La transparence des finances publiques a connu ces dernières années un essor manifeste en France1. L’opacité traditionnelle dans ce domaine tend à se dissiper sous l’action des parlementaires qui contrôlent l’utilisation des deniers publics2 et des recherches académiques qui en soulignent les zones d’ombre3. En dépit de cette évolution, la culture du secret demeure un réflexe pour certaines dépenses publiques. Les frais relatifs aux « cadeaux diplomatiques » ou « cadeaux protocolaires »4 en sont une excellente illustration. Si le statut de ces biens a fait l’objet d’une étude récente5, des incertitudes demeurent quant à la transparence de leur financement.
La transparence désigne « la qualité de ce qui laisse paraître la réalité tout entière, de ce qui s’épuise dans une forme de clarté ou de limpidité »6. Elle est synonyme de lisibilité, d’intelligibilité, d’accessibilité et s’oppose à l’opacité, au mystère ou encore à la discrétion. Pour certains, la transparence conditionnerait « la participation des citoyens à l’élaboration et au contrôle de l’action publique »7. En cela, elle serait « nimbée d’une aura de modernité, de respectabilité, voire de certitude, et elle tend[rait] à s’imposer comme une obligation incontournable de l’administration »8. Bien qu’elle soit décrite comme une vertu, la transparence n’est pas toujours souhaitable ni même bénéfique9. Dans l’intérêt de la France et de ses ressortissants, il convient de préserver le secret autour des missions régaliennes qui interviennent dans des domaines sensibles à l’image de la défense nationale, de la sûreté de l’État ou encore de la sécurité publique10. À cet égard, une plus grande transparence des cadeaux protocolaires semble délicate car elle touche à l’une des missions régaliennes de l’État : la diplomatie.
La diplomatie est l’art de conduire la politique étrangère d’un État en vue de la défense de ses intérêts au niveau international. Ses enjeux sont tels qu’ils justifient la plupart du temps la préservation du secret quant à ses objectifs et ses moyens. Le caractère régalien de la diplomatie ne constitue pas pour autant un obstacle dirimant à la transparence. Dans certains cas, la transparence peut être instrumentalisée pour servir la diplomatie. Le résultat des négociations diplomatiques fait par exemple l’objet d’une publicité lorsque cela profite à la légitimité de ses acteurs sur la scène internationale11. Concernant les cadeaux protocolaires offerts à l’occasion des rencontres diplomatiques, le secret les entourant n’est jamais entier. Les médias s’en font presque systématiquement l’écho tant ils suscitent la curiosité du grand public12. Le Gouvernement français refuse néanmoins de communiquer des listes exhaustives de ces présents13. Il s’agirait d’empêcher la comparaison des cadeaux protocolaires offerts aux différents dirigeants étrangers afin de ménager leurs susceptibilités14. L’argument de la préservation des intérêts de la France n’est pas irrecevable, mais l’opacité qui entoure les cadeaux protocolaires n’en demeure pas moins problématique en raison de la nature publique et le montant des sommes engagées15. La marge de manœuvre dont dispose l’Exécutif français pour l’utilisation de fonds publics interpelle et conduit à s’interroger sur la conformité actuelle du financement des cadeaux protocolaires au regard des grands principes du droit des finances publiques, en particulier du principe de sincérité.
Consacré initialement par le Conseil constitutionnel en 199316, le principe de sincérité trouve aujourd’hui son fondement au sein la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Il est généralement présenté comme un nouveau grand principe du droit des finances publiques au côté des principes plus classiques d’annualité, de spécialité, d’universalité et d’unité17. Deux volets lui sont généralement reconnus : un volet comptable et un volet budgétaire. L’acception budgétaire de la sincérité trouve son fondement dans l’article 32 de la LOLF dont il résulte l’obligation pour le gouvernement de présenter « de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat » aux parlementaires. Concernant la sincérité comptable, l’article 27 de la LOLF dispose que « Les comptes de l’Etat doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». Le principe de sincérité suppose ainsi la clarté, la lisibilité, la cohérence et partant la transparence des finances publiques. Une exigence à laquelle les gouvernants ne sauraient se soustraire totalement pour le financement des cadeaux protocolaires au prétexte de la discrétion diplomatique.
Il est ainsi loisible de s’interroger sur l’opportunité d’une transparence du financement des cadeaux protocolaires à l’aune du principe de sincérité des finances publiques.
Pour ce faire, les modalités du financement des cadeaux protocolaires seront confrontées aux deux acceptions du principe de sincérité des finances publiques. Si l’opportunité d’une plus grande transparence des cadeaux protocolaires sur le fondement de la sincérité budgétaire est incertaine (I), elle est en revanche évidente à la lumière de la sincérité comptable (II).
I. L’inopportune transparence budgétaire des cadeaux protocolaires
L’opportunité d’une plus grande transparence des cadeaux protocolaires au moyen de la sincérité budgétaire est incertaine à deux égards. D’une part, les prévisions budgétaires relatives aux cadeaux protocolaires ne sauraient être utilement transmises aux Parlementaires pour le vote des lois de finances (A). D’autre part, il semble improbable que le grief de l’insincérité des prévisions budgétaires relatives aux cadeaux protocolaires soit un jour retenu par le Conseil constitutionnel pour motiver la censure d’une loi de finances (B).
A. Le caractère superflu des prévisions budgétaires relatives aux cadeaux protocolaires
Dans son acception budgétaire, le principe de sincérité implique que les Parlementaires soient suffisamment éclairés sur le budget de l’État en amont du vote des lois de finances. Il est essentiel que « dans les débats sur le budget, le Parlement ait disposé […] de tous les éléments d’information raisonnablement disponibles sans tromperie ni dissimulation »18. À cette fin, les projets de lois de finances doivent être accompagnés de tous les documents budgétaires utiles19. Cela comprend notamment les projections budgétaires et les simulations relatives à l’évolution de la situation économique sur lesquelles se sont appuyés les services ministériels pour bâtir l’équilibre de leur texte financier. Le Parlement peut aussi compter sur les rapports et avis qui lui sont remis par les différentes institutions intervenant dans le processus budgétaire. En particulier, le Haut Conseil des finances publiques, organisme indépendant rattaché à la Cour des comptes, veille à la plausibilité des prévisions macro-économiques établies par le Gouvernement et à leur cohérence avec la loi de programmation des finances publiques20. Depuis 2021, ses avis portent aussi sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du projet de lois de finances, contribuant ainsi à la bonne information des parlementaires21.
L’incertitude quant à l’opportunité d’une plus grande transparence budgétaire des cadeaux protocolaires réside à ce stade dans le caractère superflu de ces informations pour les parlementaires. En effet, les crédits relatifs aux cadeaux protocolaires ne forment pas à eux seuls une « mission » à part entière. Ils ne constituent pas non plus à un « programme » ni même à une « action » qui correspondent aux niveaux inférieurs dans la structure du budget général de l’État. Le faible montant des prévisions de dépenses relatives au financement des cadeaux protocolaires leur vaut d’être fondues avec d’autres types de dépenses, ce qui explique qu’elles n’apparaissent en tant que telles ni dans le projet de loi de finances, ni dans les documents budgétaires remis par le Gouvernement, ni dans les avis du Haut Conseil des finances publiques. Aussi, nul besoin pour les parlementaires d’être informés dans le détail des prévisions budgétaires relatives aux cadeaux protocolaires puisque le vote des lois de finances intervient au niveau des missions. De même, le droit d’amendement permet la modification de la répartition des crédits entre les différents programmes d’une mission. Par conséquent, les informations relatives aux prévisions budgétaires n’entrent pas dans la ligne de mire des parlementaires dont l’attention ne peut porter sur des éléments aussi minimes au stade du vote du budget de l’État.
Le principe de sincérité budgétaire ne saurait donc être raisonnablement mobilisé pour atteindre une plus grande transparence des cadeaux protocolaires dans la phase parlementaire du vote des lois de finances. Il en va de même pour la phase contentieuse qui précède la promulgation des textes financiers en raison de l’insincérité improbable des prévisions budgétaires relatives aux cadeaux protocolaires.
B. L’improbable insincérité des prévisions budgétaires relatives aux cadeaux protocolaires
Le Conseil constitutionnel se prononce régulièrement sur la conformité à la Constitution des lois financières. Il vérifie à cette occasion que leurs dispositions respectent les grands principes des finances publiques. En pratique, les textes qui lui sont déférés par l’opposition parlementaire le sont presque systématiquement sur le fondement du principe de sincérité des finances publiques22. Le grief de l’insincérité n’a cependant encore jamais engendré la censure constitutionnelle d’un texte financier en raison des conditions restrictives qui enserrent sa caractérisation23. Selon le Conseil constitutionnel, « la sincérité se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre déterminé par la loi de finances »24. La difficulté tient ici avant tout à l’élément intentionnel de l’insincérité. Il est très complexe d’établir cette intention dans la mesure où cela suppose une erreur volontaire dans les prévisions de dépenses ou de recettes. Les erreurs sont toutefois très fréquentes dans les textes financiers indépendamment de l’intention de leur auteur de les commettre. Le Conseil constitutionnel rappelle à cet effet que « les prévisions de recettes sont inévitablement affectées des aléas inhérents à de telles estimations et des incertitudes relatives à l’évolution de l’économie »25. La complexité de la caractérisation de l’insincérité réside en outre dans le fait que l’erreur intentionnelle doive aussi avoir des répercussions sur les grandes lignes de l’équilibre du texte financier. Seule une erreur d’une ampleur particulièrement importante est susceptible de produire un tel effet.
Si la censure constitutionnelle d’une loi de finance sur le fondement du grief de l’insincérité est déjà peu plausible en tant que telle, l’envisager à l’aune des cadeaux protocolaires rend cette issue plus improbable encore. De prime abord, il est difficile de concevoir que le Gouvernement puisse vouloir fausser volontairement les chiffres relatifs aux cadeaux protocolaires. La question se pose de savoir quel pourrait être l’intérêt d’une telle manœuvre tant le montant des crédits qui leur sont alloués est dérisoire en comparaison à celui d’autres dépenses publiques. Une manœuvre du Gouvernement serait en effet plus susceptible d’intervenir là où les dépenses se chiffrent en millions voire en milliards d’euros. La caractérisation de l’élément intentionnel est aussi difficilement concevable dans la mesure où les prévisions budgétaires des cadeaux protocolaires n’apparaissent pas directement dans les textes financiers. Quand bien même ils le seraient, encore faudrait-il, le cas échéant, qu’ils faussent les grandes lignes de l’équilibre du texte financier. Là encore, la modestie des crédits alloués aux cadeaux protocolaires fait manifestement obstacle à la caractérisation de l’insincérité des prévisions budgétaires correspondantes. Les chances sont ainsi maigres voire nulles qu’une loi de finances soit un jour censurée par le Conseil constitutionnel en raison de l’insincérité des prévisions budgétaires relatives aux cadeaux protocolaires.
Tous ces éléments rendent incertaine l’opportunité d’une plus grande transparence des cadeaux protocolaires au moyen de l’exigence de sincérité budgétaire. Reste désormais à déterminer si la même conclusion s’impose au prisme de la sincérité comptable.
II. L’opportune transparence comptable des cadeaux protocolaires
L’opportunité d’une transparence comptable des cadeaux protocolaires est évidente dès lors que les gouvernants ont l’obligation de justifier l’utilisation des deniers publics. L’analyse des réponses apportées par le Gouvernement aux questions écrites des parlementaires révèle pourtant une réticence patente de l’Exécutif à transmettre au Parlement les informations comptables relatives aux cadeaux protocolaires (A). La Cour des comptes qui assiste le Parlement dans sa mission de contrôle n’apporte, elle non plus, aucun élément déterminant par le biais de ces rapports en faveur d’une meilleure lisibilité des dépenses publiques relatives aux cadeaux protocolaires (B).
A. Le faible contrôle du Parlement sur les cadeaux protocolaires
Parmi les différents moyens mis à la disposition du Parlement pour vérifier que l’utilisation des derniers publics est conforme aux lois de finances, celui des questions écrites au Gouvernement est d’une importance particulière pour la présente étude. Prévu au dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution de 195826, ce mécanisme a permis aux parlementaires d’obtenir progressivement des informations jusqu’alors tenues secrètes sur le financement des cadeaux protocolaires en dépit d’une réticence à peine dissimulée du Gouvernement à les transmettre.
En réplique à la question posée par le député François Jolivet le 10 septembre 2019, le ministre de la Culture affirmait en ce sens qu’il n’existe aucun document établissant en détail l’utilisation de sa dotation budgétaire27. Un tel compte rendu serait impossible à fournir car le logiciel informatique utilisé au sein des ministères ne recenserait pas les dépenses publiques concernées de manière automatisée. Il permettrait tout au plus de fournir les sommes totales engagées, mais pas d’isoler celles qui relèvent de la catégorie des cadeaux protocolaires. Selon ces dires, les membres du Gouvernement ne disposeraient pas des outils techniques leur permettant de rendre compte de la ventilation des frais de fonctionnement de leur ministère. Pourtant, les dépenses de chaque ministère sont décaissées sur factures par un comptable public. Il devrait donc être techniquement possible de fournir le détail de l’utilisation des dotations budgétaires des différents ministères par titre de dépenses et ainsi connaître le montant des frais engagés pour l’acquisition des cadeaux protocolaires comme le remarquait la députée Aude Bono-Vandorme28.
Les obstacles techniques décrits par les ministres sont d’autant plus surprenants qu’ils n’ont pas fait obstacle à la satisfaction des interrogations soulevées par d’autres députés. La question posée le 9 juillet 2019 par le député Régis Juanico au ministre de l’Intérieur en témoigne29. Invité à communiquer le « détail exhaustif » des frais de représentation de son ministère pour l’année 2018, le ministre concerné avait indiqué que ses dépenses s’élevaient à 150 012.20 euros. De cette enveloppe budgétaire, 47 953.74 euros avaient été consacrés à l’achat des cadeaux protocolaires, soit à 1/3 de sa dotation budgétaire annuelle. Dans la même veine, en réponse à la question du député René Dosière, le Premier ministre avait précisé que les dépenses relatives aux cadeaux diplomatiques offerts par la Présidence de la République pour les années 2008 et 2009, s’élevaient respectivement à 87 725.69 euros et 96 848.49 euros30. Ces réponses sont la preuve que la ventilation d’une dotation budgétaire peut être déclinée en détail pour les différents ministères ainsi que pour la Présidence de la République. L’argument des obstacles informatiques ne saurait donc justifier qu’une réponse soit imprécise, ni même qu’une question demeure sans réponse31. Tel est pourtant le cas de nombreuses questions écrites à l’image de celle posée par la députée Aude Bono-Vandorme à la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et visant à être informée de la ventilation de sa dotation budgétaire pour l’année 201932.
La réticence apparente du Gouvernement à transmettre les informations comptables relatives aux cadeaux protocolaires au Parlement interpelle. En la matière, nul secret sensible ne saurait justifier une telle discrétion, pas même le contexte diplomatique dans lequel ces dépenses interviennent. L’accès à ces informations ne saurait donc valablement être entravé pour les parlementaires. L’analyse des réponses apportées par le Gouvernement aux questions écrites des députés donne pourtant l’impression d’une opacité entretenue délibérément autour des cadeaux protocolaires. Une opacité à laquelle ne viennent pas remédier les rapports publics de la Cour des comptes.
B. Le faible contrôle de la Cour des comptes sur les cadeaux protocolaires
Dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement, le Parlement est assisté par la Cour des comptes. Cette institution est chargée de veiller spécifiquement à l’exactitude des comptes de l’État conformément à l’acception comptable du principe de sincérité budgétaire. Ses rapports publics « contribuent à l’information des citoyens » conformément à l’article 47-2 de la Constitution de 1958. Ses Rapports publics annuels (RPA) exposent, quant à eux, la manière dont sont concrètement dépensés les deniers publics issus des impôts payés par les contribuables français. Ils contiennent aussi des recommandations pour une meilleure gestion des finances publiques. Depuis 2008, la Cour des comptes produit également des rapports sur les frais de gestion de la Présidence de la République. La publicité électronique de ces documents contribue à une plus grande lisibilité des comptes de l’État.
En dépit des efforts fournis en faveur d’une meilleure lisibilité de l’utilisation des deniers publics, les rapports de la Cour des comptes ne participent pas à une plus grande transparence des cadeaux protocolaires. Elle contribue même parfois à entretenir la confusion qui les entoure. Le député René Dosière avait par exemple obtenu du Gouvernement de savoir que les frais engagés au titre des cadeaux diplomatiques par le Président de la République s’élevaient à 87 725,69 euros pour 2008 et à 96 848,49 euros pour 200933. Le rapport de la Cour des comptes pour l’année 2009 indiquait toutefois des sommes différentes. Ces frais s’élevaient selon elle à 313 000 euros pour 2008 et à 385 000 euros pour 2009, représentant une hausse de 23% en une année34. L’écart significatif entre les chiffres du Gouvernement et ceux de la Cour des comptes n’avait pas manqué de faire réagir les députés. Selon le Gouvernement questionné à ce sujet35, les montants indiqués par la Cour des comptes ne correspondraient pas seulement au coût des présents offerts par le Président de la République à l’occasion de ses déplacements ou des visites de chef d’État ou de Gouvernement étrangers. Ils recouvreraient plus largement la totalité des dépenses engagées par le service des présents diplomatiques pour l’acquisition des cadeaux protocolaires ainsi que des cadeaux publicitaires (goodies) tels que des stylos ou porte-clés offerts depuis plusieurs années, expliquant ainsi le montant élevé de ces dépenses. Par ailleurs, les rapports annuels ne précisent pas systématiquement les sommes engagées pour l’acquisition des présents diplomatiques par les services de l’Élysée. Force est de constater que depuis 2008, aucun des rapports de la Cour des comptes portant sur les comptes et la gestion des services de la Président de la République n’a précisé le montant des frais relatifs aux cadeaux protocolaires.
En définitive, le contribuable dont les impôts servent au financement des cadeaux protocolaires ne saurait, de lui-même ou par le biais de ses représentants, contrôler ni même prendre connaissance de leurs prix. Pourtant, l’utilisation de fonds publics, à la différence de fonds privés, ne relève pas de la discrétion des gouvernants. Ces derniers doivent justifier de la ventilation des deniers publics auprès des citoyens ou de leurs représentants. Ce principe est garanti par les articles 14 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui dispose que « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». L’obligation de respecter l’exigence de sincérité des finances publiques qui en découle n’est donc pas facultative pour l’État. La nature publique du financement des cadeaux protocolaires justifierait une plus grande transparence de la part de l’Exécutif indépendamment du faible montant des sommes engagées en comparaison des autres types de dépenses. La finalité diplomatique affichée par le Gouvernement ne constitue pas une raison valable pour soustraire les cadeaux protocolaires au principe de sincérité des finances publiques, à tout le moins dans son acception comptable.
- L’exigence de transparence des finances publiques est désormais présentée dans la grande majorité des ouvrages académiques comme le corollaire du principe de sincérité. Voir Bouvier (M.), Esclassan (M.-C.), Lassale (J.-P), Finances publiques, 22e, Paris, LGDJ, 2023, 1008 p., plus précisément p. 362 et s. Des thèses ont aussi été consacrées à la transparence du budget de l’État, voir SY (A.), La transparence dans le droit budgétaire de l’État en France, Paris, LGDJ, 2017, 438 p. Plus récemment, voir Giannesini (E.), « Conseil constitutionnel, Cour des comptes, Haut conseil des finances publiques : quelle définition et quel usage du principe de sincérité », intervention lors du colloque « Le contrôle de constitutionnalité des lois financières » coorganisé par le Conseil constitutionnel et la Société française de finances publiques à Paris le 19 janvier 2024. [↩]
- Dosière (R.), Frais de palais. La vérité sur les dépenses de l’Élysée, Paris, L’Observatoire, 2019, 240 p. [↩]
- Sponchiado (L.), « La rémunération et les avantages matériels des membres du pouvoir exécutif français », Observatoire de l’éthique publique, 2021, 55 p. [↩]
- On trouve une définition officielle des cadeaux protocolaires dans le Guide pratique 2022 de l’Agence Française Anticorruption selon lequel « un cadeau protocolaire est un présent offert par une personnalité gouvernementale étrangère à une autorité française, ou par une autorité française à une personnalité étrangère, en général dans le cadre d’une visite officielle. Il s’agit en principe d’un échange de cadeaux. Ces derniers peuvent être présentés aux autorités ou remis de protocole à protocole. Les personnalités destinataires ne gardent pas ces cadeaux personnellement ». Cette étude ne porte donc pas sur les cadeaux et invitations faites aux agents publics qui répondent quant à eux d’un régime particulier pouvant conduire l’agent public à être sanctionné pénalement. Voir sur cette question l’étude de Colin (F.), « L’encadrement par le droit de la fonction publique des cadeaux faits aux agents », AJFP, 2011, p. 353. [↩]
- Legendre (J.-B.), « Les cadeaux protocolaires à la recherche d’un statut », RFDA, 2022, p. 351 [↩]
- Delaunay (B.), « La transparence de la vie économique », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n°59, 2018. [↩]
- Sauvé (J.-M.), « Transparence et efficacité de l’action publique », Discours prononcé lors de l’Assemblée générale de l’inspection générale de l’administration le 3 juillet 2017, accessible en ligne. [↩]
- Ibid. [↩]
- Lequesne (C.), « La transparence vice ou vertu des démocraties », in Rideau (J.) (dir.), La transparence dans l’Union Européenne. Mythe ou principe juridique ?, Paris, LGDJ, 1999, pp. 11-18. Dans la même veine, le Professeur Carcassonne souligne que « si la manie du secret est évidemment inacceptable, la transparence érigée en dogme ne l’est pas moins ». Voir Carcassonne (G.), « Le trouble de la transparence », Pouvoirs, n° 97, 2001, p. 19. [↩]
- La confidentialité passe notamment par l’interdiction de communiquer les documents administratifs qui interviennent en ces matières aux administrés conformément à l’article L 311-5 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). [↩]
- Colson (A.), « La négociation diplomatique au risque de la transparence : rôles et figures du secret envers des tiers », Négociations, vol. 1, n° 11, 2009, pp. 31-41. [↩]
- Certains cadeaux ont parfois valu aux Présidents de la République française d’être moqués dans les médias, comme ce fut le cas des clichés du président Hollande en tenue traditionnelle kazakhe lors de sa visite officielle au Kazakhstan en 2014. D’autres ont, à l’inverse, été à l’origine de scandales retentissants à l’image de l’affaire des diamants de Bokassa en 1979. [↩]
- L’argument de la discrétion diplomatique a conduit le Gouvernement français, sous le quinquennat du Président Sarkozy, à rejeter systématiquement les demandes des médias tendant à la publication de listes des cadeaux protocolaires. Voir sur ce point l’article de Cécile Dehesdin intitulé « Le mystère des cadeaux protocolaires » publié le 16 février 2001. Du même auteur, voir « Le problème avec les cadeaux diplomatiques, ce n’est pas la chapka de François Hollande » publié le 6 décembre 2014. [↩]
- Ce qui n’empêche pas l’Exécutif français de dévoiler parfois en avance les cadeaux qui seront offerts aux chefs d’États étrangers pour cette occasion. Tel est le cas des présents offerts à Joe Biden par le Président Emmanuel Macron en 2022 à l’occasion des fêtes de fin d’année. Le site internet de l’Élysée avait ainsi révélé que le Président français offrirait entre autres à son homologue américain une coupe Christofle, une pièce produite par la célèbre maison d’orfèvrerie française éponyme. [↩]
- Si certains cadeaux offerts par la France n’impliquent aucune dépense lorsqu’ils proviennent du domaine public ou privé de l’État, la grande majorité des présents diplomatiques correspondent à des produits de luxe de fabrication française dont les coûts sont loin d’être dérisoires, d’autant que les rencontres diplomatiques engendrent souvent l’échange de plusieurs cadeaux. À titre d’illustration, une seule visite diplomatique du Président Nicolas Sarkozy à son homologue américain Barack Obama le 25 mai 2011 avait suffi pour que des présents d’une valeur estimée à plus quinze mille euros soient offerts selon les listes rendues publiques aux États-Unis. Voir l’article intitulé « Plongée dans 15 ans de cadeaux diplomatiques de Paris à Washington » publié le 28 décembre 2016 dans le journal Le Parisien. [↩]
- Cons. const., décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993, Loi de finances rectificative pour 1993. Le Conseil constitutionnel aurait déjà introduit l’idée de la sincérité en 1984 dans sa décision Cons. const., décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, Loi de finances pour 1984, cons. n°12. Cependant, l’expression de « sincérité » n’y apparait pas expressément. [↩]
- Crucis (H.-M.), « La sincérité des lois de finances. Nouveau principe du droit budgétaire », JCP, n°28, 2000, p. 1359. Pour plus de détails, voir Bouvier (M.), Esclassan (M.-C.), Lassale (J.-P), Finances publiques, 22e, Paris, LGDJ, 2023, p. 35 et s, et p. 362 et s. [↩]
- Pinault (M.), « La spécificité vue par le Conseil constitutionnel », communication prononcée à l’occasion du colloque « Le contrôle de constitutionnalité des lois financières » coorganisé par le Conseil constitutionnel et la Société française de finances publiques, à Paris, le 19 janvier 2024. [↩]
- Hertzog (R.), « La sincérité des documents budgétaires : principe nécessaire, multiforme et inachevé », RFFP, n°111, 2010, p. 139. [↩]
- Le Haut Conseil des finances publiques a été créé par la loi organique n°2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, JORF n°0294. [↩]
- La loi organique n°2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, JOFR n°0302 est venue préciser et étendre les missions du Haut Conseil des finances publiques. [↩]
- Depuis son inscription à l’article 32 de la LOLF, le principe de sincérité a été invoqué de manière presque systématique par les parlementaires de l’opposition. Deux budgets consécutifs, ceux de 2020 et de 2021, ont toutefois été déférés au Conseil constitutionnel sans que le grief de l’insincérité ne soit invoqué par les auteurs de la saisine. Une situation remarquée par la doctrine qui s’est interrogée sur sa potentielle disparition. Voir récemment Geynet-Dussauze (C.), « À la recherche du principe de sincérité des lois de finances », RFFP, n°158, 2022, p. 173. Il semble néanmoins revenir en force comme en témoigne son invocation à trois reprises dans le cadre du contrôle de la loi de finances pour 2024. [↩]
- Le Conseil constitutionnel n’a retenu le grief de l’insincérité qu’une seule fois dans sa décision relative à la loi de finances pour 1998, voir Cons. const., décision n° 97-395 DC, 30 décembre 1997, Loi de finances pour 1998. La caractérisation de l’insincérité n’a toutefois pas abouti à la censure du texte financier concerné. L’engagement du Gouvernement à inscrire les dépenses manquantes au sein de la loi de finances suivante explique sans aucun doute la retenue du Conseil constitutionnel en l’espèce. [↩]
- Cons. const., décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, Loi organique relative aux lois de finances décision, cons. n°60. La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la caractérisation de l’insincérité est constante. Voir par exemple Cons. const., décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. n°3 : « la sincérité de la loi de finances de l’année se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre qu’elle détermine ». [↩]
- Cons. const., décision n° 2004-511 DC, 29 décembre 2004, Loi de finances pour 2005, cons. n°5. [↩]
- Les modalités du mécanisme des questions écrites au Gouvernement sont déclinées dans le règlement intérieur de chacune des deux assemblées parlementaires française. Pour l’Assemblée nationale, les dispositions pertinentes se trouvent aux articles 133 et suivantes. Pour le Sénat, elles figurent aux articles 74 et suivantes. [↩]
- Question n°22731 du 10 septembre 2019. [↩]
- Question n°30626 du 23 juin 2020. [↩]
- Question n°21308 du 9 juillet 2019. [↩]
- Question n°108567 du 17 mai 2011. [↩]
- Dans son étude consacrée à la rémunération et aux avantages matériels des membres du pouvoir exécutif français, Lucie Sponchiado dresse une liste des questions au Gouvernement restées sans réponse, voir Sponchiado (L.), « La rémunération et les avantages matériels des membres du pouvoir exécutif français », Observatoire de l’éthique publique, 2021, p. 50 et s. Depuis le 30 octobre 2023, les statistiques par ministériel du taux de réponse aux questions écrites sont fournies sur le site internet de l’Assemblée nationale. [↩]
- Question n°30626 du 23 juin 2020. [↩]
- Question n°108567 du 17 mai 2011. [↩]
- Ces informations figurent dans le rapport de la Cour des comptes portant sur les comptes et à la gestion des services de la Présidence de la République en 2009, p. 13. [↩]
- Réponse du Gouvernement à la question n°108567 du 17 mai 2011. [↩]
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