M. et Mme A ont acheté en 2010, à Errouville (Meurthe-et-Moselle), une parcelle sur laquelle était implanté un transformateur électrique. Après avoir vainement sollicité la société ERDF, devenue ENEDIS, ils ont demandé au tribunal administratif de Nancy d’enjoindre à celle-ci de démolir cet ouvrage public1 ; ils ont en outre présenté des conclusions indemnitaires. Le tribunal a prononcé l’injonction sollicitée et fait partiellement droit aux conclusions indemnitaires.
Un ouvrage public implanté de façon irrégulière
Saisie d’un appel et d’un appel incident, la cour de Nancy a fait droit au premier et rejeté le second ; elle a ainsi annulé le jugement en tant qu’il enjoignait à la société de démolir l’ouvrage. Les époux A vous saisissent régulièrement en cassation d’un pourvoi qui ne critique l’arrêt qu’en tant qu’il fait droit à l’appel de la société ENEDIS ; vous pourrez donc regarder les conclusions indemnitaires comme définitivement jugées. S’agissant des conclusions à fin d’injonction, la cour, pour infirmer le tribunal administratif, s’est placée, comme lui, dans le cadre de la jurisprudence issue de votre décision Commune de Clans2, selon laquelle il appartient au juge de déterminer si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher d’abord si, eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, d’apprécier si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
En l’espèce, la cour, comme le tribunal, a jugé que l’implantation de l’ouvrage résultait d’une emprise irrégulière.
Contrairement au tribunal, la cour a en revanche estimé qu’une régularisation appropriée était possible ; elle a jugé, plus précisément, que, compte tenu de l’utilité publique qui s’attache à l’ouvrage public, la société ENEDIS n’était pas dans l’impossibilité de le faire déclarer d’utilité publique et d’en obtenir la propriété par voie d’expropriation.
M. et Mme A nous paraissent fondés à soutenir qu’un tel motif est erroné en droit.
La nécessité d’un examen concret de la possibilité de régularisation
En effet, la recherche de la possibilité d’une régularisation appropriée ne doit pas être une recherche théorique ; elle doit être ancrée dans les faits de l’espèce3. Il ne s’agit pas seulement de rechercher s’il existe un acte administratif qui pourrait mettre fin à l’irrégularité, mais de déterminer, d’une part, si l’autorité compétente pour l’édicter envisage sérieusement de le faire et, d’autre part, s’il apparaît qu’elle peut légalement le faire4. Car si vous renoncez alors à enjoindre la démolition de l’ouvrage, sans même procéder à l’examen du bilan de ses inconvénients au regard de son apport à l’utilité publique, c’est que vous retenez que son implantation va, effectivement, devenir régulière.
Vous noterez que, pour ces raisons, si l’examen du caractère régularisable de l’ouvrage public fait pleinement partie de l’office du juge, celui-ci demeure néanmoins très dépendant, pour y procéder, de l’existence d’une argumentation et de la production d’éléments de nature à établir que la régularisation est possible et va être, ou a été, engagée. Faute d’une telle argumentation, il ne peut le plus souvent que constater qu’il ne résulte pas des éléments qui lui sont soumis qu’une régularisation appropriée de l’ouvrage serait possible5.
En l’espèce, la cour nous paraît s’être écartée de ces principes. Alors que la société ENEDIS ne lui présentait ni argumentation, ni pièces de nature à établir qu’une régularisation appropriée était possible, elle a déduit de l’affectation de l’ouvrage à l’intérêt général que l’emprise irrégulière pourrait être régularisée par une expropriation après déclaration d’utilité publique. Ce faisant, elle n’a recherché ni si la déclaration d’utilité publique était effectivement envisagée, ni si elle était susceptible d’intervenir légalement – ce qui suppose, non seulement que l’ouvrage soit affecté à l’intérêt général, mais encore qu’il ne puisse être installé sans expropriation et que les inconvénients de cette installation ne soient pas excessifs au regard de l’intérêt qu’elle présente6. Le raisonnement de la cour aboutit, en réalité, à ce qu’un ouvrage public implanté par emprise irrégulière ne soit jamais démoli, le constat de ce qu’il est un ouvrage public, c’est-à-dire qu’il est affecté à l’utilité publique, suffisant selon elle à admettre une potentielle déclaration d’utilité publique.
Il nous semble que vous devez censurer un tel raisonnement.
Par ces motifs, nous concluons :
– à l’annulation de l’article 1er de l’arrêt attaqué et de son article 3 en tant qu’il statue sur les frais d’instance ;
– au renvoi de l’affaire à la cour de Nancy ;
– et à ce que la société ENEDIS verse une somme de 3 500 € à la SCP Boulloche, avocat de M. et Mme A, au titre des frais de procédure et de l’aide juridictionnelle. ■
- Voir, sur la qualification d’un tel ouvrage, TC 17 décembre 2012, Vidal c/ Société ERDF, n° 3871 : Rec., T., pp. 654-656-839-1014. [↩]
- Voir CE S. 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Commune de Clans, n° 245239 : Rec., p. 21 ; et, actualisant l’office du juge, CE 29 novembre 2019, M. A, n° 410689 : à publier au Recueil. [↩]
- Voir not. CE 20 mai 2011, Communauté d’agglomération du lac du Bourget, nos 325552 e. a. : Rec., p. 248. [↩]
- Voir, a contrario, sur ce second point, CE 29 novembre 2019, M. A, n° 410689 : à publier au Recueil. [↩]
- Voir CE 9 décembre 2011, Mme B, n° 333756 : Rec., T., p. 847-1186, éclairée par les conclusions du président. Boulouis. [↩]
- Voir CE 19 octobre 2012, Commune de Levallois-Perret, n° 343070 : Rec., T., p. 800-801. [↩]
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