1. Les litiges opposant la commune de Saint-Pierre (La Réunion), et M. Yves Vizier d’une part, Mme Sandrine Larousserie, d’autre part, se présentent de manière tout à fait similaire. Ces derniers étaient titulaires d’une autorisation d’occupation temporaire d’un emplacement pour leur bateau dans le port de Saint-Pierre, valable du 1er janvier au 31 décembre et tacitement reconductible chaque année1. Celle-ci est venue à expiration le 31 décembre 2018, après que le maire de la commune leur a indiqué, par courriers du 11 octobre 2018, qu’elle ne serait pas renouvelée.
Les intéressés n’ayant pas quitté les lieux, la commune a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’ordonner leur expulsion du domaine public portuaire. M. Vizier et Mme Larousserie, de leur côté, ont demandé au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du 11 octobre 2018 refusant le renouvellement de l’autorisation. Dans les deux cas, par des ordonnances du 16 août 2019, le juge des référés a rejeté la demande de la commune et suspendu la décision du 11 octobre 2018. La commune se pourvoit en cassation contre ces quatre ordonnances.
Cadre juridique
2. Les ordonnances sont fondées sur le même motif : le juge des référés a estimé que la décision du maire de ne pas renouveler les autorisations constituait un « refus d’autorisation », au sens du 7° de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), soumis à l’obligation de motivation prévue par cet article. L’absence de motivation des décisions du 11 octobre 2018 a justifié la suspension de leur exécution. Elle a également été regardée comme une « contestation sérieuse » de la validité de la mesure de non-renouvellement des autorisations, au sens de la décision de Section du 16 mai 2003, SARL Icomatex2, justifiant que les demandes d’expulsion formulées par la commune soient rejetées.
Le cadre juridique est bien celui dans lequel les parties et le juge se sont placés. Les titres d’occupation résultaient en effet d’autorisations unilatérales, et non d’un contrat. En présence d’un contrat d’occupation du domaine public, vous jugez, dans le cadre renouvelé par la décision Béziers II3, que le refus de renouvellement relève du juge du contrat4 et ce juge, en présence d’une décision de ne pas reconduire une convention parvenue à son terme initial, peut seulement rechercher si elle est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à une indemnité, un recours tendant à la reprise des relations contractuelles étant irrecevable5.
Vous contrôlez, au titre de l’erreur de droit, si un acte entre ou non dans le champ de l’article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 repris à l’article L. 211-2 du CRPA6.
Pas d’obligation de motivation
La commune soutient que les décisions du 11 octobre 2018 n’étaient pas soumises à l’obligation de motivation. Elle fait valoir deux arguments : premièrement, les titulaires d’autorisations d’occupation temporaire du domaine public n’ont pas de droit acquis au renouvellement de leur titre ; secondement, un refus d’autorisation ne peut intervenir que lorsqu’une autorisation a été demandée.
Le premier argument n’est pas convaincant. Ainsi, lorsqu’on est, sans doute possible, en présence d’une demande, qui peut notamment être formulée dans le cadre d’un appel d’offres, un refus d’accorder ou de renouveler une autorisation d’occuper le domaine public doit être motivé7.
En revanche, il est vrai qu’en l’espèce, il n’y a eu aucune demande de renouvellement de l’autorisation. Cela s’explique par la nature des autorisations accordées : en vertu des arrêtés portant autorisation, celle-ci était accordée pour une durée annuelle et était renouvelée à son échéance, sauf « préavis de résiliation de l’une ou l’autre des parties ». Sont donc ici en cause des autorisations d’occupation annuelles, sans terme précis et renouvelables tacitement chaque 1er janvier. Pour voir dans les faits de l’espèce une demande d’autorisation à laquelle un refus aurait été opposé, il faudrait donc, par une construction intellectuelle, considérer qu’à l’échéance annuelle de l’autorisation, l’occupant qui souhaite se maintenir dans les lieux formule une demande virtuelle en ce sens. Mais cela ne correspond en rien à la réalité et ne pourrait, à la limite, se justifier que si cela était nécessaire pour garantir la cohérence globale du régime juridique en cause.
En effet, si l’on regarde les décisions litigieuses comme abrogeant les arrêtés d’autorisation, ce qui correspond beaucoup mieux à la réalité, on peut avoir l’impression d’aboutir à une situation paradoxale dans laquelle le titulaire d’une autorisation délivrée pour une durée initiale donnée et tacitement renouvelable bénéficie de garanties moindres, lorsque l’autorité administrative souhaite y mettre fin à l’échéance de son renouvellement, que le titulaire d’une autorisation à durée déterminée renouvelable sur demande. Le premier pourrait voir l’autorisation abrogée sans qu’une motivation de cette décision soit nécessaire alors que le second, qui devrait, à l’échéance, demander le renouvellement de l’autorisation, « bénéficierait », en cas de refus, d’une décision motivée. Mais en réalité, la différence de traitement n’est pas si importante. En premier lieu, parce qu’une décision abrogeant une autorisation d’occupation du domaine public doit reposer sur un motif et ne peut être discrétionnaire. Une telle décision doit, si elle n’est pas fondée sur une faute de l’occupant ou le non-respect des conditions auxquelles l’autorisation était subordonnée, ou encore sur son caractère illégal8, être justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, contrôlé par le juge9. Vous avez récemment précisé les limites de ce contrôle, par une décision concernant les contrats d’occupation du domaine public, transposable au cas des autorisations unilatérales10. En second lieu, il ne faut pas oublier que l’autorité administrative peut abroger une autorisation d’occupation du domaine public, non seulement comme en l’espèce, avec effet à l’échéance annuelle de son renouvellement, mais aussi à n’importe quelle autre date. Cela conduit à relativiser l’importance du régime attaché au « renouvellement » de l’autorisation.
Il nous semble donc que lorsque l’autorité administrative souhaite mettre fin à une autorisation domaniale à l’échéance de son renouvellement, les contraintes de fond qui pèsent sur elle sont comparables, que l’autorisation ait eu vocation à être tacitement renouvelée ou, au contraire, à l’être sur demande de l’occupant. Les principes dégagés en cas de renouvellement par la décision du 25 janvier 2017, Commune de Port-Vendres11 s’appliqueront dans les deux cas : le gestionnaire du domaine devra s’interroger sur une éventuelle abrogation de l’autorisation (1er cas) ou examiner la demande de renouvellement (2nd cas) au regard de l’objectif de la meilleure utilisation possible du domaine public. Nous pensons donc que vous pourrez juger que les décisions contestées ne constituent pas des « refus d’autorisation », au sens de l’article L. 211-2 du CRPA et que, par suite, en jugeant qu’elles devaient être motivées, dès lors qu’elles entraient dans le champ du 7° de cet article, le juge des référés a commis une erreur de droit. Vous pourrez la sanctionner même en tenant compte de la nature particulière de votre contrôle en référé12.
Par ailleurs, les décisions litigieuses ne relèvent d’aucune des autres catégories mentionnées à l’article L. 211-2 du CRPA. Elles ne constituent pas une mesure de police (1°) et n’infligent pas une sanction (2°). Elles n’abrogent pas non plus une décision créatrice de droits (4°) : sauf cas particuliers13, une autorisation d’occupation du domaine public, précaire et révocable, n’est pas créatrice de droits14.
Vous annulerez donc les quatre ordonnances et pourrez régler les affaires en référé.
Règlement des affaires en référé
3. Pour demander la suspension des décisions contestées,
M. Vizier et Mme Larousserie soutiennent seulement, au titre de la seconde condition posée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, que leur absence de motivation crée un doute sérieux sur leur légalité. Si vous nous suivez pour annuler les ordonnances, vous ne pourrez que juger que ce moyen n’est pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions dont la suspension est demandée. Vous rejetterez donc les demandes.
Examinons maintenant les demandes de la commune fondées sur l’article L. 521-3 du code de justice administrative.
M. Vizier et Mme Larousserie sont tous deux occupants irréguliers du domaine public. La commune fait valoir que l’urgence et l’utilité de la mesure demandée sont justifiées par le fait que l’occupation irrégulière des emplacements concernés empêche leur attribution à un autre occupant, alors qu’il existe plus de cent demandes en attente. M. Vizier et Mme Larousserie font chacun valoir que l’expulsion demandée met en péril leur droit au logement, dès lors qu’ils habitent sur leur bateau chacun avec un fils jeune majeur. Mais cette circonstance ne constitue pas une contestation sérieuse, au sens de votre décision de Section SARL Icomatex. Vous avez certes jugé que le juge des référés doit prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, lorsque la décision d’expulsion d’une dépendance du domaine public est susceptible de concerner des enfants15. Cette prise en compte ne peut en tout état de cause porter que sur le délai imparti aux occupants pour quitter les lieux, qui doit être fixé notamment eu égard aux perspectives de relogement des intéressés dans le cadre d’un hébergement d’urgence16 ou d’un logement social17. Mais les expulsions ici en cause ne concernent que des personnes majeures et, au demeurant, M. Vizier et Mme Larousserie ont disposé de plusieurs mois pour accomplir les démarches en vue d’obtenir un autre logement. Vous pourrez donc juger que les mesures demandées par la commune répondent aux conditions d’urgence et d’utilité et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. Vous enjoindrez à M. Vizier et Mme Larousserie de libérer l’emplacement qu’ils occupent chacun irrégulièrement avec leur bateau. Cette injonction doit prendre effet à la date de notification de votre décision aux intéressés18 et, en l’espèce, nous vous proposons de prévoir que l’astreinte demandée, que nous vous proposons d’accorder à hauteur de 100 € par jour, s’appliquera à compter de cette même date. Signalons que, dans ce cas, l’application de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période conduira à ce que l’astreinte puisse s’appliquer à compter du 24 juin 2020.
Dans les quatre dossiers, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Saint-Pierre, qui n’est pas la partie perdante ; dans les circonstances de l’espèce, nous vous proposons de ne pas faire droit aux conclusions présentées au même titre par cette commune devant vous et devant le juge des référés.
Par ces motifs, nous concluons :
– à l’annulation des quatre ordonnances attaquées ;
– sous les nos 434114 et 434117, au rejet des demandes présentées au juge des référés respectivement par M. Vizier et Mme Larousserie et au rejet des conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
– sous les nos 434113 et 434115, à ce qu’il soit enjoint respectivement à M. Vizier et à Mme Larousserie de libérer sans délai l’emplacement qu’ils occupent dans le port de plaisance de la commune de Saint-Pierre, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de votre décision, et au rejet des conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. ■
- Ces règles sont conformes aux dispositions de l’article R. 631-4 du code des ports maritimes, devenu l’article R. 5314-31 du code des transports, selon lesquelles : « La disposition privative de postes à quai destinés à des navires de plaisance ne peut être consentie pour une durée supérieure à un an, renouvelable chaque année dans les conditions définies par l’autorité compétente. » [↩]
- N° 249880 : Rec., p. 229. [↩]
- CE S. 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806 : Rec., p. 117. [↩]
- CE 29 mars 2017, Office national des forêts, n° 403257 : Rec., T., p. 682. [↩]
- CE 6 juin 2018, Société Orange, n° 411053 : Rec., T., p. 777. [↩]
- CE 21 novembre 2012, Min. c/ M. Rousseau, n° 354313 : Rec., T., p. 542 ; CE 13 novembre 2019, Société Investaq Energie et autre, n° 419618 : Rec., T., p. 532. [↩]
- CE 20 mars 1996, Veber, n° 121601 ; CE 21 octobre 1994, Aéroports de Paris et société des agents convoyeurs de sécurité et transports de fonds, nos 139970 et 140056 : Rec., p. 449 ; CE 28 juin 1999, Société EDA, n° 204217. [↩]
- Notamment parce qu’elle octroierait des droits à l’occupant incompatibles avec la nature de dépendance domaniale des lieux occupés (voir, dans le cadre d’un contrat : 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, n° 352402 : Rec., p. 350). [↩]
- Cf. 8 novembre 1972, Société nationale des chemins de fer français, n° 80547 : Rec., p. 711 ; 8 février 1980, Société française des pétroles BP, n° 07822 : Rec., T., p. 722. [↩]
- CE 27 mars 2020, Commune de Palavas-les-Flots, n° 432076 : aux Tables. [↩]
- N° 395314 : Rec., p. 14. [↩]
- Cf. CE S. 29 novembre 2002, Communauté d’agglomération de Saint-Étienne, n° 244727 : Rec., p. 421. [↩]
- Par exemple, autorisations d’utilisation du domaine public hertzien : CE S. 10 octobre 1997, Société Strasbourg FM, n° 134766 : Rec., p. 355 ; CE 30 juin 2006, Société Neuf Télécom SA, n° 289564 : Rec., p. 309. [↩]
- Cf. 15 juin 2016, Commune d’Aix-en-Provence, n° 395391, inédite ; voir aussi : 28 avril 1965, Société Touring Club de France, nos 53714 et 53715 : Rec., T., p. 891. [↩]
- CE 28 juillet 2017, Ministre de l’Intérieur c/ Mme Polit-Jouan, n° 395911 : Rec., T., p. 425. [↩]
- Article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles. [↩]
- Article L. 441-2-3 du code de la construction et de l’habitation. [↩]
- Cf., notamment, CE 25 septembre 2013, M. Tomaselli, n° 354677 : Rec., T., p. 591. [↩]
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