Dans une décision du 15 novembre 2012, Commune de Cavalaire-sur-Mer, requête numéro 355755 (sera publié au recueil Lebon), le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles peut être exercé un recours contre une décision opposant la prescription quadriennale.
On le sait, la déchéance, improprement appelée « prescription quadriennale » est instituée par la loi numéro 68-1250 du 31 décembre 1968, qui abroge et remplace les textes antérieurs instituant la déchéance sur les dettes de l’Etat et des collectivités territoriales.
Aux termes de l’article 1er de la loi de 1968 :
Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d’un comptable public.
La distinction entre prescription et déchéance est importante, la doctrine la plus savante l’a montré depuis bien longtemps.
La prescription éteint la dette, et peut être soulevée jusqu’en cassation; elle n’a pas à faire l’objet d’une décision de l’administration et peut être constatée par le juge. La déchéance quant à elle n’est pas automatique : elle doit être opposée par une décision de l’ordonnateur, avant que le juge de premier ressort se soit prononcé.
Nécessitant un acte de volonté, il est naturel que des hésitations se soient fait jour sur le régime contentieux de la décision d’opposer la prescription quadriennale.
Le Conseil d’Etat, par une jurisprudence assez constante, a établi que la décision d’opposer la prescription quadriennale ne peut pas en principe faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir; la décision doit être contesté par le juge du plein contentieux qui connaît d’un litige indemnitaire.
Un certain nombre de décisions isolées du Conseil d’Etat ont pu faire penser que la jurisprudence évoluait et ont entretenu un doute à ce propos.
Par une décision Commune de Carsac-Aillac du 3 janvier 1969 (Conseil d’Etat, 3 janvier 1969, Commune de Carsac-Aillac, requête numéro 69185, rec p. 1) le Conseil d’Etat semblait indiquer qu’une décision d’opposition de la prescription pouvait être attaquée par la voie du recours pour excès de pouvoir :
Cons. que, lorsque le maire de Carsac-Aillac a opposé la décheance quadriennale à la créance dont se prévaut le Sieur Y… à l’égard de la commune, le juge administratif était saisi du fond du litige ; que, des lors, il lui appartient de statuer sur la déchéance quadriennale, nonobstant la circonstance que la décision du maire n’a pas fait l’objet, dans le délai de deux mois, d’un recours pour excès de pouvoir ;
Cette approche semblait être confirmée par une décision du du 2 mai 1973, Guyot (Conseil d’Etat, 2 mai 1973, Guyot, requête numéro 83733, recueil Lebon p. 309; AJDA 1973 p. 370, note Paul Amselek). Par cette décision le Conseil d’Etat annulait un jugement ayant rejeté un recours pour excès de pouvoir contre une décision d’opposition de la prescription quadriennale. La décision Guyot est d’autant plus notable que la prescription avait été opposée concernant l’indemnité attribuée par le juge judiciaire en indemnisation du préjudice subi du fait d’une emprise irrégulière.
Le Conseil d’Etat affirmait donc l’autonomie du recours contra la décision d’opposer la déchéance, non seulement vis-à-vis du contentieux indemnitaire, mais également vis-à-vis des recours devant la juge judiciaire, alors même que ce dernier est compétent pour connaître d’une telle décision, opposée dans le cadre d’un litige qu’il est amené à trancher.
Le Conseil d’Etat avait ensuite accepté, de manière plus orthodoxe, d’examiner le recours pour excès de pouvoir exercé contre une décision de prescription opposée dans le cadre d’un contentieux indemnitaire introduit par un fonctionnaire par la voie du REP (Conseil d’Etat, Section, 9 janvier 1976, Fabre, requête numéro 95238, recueil Lebon p. 17; AJDA 1976 p. 78 et 93 chronique Boyon et Nauwelaers).
Cette dernière solution est assez logique, et ne préjuge pas de l’autonomie du recours contre la décision d’opposition de la prescription : le fonctionnaire pouvant exercer un choix entre le plein contentieux et l’excès de pouvoir, c’est naturellement le juge de l’excès de pouvoir saisi qui connaît à la fois du recours contre la décision refusant de verser une indemnité, et contre la décision d’opposition de la prescription (CE, 8 mars 1912, Lafage, recueil Lebon p. 348, conclusions Pichat; Grands arrêts de la jurisprudence administrative).
Dans sa décision 15 novembre 2012, Commune de Cavalaire-sur-Mer, requête numéro 355755, le Conseil d’Etat lève presque toutes les hésitations sur le statut contentieux des décisions d’opposition de la prescription quadriennale, en affirmant :
6. Considérant que lorsque, dans le cadre d’un litige indemnitaire, l’administration oppose à la créance objet de ce litige la prescription prévue par les dispositions de la loi du 31 décembre 1968, le créancier qui entend contester le bien-fondé de la prescription doit le faire devant le juge saisi de ce même litige ; que, dans cette hypothèse, le créancier n’est par conséquent pas recevable à demander au juge de l’excès de pouvoir l’annulation de la décision opposant la prescription quadriennale à la créance dont il se prévaut ;
Le considérant de principe ne semble pas pouvoir remettre en cause cependant les cas dans lesquels le litige indemnitaire se noue devant le juge de l’excès de pouvoir, dans le cadre de la jurisprudence Lafage (Conseil d’Etat, Section, 9 janvier 1976, Fabre, requête numéro 95238, recueil Lebon p. 17; AJDA 1976 p. 78 et 93 chronique Boyon et Nauwelaers).
Pourront en outre encore faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir les décisions refusant de relever les décisions d’opposition de la prescription, prises en application de l’article 6 de la loi du 31 décembre 1968 (Conseil d’Etat, 31 janvier 1996, M. Laplaud et autres, requêtes numéros 138724 et 145215, mentionné aux tables).