La fraude est-elle régularisable ? Mieux : le juge doit-il régulariser la fraude ? Telle est la question, déroutante, que pose ce pourvoi. Il ne vous faudra cependant y répondre, c’est déjà bien assez, que dans l cadre de l’article L.600- 5-1 du code de l’urbanisme.
M. Boué a obtenu du maire de la commune de Saint Raphaël, le 3 mai 2019, un permis en vue de la construction, avenue des Golfs, près du club de golf et des terrains de tennis, d’une maison d’habitation en R+1 en lieu et place du garage existant qui sert à stocker du mobilier.
Les voisins de ce projet, au nord et à l’est, l’ont attaqué devant le tribunal administratif de Toulon et ont obtenu gain de cause. Par un jugement du 22 mars 2022 rendu en premier et dernier ressort, le tribunal, après avoir reconnu l’intérêt à agir des voisins, a retenu deux motifs d’illégalité : la méconnaissance de l’article UD 3.4 du règlement du plan local d’urbanisme relatif à la distance des constructions par rapport aux limites séparatives; la méconnaissance de l’article UD 8.7 du règlement relatif aux aires de stockage des ordures ménagères. Le tribunal s’en est tenu à une annulation sèche du permis de construire.
C’est la commune, dont le maire avait, dans un premier temps, retiré le permis de construire, avant de retirer son retrait, qui se pourvoit en cassation.
L’obligation pour toute construction nouvelle de prévoir une aire de stockage des ordures ménagères s’applique à une transformation d’un garage en maison d’habitation
Elle critique tout d’abord le second motif d’illégalité, relatif à l’aire de stockage des ordures ménagères. L’article UD 8.7 prévoit que toute construction nouvelle doit prévoir une ou plusieurs aires de stockage des ordures ménagères correctement dimensionnées. Le tribunal a jugé que le projet en litige devait être qualifié de construction nouvelle au sens de ces dispositions et que c’est à tort qu’il n’a pas prévu d’aire de stockage des ordures ménagères.
La commune y voit une erreur de droit dès lors que le projet autorisé, quelle que soit sa surface, est réalisé à partir d’une construction existante et qu’il ne peut donc être une construction nouvelle. Cependant, eu égard à la finalité de la règle en cause, dès lors qu’il s’agit de transformer un garage en maison d’habitation, il est logique de juger que le projet autorisé est une construction nouvelle au sens de cet article, car elle nécessite l’aire de stockage des ordures ménagères dont le garage était dépourvu. C’est exactement ce qu’a fait le tribunal, sans erreur de droit.
La méconnaissance de la règle de distance par rapport aux limites séparatives
La commune ne conteste en revanche pas le premier motif d’illégalité retenu par le tribunal. En vertu de l’article UD 3.4, la construction doit être implantée à une distance des limites séparatives au moins égale à six mètres mais une implantation différente peut toutefois être admise en cas de surélévation de constructions existantes légalement autorisées et implantées différemment de la règle du plan local d’urbanisme. En l’espèce, le pétitionnaire envisageait de construire à une distance de 1,57 mètre de la limite séparative nord, mais il faisait valoir qu’il relevait de l’exception puisqu’il surélevait un abri accolé au garage. Le tribunal a constaté que l’abri en question était en réalité une ruine dont les murs étaient effondrés et qui n’avait plus de toiture. Le tribunal en a déduit que la construction autorisée ne consistait pas, sur cette partie nord, en la surélévation d’une construction existante et qu’ainsi la règle de distance était méconnue.
Le tribunal devait-il envisager la régularisation de ces vices ?
Ce que reproche la commune au tribunal, c’est de ne pas avoir mis en œuvre les dispositions de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme, selon lesquelles le juge doit (c’est une obligation depuis la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), lorsqu’il estime qu’un vice entraînant l’illégalité du permis est susceptible d’être régularisé, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour l’intervention d’une régularisation.
Le tribunal n’a en effet rien dit. Indiquons que, n’étant pas saisi de conclusions sur ce fondement, étonnamment d’ailleurs, il n’avait pas à prendre explicitement position, dans un sens favorable au pétitionnaire ou au contraire pour refuser de surseoir à statuer. Le juge ne doit en effet motiver son jugement que s’il est saisi de conclusions en ce sens1. Implicitement donc, le tribunal a considéré qu’il n’y avait pas matière à régularisation en l’espèce.
Des vices en principe régularisables
Alors pourtant que, pris en eux-mêmes, les deux vices peuvent faire l’objet d’une régularisation sans apporter au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même2. C’est évidemment vrai de l’aire de stockage des ordures ménagères, qu’il suffit d’ajouter. C’est un peu moins évident pour le respect de la distance à la limite séparative puisqu’il implique de réduire la dimension de la construction, mais, au prix d’un réaménagement intérieur, c’est certainement envisageable.
Sauf si l’autorisation a été obtenue par fraude
Mais le tribunal a eu raison de ne pas entrer en voie de régularisation. En statuant sur la règle de distance, le tribunal a relevé que le pétitionnaire a volontairement fourni à l’administration une information erronée sur l’état réel de l’abris lui permettant d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme et qu’ainsi il a commis une fraude afin de bénéficier de la dérogation prévue par le règlement du PLU. Il a ainsi jugé, ce qui n’est pas argué de dénaturation en cassation, que le permis a été obtenu par fraude.
En ne faisant ensuite pas application de l’article L.600- 5-1 du code de l’urbanisme, le tribunal a considéré que la fraude n’était pas régularisable. C’est une solution, partagée par d’autres juges du fond, que nous vous invitons à confirmer.
Certes, l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme ne réserve pas le cas particulier de la fraude, mais le silence du texte n’est pas un obstacle pour faire jouer la fraude, laquelle est souvent opposée directement par votre jurisprudence.
En outre, si l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme a un champ très large, auquel l’avis Barrieu précité a donné toute sa portée, il n’est pas sans limite.
Vous avez déjà jugé3 que n’était pas régularisable le vice tiré de ce que l’autorité administrative a accordé une autorisation d’urbanisme pour les seuls travaux nouveaux qui doivent être effectués sur une construction édifiée sans autorisation ou réalisée en méconnaissance de l’autorisation ou qui a déjà fait l’objet de travaux sans autorisation, alors que, dans ces hypothèses, la nouvelle demande d’autorisation doit porter également sur travaux passés irréguliers4.
Il doit en être de même avec la fraude, ainsi que le signalait votre rapporteur public sur l’avis Barrieu.
En effet, le permis de construire obtenu par fraude est non seulement entaché d’illégalité, mais il a aussi cette spécificité de ne pas créer de droits au profit de son bénéficiaire5. Il en résulte que, comme tout acte administratif obtenu par fraude6, il peut être retiré (ou abrogé) à tout moment7, même si ce n’est qu’une simple faculté pour l’autorité administrative, sous votre contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation8.
Mais indépendamment de son retrait sans condition de délai, le permis frauduleux, parce qu’il n’est pas créateur de droits, ne peut fonder le droit à construire du pétitionnaire. Le juge judiciaire estime même que le permis obtenu par fraude équivaut à son absence et soumet son bénéficiaire à l’application des dispositions du code de l’urbanisme9 qui répriment les constructions sans permis10.
Il n’est donc pas possible de régulariser une partie seulement du permis frauduleux. En l’espèce, ce n’est pas seulement à une distance trop proche de la limite séparative que M. Boué n’a pas le droit de construire, c’est toute sa construction qui est affectée par la fraude commise. Autrement dit la fraude «corrompt tout» le permis et c’est un nouveau permis en entier que le pétitionnaire, qui entend purger ce vice, doit solliciter, quand bien même le projet présenté sans fraude ne serait pas fondamentalement différent.
La lettre de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme ne s’oppose pas à une régularisation de la totalité du permis, mais, s’agissant d’une fraude, et afin de ne pas l’encourager en admettant qu’elle puisse être régularisée si elle venait à être débusquée, il est préférable de renvoyer le pétitionnaire au point de départ.
Le tribunal n’a donc pas commis d’erreur en ne mettant pas en œuvre les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi. ■
- CE 14 décembre 2022, Société Eolarmor, n° 448013: A sur un autre point. [↩]
- CE S. avis 2 octobre 2020, M. Barrieu, n° 438318: Rec., p. 337. [↩]
- CE 6 octobre 2021, Société Marésias, n° 442182: A. [↩]
- 9 juillet 1986, Thalamy, n° 51172: Rec., p. 201; CE 13 décembre 2013, Mme Carn et autres, n° 349081: Rec., T., p. 879-882; CE 16 mars 2015, M. et Mme de La Marque, n° 369553: Rec., p. 106. [↩]
- 20 janvier 1967, Société immobilière des 4, 6 et 8 rue Léo Delibes à Sceaux, n° 65492 : Rec., T., p. 958. [↩]
- Article L. 241-2 du CRPA. [↩]
- 6 mai 1981, Aimar, n° 11234: B. [↩]
- CE 5 février 2018, Société Cora, nos 407149 et 407198: Rec., T., p. 503-857-961. [↩]
- Articles L. 421-1 et L. 480-4 ; v. aussi l’article L. 610-1. [↩]
- Cass. crim, 4 novembre 1998, 97-82.569: Bulletin criminel 1998 n° 286, p. 826; 17 octobre 2000, 00-80.612. [↩]
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