Le recueil Lebon mentionne que la partie des conclusions reproduites ne concerne que la question de recevabilité.
Le chemin vicinal d’intérêt commun n° 97 du département du Tarn a été classé en 1855 par arrêté du préfet. En 1867, on s’est occupé de modifier son assiette, de le redresser et de l’élargir. Un arrêté préfectoral du 6 mai 1871 en a fixé la largeur, a décidé que le redressement et l’élargissement seraient effectués conformément à un plan annexe, et désigné les terrains avec prix d’estimation que le chemin emprunterait. Le sieur Auguste Raynaud, propriétaire du domaine des Pissouliès, devait avoir une partie de ses terrains englobée dans ce tracé ; en 1873, il ceda gratuitement, mais sous certaines conditions, les parcelles de son domaine nécessaires pour le chemin. Les travaux furent exécutés sans aucune réclamation, le chemin fut redressé et élargi. En 1895, la veuve du sieur Reynaud vendit au sieur Gau-Bosc le domaine de Pissouliès que traversait le chemin. En 1903 le sieur Gau-Bosc assigne le préfet du Tarn ès-qualité devant le conseil de préfecture, en soutenant que le contrat d’offre de concours de son auteurs, le sieur Raynaud, est nul pour inexécution par l’Administration des conditions imposées dans l’acte de souscription ; il réclame en conséquence le prix du terrain abandonné gratuitement par le sieur Raynaud et incorporé au chemin, avec les intérêts à compter du jour de la prise de possession. Le sieur Gau-Bosc expose que l’offre de concours pour la construction du chemin a été faite dans l’intérêt du domaine des Pissouliès qui devait bénéficier de la plus-value résultant de l’exécution de ce travail public ; que les droits et obligations résultant de ce contrat d’offre de concours sont donc attachés au domaine ; qu’il ne constituent pas des droits et obligations personnels au souscripteur et se transmettant à ses héritiers, mais qu’ils suivent l’immeuble entre les mains de ses propriétaires successifs.
On invoque votre jurisprudence sur le droit de l’acquéreur d’un immeuble de réclamer la réparation de dommages postérieurs à l’acquisition ; on invoque encore deux décisions rendues en matière d’offres de concours le 8 août 1885 (Fontaine, p. 794) et le 27 mars 1903 (Compagnie des moulins et usines d’Albi, p. 275).
La question qui se pose est la suivante : quand une offre de concours, réalisée en terrains, a été faite par un propriétaire en vue de l’exécution de travaux publics et que ce propriétaire vend la propriété dans l’intérêt de laquelle il est censé avoir fait son offre, est-ce lui et ses héritiers qui ont qualité pour discuter l’offre ou bien est-ce l’acquéreur de l’immeuble qui est substitué de plein droit en leur lieu et place ? Deux observations préliminaires s’imposent : 1º Il ne s’agit pas du cas où l’acte de vente a transmis à l’acquéreur les droits et obligations du vendeur qui a souscrit l’offre de concours (Conf. en matière de dommages causés par des travaux publics : Nivères, 26 avr. 1901, p. 401). L’acte de vente au sieur Gau-Bosc ne contient aucune clause. Il s’agit donc d’une substitution de plein droit de l’acquéreur au vendeur ; 2° Il est certain que les droits et les obligations sont liées : la personne qui, si la subvention est réalisée, pourra élever une contestation et demander la résolution du contrat d’offre de concours, sera la même a qui, si la subvention n’est pas encore payée, on pourra réclamer l’exécution de sa promesse.
II s’agit donc, en somme, de savoir si une offre de concours en terrain a un caractère réel ou un caractère personnel. Nous estimons que l’offre de concours constitue un contrat personnel à celui qui le signe, un contrat, qui, à moins de stipulation, reste attaché à la personne de celui qui l’a souscrit et de ses héritiers ; qu’il ne suit pas de plein droit l’immeuble au profit duquel il aurait été passé. En effet, il nous paraît impossible de changer la nature du contrat suivant que l’offre aura été faite en argent ou en terrains. L’offre de concours est un contrat unilatéral en vue de l’exécution de travaux publics, c’est une sorte de donation subordonnée à l’exécution de travaux publics. Très souvent il a pour objet tout à la fois la cession des terrains qui sont fournis à prix réduit ou gratuitement et le versement d’une somme d’argent. Aussi, en matière de compétence, la jurisprudence a voulu unifier, n’admettant pas que la nature de ce contrat unique varie (de Chargère, TC 27 mai 1876 p. 497 ; Guillaumin, TC 30 juill. 1887, p. 617). Or, lorsqu’il s’agit de subventions en argent, même quand elles sont faites dans l’intérêt d’une propriété, personne n’a jamais songé à faire passer de plein droit à l’acquéreur de l’immeuble les droits et obligations résultant du contrat d’offre de concours ; c’est aux héritiers du souscripteur qu’ils passent (v. notamment : Pitté, 21 mars 1890, p. 325 et les renvois en note ; commune de Villefranche d’Albigeois, 3 août 1900, p. 524). La même solution s’impose lorsque l’offre de concours est faite en terrains. En effet, le contrat est de même nature, le but que l’on veut atteindre est le même, on souscrit en vue du même résultat pour les propriétés intéressées. Toute distinction serait illogique.
Nous disons en second lieu que nous ne sommes pas en présence d’un droit réel, attaché à l’immeuble, le suivant nécessairement en quelques mains qu’il passe. Les droits ou obligations attachés à un immeuble, en dehors de toute stipulation des actes de vente, résultent ou d’un texte de loi, comme les servitudes du droit civil ou celles de halage et de curage, ou de la nature des choses, comme les droits d’accès et de vue, les autorisations de prises d’eau sur les cours d’eau ; mais on ne saurait de plein droit attacher à un immeuble les engagements qu’un propriétaire croit devoir prendre pour l’exécution de travaux publics d’intérêt général, qu’il est libre de prendre ou de ne pas prendre et qui dès lors ne sont pas des accessoires nécessaires de l’immeuble même si la propriété doit en retirer certains avantages. Nous ne vous rappellerons pas la tendance de notre législation à assurer la publicité des charges foncières, notre législation en matière hypothécaire notamment ; ne serait-ce pas contraire à toute cette législation ? Comment deviner qu’une charge, provenant d’une offre de concours, grèverait un immeuble : l’existence d’un chemin n’implique pas un engagement des riverains lors de sa construction. Il est inadmissible qu’en achetant un immeuble on soit exposé à subir les charges qui pourraient résulter d’une offre de concours ; il est inadmissible en revanche que l’acquéreur ait qualité pour discuter l’offre de concours faite précédemment par le vendeur.
La jurisprudence est d’ailleurs très nette dans le sens des observations que nous vous présentons (Trib. des conflits 8 juill. 1893, Bastide, p. 589 ; Cons. d’État 1er juill. 1898, Martin et autres, p. 517). Quant aux décisions invoquées par le recours et que nous avons indiquées, elles sont sans portée dans l’espèce : la qualité des parties à introduire l’action n’était pas contestée, probablement en raison de stipulations spéciales de contrats de vente, et vous n’avez eu qu’à statuer au fond.
Enfin, on ne saurait affirmer qu’une offre de concours a été faite dans l’intérêt exclusif d’un immeuble, de façon que le propriétaire de l’immeuble ait seul qualité pour discuter l’exécution du contrat intervenu. Souvent, il n’y a eu qu’une pure libéralité ; ainsi pour des constructions d’églises, le but, même intéressé, peut être multiple ; celui qui a souscrit l’offre avait une solution notable dans le pays, à laquelle il tenait à faire honneur, ou bien il avait quelque arrière-pensée politique, ou bien il a songé à quelques avantages d’ordre général, par exemple en cas de création d’un chemin de fer. Faudra-t-il rechercher les intentions du donateur et décider, suivant les cas, que les droits et charges résultant de l’offre de concours passent ou non à l’acquéreur de l’immeuble ? Et, que décider au cas où il n’aura vendu qu’une partie de son immeuble ? Enfin, si la contestation sur l’offre de concours s’élève après la vente de l’immeuble, mais du vivant du souscripteur, dira-t-on que ce dernier ne peut plus discuter, qu’il n’est plus tenu de l’exécution de son offre ? Si vous lui reconnaissez le droit de discuter, si vous admettez qu’il est encore tenu, il faudra laisser l’acquéreur en dehors du litige et alors, au décès du souscripteur, la situation de l’acquéreur ne doit pas changer. Ainsi, au point de vue pratique, comme au point de vue juridique, on ne saurait rattacher artificiellement l’offre de concours à l’immeuble qui serait présumé devoir en profiter. La seule solution admissible est de reconnaître que l’offre de concours est un contrat personnel, que les droits et obligations qui en découlent restent attachés à la personne du vendeur et ne passent qu’à ses héritiers, sauf bien entendu stipulations contraires dans les actes de vente.
M. Romieu faisant application des principes qu’il avait développés, a conclu au rejet comme non recevable de la requête du sieur Gau-Bosc.

