1. Cette affaire pose une délicate question de droit de l’urbanisme sur les obligations de retrait de permis de construire, et non de refus, lorsque la décision du maire doit être prise sur avis conforme du préfet.
Circonstances de fait et de droit
2. La commune de Mareil-sur-Mauldre dans les Yvelines s’est trouvée dépourvue de document local d’urbanisme entre le 26 mars 2017, date de caducité de son plan d’occupation des sols et l’entrée en vigueur de son plan local d’urbanisme le 16 janvier 2020, adopté par la communauté de communes Grand Paris Seine et Oise. Le maire était donc compétent pour délivrer les permis de construire au nom de la commune en application de l’article L.422-1 du code de l’urbanisme, puisqu’au titre du a), le maire est irrévocablement compétent lorsque, d’où l’emploi du passé, la commune s’est à un moment dotée d’un tel document d’urbanisme, ce qui est le cas en l’espèce. En application de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme : « Lorsque le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale est compétent, il recueille l’avis conforme du préfet si le projet est situé: /a) Sur une partie du territoire communal non couverte par une carte communale, un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu.» S’appliquait alors la règle de constructibilité limitée de l’article L.111-3 du code de l’urbanisme: en l’absence de PLU, de tout document d’urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions ne peuvent être autorisées que dans les parties urbanisées de la commune. Or, un différend s’est élevé entre le préfet et le maire s’agissant de la constructibilité, au regard de la règle dite « de constructibilité limitée » du règlement national d’urbanisme, de terrains situés le long du chemin du Val, qui relie le centre du bourg au hameau du Val. De ce différend sont nés plusieurs litiges dont la 5e chambre a déjà eu à connaître1. Mme Glorieux (sous le n° 474026) et M. Massart (sous le n° 474027), dont les terrains sont issus de la division d’un même terrain initial, ont déposé chacun auprès du maire d’Aulnay-sur-Mauldre un dossier pour la construction de maisons individuelles (79 m2 et 80 m2), respectivement le 6 juillet et le 12 juillet 2018. Chacune de ces demandes a fait l’objet le 20 septembre 2018 d’un refus de permis de construire, au motif de l’avis défavorable rendu le 4 septembre 2018 par le préfet des Yvelines au regard des dispositions de l’article L.111-3 du code de l’urbanisme que l’arrêté reproduit et qui considère que les terrains d’assiette se trouvent hors des parties urbanisées de la commune.
Procédure
3. Les pétitionnaires ont demandé l’annulation de ces décisions au tribunal administratif de Versailles, qui a rejeté leurs demandes par deux jugements du 4 novembre 2019 en jugeant qu’à supposer même que Mme Glorieux et M. Massart aient bénéficié, à la date des refus de permis de construire, de permis de construire tacites, le maire était en situation de compétence liée pour les retirer, si bien que le moyen tiré de l’absence de procédure contradictoire était inopérant. Mais la cour administrative d’appel de Versailles, par les deux arrêts attaqués ce jour du 9 mars 2023, a inversé cette solution et annulé les décisions de refus des permis de construire en jugeant que la circonstance que le préfet avait émis un avis conforme défavorable le 4 septembre 2018 sur le fondement de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, avant l’expiration du délai d’instruction, ne faisait pas obstacle à ce qu’une décision implicite d’acceptation naisse dans les conditions prévues par les articles R. 424-12 et R. 423-233 du même code. Les requérants étaient donc fondés selon elle à soutenir que le délai d’instruction de trois mois ne leur était pas opposable et qu’ils bénéficiaient chacun d’un permis tacite deux mois après le dépôt de sa demande, soit le 12 septembre 2018. Il suivait de là également que, par les arrêtés refusant la délivrance des permis de construire, le maire d’Aulnay- sur-Mauldre avait nécessairement retiré les permis tacites dont ils bénéficiaient depuis le 6 septembre 2018, lesquels étaient constitutifs d’une décision créatrice de droit au sens des dispositions du code des relations entre le public et l’administration. Ce retrait devait donc être précédé d’une procédure contradictoire en application de l’article L.121-1 du code des relations entre le public et l’administration. La circonstance que le préfet avait rendu un avis conforme défavorable au projet, que le maire était tenu de suivre en application de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme précité, a été regardée comme sans incidence sur les conditions dans lesquelles ce dernier devait procéder au retrait du permis tacite né le 6 septembre 2018 (ou le 12 septembre), le maire n’étant en particulier pas tenu de retirer le permis de construire en litige dès lors qu’il n’a pas été saisi d’une demande en ce sens par un tiers. Les requérants étaient fondés à soutenir que c’était à tort que le tribunal administratif de Versailles avait écarté le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire avant de procéder au retrait du permis tacite dont il pouvait se prévaloir.
Compétence liée du maire ?
4. L’unique moyen du ministre en cassation est tiré de ce que le maire avait compétence liée pour retirer un permis de construire délivré en passant outre l’avis défavorable du préfet, ce qui rendrait inopérant le moyen d’annulation tiré du non-respect du contradictoire.
5. Déjà il n’y a pas de doute qu’il y a bien eu des permis de construire tacites. L’article R.423-23 du code de l’urbanisme dispose que : « Le délai d’instruction de droit commun est de: / […] b) Deux mois pour les demandes de permis de démolir et pour les demandes de permis de construire portant sur une maison individuelle, au sens du titre III du livre II du code de la construction et de l’habitation, ou ses annexes ; […]. » Un permis tacite est donc né 2 mois après le dépôt de l’entier dossier, soit le 6 septembre pour Mme Glorieux et le 12 septembre pour M. Massart. Les décisions du 20 septembre (celle concernant M. Massart n’aurait en outre été notifiée que le 10 octobre) sont bien des retraits de permis de construire tacite, car la circonstance qu’un délai d’instruction erroné a été notifié est sans influence sur la naissance du permis tacite. En application de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, les retraits doivent intervenir dans les 3 mois.
6. Mais votre décision d’Assemblée du 26 octobre 20014 a jugé que si, lorsque la délivrance d’une autorisation administrative est subordonnée à l’accord préalable d’une autre autorité, le refus d’un tel accord, qui s’impose à l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien- fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision. Le maire peut donc accorder un permis même en cas d’avis négatif du préfet mais alors le permis ne pourra être légal que si l’avis est lui-même illégal. Sinon il y a compétence liée. On retrouve votre jurisprudence classique suivant laquelle un acte préparatoire, y compris un avis conforme, ne peut faire l’objet d’un recours distinct de celui dirigé contre l’acte qu’il prépare. Sa régularité et son bien-fondé peuvent être contestés, mais seulement à l’appui d’un recours dirigé contre cette décision. Vous le jugez de façon ancienne et constante5. Dans l’affaire Eisenchteter, après cassation, vous aviez estimé légal le refus du préfet, ce qui entraînait la compétence liée du maire pour refuser la délivrance des permis de construire sollicités. Les conclusions du commissaire du gouvernement Mosset sous la décision de Section Ged du 7 janvier 19556 résumaient les principes applicables pour définir les pouvoirs respectifs de l’autorité dont émane la décision et de celle qui rend un avis conforme : « Lorsqu’un règlement soumet une décision à l’avis conforme d’un organisme consultatif, il ampute d’un élément essentiel le pouvoir de décision de l’autorité administrative. L’autonomie qui lui reste est seulement le pouvoir de ne prendre aucune décision, ou de provoquer un nouvel avis… Elle est purement illusoire. L’autorité compétente ne prend plus elle-même une décision puisqu’elle n’a pas de pouvoir d’appréciation. L’organisme consultatif n’est pas pour autant investi d’un pouvoir de décision puisque, seul, il ne peut qu’émettre un avis sans force exécutoire. Dans ce cas, il apparaît que, en réalité, la décision est prise conjointement par l’autorité administrative et l’organisme consultatif ». Plus récemment dans ses conclusions sous l’affaire Dalmasso ((CE (2/7 CHR) 16 octobre 2020, n° 427620: Rec., T., p. 952-1059.)), Guillaume Odinet concluait : « Les avis conformes sont, selon la formule du pt. Laferrière ((Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, Berger-Levrault, 1888, t1, p. 505.)) « quelque chose de plus que des avis, ils constituent une collaboration effective à la décision; celle-ci ne peut pas être prise sans le concours de deux autorités, celle qui fait l’acte et celle qui lui donne son assentiment sous forme d’avis. »
7. Si le juge estime que l’avis défavorable est illégal, il n’annulera en principe le refus de permis de construire que si aucun des autres motifs de refus cités par la décision (l’article L.424-3 du code de l’urbanisme oblige le maire à tous les mentionner) ne tient ; dans les autres cas, il pourra estimer que le ou les motifs pertinents «suffi(sen)t» à justifier le refus au sens de la jurisprudence Dame Perrot ((Cf. avis CE (6/5 CHR) 25 mai 2018, Préfet des Yvelines et autres, n° 417350 : Rec., p. 240 concernant une éventuelle injonction de délivrer le permis de construire.)).
8. Si l’on applique ces principes7 à la présente affaire, cela signifie que lorsqu’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou un permis de construire ou d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite est intervenue en méconnaissance d’un avis conforme, son auteur est tenu de la retirer, dès lors que l’avis conforme est légal et que le retrait intervient dans le délai de 3 mois prévu à l’article L.424-5 du code de l’urbanisme. En l’occurrence, le préfet a refusé son accord le 4 septembre 2018 au motif que le projet se situait hors des «parties urbanisées de la commune » au sens de l’article L. 111-3 du même code et c’est en suivant cet avis conforme que le maire a refusé, par la décision litigieuse du 20 septembre 2018, le permis de construire sollicité. La cour administrative d’appel a jugé, pour l’application de l’article L.600-4-1 du code de l’urbanisme, que le refus par le préfet de son avis conforme sur le projet de construction de Mme Glorieux n’était pas illégal, en rejetant le moyen soulevé à l’encontre de cet avis qui était notamment la question de la zone de constructibilité, les projets se trouvant dans un vaste espace naturel limité par la rue du Val qui forme une boucle fermée sur elle- même. Mais en réalité dès lors que le refus d’avis conforme était légal, le maire était en situation de compétence liée et il devait retirer l’acte, tous les moyens, notamment tirés du non-respect du contradictoire préalable8 étant inopérants9. Et l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme ne crée aucune obligation d’examen des autres moyens pour le juge car il ne s’agit pas d’une annulation. Vous pourrez donc censurer une erreur de droit.
Par ces motifs, nous concluons :
– à l’annulation ;
–au renvoi;
– au rejet des conclusions L.761-1. ■
- CE (5e CJS) 14 novembre 2023, nos 467371 et 467374. [↩]
- «À défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l’autorité compétente vaut, selon les cas: / a) Décision de non-opposition à la déclaration préalable; / b) Permis de construire, permis d’aménager ou permis de démolir tacite. / En application de l’article L.424-9, la décision de non-opposition à la déclaration préalable d’une coupe ou abattage d’arbres est exécutoire un mois après la date à laquelle elle est acquise.» [↩]
- «Le délai d’instruction de droit commun est de: / a) Un mois pour les déclarations préalables; / b) Deux mois pour les demandes de permis de démolir et pour les demandes de permis de construire portant sur une maison individuelle, au sens du titre III du livre II du code de la construction et de l’habitation, ou ses annexes; / c) Trois mois pour les autres demandes de permis de construire et pour les demandes de permis d’aménager.» [↩]
- M. et Mme Eisenchteter, n° 216471: Rec., p. 495, concl. S. Austry, à propos de la loi « littoral » ; CE (7/5 SSR) 30 décembre 2002, M. Jeandey, n° 239380 : Rec., T., p. 860. [↩]
- Voyez notamment CE S. 6 mars 1964, Compagnie l’Union: Rec., p. 162; CE 1er octobre 1971, Sieur Ramona: Rec., p. 579. [↩]
- Rec., p. 11. [↩]
- Que l’on retrouve devant les juges du fond, notamment CAA Lyon 26 septembre 2019, n° 17MA04693 ; CAA Marseille 28 avril 2022, Béranger, n° 20MA00997 ; CAA Bordeaux 9 juin 2022, n° 20BX01964. [↩]
- Par exemple, article L. 121-1 du CRPA. [↩]
- Point rappelé dans Eisenchteter, préc., et surtout CE S. 3 février 1999, Montaignac, nos 149722-152848: Rec., p. 612-623. [↩]
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