultations on pourrait alors considérer que ces actes trouvent leur fondement du pouvoir originaire qui s’exprimerait alors en dehors du référendum ou de la Constitution, autrement dit, il y aurait un nouveau mode d’expression de la démocratie directe non prévu dans les textes fondamentaux et à la procédure finalement obscure. Ou bien il est possible de considérer qu’aucun texte ne donne compétence à cette instance. Cependant si celle-ci édictait tout de même des actes, ces actes auraient-ils une valeur et le cas échéant, quelle serait la nature de ces actes ?

En somme, en l’absence de texte juridique toutes les options demeurent ouvertes. Dans un État de droit, il peut être étonnant qu’une telle institution glorifiée par le gouvernement à sa création puisse exister dans un encadrement juridique flou voire inexistant.

II. La spécificité limitée du Conseil national de la refondation

Le CNR est présenté comme différent des institutions mises en place jusqu’ici7, pourtant les conseils de cette sorte se sont multipliés ces dernières années. Ainsi pour chaque champ de travail du Conseil, il existe une compétence.

Pour l’aspect « vieillesse », il existe non un Conseil mais une caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui est donc plus circonscrite que le thème de la vieillesse, mais qui la comprend. Concernant l’onglet travail, il existe là encore un Conseil national des orientations et des conditions de travail mais circonscrit pour l’économie « modèle productif et social », on note l’existence de six conseils déjà existants8, pour le numérique il existe le Conseil national du numérique mais aussi plus spécialisé Conseil national de l’information géolocalisée. Pour la jeunesse, il existe le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse. Pour le logement et le thème climat et diversité9, on décompte trois conseils, deux pour la Santé10, l’école11 et la petite enfance12.

La présence de tous ces conseils interroge la pertinence d’un nouveau conseil reprenant les mêmes thèmes, sans réellement les fédérer mais simplement en appliquant une méthode vague afin d’obtenir un débat public, une consultation, des propositions.

L’origine de cette institution provient d’une faille de la démocratie telle qu’elle est vécue jusqu’ici et la nécessité d’une démocratie participative directe promue par certains auteurs à l’instar de Dominique Rousseau13. Pourtant cette notion de démocratie participative n’est ni évidente, ni claire, l’idée étant d’intégrer le sujet de droit ou l’administré14 à la décision ; mais tout le flou réside dans le mot « intégration » : comment intégrer l’administré et de qui relève la décision finale ?

Les modalités de la démocratie participative sont beaucoup explorées au niveau local, seules quelques expérimentations sont réalisées au niveau national15 avec la Convention citoyenne pour le climat et de manière générale le Grand débat national16 dont les résultats positifs sont débattus.

Ces conventions, commission aux grands débats publics, quel que soit leur nom, s’inscrivent dans un mouvement général visant à assurer plus de consensus, de consultation, au lieu du mode unilatéral et vertical d’imposition, plus d’apparence démocratique mais qui n’est qu’une apparence puisque le décideur demeure le pouvoir législatif voire exécutif.

Finalement la spécificité du Conseil national de la refondation n’apparaît pas clairement. Comme d’autres conseils, il semble être une instance de discussion, de consultation, il s’incarne dans un paysage institutionnel au sein duquel des conseils sont déjà existants sur des thèmes déjà déterminés à la procédure claire et affirmée, et étant de véritables instances consultatives.

En conclusion, il convient de s’interroger sur la nécessité d’ajouter une institution dont le rôle est similaire aux institutions déjà existantes. Quel est l’apport d’un nouveau conseil, aux compétences et au fondement peu clairs ? La différence essentielle est la largesse ou la généralité du public alors que ces différentes instances sont paritaires, l’ambition du CNR est plus large: il est de donner une voix à chaque citoyen, qui peut potentiellement proposer sa réponse aux questions. Néanmoins, là où les autres conseils ont un statut juridiquement clair, le Conseil ne bénéficie d’un encadrement juridique que lacunaire voire inexistant.

III. L’effet néfaste mais révélateur d’une telle institution sur le droit

L’existence du CNR, bien que son intérêt ou son caractère novateur soit limité, ne semble porter aucun heurt. Tout au contraire, elle mobilise le sujet de droit pour une démocratie mieux assurée, garantie, plus effective. Cependant ses modalités d’existence comportent un danger pour le droit.

Le principal enjeu soulevé par ce Conseil, à l’instar des conventions citoyennes, réside dans les modalités d’exercice de la citoyenneté, dans sa conceptualisation, ainsi qu’à sa compatibilité avec les normes et principes à valeur constitutionnelle, notamment ceux relatifs à la souveraineté nationale et à la démocratie représentative.

 L’article 3 de la Constitution de 1958 n’accorde la souveraineté directe aux citoyens que dans le cadre du référendum, or tout laisse penser dans les discours que ce conseil aurait une place dans le processus législatif, autrement dit « la décision politique et sa traduction juridique seraient construites grâce à la réunion de citoyens puis des représentants de la nation élus, travaillant de concert »17, il y aurait donc une sorte de pouvoir normatif ou pré normatif donné aux citoyens sans qu’aucune norme ne l’indique. Dans un contexte positiviste-normativiste, ce possible pouvoir porterait une atteinte à la Constitution et supposerait très probablement une révision constitutionnelle, ce qu’interrogent certains auteurs « la question de la conformité des conventions citoyennes à l’article 3 de la Constitution. Il convient en effet de se demander si les conventions citoyennes, dont la portée des travaux serait alors impérative et non plus seulement consultative, ne seraient pas assimilées à un mode d’exercice de la souveraineté nationale […] Juridiquement, l’institutionnalisation des conventions citoyennes doit, de toute évidence, passer par une révision constitutionnelle »18.

Le second danger tient à ce que le discours politique opère sans fondement juridique et ne semble n’avoir aucun besoin du droit. Autrement dit, la parole du Président suffit à faire advenir ce conseil sans qu’il n’y ait de suite juridique. Les théories d’Austin sur le langage performatif s’appliquent ici, bien qu’il en manque certaines conditions19. Le discours politique est donc au fondement de la création de cette nouvelle institution sans encadrement juridique.

Ce fonctionnement s’inscrit dans un mouvement contemporain relatif de destruction du droit, de sa spécificité, de sa force, en l’espèce en omettant la normativité spécifique au droit et nécessaire pour donner un fondement et un encadrement aux institutions. Le pouvoir performatif du langage juridique est donc effacé au profit du discours politique qui ne semble n’avoir besoin que de lui-même pour exister.

La création du CNR est révélatrice d’une part d’une crise de légitimité des pouvoirs publics mais surtout de la représentativité, de la démocratie, des institutions administratives et juridiques établies. En effet, la création d’une institution nouvelle dont les champs de compétences sont similaires à des conseils déjà existants, tenant en eux l’idée de démocratie participative (organes mêlants experts mais aussi des citoyens concernés par tel ou tel domaine) mais ayant par ailleurs des compétences, un rôle des outils clairement définis, est la preuve d’un mauvais fonctionnement des conseils déjà existants et plus généralement des institutions déjà existantes. La différence fondamentale tenant à une démocratie plus assurée par le nombre de personnes consultées n’est pas suffisante à justifier son existence. D’autant que la pertinence d’un tel conseil dépend de la connaissance de celui-ci par les citoyens, par ailleurs, les questions posées aux citoyens sont très prédéterminées20 ce qui relativise la liberté d’expression des citoyens sur un thème et la démocratie participative tant vantée.

Cette forme de consultation est un nouveau moyen de l’Administration pour apparaître plus consensuelle, moins unilatérale, plus ouverte aux débats mais le choix revient à l’exécutif et les résultats des rapports ne lient pas le gouvernement quant aux politiques à adopter. Finalement, n’est-t-il pas un moyen pour le gouvernement de donner une forme de légitimité démocratique à ses propres décisions et politiques21 ? D’un autre côté, Adrièle Jestin soulève le risque de ce type d’institution « tant que ce dispositif de participation citoyenne sera mis en place sans véritable institutionnalisation, c’est-à-dire tant que ses modalités d’organisation ne seront pas encadrées et ses conclusions protégées par le droit, le risque demeurera de son instrumentalisation politique »22.

  1. G. Dumont, La citoyenneté administrative, Thèse Paris 2, dact., 2002 ; V. Champeil-Desplats, « La citoyenneté administrative », in P. Gonod, F. Melleray, Ph. Yolka, Traité de droit administratif, Dalloz, t. 2, 2011, p. 397 ; Y.-A. Durelle-Marc, « Le « citoyen administratif » : les données théoriques et historiques d’une quadrature », RFDA, 2008, p. 7. [↩]
  2. S. Saunier, « L’association du public aux décisions prises par l’administration », AJDA, 2015, n° 43, p. 2426. [↩]
  3. V. Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur le Conseil national de la refondation, à Paris le 3 octobre 2022. [https://www.vie-publique.fr/discours/286605-emmanuel-macron-03102022-conseil-national-de-la-refondation]. On notera de manière étonnante que l’acte de nomination (juillet 2022) est intervenu avant la déclaration du président créant la Commission (octobre 2022). Juridiquement l’acte de nomination d’un membre pour une institution n’ayant pas de fondement apparait particulièrement étonnant d’un point de vue juridique. [↩]
  4. Article 1 du décret du 29 juillet 2022 : « Par délégation de la Première ministre, M. Olivier VÉRAN, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement prépare, anime et coordonne le travail gouvernemental relatif au renouveau démocratique et au développement de la participation citoyenne sous ses différentes formes. A ce titre, […] Il organise et anime les travaux du Conseil national de la Refondation par délégation de la Première ministre. » [↩]
  5. La consultation concerne en effet des ministères différents : climat, logement, école, modèle productif et social ne sont pas du ressort d’un ministère commun. [↩]
  6. CE, ass., 21 mars 2016, N° 368082 Société Fairvesta et autres et Société Numericable, il est entendu que la jurisprudence concerne les actes de droit souple des autorités chargées de missions de régulation. [↩]
  7. Nous comptons 23 institutions déjà existantes dans les domaines du Conseil. [↩]
  8. Le Conseil national de l’économie circulaire, le Conseil national de la consommation, le conseil national économique, social et environnemental, le conseil national de productivité, le conseil national de l’insertion par l’activité économique, le Conseil national de l’industrie de l’alimentation. [↩]
  9. Le Conseil national de la transition écologique, le conseil national de la protection de la nature, le conseil national de l’air. [↩]
  10. Le Haut conseil de la santé publique, le conseil consultatif des personnes handicapées. [↩]
  11. Le Conseil supérieur de l’éducation, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. [↩]
  12. Le Conseil national de la protection de l’enfance, le Conseil national de l’adoption. [↩]
  13. D. Rousseau Six thèses pour la démocratie continue, Odile Jacob, Coll. Sciences humaines, 2022 ; du même auteur : Penser, décider, agir – Les contestations, Belopolie, 2024. [↩]
  14. C. Morio, L’administré, LGDJ, Coll. Thèse, 2021. [↩]
  15. L’ancien Premier Ministre Gabriel Attal avait annoncé une consultation publique sur la stratégie énergétique et climatique de la France visant à interroger les citoyens sur le sujet. [↩]
  16. Le grand débat national avait l’objectif commun avec le CNR de rechercher l’avis des citoyens mais avec des modalités d’organisation du débat limitées juridiquement, car encadrées seulement par deux décrets et un arrêté. À la différence du CNR, ce débat a fait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat et a porté sur quatre grands thèmes : la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’Etat et les services publics, la transition écologique, et la démocratie et la citoyenneté, le CNR vise à interroger un plus grand nombre de thèmes. Sur le fonctionnement, un regard doctrinal : E. Buge, C. Morio, « Le Grand débat national, apports et limites pour la participation citoyenne », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2019, pp.1205-1238 ; C. Broyelle, « L’ossature administrative du Grand débat national », JCPG, 2019, n° 16, p. 750. [↩]
  17. A. Jestin, « Les conventions citoyennes. Un dispositif instrumentalisé, mais non institutionnalisé », RFDC, n°138. [↩]
  18. Idem. [↩]
  19. J. L. Austin, How To Do Things With Words, Oxford : Oxford University Press, 1975, p. 49. Particulièrement, on peut penser que la deuxième condition n’est pas présente : « il faut que, dans chaque cas, les personnes et les circonstances particulières soient celles qui conviennent pour qu’on puisse invoquer la procédure en question. » [↩]
  20. Pour donner un exemple de question posée et examinée pour le thème transport : « comment financer le développement des offres alternatives à la voiture (financement/fiscalité/tarification et billettique) ». [↩]
  21. Cependant, cette hypothèse n’est possible que si la décision prise par les pouvoirs publics correspond aux résultats de la consultation. Ces procédures peuvent s’avérer défaillantes comme instrument de légitimité des décisions prises, v. J. Chevallier, « Le débat public à l’épreuve. Le projet d’aéroport Notre-Dame des Landes », AJDA, 2013, p. 779. [↩]
  22. A. Jestin, op.cité. [↩]

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Table des matières

  • I. L’absence de cadre juridique au Conseil national de la refondation
  • II. La spécificité limitée du Conseil national de la refondation
  • III. L’effet néfaste mais révélateur d’une telle institution sur le droit

About Sandrine Perera

Docteur en droit, enseignant chercheur

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  • I. L’absence de cadre juridique au Conseil national de la refondation
  • II. La spécificité limitée du Conseil national de la refondation
  • III. L’effet néfaste mais révélateur d’une telle institution sur le droit

Sandrine Perera

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