Cette affaire d’urbanisme conduit à interroger l’office du juge dans l’hypothèse d’un recours contentieux contre un permis délivré au vu d’un document d’urbanisme qui n’était plus celui en vigueur.
Les données du litige
Par un arrêté du 6 février 2020, le maire de la commune de Corenc (Isère) a délivré à la SCI du Domaine de la Tour un permis d’aménager portant division parcellaire en vue de l’édification de deux immeubles comportant au maximum 14 logements.
M. A., qui possède une maison d’habitation sur le terrain contigu, en a obtenu l’annulation devant le tribunal administratif de Grenoble par un jugement contre lequel la SCI se pourvoit régulièrement en cassation, Corenc étant au nombre des communes inscrites en « zone tendue ».
Le tribunal a relevé, d’une part, qu’il ressortait tant des visas de la décision attaquée que du dossier de demande que le permis avait été délivré sur la base de l’ancien PLU de la commune et non sur celle du nouveau PLU intercommunal de Grenoble-Alpes Métropole entré en vigueur dix jours auparavant et, d’autre part, que le certificat d’urbanisme délivré à la SCI en 2017 pour ce projet et visé par l’arrêté n’était pas susceptible de lui conserver le bénéfice des dispositions du PLU communal, dès lors qu’il était périmé depuis plus d’un an, faute d’avoir fait l’objet d’une prorogation dans les délais requis.
Les premiers juges ont déduit de ces constatations qu’en délivrant le permis d’aménager sur la base du PLU de Corenc désormais abrogé par le PLUi de Grenoble-Alpes Métropole, le maire avait entaché sa décision d’un défaut de base légale. Ils ont estimé par ailleurs que ce vice ne pouvait donner lieu à une régularisation en application des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et, par conséquent, annulé le permis.
Malgré l’absence, à notre connaissance, de précédent topique, nous n’avons guère d’hésitation à vous proposer de censurer ces motifs pour erreur de droit, le tribunal ayant, semble-t-il, perdu de vue la nature particulière du lien juridique unissant le document d’urbanisme et le permis.
La nature du lien juridique unissant le document d’urbanisme et le permis
Selon le principe dégagé par votre jurisprudence Gepro du 12 décembre 19861, explicité l’année suivante par votre décision Association Comité de défense des espaces verts ((CE 28 janvier 1987, n° 39146: Rec., p. 20.)) et constamment réaffirmé depuis, si le permis de construire ne peut être délivré que pour un projet de construction respectant la réglementation d’urbanisme applicable, il ne constitue pas pour autant un acte d’application de cette réglementation. Par suite, l’annulation du règlement d’urbanisme ne saurait entraîner automatiquement, par voie de conséquence, celle du permis. Cette jurisprudence a été étendue au cas où l’illégalité du document d’urbanisme est constatée par voie d’exception2.
Les conditions des effets de l’illégalité du règlement d’urbanisme sur la légalité de l’autorisation
Comme on le sait, les conditions dans lesquelles l’illégalité du règlement d’urbanisme peut être invoquée par la voie de l’exception ou par voie de conséquence de son annulation, ont été clarifiées respectivement par vos décisions Commune de Courbevoie ((CE S. 7 février 2008, nos 297227 et autres: Rec., p. 41.)) et Société Les Résidences de Cavalière ((CE 16 novembre 2009, n° 308623: Rec., T., p. 913.)), toutes deux aux conclusions d’Anne Courrèges, avant de faire l’objet de nouveaux encadrements par le législateur3,4.
Selon le mode d’emploi énoncé en dernier lieu par votre avis SCI du Petit Bois ((CE S. 2 octobre 2020, n° 436934: Rec., p. 326.)) et résumé en substance, il appartient d’abord au juge de vérifier, conformément à la condition posée à l’article L.600-12-1, si l’un des motifs d’illégalité du document d’urbanisme invoqué repose sur un motif non étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ; puis, le cas échéant, lorsque le document d’urbanisme a été annulé ou déclaré illégal, la légalité du permis doit être appréciée au regard du document immédiatement antérieur dont les dispositions sont ainsi remises en vigueur, selon que les motifs d’illégalité affectent tout ou partie de ce document, soit en totalité soit en partie au titre des parties divisibles du territoire couvert ou des règles divisibles qui trouvent leur équivalent nécessaire dans le document antérieur.
Parce que l’annulation ou la déclaration d’illégalité du document d’urbanisme peut conduire à soumettre le permis attaqué aux règles d’urbanisme applicables antérieurement, le juge ne saurait donc se borner à constater cette illégalité pour annuler le permis: ainsi que l’énonce également votre avis SCI du Petit Bois reprenant les termes de votre décision Commune de Courbevoie, lorsqu’un motif d’illégalité non étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet est susceptible de conduire à remettre en vigueur tout ou partie du document local d’urbanisme immédiatement antérieur, l’exception d’illégalité ne peut être utilement soulevée, quelle que soit la nature de l’illégalité, que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.
Application de ces principes au cas du permis délivré au vu d’un PLU qui n’était plus en vigueur
Mais qu’en est-il dans l’hypothèse où le permis a été délivré au vu d’un PLU qui n’était pas illégal, mais inapplicable rationae temporis, compte tenu de son abrogation par le document adopté ultérieurement ?
La SCI du Domaine de la Tour vous invite à transposer le même raisonnement et à censurer le jugement attaqué, faute pour le tribunal d’avoir recherché si M. A. invoquait également une méconnaissance des dispositions du nouveau PLU intercommunal et de s’être prononcé, le cas échéant, sur de tels moyens.
Dans la mesure où il résulte non d’une illégalité révélée par une décision juridictionnelle mais d’une erreur d’analyse de l’administration commise ab initio quant à la détermination de la norme applicable, le vice entachant l’autorisation attaquée pourrait sembler se prêter à une analyse différente, ainsi que le soutient devant vous M. A. en défense. Dans cette optique, il ne saurait être exigé du juge de suppléer l’impéritie des services instructeurs en examinant lui- même si le permis aurait pu être valablement délivré, au jour de son édiction, au regard du document d’urbanisme en vigueur.
Si l’on devait suivre cette logique, il nous semble en tout état de cause qu’il convenait d’en tirer des conséquences différentes de celles retenues par le jugement attaqué. D’abord, la possibilité d’une régularisation sur le fondement de l’article L. 600-5-1 ne pouvait être écartée puisque vous l’admettez, a fortiori, lorsqu’il s’agit de tenir compte de l’entrée en vigueur d’un document d’urbanisme adopté postérieurement au permis attaqué5. Ensuite, et plus simplement, le juge pouvait procéder à une substitution de « base légale », ainsi que la commune l’y invitait entre les lignes dans ses écritures de première instance.
Mais il nous semble que le raisonnement du tribunal doit être censuré plus à la racine, en ce qu’il méconnaît le principe, rappelé en préambule, selon lequel l’autorisation d’urbanisme ne constitue pas un acte d’application du PLU, de sorte que son illégalité ne peut se déduire mécaniquement de ce que l’administration a confronté la demande de permis à un document d’urbanisme qui n’était plus en vigueur, de la même manière que pour un document d’urbanisme illégal.
Une solution différente pour le refus du permis
C’est en effet uniquement au sujet des refus de permis, compte tenu du lien étroit qui unit cette décision et le document d’urbanisme faisant directement obstacle au droit de construire, que vous considérez qu’il appartient au juge de procéder, le cas échéant, à une substitution de base légale en cas d’illégalité du document d’urbanisme dont il a été fait application pour justifier le refus6.
Nous vous proposons donc de juger, réitérant dans cette configuration particulière votre jurisprudence Commune de Courbevoie, que le moyen tiré de ce que l’administration aurait fait application d’un document d’urbanisme qui n’était pas celui applicable rationae temporis ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes du document effectivement en vigueur.
Au cas d’espèce, le moyen soulevé n’était pas inopérant puisque M. A. avait également pris soin de contester devant le tribunal la méconnaissance des dispositions du nouveau PLU intercommunal ■ par des arguments auxquels la commune et la SCI avaient répondu en défense.
Mais le tribunal administratif s’est cru à tort dispensé de se prononcer sur ce débat en estimant que le fait pour l’administration d’avoir fait application d’un document d’urbanisme qui n’était plus en vigueur à la date de la délivrance du permis avait pour effet de le priver de base légale.
Ce faisant il a commis une erreur de droit.
Par ces motifs, nous concluons:
– à l’annulation du jugement attaqué;
– au renvoi de l’affaire au tribunal administratif de Grenoble ; […] ■
- N° 54701 : Rec., p. 282. [↩]
- CE S. 8 juin 1990, Association de sauvegarde du patrimoine martiniquais Assaupamar, n° 93191: Rec., p. 148. [↩]
- Article L.600-12-1 du code de l’urbanisme issu de la loi ELAN. [↩]
- Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. [↩]
- CE 7 mars 2018, Mme Bloch, n° 404079: Rec., p. 65. [↩]
- CE 30 décembre 2009, Commune du Cannet des Maures, n° 319942: Rec., T., p. 911, concl. A. Courrèges. [↩]
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