Chapitre trois- L’administration décentralisée
210- Décentralisation technique.- Il existe deux modalités particulières de décentralisation.
Il s’agit d’abord de la décentralisation technique, également appelée décentralisation fonctionnelle ou encore décentralisation par services, qui va consister à transférer des compétences de l’Etat vers une personne morale de droit public spécialisée.
Il s’agit ensuite de la décentralisation territoriale qui consiste en un transfert des compétences de l’Etat vers des collectivités territoriales.
211- Décentralisation territoriale.- La décentralisation territoriale trouve son fondement dans l’article 72 alinéa 3 de la Constitution selon lequel « dans les conditions prévues par la loi, (les) collectivités (territoriales) s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir règlementaire pour l’exercice de leurs compétences ».
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a voulu encore approfondir la décentralisation et désormais, selon le même article, « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Ce principe bénéficie aux différentes collectivités territoriales ainsi qu’à leurs regroupements. Cependant, s’il existe un principe de libre administration des collectivités territoriales, le dernier alinéa de l’article 72 de la Constitution précise que « dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’Etat, représentant de chacun des membres du gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
Section I- Décentralisation technique
212.- Etablissements publics et autres personnes publiques spécialisées.- Dans la grande majorité des cas, la décentralisation technique va consister, pour l’Etat ou pour une collectivité territoriale, à confier la gestion d’un service public à un établissement public. De façon beaucoup plus rare, la gestion des services publics peut être confiée à un autre type de personne publique spécialisée.
§I- Etablissements publics
213.- Caractères généraux et organisation.- On évoquera quels sont les caractères généraux des établissements publics avant d’étudier leur organisation.
I-Caractères généraux
214.- Définition.- Selon la définition de Maurice Hauriou l’établissement public est « un service public spécial personnifié » (Précis de droit administratif et de droit public, 11e éd. 1927, p. 236). Dans le même ordre d’idées, selon Jean Romieu, il s’agit « (d’) une personne morale administrative créée pour la gestion d’un service public » (conclusions sur CE, 22 mai 1903, Caisse des écoles du 6e arrondissement de Paris : Rec., p. 390 ; D. 1904, III, p. 1, concl. Romieu ; S. 1905, III, p. 33, note Hauriou).
Si elle correspond à une réalité pour la plupart des établissements publics, cette approche qui identifie service public et établissement public doit toutefois être nuancée, et cela pour plusieurs raisons.
D’une part, la nature de service public des activités prises en charge par certains établissements publics n’est pas toujours évidente. Il en va ainsi des associations syndicales de propriétaires dont l’objet est de défendre l’intérêt collectif – mais privé – des propriétaires dans le but de réaliser des travaux d’intérêt général, par exemple en vue de lutter contre les inondations ou les incendies (TC, 9 décembre 1899, requête numéro 00515, Association syndicale du canal de Gignac : Rec., p. 731 ; S. 1900, III, p. 49, note Hauriou).
D’autre part, un établissement public peut accomplir à la fois des missions de service public et des missions de droit privé. Ainsi, si un centre hippique annexé à un lycée agricole est placé sous l’autorité directe du directeur du lycée et est géré par l’établissement « il exerce une activité distincte de celle de cet établissement (…) qui ne présente pas, par elle-même, eu égard à son objet, un caractère d’intérêt général suffisant pour lui conférer le caractère d’un service public » (TC, 27 février 1995, requête numéro 2941, Anglaret : Rec., p. 492 ; RFDA 1996, p. 148).
Enfin, une personne morale de droit privé peut elle-même être en charge d’une mission de service public et disposer, dans ce cadre, de prérogatives de puissance publique (V. sur ce point infra Troisième partie, Chapitre II, Section II).
215.- Caractères.- Les établissements publics se caractérisent par le fait qu’ils sont nécessairement rattachés soit à l’Etat soit à la collectivité territoriale qui a en charge l’activité déléguée.
A la différence de l’Etat et des collectivités territoriales, qui exercent à leur niveau une compétence qui s’étend à de nombreux domaines, les établissements publics doivent respecter un principe de spécialité (CE, 22 mai 1903, Caisse des écoles du 6ème arrondissement, préc.). Ceci signifie que l’établissement public doit s’en tenir à l’exercice des missions en vue de l’accomplissement desquelles il a été institué.
Exemple :
– CAA Marseille, ord. réf., 5 juillet 2004, requête numéro 04MA01109, Syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence, (JCPA 2004, comm. 1640, note Deliancourt) : si un syndicat d’agglomération nouvelle – qui relevait avant la disparation de cette structure de la catégorie des établissements publics de coopération intercommunale – peut procéder à des investissements en matière d’urbanisation, de logement, de transports, de réseaux, de voies nouvelles et de développement économique, et acquérir des équipements et matériels nécessaires à leur propre fonctionnement, il n’entre pas dans ses compétences d’acquérir des matériels de bureau affectés à l’usage des communes membres et il ne lui appartient pas de se constituer en centrale d’achats pour les fournitures et matériels de bureau des communes de son périmètre.
De même, si le Conseil d’Etat a admis que « aucun texte, ni aucun principe, n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service public » (CE, avis, 8 novembre 2000, requête numéro 222208, Société Jean-Louis Bernard consultants : AJDA 2000, p. 1066 et p. 987, chron. Collin et Guyomar ; Dr. adm. 2000, 249 ; RFDA 2001, p. 112, concl. Bergeal), les établissements publics doivent respecter le principe de spécialité (Rép. min. n°08587 : JO Sénat Q 12 novembre 2009, p. 2647). Dans ce cadre, la collectivité publique doit également justifier que sa candidature répond à un intérêt public (CE Ass., 30 décembre 2014, requête numéro 355563, Société Armor SNC : AJCT 2015, p. 158, obs. Royer ; AJCT 2016, p. 139, étude Dreyfus ; AJDA 2015, p. 449, chron. Lessi et Dutheillet de Lamothe ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 36, note de Fournoux ; JCP A 2015, comm. 2030, note Pauliat ; RFDA 2015, p. 57, concl. Dacosta ; RTD com. 2015, p. 245, chron. Orsoni ; RTD eur. 2015, p. 437, obs. Muller.- CAA Lyon, 5 mars 2015, requête numéro 13LY03059, Régie des eaux de Grenoble).
Un établissement public peut toutefois prendre en charge d’autres missions à condition qu’elles soient connexes ou annexes à sa mission principale. Il est nécessaire, cependant, que ces missions « soient techniquement et commercialement le complément naturel de sa mission statutaire principale, d’autre part, que ces activités soient à la fois d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public » (CE, Avis, 7 juillet 1994, EDF -GDF : EDCE 1994, p. 409).
Exemple :
– CAA Bordeaux, 25 novembre 2003, requête numéro 99BX01374, Toussaint : l’activité de promotion et de vente de produits artisanaux locaux par l’intermédiaire d’une SARL, dont une chambre des métiers est le principal associé, entre directement dans le champ de compétence de cet établissement public. La vente de ces produits constitue en effet un complément commercial naturel de la mission de promotion assurée par la chambre et sert nécessairement l’intérêt général du secteur des métiers comme celui particulier de l’établissement.
II- Organisation
216.- Des régimes juridiques diversifiés.- Les établissements publics sont soumis à des régimes juridiques extrêmement diversifiés, ce qui tient au fait qu’il en existe de nombreuses catégories (établissements publics de coopération culturelle, établissements publics territoriaux, établissements publics à caractère scientifique et technologiques, etc.).
217.- Traits récurrents dans l’organisation des établissements publics.- Toutefois, dans tous les cas de figure, on retrouve, au niveau de ces établissements, un organe délibérant et un organe exécutif.
La dénomination de l’organe délibérant varie en fonction de l’établissement public envisagé. Il peut être qualifié, selon les cas, de conseil d’administration, de conseil d’exploitation ou encore de comité de direction. L’objet de cet organe est de prendre des délibérations en vue de mettre en œuvre les compétences de l’établissement public. Cependant, si cette compétence apparaît très générale, elle est en réalité fortement restreinte par la collectivité de rattachement. Comme pour l’organe délibérant, la dénomination de l’organe exécutif de l’établissement public varie, les termes de directeur et de président étant les plus employés. De même, le mode de nomination ainsi que les pouvoirs de l’organe exécutif ne sont pas les mêmes selon l’établissement public considéré. Ainsi, par exemple, les directeurs des établissements publics nationaux à caractère administratif sont nommés par décret, alors que les présidents d’université sont élus.
§II- Autres personnes publiques spécialisées
218.- Classification classique des personnes morales de droit public.- Très longtemps, il n’a existé que trois catégories de personnes morales de droit public en droit interne : l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics.
219.- Identification des personnes morales de droit public.- Cela n’implique pas, pourtant, que l’identification des personnes publiques soit toujours évidente, notamment lorsqu’il s’agit de qualifier un organisme d’établissement public. En l’absence de texte, c’est au juge qu’il appartiendra de déterminer si un organisme est une personne morale de droit public ou une personne morale de droit privé et plus précisément un établissement d’utilité publique (TC, 9 décembre 1899, requête numéro 00515, Association syndicale du canal de Gignac, requête numéro 00515, préc.). Dans le silence de la loi, il utilisera un faisceau d’indices divers, dont l’utilisation n’est pas forcément empreinte de rigueur, prenant en compte notamment l’initiative de la création de l’organisme, l’existence de prérogatives de puissance publique, la nature de la mission exercée, les règles d’organisation et de fonctionnement, le degré de contrôle de l’administration.
Exemple :
– TC, 20 novembre 1961, requête numéro 24380, Centre régional de lutte contre le cancer Eugène Marquis (Rec., p. 879 ; AJDA 1962, p. 17, chron. Galabert et Gentot ; D. 1962, p. 389, note de Laubadère ; JCP G 1962, comm. 12572, note Auby ; RDP 1962, p. 1964, note Waline ; Rev. Adm. 1961, p. 621, note Liet-Veaux) : « si les centres régionaux de lutte contre le cancer assument une mission de service public et sont soumis par l’ordonnance du 1er octobre 1945 à un ensemble de règles d’organisation et de fonctionnement impliquant un contrôle étroit de l’administration sur divers aspects de leur activité, il résulte de l’ensemble des dispositions de cette ordonnance rapprochées des termes de l’exposé des motifs que le législateur a entendu conférer à ces centres le caractère d’établissements privés, qui était d’ailleurs celui de ce type d’établissements avant l’intervention des dispositions sus-rappelées ».
En outre, récemment, la jurisprudence a dégagé plusieurs nouveaux types de personnes publiques prenant en charge des activités de service public.
220.- Banque de France.- Il s’agit, tout d’abord, de la Banque de France. Dans un premier temps, le Tribunal des conflits a considéré, dans le silence de la loi, qu’il s’agissait d’une personne morale de droit public (TC, 16 juin 1997, requête numéro 03054, Société la Fontaine de Mars et a. c. Banque de France : Rec., p., 532 ; CJEG 1997, p. 363, concl. Arrighi de Casanova ; JCP 1998, I, comm. 125, chron. Petit ; RFDA 1997, p. 823, concl. Arrighi de Casanova). Puis le Conseil d’Etat a précisé qu’il ne s’agissait pas d’un établissement public, mais d’une personne publique sui generis (CE, 22 mars 2000, requête numéro 203854, requête numéro 203855, requête numéro 104029, Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France c. Banque de France : AJDA 2000, p. 410, Guyomard et Collin ; Dr. adm. 2000, comm. 88.- V. dans le même sens : CE, 2 octobre 2002, requête numéro 240818, Banque de France et a. : AJDA 2002, p. 1345 ; RTD com. 2003, p. 282, Orsoni ; AJFP, n°2, 2003, p. 7, obs. Lenica ; AJDA 2002, p. 1345, note Markus ; RFDA 2002, p. 1175, note Terneyre.- CE, 21 février 2003, requête numéro 237772, Fédération CFDT des syndicats de banques et sociétés financières : Dr. adm. 2003, 85, obs. G.L.C.- CE, 20 décembre 2006, requête numéro 292327, Comité central d’entreprise Banque de France.– CE, 11 mars 2011, requête numéro 316412, Banque de France). Cette solution se fonde principalement sur le fait que la Banque de France bénéficie d’une indépendance peu compatible avec le pouvoir de tutelle qui est exercé sur les établissements publics.
221.- Institut de France organismes similaires.- Ensuite en application de l’article 35 de la loi n°2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche (JO 19 avril 2006) : « l’Institut de France ainsi que l’Académie française, l’Académie des inscriptions et belles-lettres, l’Académie des sciences, l’Académie des beaux-arts et l’Académie des sciences morales et politiques qui le composent sont des personnes morales de droit public à statut particulier placées sous la protection du Président de la République ».
222.- Groupements d’intérêt public.- Sont également concernés les groupements d’intérêt public, qui ont été créés par la loi n°82-610 du 15 juillet 1982 et qui sont soumis à des régimes juridiques extrêmement diversifiés en fonction de la catégorie dont ils relèvent (il existe ainsi des groupements d’intérêt public dans les domaines de l’enseignement supérieur, des activités physiques et sportives, du mécénat, dans le secteur hospitalier, etc.). Plus précisément, ce sont des personnes morales de droit public regroupant à la fois des personnes publiques et privées et permettant de coordonner des actions d’intérêt général. Dans son arrêt du 14 février 2000, GIP habitat et interventions sociales pour les mal-logés et les sans-abris, le Tribunal des conflits a estimé que « le législateur a entendu faire des groupements d’intérêt public des personnes publiques soumises à un régime spécifique », qui sont donc clairement distinctes des établissements publics (requête numéro 03170 : Rec., p. 748 ; AJDA 2000, p. 465, chron. Guyomar et Colin ; JCP 2000, II, comm. 10301, note Eveno ; AJFP juillet-août 2001, p. 13, note Mekhantar ; LPA 4 janvier 2001, note Gégout et 21 juillet 2001, note Demaye ; Rev. trim. dr. com. 2000, p. 602, obs. Orsoni). Il est à noter que les règles applicables aux personnels des groupements d’intérêt public ont été précisées par le décret n°2013-292 du 5 avril 2013, modifié par le décret n°2022-1356 du 24 octobre 2022 auquel renvoie l’article 109 de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
223.- Autorités publiques indépendantes.- Enfin, si les autorités administratives indépendantes ne bénéficient pas de la personnalité juridique, et ne sauraient par conséquent être considérées comme des personnes publiques sui generis, il en va autrement pour les autorités publiques indépendantes qui se singularisent au regard de la personnalité juridique qui leur est reconnue.
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