À la date du 1er févr. 1906, le maire de Bourbon-Lancy a pris un arrêté, par lequel il a prescrit l’abatage, par les soins et aux frais de la commune, des arbres à haute tige se trouvant dans l’intérieur des carrés du cimetière sur les sépultures privées. Madame de Suremain, veuve de Crest, vous défère cet arrêté pour excès de pouvoir. À l’appui de son recours, elle expose que les plantations des arbres dans les cimetières sont prévues par le décret du 23 prairial an XII, que ces arbres sont la propriété des titulaires de concessions et que s’il appartient au maire de prendre les mesures réglementaires qu’exigeraient l’hygiène et la salubrité publique, il ne peut ordonner l’abatage des arbres. Elle invoque en second lieu les droits que le contrat de concession confère et qui ne sauraient être méconnus par le maire. Enfin, elle soutient que dans tous les cas, le maire ne peut point autoriser les agents de la commune a pénétrer sur les terrains concédés, sans avoir au mains adressé préalablement une mise en demeure aux titulaires des concessions, et qu’il ne peut point faire procéder d’office par ces agents à l’abatage des arbres afin d’assurer l’exécution de l’arrêté qu’il a pris.
Les moyens ainsi invoqués par la requérante nous conduisent à rechercher tout d’abord quelle est la nature juridique du domaine du cimetière et celle des droits conférés aux concessionnaires. Le cimetière fait-il partie du domaine public ou du domaine privé de la commune et, d’autre part, les concessions prévues par les art. 10 et. 11 du décret du 23 prairial an XII sont-elles constitutives de droits réels ? Vous connaissez, Messieurs, la controverse dont ces questions ont été l’objet. Aujourd’hui, la jurisprudence semble admettre que le cimetière fait partie du domaine privé de la commune, mais avec affectation à un service public, que les concessions constituent des droits réels, mais des droits sui generis, même au cas de concessions à perpétuité et que les droits ainsi conférés ne sauraient empêcher la translation du cimetière sur un autre emplacement, qu’enfin le maire a des pouvoirs de police très étendus en ce qui concerne les lieux de sépulture. (Cons. d’État, 27 juil. 1906, Permanne c. commune d’Armentières, p. 700 ; Cass., 12 févr. 1901, Martel, Bul. civ., p. 43). En tout cas, c’est à l’autorité judiciare qu’il appartient de connaître des litiges s’élevant entre les titulaires de concessions et les communes (Trib. des conflits, 7 mai 1892, Faré, p. 422 ; 21 nov. 1896, Regest, p. 749), et notamment des actions en indemnité pour abatage d’arbres (Cons. d’État, 10 janv. 1890, Rodel, p. 1). C’est également à l’autorité judiciare qu’il appartient de prononcer sur les litiges s’élevant entre plusieurs communes au sujet d’un cimetière (Trib. des conflits, 8 nov. 1902, Commune de Charnod, p. 646 ; Cons. d’État, 8 mars 1907, Commune de l’Isle-Aumont, p. 234).
Enfin, l’autorité judiciare sera saisie des procès-verbaux de contravention aux arrêtés du maire et elle aura ainsi à apprécier la légalité de ces arrêtés ; mais le Conseil d’État pourra lui aussi, être saisi de ces arrêtés par la loi du recours pour excès de pouvoir, c’est le cas de l’espèce (sur ces questions, Trib. des conflits, 26 mars 1881, Aymen, p. 354 ; Cass., 24 août 1864 Dalloz, 1864.1.366 ; Cour de Douai, 2 déc. 1903, Leroy, Dalloz, 1905, 1905.2.433 ; Cons. d’État, 29 avr. 1904, Adam, p. 347).
Nous venons de dire que le maire a, en ce qui concerne le cimetière, des pouvoirs de police étendus. Ces pouvoirs, il les tient des art. 16 et 17 du décret du 23 prairial an XII, qui lui confèrent la police et la surveillance des lieux de sépulture et cela qu’ils appartiennent à la commune ou même à des particuliers ; il les tient encore de l’art. 97 de la loi du 5 avr. 1884, qui le charge de prendre les mesures nécessaires pour les inhumations et exhumations et d’assurer le bon ordre dans le cimetière. Mais ces pouvoirs de police ne doivent s’exercer que pour le maintien du bon ordre et en vue de l’hygiène et de la salubrité publique ; il ne faut point oublier qu’ils sont limités par les droits conférés aux titulaires des concessions. C’est ainsi que le maire ne pourrait, en invoquant ses pouvoirs de police, ordonner la destruction d’un monument sur un terrain concédé (Cass., 12 févr. 1902, Martel ; Bul. civ., p. 43 ; Dalloz, 1905.1.495), ni prescrire que le cimetière serait fermé certains jours, ou que pour l’entretien des tombes, les titulaires de concessions devront s’adresser au gardien du cimetière ou au fossoyeur communal (Cons. d’État, 29 avr. 1904, Adam, p. 347 et les renvois).
Spécialement, en ce qui concerne les arbres, le maire exercera ses pouvoirs de police dans un but d’hygiène, par exemple pour faire disparaître les inconvénients que présenterait l’humidité due à des plantations de cette nature. L’art. 3 du décret du 23 prairial an XII prévoit bien en effet que l’on fera des plantations dans les cimetières, mais il a soin d’ajouter que l’on prendra les précautions convenables pour ne point gêner la circulation de l’air.
Toutefois, les pouvoirs de polices conférés au maire sont-ils assez étendus pour lui permettre d’ordonner par mesure générale l’abatage de tous les arbres au ras du sol ? Cela est possible, si l’hygiène ou la salubrité publique exige une semblable mesure ; mais c’est une question de fait : un simple émondage pourrait dans bien des cas être suffisant et l’abatage ne constituer qu’une mesure vexatoire.
Admettons que des l’abatage des arbres soit nécessaire, et que par conséquent l’arrêté du maire soit légal en tant qu’il prescrit cette opération : le maire doit-il se borner à ordonner que les arbres seront coupés, sauf à faire dresser procès-verbal, si son arrêté n’est point exécuté, et à saisir le tribunal de simple police ou peut-il ordonner lui-même l’exécution d’office ? Cette question se rattache à une question beaucoup plus générale, celle du mode d’exécution des arrêtés de police. La jurisprudence est aujourd’hui bien fixée ; nous nous permettons de vous la rappeler. En principe, l’exécution d’office par la voie administrative n’est pas possible. L’arrêté n’est-il pas exécuté, on dressera un procès-verbal pour contravention et le juge saisi, tribunal de simple police, tribunal correctionnel ou conseil de préfecture, appréciera la légalité de l’arrêté. Cette règle générale s’impose pour garantir les particuliers contre les abus qu’entraînerait trop souvent l’exécution d’office des arrêtés. Exceptionnellement, l’exécution d’office est licite : 1º s’il y a urgence, s’il s’agit de faire face à une nécessité publique, de prévenir un péril imminent ; 2º s’il n’y a pas de sanction pénale pour les infractions à l’arrêté et si par suite l’exécution administrative est seule possible (sur ce dernier point : Cons. d’État, 19 févr. 1904, Bernier, p. 131). Même, pour les voies publiques, où des textes spéciaux, tels que la loi du 29 floréal an X, prévoient que l’Administration peut faire disparaître les obstacles à la circulation, la jurisprudence distingue : elle admet que l’exécution d’office est licite si la circulation est interrompue (Cons. d’État : 11 janv. 1866, Ogier, p. 7 ; 17 juin 1881, Guildrand, p. 625), mais qu’au contraire des arrêtés prescrivant l’exécution d’office doivent être annulés, s’il n’y a ni urgence, ni besoin immédiat (Cons. d’État : 2 juil. 1875, Fouques de Wagnouville, p. 667 ; 16 mars 1877, de Rozières, p. 294 ; 1er févr. 1884, Marquet, p. 99).
Dans l’affaire actuelle, le maire a prescrit l’abatage d’office d’arbres plantés sur les terrains compris dans les concessions au cimetière ; son arrêté ne peut se justifier par aucune considération d’urgence, et ce qui le prouve surabondamment, c’est que le ministre de l’Intérieur a prescrit au maire de surseoir à l’exécution de l’arrêté jusqu’à ce que vous ayez statué sur le pourvoi de Madame de Suremain. Dans ces conditions, le maire ne pouvait qu’assurer l’exécution de son arrêté par la procédure ordinaire, c’est-à-dire mettre les intéressés en demeure de s’y conformer, puis, au cas où ils ne s’y conformeraient pas, faire dresser procès-verbal : le juge de simple police aurait ensuite apprécié la légalité de l’arrêté, condamné le contrevenant, s’il y avait lieu, et ordonné les mesures nécessaires, mais le maire ne pouvait pas faire abattre lui-même les armes d’office, par les soins et aux frais de la commune : en le faisant, il s’est substitué à tort à l’autorité judiciare et a empiété sur ses attributions ; son acte doit être annulé pour excès de pouvoir.

