L’association Force 5, le Groupement des agriculteurs biologiques du Finistère, le syndicat Simples et l’Union départementale de la consommation, du logement et du cadre de vie du Finistère ont demandé sans succès au tribunal administratif de Rennes puis à la cour administrative d’appel de Nantes d’annuler l’arrêté du 6 mai 2015 par lequel le préfet du Finistère a autorisé la Compagnie Electrique de Bretagne à créer et à exploiter une centrale de production d’électricité par cycle combiné au gaz à Landivisiau. Il s’agit de l’autorisation délivrée au titre de la police des installations classées.
QPC formée à l’occasion du pourvoi
À l’occasion du pourvoi qu’elles forment contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, pourvoi qui est encore au stade de l’examen d’admission des pourvois, les requérants soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa version applicable au litige issue de l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 mai 2014, en tant que cet article confie au pétitionnaire le soin d’élaborer l’étude d’impact qu’il exige, au lieu de prévoir qu’elle doit être élaborée par un tiers indépendant. Cela méconnaîtrait les exigences de l’article 7 de la charte de l’environnement.
Il est clair que la disposition est applicable au litige : cet article est celui qui prévoit la réalisation d’une étude d’impact pour les projets devant faire l’objet d’une évaluation environnementale, évaluation prévue en l’espèce par la rubrique pertinente de la nomenclature des installations classées. Ces dispositions n’ont pas été déclarées constitutionnelles par le Conseil constitutionnel, mais celui-ci a déjà interprété l’article 7 de la charte, la question n’est donc pas nouvelle. Est-elle sérieuse ?
La QPC est-elle sérieuse ?
L’article 7 de la Charte de l’environnement a consacré un droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement et à participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. C’est ce dernier aspect qui est invoqué. Votre jurisprudence est d’accord avec les requérants pour estimer que ce droit à participer implique, pour assurer son effectivité, un certain droit à disposer d’informations pertinentes relatives à l’objet sur lequel on est consulté1, qu’il s’agisse d’un projet de norme ou d’un projet d’opération, de construction, d’activité etc. C’est d’ailleurs ainsi que l’a compris et traduit le législateur lorsqu’il a précisé la portée du principe de participation à l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Le Conseil constitutionnel a par ailleurs jugé que l’article 7 de la charte s’applique tant aux actes réglementaires que non réglementaires2. Cependant, ainsi que l’admet le pourvoi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a également laissé une large marge d’appréciation au législateur pour organiser les modalités de cette participation3. Les choix opérés dans la définition de ces modalités ont des conséquences concrètes sur l’information du public et sur la portée de la participation, mais l’article 7 de la Charte n’impose pas un modèle unique. Vous avez ainsi jugé que le législateur pouvait prévoir que les avis consultatifs d’organismes spécialisés sont recueillis avant la phase de participation du public, afin que le public puisse en disposer, ou au contraire après, ce qui prive le public de cette expertise mais permet aux organismes consultés de disposer des remarques du public4. Aujourd’hui, est en cause le choix de l’information réclamée du pétitionnaire lui-même.
Les requérants soutiennent qu’une forme de théorie des apparences imposerait que l’étude d’impact, document fondamental pour l’appréciation des incidences environnementales d’un projet, ne puisse être suspectée de partialité. Il devrait donc être interdit que l’étude d’impact soit réalisée par le pétitionnaire lui-même : il devrait être imposé qu’elle soit réalisée par un organisme indépendant, dont les requérants suggèrent même qu’il soit désigné par le tribunal administratif, comme un commissaire enquêteur pour une enquête publique. La critique de la question prioritaire de constitutionnalité s’apparente à une forme d’incompétence négative de l’article, dans sa rédaction alors applicable, car la loi prévoit simplement la nécessité d’une étude d’impact, mais n’interdit nullement que le pétitionnaire ait recours à un prestataire indépendant. Mais il est vrai qu’elle ne l’impose pas et que l’économie du dispositif implique bien que la réalisation de l’étude d’impact se fait sous la responsabilité du pétitionnaire. C’est d’ailleurs ce que prévoit explicitement l’article L. 122-1 dans sa rédaction actuelle, puisqu’il dispose désormais explicitement que : « L’évaluation environnementale est un processus constitué de l’élaboration, par le maître d’ouvrage, d’un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement, dénommé ci-après “étude d’impact”, etc. » La critique nous semble donc opérante, y compris dans la rédaction de l’article applicable au litige, mais elle ne nous semble pas fondée. L’originalité de l’affaire tient à ce que ces dispositions sont d’abord prises pour la transposition de la directive européenne 2011/92/UE du 13 décembre 2011 relative l’évaluation environnementale des projets, qui a remplacé la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985. La réglementation européenne impose à la France de prévoir une telle évaluation environnementale, dont le processus est très encadré par la directive, pour un certain nombre de projets décrits aux annexes I et II de la directive, à des conditions sur lesquelles il n’est pas nécessaire de s’appesantir aujourd’hui. Or, dans son champ d’application, la directive prévoit bien que l’étude d’impact se fait sous la responsabilité du maître d’ouvrage : son article 5 dispose que « lorsqu’une évaluation des incidences sur l’environnement est requise, le maître d’ouvrage prépare et présente un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement ». En tant que l’article L. 122-1 s’applique aux projets désignés à l’annexe 1 et, sous réserve des critères fixés par la directive, à l’annexe 2 de la directive 2011/92, juger de sa constitutionnalité reviendrait à juger de la conformité de la directive elle-même à la Constitution, ou aux principes analogues contenus désormais dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Vous savez que le Conseil constitutionnel se l’interdit, selon la jurisprudence qu’il a initié le 10 juin 20045, sauf à ce qu’il identifie une méconnaissance de l’identité constitutionnelle de la France. Il nous semble qu’une règle ayant trait à cette identité constitutionnelle qui pourrait justifier qu’on déroge à l’obligation de transposer correctement une directive européenne n’est en cause ici : en première analyse, on pourrait donc penser que vous pourriez vous arrêter là6.
Mais, à y regarder de plus près, il nous semble que le champ d’application de la législation française sur les évaluations environnementales est légèrement plus large que celui de la directive : le texte contesté de l’article L. 122-1, dans sa rédaction de l’époque, dispose que tous les projets qui « sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine sont précédés d’une étude d’impact ». Les listes d’ouvrages, travaux et activités contenues dans les annexes I et II de la directive européenne sont particulièrement larges, mais le champ d’application français l’est encore davantage. Ainsi, pour essayer de trouver un exemple concret, on peut constater que, s’agissant des installations sportives, ces annexes ne contiennent que les pistes de ski et aménagements associés, alors que la législation française impose que tout complexe sportif dont la construction ou le fonctionnement peut avoir une incidence notable sur l’environnement, notamment eu égard à sa localisation, fasse l’objet d’une évaluation environnementale avec étude d’impact. Il nous semble donc que, pour ce reliquat d’application, il vous faut examiner la question de constitutionnalité de façon plus approfondie.
Nous n’avons cependant pas de doute pour vous proposer de juger que le choix fait tant par le législateur européen que par le législateur français ne compromet pas la participation du public. Ce choix est d’abord conforme à une pratique ancienne et constante : c’est au pétitionnaire de fournir les informations pertinentes, et de les financer le cas échéant auprès de tiers. En pratique, cela le conduit souvent, pour satisfaire les exigences réglementaires décrivant le contenu précis des études d’impact, à déléguer la réalisation de l’étude à un cabinet extérieur. Les services administratifs chargés de l’instruction de la demande ont ensuite vocation à effectuer un contrôle de la qualité de l’étude. Un système de tiers de confiance ou de structures bénéficiant de garanties d’indépendance pour effectuer ces études au bénéfice des pétitionnaires est bien sûr envisageable, mais nous ne pensons pas que la Constitution l’exige. Le choix de principe fait par le législateur ne nous semble donc pas contraire à l’article 7 de la Charte, le reste regardant les exigences attendues de l’étude elle-même et leur contrôle. Or le premier point n’est pas critiqué et relève, pour le détail, du niveau réglementaire ; le second est important et fait l’objet, pour la procédure de l’espèce, de garanties importantes puisque, outre l’analyse des services d’instruction, l’étude d’impact sera soumise à l’avis d’une autorité environnementale, dont vous savez qu’elle doit être indépendante tant vis-à-vis du maître d’ouvrage que de l’autorité qui instruit la demande et prendra la décision finale, et qu’elle doit rendre un avis spécifique sur la qualité de l’étude d’impact et les incidences environnementales du projet. En pratique, ces avis conduisent fréquemment à reprendre et compléter les études d’impact pour les améliorer. Enfin, la consultation du public permet justement à celui-ci de consulter l’étude d’impact et, le cas échéant, de discuter sa méthode et ses conclusions.
Nous concluons donc à ce que vous ne renvoyiez pas cette question au Conseil constitutionnel. ■
- CE 4 octobre 2017, CDA de Seine-et-Marne, n° 412239 : inédit. [↩]
- CC 2012-269 QPC, 27 juillet 2012 ; CC 2012-283 QPC, 23 novembre 2012. [↩]
- CC 2012-270 QPC, 27 juillet 2012 ; CC 7 mai 2014, n° 2014-395 QPC ; CC 2 février 2016, n° 2015-518 QPC ; CC 18 novembre 2016, 2016-595 QPC. [↩]
- CE 4 octobre 2017, CDA de Seine-et-Marne, n° 412239 : inédit. [↩]
- CC 10 juin 2004, Loi de confiance sur l’économie numérique, n° 2004-96 DC ; CC 27 juillet 2006, Loi relative aux droits d’auteurs et aux droits voisins dans la société de l’information, n° 2006-540 DC. [↩]
- CE 14 septembre 2015, Société Notrefamille.com, n° 389806 : Rec., T., p. 576. [↩]
Table des matières