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Révocation de fonctionnaires publics se mettant en grève et communication préalable du dossier

Note sous Conseil d'Etat, 7 août 1909, Winkell ; 7 août 1909, Rosier, S. 1909.3.145

Citer : Maurice Hauriou, 'Révocation de fonctionnaires publics se mettant en grève et communication préalable du dossier, Note sous Conseil d'Etat, 7 août 1909, Winkell ; 7 août 1909, Rosier, S. 1909.3.145 ' : Revue générale du droit on line, 2014, numéro 14160 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=14160)


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Décision(s) commentée(s):
  • Conseil d’Etat, Section, 7 août 1909, Winkell, requête numéro 37317, rec. p. 826 et 1296
  • Conseil d’Etat, 7 août 1909, Rosier, requête numéro 37325, publié au recueil

Telle qu’elle est présentée dans notre arrêt, l’explication de la décision prise paraît peu satisfaisante. Nous ne disons pas que la décision en elle-même soit mauvaise; nous disons qu’elle ne parait pas juridiquement expliquée. Non seulement les motifs allégués ne sont pas présentés avec toute leur force, mais ils sont insuffisants, si l’on n’admet pas que le Conseil d’Etat s’est érigé en juge de la constitutionnalité de l’art. 63 de la loi du 22 avril 1905. Nous ne voyons, quant à nous, aucune difficulté à accepter cette thèse, et ce serait même un bénéfice juridique important qui résulterait de cette grave affaire que, d’avoir créé un précèdent en faveur du pouvoir pour nos juges d’apprécier la constitutionnalité des lois.

Des fonctionnaires publics se sont coalisés pour se mettre en grève; le gouvernement les révoque sans observer la formalité de la communication préalable du dossier, prescrite par la loi du 22 avril 1905, art. 65, ou du moins sans leur laisser le temps d’user du droit qu’ils ont de réclamer cette communication. Valider les révocations prononcées dans ces conditions, cela se justifie, d’après le Conseil d’Etat, de deux façons :

I. — Par l’acceptation de l’emploi qui lui a été conféré, le fonctionnaire se soumet à toutes les obligations dérivant des nécessités du service public et renonce à toutes les facultés incompatibles avec une continuité essentielle à la vie nationale. Par conséquent, il renonce à la faculté de faire grève, et, s’il se met en grève, il se place lui-même hors de son emploi. Cela équivaut à dire que la coalition et la grève des fonctionnaires suspendent, en ce qui les concerne, les garanties légales de leur statut, les mettent hors du droit, leur font perdre pour ainsi dire leur qualité de fonctionnaires au regard de l’Administration. Et, assurément, cela peut se soutenir. On comprendrait qu’un article de la loi sur le statut des fonctionnaires édictât cette règle : « La coalition des fonctionnaires en vue de la grève suspend toutes les garanties de leur statut, et, en conséquence, ils peuvent être révoqués sans l’observation d’aucune formalité. » On pourrait même invoquer en faveur d’une telle disposition le parallélisme avec la suspension de la garantie des fonctionnaires, qui se produit déjà au regard des responsabilités que les agents peuvent avoir encourues vis-à-vis des particuliers à la suite de leurs « faits personnels ». On sait que, d’après la jurisprudence du Tribunal des conflits, le « fait personnel» du fonctionnaire, c’est-à-dire la faute lourde commise à l’occasion de l’exercice des fonctions, la « circonstance détachable » de l’acte administratif, qui révèle l’homme avec ses passions, fait perdre au fonctionnaire la garantie administrative; l’Administration ne le couvre plus; elle ne substitue plus sa responsabilité à la sienne pour apaiser le particulier irrité, elle laisse au contraire le fonctionnaire en butte aux poursuites civiles ou correctionnelles, parce qu’elle estime qu’étant sorti de sa qualité de fonctionnaire, il ne mérite plus de bénéficier de la garantie du fonctionnaire (V. sur la responsabilité des fonctionnaires à raison de leurs fautes personnelles, Cons. d’Etat, 1er  juin 1906 [2° espèce], Jacquemont, S. et P. 1908.3.133; Pand. per., 1908.3.133; 14 déc. 1906, Curie et Cie, S. 1909,3.44, et la note; 8 mars 1907, Vauriot, S. 1909.3.86; Trib. des conflits, 7 déc. 1907, Vauriot, S. 1909.3.86, et les renvois; Trib. des conflits, 2 juin 1908, Girodet, S. et P. 1908,3.81; Pand. per., 1908.3.81, les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Tardieu, et la note de M. Hauriou; adde, les conclusions de M. le commissaire du gouvernement G. Teissier, sous Trib. des conflits, 29 févr. 1908, Feutry, S. et P. 1908.3.97; Pand. per., 1908.3.97). Le fait de coalition et de grève produirait un effet analogue dans les relations de l’Administration et du fonctionnaire; ce serait un « fait personnel » d’une espèce particulièrement grave, détruisant l’ensemble des garanties que possèdent les fonctionnaires vis-à-vis de l’Administration, pour la même raison, parce que, par ce fait personnel, le fonctionnaire a commencé par détruire en lui-même la qualité de fonctionnaire, pour devenir un homme quelconque, ne méritant plus aucun privilège ni aucune garantie.

Encore une fois, cela peut se soutenir. Cependant cette nouvelle théorie du fait personnel destructeur des garanties administratives des fonctionnaires, pour intéressante qu’elle soit, ne nous paraît pas suffisante pour éluder  l’application d’un texte aussi formel que l’art 65 de la loi du 22 avril 1905, parce qu’après tout, le législateur de 1905 a bien voulu lui-même que la garantie de la communication du dossier existât au profit de fonctionnaires qui auraient mérité des peines disciplinaires et même la révocation, qui par conséquent  auraient commis, en ce sens, un fait personnel.

II. — Il fallait chercher autre chose, et, en effet, notre arrêt contient cette seconde proposition : en se mettant en grève, les agents, préposes au service public, ne commettent pas seulement une faute individuelle, mais se placent eux-mêmes, par un acte collectif, en dehors de l’application des lois et règlements édictes dans le but de garantir l’exercice des droits résultant pour chacun d’eux du contrat de service public qui les lie à l’Administration.

Ceci est plus sérieux. C’est l’acte, au lieu du fait personnel, mais la véritable nature de la coalition et de la grève ne paraît pas avoir été assez creusée. On ne saurait, d’ailleurs, faire grief au Conseil d’Etat de ses  vues un peu superficielles en cette matière, car ce sont les idées  courantes en législation industrielle qu’il a utilisées; encore faut-il lui rendre cette justice qu’il les a dépassées.

En législation industrielle, on pose la question de la  grève par rapport au contrat de travail; on l’envisage soit comme une cause de rupture, soit comme une cause de suspension du contrat

 (V. dans le premier sens, Cass. 18 mars 1902, S. et P. 1903.1.465; Pand. per., 1903.1.441; 4 mai 1904, S. et P. 1906 1.497; 13 ,nov. 1906, S. et P. 1906.1.500; 15 mai 1907, S. et P. 1908.1.417; Pand. per., 1908.11.417 et les renvois. Mais V. dans le second sens, la note de M. Z… sous Cass. 18 mars 1902, précité; et les notes de M. Wahl sous Cass. 4 mai 1904 et 15 mai 1907, précités, et les autorités citées; adde, en ce dernier sens, Trib. de Lille, 12 nov. 1906, et S. 1909, IIIe part., p. 145). Pour obéir à ce courant, le Conseil d’Etat, lui aussi, a posé la question par rapport au contrat de service public, et, d’ailleurs, pour affirmer que, « si la grève est un fait pouvant se produire légalement au cours de l’exécution d’un contrat de travail réglé par les dispositions du droit privé »  elle est au contraire illicite dans le contrat de service public.

Mais, si elle est illicite dans le contrat de service public, la grève n’est plus ni une cause de rupture du contrat ni une cause de suspension; elle est autre chose. II se peut qu’accessoirement elle ait pour conséquence la rupture du contrat de service public, à supposer que ce contrat existe. Mais sa véritable nature sera d’être un fait illicite, et non pas d’être un incident d’une situation contractuelle. La donnée du contrat de service public, dans la discussion de laquelle nous ne voulons pas entrer, mais qui est si, profondément étrangère à notre droit public, n’était donc susceptible ici de produire aucun effet. A la vérité, elle n’en produit jamais en aucune circonstance; elle  n’est qu’une façon, que l’on juge commode, de traduire ce  qu’il y a de consensuel dans la  situation des fonctionnaires, parce qu’on a perdu la notion des institutions sociales réglementaires et des adhésions qu’elles impliquent. Mais ici, particulièrement, la notion du contrat était inopérante, puisque la grève des fonctionnaires, affirmée un fait illicite, ne pouvait être considérée comme un élément de la situation contractuelle.

Il est fâcheux que le Conseil d’Etat, qui, jusqu’ici, avait évité de s’engager dans l’impasse du contrat de service public, s’y soit cru obligé, dans notre affaire; l’idée du contrat ne pouvait manifestement le conduire à rien (V., dans le même sens, les observations de M. Jèze sur  la présente  affaire, Rev. du dr. public et de la sc. polit., 1909, p. 500 et s.).

Le Conseil d’Etat s’est si bien aperçu lui-même de l’inefficacité de cette idée qu’il lui en a mêlé une autre. On peut, en effet, de notre arrêt, très touffu et très complexe, dégager la proposition suivante entrelacée  avec l’autre, mais qui se suffit à  elle-même : « La grève est un acte illicite consistant dans le refus de service concerté des fonctionnaires, alors que la continuité du service est essentielle à la vie nationale; cet acte, à la fois collectif et illicite, les place en dehors de l’application des lois et règlements édictés dans le but de garantir l’exercice de leurs droits. »

C’est dans cette  seconde direction qu’il convient de chercher, en laissant de côté la thèse du contrat, et en appuyant sur le caractère de la grève.

La coalition et la grève ne sont pas seulement la rupture d’un contrat de travail; elles ne constituent pas seulement, en dehors de l’hypothèse de la loi du 25 mai 1864 (modifiant les art. 414, 415 et 416, C. pen.), des actes illicites ; elles sont une rupture de la paix sociale, de cette paix fondamentale qui repose sur le principe, que nul ne se fait justice soi-même.

Pour comprendre la grandeur révolutionnaire de la coalition et de la grève, Il faut se référer aux doctrines syndicalistes  modernes : elles seules traduisent la véritable portée du mouvement. La coalition et la grève signifient la lutte des classes; elles signifient qu’une partie de la nation se dresse contre l’autre et ne reconnait, plus ni ses lois ni sa justice; la classe prolétaire répudie la justice de l’Etat bourgeois; elle entend se rendre justice -elle-même par l’action directe, et, par-là, se pose en souveraine. Le droit de grève, c’est le droit de guerre privée qui reparaît. Et ce n’est pas une guerre privée accidentelle, c’est une guerre privée systématique, menée par une classe, qui aspire à la souveraineté.

Alors comment se fait-il qu’en 1864, on ait reconnu dans les conflits industriels la légitimité de la coalition et de la grève? Et comment se fait-il que, depuis cette époque, dans les traités de législation industrielle, on disserte gravement sur le droit de grève comme si c’était une chose normale ? Il y a là toute une histoire, qu’il convient de se représenter de la façon suivante : la société bourgeoise a été prise au dépourvu par les questions ouvrières; elle a été longue à  s’émouvoir des souffrances des ouvriers, à se rendre compte de leurs besoins et aussi de leurs ambitions; par suite, en 1864, ni la législation, ni la justice de l’Etat bourgeois n’étaient capables de réaliser la justice sociale qu’il aurait fallu. Il y a eu défaillance passagère de l’Etat, parce qu’il était en retard sur  les événements. Dans cette période de défaillance, les forces naturelles s’organisaient et, devenaient menaçantes; il y avait déjà eu des coalitions et des grèves illicites qu’on se sentait impuissant à réprimer. On préféra prendre le parti de déclarer la grève licite, avec, l’arrière-pensée que patrons et ouvriers, dans les conflits violents qui’ allaient se poursuivre, poseraient comme malgré eux les bases du nouveau droit ouvrier.

Et c’est ce qui est arrivé. Cinquante ans de grèves, c’est-à-dire cinquante ans de guerre civile industrielle, ont mis à nu les véritables intérêts en présence, défini les positions, mesuré les forces. Maintenant l’Etat bourgeois sait ce que doit être la législation ouvrière; il est capable de rédiger un code du travail qui soit juste, et il en a entrepris la rédaction; ses juges se sont habitués à l’ouvrier. L’Etat, est redevenu capable d’assurer la paix industrielle. Bientôt la grève sera une arme inutile pour la défense du droit; il sera plus simple et plus sûr de s’adresser aux tribunaux. Si elle subsiste désormais, elle ne sera plus qu’une arme révolutionnaire, un instrument politique dont la survivance ne nous intéresse plus ici.

A se placer au seul point de vue du règlement juridique des conflits ouvriers, logiquement, le droit de coalition et de grève doit disparaître. Il a été la conséquence fâcheuse d’une situation anormale. La situation redevenant peu à peu normale, c’est-à-dire l’Etat recommençant à pouvoir assurer le service du droit, cette guerre privée doit cesser. Et déjà on s’efforce de l’étouffer sous des institutions d’arbitrage, ou sous ce que l’on appelle l’organisation de la grève (V. LL. 27 déc. 1892, S. et P. Lois annotées de 1893, p. 532; Pand. per., 1895.3.62, organisant une juridiction de conciliation et d’arbitrage; 17 juill. 1908, S. et P. Lois annotées de 1909, p. 808; Pand. per., Lois annotées de 1909, p. 808), permettant la création de conseils consultatifs du travail; projet de loi Millerand sur l’organisation du droit de grève, déposé le 15 novembre 1900 (J. off., déc. 1900, doc. parl de Ia Ch. des députés, p. 58).

Les gens qui se trompent sont ceux qui, de ce que le droit de grève existe, en concluent qu’il est normal. Ce droit existe dans les relations industrielles; mais, même là, il est anormal, exceptionnel, scandaleux, incompatible avec la donnée fondamentale de la paix du régime d’Etat, qui est que nul ne se rend justice soi-même.

Si telle est la vraie notion de la grève dans les matières industrielles, — et bien des gens commencent à se rendre compte de cette vérité (V. Maxime Leroy, Syndicats et services publics, 1909, p. 304 : « II faut conclure que le droit de grève n’est pas un principe; peut-on même parler d’un droit? C’est un fait »;Jèze, loc. cit., p. 504 : « La grève, d’une manière générale, n’est pas un droit; c’est un fait »), — s’il en est ainsi, nous serons à l’aise maintenant pour caractériser la grève de fonctionnaires se coalisant pour arrêter un service public.

En dehors de l’hypothèse de la loi du 25 mai 1864, qui, d’une façon non douteuse, ne visait que le travail, industriel et agricole, la coalition et la grève restent des faits non seulement illicites, mais révolutionnaires. II n’y a pas à insister sur cette idée que les faits révolutionnaires sont incompatibles avec l’organisation des fonctions publiques. Ce n’est pas seulement parce que les fonctionnaires sont des agents  de l’autorité publique; notre arrêt, avec grande raison, ne fait aucune allusion à cette circonstance; l’un des requérants n’était d’ailleurs qu’un ouvrier du service des postes; notre arrêt doit être considéré comme condamnant la célèbre distinction des fonctionnaires d’autorité et des fonctionnaires de gestion (V. en faveur de cette distinction, Barthelemy, Tr. élém. de dr. adm., 4° ed., p. 49 et s., et 5° ed., p. 50 et s.; Nézard, Theor. jurid. de la fonction publ., p. 460 et s. Mais V. en sens contraire, Duguit, Dr. constit., n. 64, et L’Etat, les gouvernants et les agents, p. 401 et s.; Hauriou, Précis de dr. adm., 11° éd., p. 480 ,et s., et la note de M. Hauriou, 7° col. et s., sous Cons. d’Etat, 22 juin 1906, Pauly, et 15 févr. 1907, Lacourte, S. et P. 1907.3.49). Mais, d’une part, les fonctionnaires sont organisés en une hiérarchie qui est constitutive de l’Etat lui-même; d’autre part, ainsi que  le relève excellemment notre décision : « Il y a des nécessités du service public et une continuité des services essentielle à la vie nationale. »

Dès  lors, si la coalition et la grève des fonctionnaires sont des faits révolutionnaires, des faits de guerre, on ne s’étonnera pas que le gouvernement leur ait appliqué le droit de la guerre et ait usé vis-à-vis d’eux des  représailles. De même que, dans les relations internationales, il y a un droit de la paix et un droit de la guerre, de  même, dans les relations de la vie nationale, en cas de troubles intérieurs une ville ou un département peuvent être mis en état de siège, avec suspension des garanties constitutionnelles. L ‘Administration des postes a été mise en état de siège, avec suspension du statut légal. Les employés n’avaient qu’à ne pas déclarer la guerre; ainsi que le dit notre arrêt, « ils se sont placés eux-mêmes, par un acte collectif, en dehors de l’application des lois et règlements édictés dans le but de garantir l’exercice de leurs droits. L’Administration, dans le cas d’abandon collectif ou concerté du service public, était tenue de prendre des mesures d’urgence et de procéder  à  des remplacements immédiats ».

Cette seconde argumentation va évidemment plus au fond des choses que la première; elle évoque cette idée très juste que les lois ne sont faites que pour un certain état normal de la société, et que, si cet état normal est modifié, il est naturel que les lois et leurs garanties soient suspendues. Mais ce qui est gênant, c’est qu’on peut objecter que les suspensions des garanties légales sont en fait prévues par la loi elle-même; ainsi la loi réglemente l’établissement de l’état de siège et la suspension des garanties constitutionnelles, tandis qu’aucune loi ne prévoyait la grève des fonctionnaires et les représailles dont le gouvernement pourrait user. Sans doute, on peut répondre que les lois ne sont jamais faites qu’après des événements qui ont démontré leur nécessité, et que c’est le rôle du pouvoir exécutif de pourvoir aux exigences de la police et au salut de l’Etat par des mesures provisoires, jusqu’à ce que les lois aient pu être faites. II y avait eu bien des mises en état de siège avant les lois qui l’ont réglementé. II est certes à souhaiter qu’une loi soit promptement votée sur le statut des fonctionnaires, et qu’elle règle la grève question de la coalition et de la grève; mais, en l’absence de cette loi, le gouvernement n’a fait que son devoir en procédant à des révocations en masse pour enrayer le mouvement de la grève des postes, sans se laisser arrêter par des questions de formalités. C’était la guerre, et, en pleine guerre, ce n’est pas le moment de s’arrêter à des formalités. D’ailleurs, on sait combien, une fois la paix rétablie, le gouvernement a usé d’indulgence et combien d’agents ont été réintégrés.

C’est très joli, les lois; mais il faut avoir le temps de les faire, et il s’agit de ne pas être mort avant qu’elles ne soient faites. Un grand pays, dont le commerce et l’industrie et toutes les relations de la vie privée sont suspendus par le fait d’une catégorie de fonctionnaires, si intéressants soient-ils, n’a pas le temps d’attendre les délibérations des Chambres .

Toutes ces considérations sont justes pratiquement; mais le juriste n’est satisfait que lorsqu’il a trouvé une raison juridique actuellement valable. Or, comment démontrer juridiquement que, par représailles et en vertu de cette espèce de droit de la guerre engendré par la grève, l’art. 65 de la loi du 22 avril 1905 ait pu être mis de côté.

III. — C’est ici que nous sommes conduits à la thèse de l’inconstitutionnalité des lois. Il faut supposer que la loi de 1905 a pu être frappée d’inefficacité par le Conseil d’Etat dans le cas spécial des révocations de fonctionnaires pour faits de grève, parce que son application à ce cas eût été inconstitutionnelle. A la vérité, il faut entendre ici d’une certaine façon l’inconstitutionnalité de la loi; ne s’agira pas d’une contradiction qui existerait entre la loi et les règles positives de la constitution écrite; il s’agira plutôt d’une contradiction entre la loi et les conditions nécessaires d’existence de l’Etat, dont on peut bien dire qu’elles sont plus fondamentales encore que les règles positives de la constitution écrite : ces conditions fondamentales d’existence de l’Etat exigent, d’une part, que les services publics indispensables à la vie de la nation ne soient pas interrompus, et, d’autre part, que les fonctionnaires soient en paix avec le gouvernement.

Notons que nous faisons ainsi appel, non pas à la raison d’Etat, qui est une notion dangereuse, parce que le salut de l’Etat peut souvent paraître lié à des circonstances momentanées, mais à  la théorie de l’inconstitutionnalité des lois qui ne saurait être invoquée qu’à propos de conditions permanentes de la vie des Etats que la doctrine et la jurisprudence auraient bientôt déterminées, et qui, par conséquent, ne permettrait pas de surprises. Le pouvoir du juge de frapper d’inefficacité des lois qu’il estime inconstitutionnelles, existe dans les pays anglo-saxons; il n’y a pas de bonnes raisons pour qu’il ne s’établisse pas chez nous. Le Conseil d’Etat, juge de la légalité des actes de l’Administration, est bien placé pour s’enquérir de la constitutionnalité des lois qu’on  lui demande d’appliquer. Au reste, ce n’est pas le lieu de disserter longuement. Bornons-nous à conclure. Nos arrêts ne s’expliquent juridiquement que par la thèse de l’inconstitutionnalité de la loi de 1905, en tant qu’elle s’appliquerait aux faits de grève; donc, ils seront invoqués comme un précèdent en faveur de l’inconstitutionnalité des lois.

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About Maurice Hauriou

1856 - 1929
Doyen de la faculté de droit de Toulouse

Maurice Hauriou

1856 - 1929 Doyen de la faculté de droit de Toulouse

Notes d’arrêts de Maurice Hauriou

  • CE, 13 décembre 1889, Cadot
  • TC, 11 janvier 1890, Veil
  • CE, 28 mars 1890, Drancey
  • CE, 28 novembre 1890, Société des Tramways de Roubaix
  • CE, 20 février 1891, Chemin de fer du Midi c/ Salles
  • CE, 18 décembre 1891, Vandelet et Faraut
  • CE, 24 juin 1892, Garrigou
  • CE, 30 juin 1893, Gugel
  • CE, 21 juin 1895, Cames
  • TC, 29 juin 1895, Réaux c/ Commune de Léoville
  • CE, 17 janvier 1896, Fidon et fils
  • CE, 22 mai 1896, Carville
  • CE, 6 août 1897, Sieur R
  • CE, 3 février 1899, Joly
  • CE, 8 décembre 1899, Ville d’Avignon ; CE , 15 décembre 1899, Adda
  • TC, 9 décembre 1899, Association syndicale du Canal de Gignac
  • CE, 29 juin 1900, Syndicat agricole d’Herblay
  • CE, 16 novembre 1900, Maugras
  • CE, 1 février 1901, Descroix et autres boulangers de Poitiers
  • CE, 29 mars 1901, Casanova
  • CE, 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du Gaz de Déville-lès-Rouen
  • CE, 17 janvier 1902, Favatier ; CE, 14 février 1902, Lalaque
  • CE, 24 janvier 1902, Avézard et Chambre syndicale des propriétés immobilières de la Ville de Paris
  • CE, 14 février 1902, Blanleuil et Vernaudon
  • CE, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-bains
  • CE, 27 juin 1902, Compagnie générale française de tramways c/ Rousset et Carbonel
  • CE, 6 février 1903, Terrier
  • CE, 22 mai 1903, Caisse des écoles du 6° arrondissement de Paris
  • CE, 11 décembre 1903, Lot ; CE, 11 décembre 1903, Molinier ; CE, 18 mars 1904, Savary
  • CE, 8 juillet 1904, Botta
  • CE, 3 février 1905, Storch ; CE, 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli
  • CE, 10 février 1905, Tomaso Greco ; CE, 17 février 1905, Auxerre
  • CE, 2 février 1906, Chambre syndicale des propriétaires de bains de Paris
  • CE, 23 mars 1906, Dame Chauvin
  • CE, 20 juin 1906, Carteron
  • CE, 11 janvier 1907, Gouinaud
  • CE, 18 janvier 1907, Commune de Sandillon ; CE, 15 février 1907, Dayma ; CE, 22 mars 1907, Desplanches ; CE, 26 juin 1908, Requin ; CE, 26 juin 1908, Roger ; CE, 15 janvier 1909, Forges ; CE, 29 janvier 1909, Broc
  • CE, 31 mai 1907, Deplanque c/ Ville de Nouzon
  • CE, 28 novembre 1907, Abbé Voituret ; TC, 7 décembre 1907, Le Coz ; CE, 8 février 1908, Abbé Déliard ; TC, 29 février 1908, Abbé Bruné
  • CE, 6 décembre 1907, Chemins de fer de l’Est
  • CE, 31 janvier 1908, Dame de Romagère
  • TC, 29 février 1908, Feutry
  • CE, 11 décembre 1908, Association professionnelle des employés civils
  • CE, 7 août 1909, Winkell ; CE, 7 août 1909, Rosier
  • CE, 4 mars 1910, Thérond
  • CE, 11 mars 1910, Ministre des travaux publics c/ Compagnie générale française des tramways
  • TC, 22 avril 1910, Préfet de la Côte-d’Or c/ Abbé Piment ; Tribunal des conflits, 4 juin 1910, Préfet de l’Aisne c/ Abbé Mignon ; CE, 8 juillet 1910, Abbé Bruant
  • CE, 20 janvier 1911, Chapuis, Porteret, Pichon
  • CE, 20 janvier 1911, Epoux Delpech-Salgues ; CE, 3 février 1911, Anguet
  • CE, 24 février 1911, Jacquemin
  • CE, 25 mars 1911, Rouzier
  • CE, 26 janvier 1912, Blot
  • CE, 1 mars 1912, Tichit
  • CE, 8 mars 1912, Lafage ; CE, 8 mars 1912, Schlemmer
  • CE, 3 mai 1912, Compagnie continentale du gaz c. Ville d’Argenton
  • CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre
  • CE, 10 mai 1912, Ambrosini
  • CE, 29 novembre 1912, Boussuge et autres
  • CE, 7 février 1913, Mure
  • CE, 11 avril 1913, Compagnie des Tramways de l’Est Parisien
  • CE, 21 novembre 1913, Larose
  • CE, 27 mars 1914, Laroche
  • CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux
  • CE, 7 avril 1916, Astruc
  • CE, 2 février 1917, Syndicat du canal de Raonnel
  • CE, 9 novembre 1917, de Tinan c/ Ministre de la guerre
  • CE, 22 février 1918, Cochet d’Hattecourt
  • CE, 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier
  • CE, 28 juin 1918, Heyriès
  • CE, 28 février 1919, Dol et Laurent
  • CE, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers
  • CE, 27 juin 1919, Société du gaz et de l’électricité de Nice c/ Ville de Nice
  • CE, 11 juillet 1919, Chemin de fer du Midi
  • CE, 29 avril 1921, Société Premier et Henry
  • CE, 25 novembre 1921, Dame Niveleau
  • CE, 25 novembre 1921, Compagnie générale des automobiles postales ; CE, 2 mars 1923, Ville des Versailles c. Société La Fusion des gaz ; CE, 20 juillet 1923, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux c. Ville de Bordeaux ; CE, 10 août 1923, Société d’éclairage par le gaz et l’électricité de la ville d’Oloron-Sainte-Marie c. Ville d’Oloron-Sainte-Marie
  • CE, 19 mai 1922, Légal
  • CE, 3 novembre 1922, Dame Cachet ; CE, 16 mars 1923, Vallois ; CE, 1er juin 1923, Gros de Beler ; CE, 13 juillet 1923, Dame Inglis
  • CE, 17 janvier 1923, Ministre des travaux publics et Gouverneur général de l’Algérie c/ Société Piccioli frères
  • CE, 23 mars 1923, Mariole
  • TC, 16 juin 1923, Septfonds
  • CE, 30 novembre 1923, Couitéas
  • CE, 5 juin 1924, Société industrielle du gaz et de l’électricité
  • CE, 27 mars 1925, Mariani
  • CE, 5 novembre 1926, Delpin et autres ; CE, 7 janvier 1927, Triller
  • CE, 8 décembre 1926, Desmarais
  • CE, 26 novembre 1926, Préfet du Doubs et Ministère de l’Instruction publique c/ Petit
  • CE, 1 avril 1927, Election d’Espelette

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