Président de l’Assemblée nationale, voilà une fonction importante au sein de nos institutions mais qui ne concentre pas toute l’attention que parfois elle mériterait. Est-ce parce qu’il arrive après le Président du Sénat dans le rang protocolaire ? N’y a-t-il pas des prérogatives propres au président de la Chambre basse qui pourraient susciter l’intérêt au-delà des seuls cercles habituels que sont ceux des juristes, politologues et journalistes ? Faut-il attendre qu’un scandale politique touche à cette fonction pour que les projecteurs soient davantage braqués sur elle ? Il arrive en tout cas au personnage qui occupe la fonction d’apparaître un temps sur l’espace public comme le montre encore la récente querelle qui oppose MM. Bartolone et Larcher, respectivement Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, au sujet du « désaccord profond des conceptions institutionnelles » en matière de bicamérisme. Toutefois, ces interventions demeurent au mieux aussi épisodiques que les annonces de réforme qui les suscitent. Mais peut-être que c’est le personnage qui fait la fonction et non l’inverse comme on le prétend trop souvent ? Ainsi, en s’attardant sur l’un des plus illustres personnages qu’ait connus la Révolution française, personnage qui de surcroît fut président de l’assemblée, cela permettra d’attirer un tant soit peu les regards sur la fonction. Dès lors, celui qu’on appelait « l’orateur du peuple » ou encore « la torche de Provence » mais qui est plus connu sous le nom de Mirabeau endossa effectivement la fonction de président de l’assemblée le 30 janvier 1791. Mais si ce n’est pas cette fonction qui fit du personnage l’un des plus emblématiques de la Révolution française, il n’empêche que, aussi subreptice soit-il, le mandat de Mirabeau donne l’occasion d’aborder son parcours sous un angle nouveau.
I – « Un homme dont le talent n’avait d’égal que sa laideur »
Honoré-Gabriel Riqueti, Comte de Mirabeau, naquit au sein d’une famille noble provençale ayant pour patriarche l’économiste de renom, Victor Riqueti, Marquis de Mirabeau. Ce dernier, officier aguerri, puisqu’il parviendra à se distinguer par ses faits d’arme, ne termina toutefois pas sa carrière dans les rangs de l’armée. Malheureux en mariage, il compensa son absence de bonheur grâce à un esprit vigoureux qui lui valut d’être reconnu dans les domaines de l’économie et de la philosophie. Toutefois, mauvais gestionnaire lorsqu’il en allait de ses propres deniers, il finit sa vie sans le sou. Il manque de peu l’un des évènements les plus marquants de la Révolution française, la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 puisqu’il mourut justement la veille de celle-ci.

Loin d’avoir eu un père aimant, Mirabeau fut affublé par ce dernier du sobriquet de « Monsieur l’Ouragan » et décrit par son oncle, le bailli de Mirabeau, comme étant « aussi laid que le neveu de Satan ». En effet, physiquement, Mirabeau accuse d’un visage disgracieux qu’une variole contractée à l’âge de trois ans et mal soignée eut pour conséquence d’accentuer sa laideur. Victor Hugo considérait que Mirabeau était « d’une laideur grandiose et fulgurante ». On n’aura donc pas assez d’expressions pour décrire le faciès ingrat du personnage. Cela est d’autant plus frustrant que le nom même de Mirabeau a une signification (Mirabèu en provençal) qui ajoute encore cyniquement à son malheur : Mirar signifiant en effet « voir » et Bèu « beau » littéralement donc « belle vue ».
Contrairement à son paternel, il ne se dirigea pas dans un parcours d’économiste mais opta pour le droit qu’il étudia à la faculté d’Aix-en-Provence. Il embrassa tout de même une carrière militaire, sans doute par quelque atavisme, ce qui lui permit de prendre part à la campagne de Corse de 1768 à 1769 et vit son terme dans la bataille de Ponte Novu le 9 mai et d’où la France à la suite d’âpres combats devait sortir victorieuse. De retour dans la vie civile, Mirabeau aura une existence ponctuée par des problèmes d’argent.

II – Un libertin à l’existence agitée
Très vite, Mirabeau gagna la réputation d’être libertin ce qui lui vaut les critiques les plus féroces de la part de son entourage, à commencer par le plus proche, son père, dont la colère fut mise à rude épreuve à maintes reprises. Sur son ordre et afin de préserver son fils de ses créanciers, Mirabeau fut enfermé au Fort de Vincennes entre 1770 et 1775.
Exilé en Hollande avec la femme du Président de la Chambre des comptes de Dole Mirabeau fut condamné par la justice ; lui pour rapt et séduction, elle pour adultère. Son séjour lui permit de se consacrer à son premier ouvrage intitulé Essai sur le despotisme dans lequel il y dénonce l’arbitraire du Roi en France. Bien qu’étant d’extraction noble, cela ne l’empêcha pas de porter un jugement assez sévère envers le pouvoir royal.

« Le despotisme n’est pas une forme de gouvernement […] s’il en était ainsi, ce serait un brigandage criminel et contre lequel tous les hommes doivent se liguer. »

Après avoir été arrêté par les autorités, Mirabeau fut à nouveau enfermé au Fort de Vincennes où il fera la rencontre du Marquis de Sade. Il en profita pour rédiger un libelle contre l’arbitraire de la justice intitulé Des lettres de cachet et des prisons d’État et publié en 1782. Libéré en 1780 « sous conditionnelle », son père se réservant une lettre de cachet à son encontre à la moindre incartade, Mirabeau se retira à Gien où demeurait Sophie de Monnier, femme pour laquelle il fut condamné et avec qui il eut une fille décédée en bas-âge. Étant marié avec la fille du Marquis de Marignane, il demanda la séparation de corps en 1782 ; procès défrayant la chronique puisque Mirabeau prenant sa propre défense, il fit face à un autre plaideur hors pair en la personne de Jean-Marie Etienne de Portalis avec lequel Mirabeau avait fait ses études de droit à la faculté d’Aix-en-Provence.
La joute oratoire entre les deux protagonistes se conclut par une défaite de Mirabeau. Celui-ci ne tiendra pas rigueur à son adversaire qui s’était admirablement débattu contre lui ; les deux hommes garderont une correspondance régulière jusqu’à la fin de la vie de Mirabeau.
III – Les promesses d’un prodigieux politique
Si la politique est souvent source de conflits, elle fut dans la vie de Mirabeau le biais par lequel il put enfin se réconcilier avec son père lequel vit bien que son fils excellait dans ce domaine. Ainsi, l’intelligence d’une personne se mesure parfois à l’aune de relations que celle-ci parvient à nouer. Mirabeau se tissa un réseau relationnel sans aucun doute décisif dans sa carrière car on y trouve, entre autres, Charles-Maurice Talleyrand-Périgord, mais également Condorcet ou encore le futur conventionnel Brissot.

Progressivement, Mirabeau gagne le titre de contestataire du pouvoir et de la politique menée par la monarchie déclinante. En effet, après avoir effectué une mission en Allemagne au service du Contrôleur général des finances Calonne pour le compte de Louis XVI en 1786, Mirabeau ne parvint pas à se hisser à un véritable poste diplomatique. Lorsqu’il publia son pamphlet Dénonciation de l’agiotage en 1787, une lettre de cachet fut prise à son encontre ce qui le contraignit à fuir la France pour rejoindre Liège. Le 19 février 1788, avec le concours de Condorcet et Brissot, Mirabeau fonde la Société des amis des Noirs, association lui permettant de critiquer ouvertement l’administration des colonies et l’esclavage qui y sévissait. Les propositions de cette association étaient les suivantes : l’égalité entre les hommes blancs et les hommes de couleur libres des colonies mais aussi et surtout l’abolition progressive de l’esclavage laquelle devait prendre en compte l’équilibre de l’économie française ainsi que le temps d’adaptation nécessaire aux esclaves pour se faire à leur nouveau statut.

Les idées de Mirabeau étaient bien celles de la Révolution française laquelle ne tarderait pas à entrainer dans son sillage toutes les abominations d’un Ancien Régime sclérosé parce que assis sur un modèle social qui n’était plus en phase avec les aspirations de la société de 1789.
IV – Les années Lumières : entre rejet et admiration de Mirabeau
Le Comte de Mirabeau ne fut pas l’égérie de la noblesse, loin de là. En effet, la position du Provençal est d’abord ambigüe puis devint très vite perceptible. Il avait renié sa classe avant qu’elle ne le fît pour lui ; ce que traduit l’échec cuisant qu’il a subi en Provence alors qu’il était candidat à la députation de la noblesse dans le cadre des élections des membres des États Généraux. Il eut plus de succès du côté d’Aix-en-Provence et de Marseille où il se fit élire député du tiers-état. Avant même d’avoir pu siéger dans la Salle des Menus Plaisirs, le jeune élu fit paraître « Etats Généraux » premier journal d’un député le 2 mai 1789.

Il entreprit par la suite de diffuser les comptes-rendus des séances alors même que cela avait été interdit par le pouvoir royal. Le journal fut saisi ce qui ne découragea pas pour autant Mirabeau dans la poursuite de ses projets. Il persistait dans quête visant à informer l’opinion et ce, toujours sur le mode de la provocation. Le « Courrier de Provence » fut l’autre journal par lequel Mirabeau mena ses réflexions sur la Révolution. Certains numéros seront encore plus publiés après sa mort.
Il faut dire que même si Mirabeau n’avait pas la vocation du journaliste, force est de constater qu’il s’adonnait à cette activité avec un réel plaisir. Comment cela aurait-il pu en être autrement dès lors que les évènements qui eurent lieu entre mai et juillet 1789 furent sans doute les plus importants de l’Histoire de France ? Le plus marquant étant celui du 23 juin lorsque le Roi Louis XVI décida de déclarer « nul, illégal et inconstitutionnel » tout ce qui fut fait jusqu’alors par les membres du tiers-état, rejoint entre temps par quelques députés du clergé. Rappelons que ces derniers s’étaient tout simplement autoproclamer Assemblée nationale le 17 juin 1789 sur le modèle décrit par Sieyès dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? puisqu’ils considéraient représenter quatre-vingt seize centièmes de la Nation.
Lorsque Henri-Evrard marquis de Dreux-Brezé, grand maître des cérémonies, vint apporter l’ordre de dissolution de l’Assemblée nationale, Mirabeau se leva et prononça cette tirade :
« Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roy ; et vous qui ne sauriez être son organe auprès des États-Généraux, vous qui n’avez ici ni place ni voix, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je vous déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes. »

C’est à ce moment que Mirabeau acquit cette aura qui ne le quitta plus. Cette réputation le suivra tout au long de la Révolution française et jusqu’à aujourd’hui. Membre du Club des jacobins, il y prononça également ses plus célèbres discours, notamment celui portant sur la traite des nègres dont les navires qui servaient à les transporter furent qualifiés par l’orateur de « bières flottantes ».
Le 9 juillet, alors que l’Assemblée nationale se proclame « constituante » le Roi ordonne aux troupes étrangères d’entourer la capitale ce qui tend l’atmosphère au sein de la « Représentation nationale ». Mirabeau rédigea ainsi une adresse à Louis XVI pour lui demander de retirer ses troupes et donner des gages au nouveau pouvoir constituant.
Le 30 janvier 1791, l’Assemblée nationale décide de confier la présidence à Mirabeau. Il entrera ainsi dans la longue lignée inaugurée pour la première fois par l’astronome Jean-Sylvain Bailly. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y avait pas de divergences équivalentes à celles d’aujourd’hui entre le Palais Bourbon et le Palais du Luxembourg au sortir de la Révolution française ; pour la raison très simple qu’il n’y avait alors qu’une seule chambre pour représenter la Nation tout entière.

Aussi, la fonction de président de l’assemblée ne durait pas le temps de la législature et lors même que la règle eût été celle-là, le mandat n’aurait été que de deux deux ans et non pas cinq comme aujourd’hui. En réalité, on se méfiait beaucoup de l’autorité morale dont pouvait jouir le personnage qui l’endossait ; surtout si la fonction ne faisait qu’amplifier un autorité déjà puissante comme celle qu’avait Mirabeau. C’est pourquoi on en changeait tous les quinze jours. Le président sortant ne devait également pas être continué mais était éligible à nouveau dans une autre quinzaine (2° du Règlement de l’Assemblée constituante du 29 juillet 1789). Mirabeau ne le fut que durant la quinzaine suivant sa nomination du 30 janvier 1791.
Les pouvoirs du président étaient déjà importants puisque c’était à lui que revenait la mission d’assurer la police des séances. Assisté par six secrétaires, il menait les débats, mettait au vote les textes tout juste discutés et contrôler la tenue des procès-verbaux. Mais le roulement qui caractérisait si bien cette fonction avait répondu à l’objectif auquel les constituants souhaitaient parvenir : que nul ne se distinguât à ce poste et/ou grâce à ce poste. Raison pour laquelle le Mirabeau président de l’Assemblée nationale ne devait pas marquer davantage l’histoire que le Mirabeau simple orateur au sein de celle-ci.
Néanmoins, toute l’énergie que le député mettra pour défendre et faire vivre ses convictions ne cachait en réalité qu’un homme profondément attaché à son Roi ce qui ne fut pas sans conséquence pour sa postérité. Un épouvantable sentiment de déception et l’impression d’avoir été trahi par un personnage adulé parcoururent ces jeunes politiques qui l’avaient majoritairement placé sur un piédestal et pris en exemple.
Quand le masque tombe, le héros s’évanouit seul l’homme demeure …
V – Le retour du transfuge
Parce que la noblesse ne l’avait pas choisi pour la représenter aux États Généraux Mirabeau se confina dans l’amertume vis-à-vis de sa classe sociale d’origine. Pourtant, à mesure que la Monarchie déclinait, Mirabeau reprit fait et cause pour elle. Ardent défenseur des principes de la Révolution française le jour, il enfilait les oripeaux de conseiller privé du Roi la nuit afin de tout mettre en œuvre pour maintenir au pouvoir. Si Louis XVI accepta le régime qui lui imposait la Constitution du 3 septembre 1791 et qu’il prêta serment de la défendre contre les ennemis de la Liberté, c’est en grande partie grâce à l’intervention de Mirabeau. L’allégeance de la famille royale lors de la Fête de la Fédération le 14 juillet 1790 est encore à mettre sur le compte de l’influence du Provençal. Enfin, le comportement que tenait en public la Reine lui était soufflé par Mirabeau qui avait pris pour habitude de la rencontrer secrètement dans les jardins du Palais des Tuileries.
Lors de l’épisode de l’armoire de fer le 20 novembre 1792, on découvrit dans les papiers du Roi que Mirabeau avait comploté pour permettre au monarque de reprendre en main la France après avoir laissé l’Assemblée nationale se déconsidérer auprès du peuple. Il avait également tissé des liens avec l’émigration pour préparer sa fuite par le nord de la France en cas d’échec.
Sa réputation de corrompu, il l’a gagnée dès cet instant où l’on apprit que le Comte était rémunéré sur les deniers publics en livres d’or par heure. Prit d’affect pour le monarque, Mirabeau caressait surtout le secret espoir d’être nommé Premier ministre de la monarchie constitutionnelle telle qu’il se la représentait.
Tout convergeait ainsi pour faire de Mirabeau l’homme le plus haï de Paris après le Roi.
VI – La mort du « Hercule de la Liberté »
Si Sieyès avait lancé cette apostrophe à Mirabeau, le « Hercule de la Liberté », pour signifier sa puissance et son intelligence politique, force est d’admettre que sa santé n’égalait pas celle du héros antique. Il disparut brutalement le 2 avril 1791 ce qui provoqua une grande tristesse au sein du peuple français au moins aussi forte que la haine qu’on lui vouera par la suite.
Sa dépouille sera déposée au Panthéon puis expulsée après la découverte de ses tractations avec le Roi. Ce sera à Marat, assassiné le 13 juillet 1793, de prendre sa place sous la Convention.
L’Histoire tentera de le réhabiliter auprès des Français ce qui permettra néanmoins de mettre au jour les analyses faites par lui et confirmera que Mirabeau avait réellement un sens du politique et du juridique à l’égal de ce qu’on peut attendre de tout bon constitutionnaliste qui se respecte.
Bibliographie:
CHAUSSINAND-NOGARET (G) Mirabeau, Ed. Seuil, janvier 1982, p. 281
ZORGBIBE (C) Mirabeau, Ed. Editions de Fallois, juin 2008, p. 524
DESPRAT (J-P) Mirabeau, Ed. Perrin, juin 2008, p. 804